samedi 26 décembre 2020

"L'homme naît pour commencer"

Dans son discours de Noël aux membres de la Curie romaine, le pape François a repris les propos de la philosophe et politologue juive  Hannah Arendt : "L'homme ne naît pas que pour mourir. Il naît pour commencer", et elle ajoutait que le mystère de l'Incarnation célébré à Noël en était sans doute la meilleure illustration.  

Noël, c'est en effet la célébration d'une naissance. Non pas seulement "l'anniversaire de Jésus", comme on dit naïvement et platement quand on n'a pas l'audace d'évoquer le mystère célébré. Noël, c'est la "naissance de Dieu en l'homme", comme le répète à n'en plus finir Maître Eckhart, qui fait écho aux meilleures intuitions de la mystique cistercienne. 

"Ce qui s'est passé une fois dans le sein de la Vierge Marie, la conception de Dieu et son enfantement, c'est cela qui se passe en chaque être humain qui s'ouvre à la présence de Dieu en lui, par la puissance fécondante de l'Esprit" : voilà ce que répètent ces auteurs médiévaux pour lesquels la vie spirituelle ( la vie, précisément, de l'Esprit Saint en l'être humain) est naissance perpétuelle de Dieu en notre terreau fragile et sombre, notre poussière d'humanité. 

Pascal, des siècles plus tard, le dira à sa façon dans ses Pensées : "L'homme passe infiniment l'homme", depuis cette naissance qui a reconnu, et anobli la dignité de cet être humain capax Dei, "capable de Dieu".

Nous voici à partir de Noël dans un perpétuel commencement que rien n'arrête jamais, pas même la mort corporelle, devenue simplement une étape de croissance. Oui, on voit bien à Noël que "l'homme naît pour commencer", et non pas simplement "pour mourir."

vendredi 25 décembre 2020

Ta lumière inaccessible envahit notre hiver...

 "Voici, la Vierge a enfanté

Et les oracles s'accomplissent.

Ton amour et ta vérité resplendissent.

Sous le voile de la chair

Ta lumière inaccessible envahit notre hiver!"

(Hymne du temps de Noël)


A chacune et chacun de vous, chers lecteurs de ce blog, un heureux et saint Noël!

mardi 22 décembre 2020

NOËL SUR TERRE

 Je ne résiste pas à la joie de vous partager ce texte que Bertrand Révillion vient de publier sur Facebook, et que je trouve admirable :


"NOËL SUR TERRE.

Une légende raconte qu'à force de se pencher au grand balcon du ciel pour mieux entendre les cris et les appels à l'aide des hommes, Dieu a basculé par-dessus la rambarde. Oui, Dieu est tombé. Il a fait une chute vertigineuse. Tout Dieu qu'il est, il s'est cassé la figure! 

Dieu est toujours imprudent! Il aurait pu se faire très mal, Dieu, en tombant de son trône céleste. Il s'est d'ailleurs fait mal, infiniment mal, mais pas à Noël, plutôt à la fin de l'histoire, vers le dernier chapitre de l'Evangile, lorsque des hommes en armes et en certitudes se sont avisés de le reconduire à la frontière. Car il était grand temps de le remettre en place : on n'avait jamais vu ça! Pensez donc, un Dieu qui déserte son ciel, qui débarque ainsi de nuit, sans crier gare, et qui vient frapper à la porte de l'humanité, sans y avoir été invité! Le panneau à l'entrée était pourtant clair : "Complet!"!

Mais Dieu a mis le pied en travers de la porte, il a joué des coudes, il a forcé le passage, la tête la première! Un Dieu nu, fragile comme un nouveau-né.

Heureusement qu'elle était là, Marie, pour accueillir l'immense dégringolade de Dieu. Car il aurait pu se briser la Sainte-Face en tombant sur les pierres sèches de nos coeurs endurcis. Mais Marie était là, Marie est toujours là, à veiller, à attendre et à "entendre". Elle a l'oreille absolue, Marie! Elle est sûrement musicienne, Marie! Dans le grand fracas du monde, elle a perçu le fin silence que Dieu faisait en tombant. Dieu fait toujours silence quand il tombe dans nos bras.

Alors Marie a fait son doux métier de mère. Elle a ouvert son corps et son coeur à Dieu qui tombait dans notre humanité. Et Dieu ne s'est pas brisé, il s'est reçu dans l'infinie douceur d'une femme. Il s'est laissé mettre au monde par la tendresse d'une femme, par le regard attendri d'un couple.

Noël? Un Dieu qui tombe...

Oui, qui tombe amoureux. Définitivement, irrémédiablement amoureux de notre humanité.

Noël? Un Dieu tombé du ciel!"


(c)  Bertrand Révillion

samedi 19 décembre 2020

Sur la Vierge Marie

 Il y a trois grandes icônes du remps de l'Avent : Isaïe le prophète, Jean le Baptiste et la Vierge Marie. Demain, quatrième et dernier dimanche de l'Avent, c'est cette dernière qui est mise en honneur avec le magnifique récit de l'annonciation (Lc 1, 26-38). Douze versets qui nous décrivent le consentement de celle par qui Dieu est né, en Jésus, de l'humanité - comme le dit en incidence un mot de Paul à Tite, "l'humanité de notre Dieu est alors apparue." (C'était la devise épiscopale du regretté Cardinal Danneels  : Apparuit humanitas Dei nostri.)

"Comment cela va-t-il se faire, dit Marie après avoir entendu l'annonce de l'ange Gabriel, puisque je suis vierge?" Oh, combien on a commenté cette réponse! Et souvent, notez-le, en prenant pour principale la proposition qu'en bonne grammaire, on appelle "subordonnée" - en l'occurrence, ici, causale, la proposition qui commence par "puisque". Ce qu'il faudrait pourtant remarquer, c'est que Marie ne doute pas que cela se fera, son consentement est déjà présent ici, elle accepte d'emblée ce désir de Dieu sur elle, et c'est cela que l'évangéliste met en exergue. Elle demande simplement une explication technique, signalant à l'ange un problème auquel les anges ne connaissent pas grand chose non plus : "Je suis vierge", lui dit-elle. On sait que les anges ne sont pas des experts en matière de sexualité, on s'est même demandé s'ils avaient un sexe, paraît-il, dans certaines discussions byzantines...

Entendons-nous : je veux bien croire, et je crois facilement, à la factualité de la virginité de Marie, mais elle n'a guère d'importance en soi, sauf à être soucieux de détails gynécologiques qui n'ont rien à nous apprendre ici. La virginité ici présentée comme une incise, sous forme subordonnée, donc, a une portée spirituelle d'abord : avec cette naissance de Dieu en l'homme, tout renaît à neuf, c'est un monde jeune et inédit qui va paraître. Cela, c'est beaucoup plus important que tout le reste! 

Cela, c'est l'incroyable espérance de Noël, qui pointe déjà, même avant la fête de la nativité, en cette fin du temps de l'Avent.

jeudi 17 décembre 2020

Réhabiliter l'interdit

 La crise sanitaire présente me semble comporter un problème de fond, que l'éthique précisément dite "fondamentale" a pour mission d'appréhender : la question de l'interdit. Ce qui agace un certain nombre de nos contemporains, c'est que l'Etat multiplie les interdits : de garder ouverts cafés et restaurants, de se promener après le couvre-feu, de multiplier les rencontres, etc... Nous sommes à peu près tous, en effet, des enfants de mai '68 et de slogans alors brandis comme autant de devises : "Il est interdit d'interdire..."

Or, l'interdit est nécessaire pour toute vie sociale. Songeons aux nobles et antiques interdits sans lesquels nous ne saurions vivre, et que Freud a intégrés dans l'apprentissage indispensable du "surmoi" : interdit du meurtre, interdit de l'inceste. Que se passerait-il, par exemple, si le meurtre n'était pas interdit? Nous serions immédiatement plongés dans une société violente en laquelle, la vengeance entraînant la vengeance, la vie ne serait tout simplement plus possible. 

Et voilà exposé le coeur du problème : la fonction de l'interdit, de l'inter-dictum, de cette parole dite entre les humains, c'est d'empêcher, certes, un comportement, mais de permettre quelque chose de plus grand. Ainsi le meurtre est-il empêché pour que la vie du plus grand nombre reste possible. Et ce qui est permis par l'interdit, en éthique fondamentale, porte un nom - c'est une "valeur", ce qui "vaut mieux". Convenons, en l'espèce, que la vie "vaut mieux" que la mort...

Rappelle-t-on assez ces éléments très simples d'une morale commune? Si nos gouvernants interdisent des comportements, c'est pour dire que la santé "vaut mieux" que la maladie, qu'elle est une valeur à préserver dans l'escarcelle du bien commun, et que cela "vaut bien", donc, de sacrifier quelques libertés de façon temporaire. Même s'il en coûte, des points de vue sociologique, économique, psychologique.

Souvenons-nous du précepte chinois (on m'a toujours dit qu'il était chinois, je n'ai jamais vérifié.) : "Si, de ton doigt, tu montres la lune à un imbécile, l'imbécile regardera ton doigt!" La lune, c'est la valeur morale. Le doigt, c'est l'interdit. 

C'est pourtant simple, non?

dimanche 13 décembre 2020

"Ni la peste qui rôde dans le noir..."

 A Complies, ce soir, le magnifique psaume 90 : "Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui frappe au grand jour, ni la peste qui rôde dans le noir..."  Non, n'aie pas peur : "Au pire, comme me disait il y a bien longtemps un ami Libanais, plus fataliste que moi, évidemment, quand je lui décrivais mes petites misères de santé, au pire, oui, tu meurs, tu vas au Ciel et tu vois Dieu..." J'ai souvent repensé  à ce mot de Tony, qui m'a toujours remis à ma place et relativisé mes peurs : "Au pire, tu vois Dieu..."

Bien sûr, la situation est complexe, et pour dire ce que je pense au plus intime, nous ne reviendrons à une normalité relative qu'au printemps. Avant, c'est la guerre sans armistice contre ce virus qui non seulement fait mourir - dans cette deuxième vague, j'ai compté plus de dix personnes proches qui sont parties à cause de lui - mais surtout affecte le personnel soignant. Dans ma famille, beaucoup de petits-cousins sont soignants, infirmiers ou infirmières - ils travaillent des septante heures par semaine, sans relâche depuis le mois de mars, sont au bord d'un "burn-out" constamment, ont des enfants  à nourrir et à protéger, vont au boulot la peur au ventre, sont payés des clopinettes, se voient interdire de prendre des congés que l'on convertit en heures supplémentaires taxées à 70%... Et nous ne serions pas solidaires? Et nous voudrions à toutes fins avoir "nos messes", auxquelles "nous aurions droit"??? La messe, un "droit"? C'est nouveau, ça, ça vient de sortir... 

Ici, à la Cathédrale de Bruxelles, j'ai décidé que malgré le timide - et stupide - élargissement offert aux cultes par le Gouvernement, la messe ne serait pas célébrée avant une révision complète des mesures imposées. Quinze personnes, nous permet-on, pour une assemblée eucharistique, qu'elle ait lieu dans cette magnifique Cathédrale qui peut en accueillir des milliers, ou dans mon église natale, et également magnifique, de Solre-Saint Géry, en campagne hennuyère, qui peut en contenir une quarantaine. Alors, si c'est comme ça, je ne ne trouve pas l'ombre d'un critère de sélection : les quinze plus gros? Les quinze plus moches? Les quinze plus jeunes? Les quinze premiers arrivés? Premiers inscrits? Ridicule.

Ici, à la Cathédrale, chacun peut entrer, se recueillir devant les crèches du monde entier qui sont exposées, s'asseoir à bonne distance pour prier, écouter la musique diffusée et quelquefois jouée en life aux grande orgues par nos organistes, rencontrer un prêtre masqué et se confier ou se confesser à lui, déposer ses offrandes de solidarité avec les plus fragiles de nos paroisses... Nous n'irons pas plus loin, et cela me semble déjà beaucoup, tant que l'épidémie présente nous imposera des mesures sanitaires de restriction.

J'aime la messe. Je la célèbre tous les jours, à midi, dans la petite sacristie dite ici "de l'archevêque", avec un seul fidèle de la Cathédrale - toujours le même, et je la célèbre à toutes les intentions que l'on me confie. Je retrouve ainsi une dimension trop oubliée sans doute de la célébration, celle de l'intercession, même et surtout en l'absence physique des fidèles chrétiens. Ils sont présents, autrement. Vous êtes présents, tous, autrement, et peut-être même, plus intensément.

vendredi 11 décembre 2020

Gaudete!

 La tonalité majeure des lectures de ce troisième dimanche de l'Avent est celle de la joie! Gaudete!, chantait autrefois l'antienne d'ouverture, "réjouissez-vous!" Et du reste, l'ornement du prêtre ou de l'évêque est, comme à la mi-carême, un ornement... rose. J'ai quelquefois osé le porter, à Enghien, où il y en a un magnifique, tout en précisant d'emblée à l'assemblée que ce n'était pas un énorme bonbon rose qui se promenait dans le choeur de l'église...

La joie, donc. Quelle audace de continuer à évoquer  cette liturgie en une fin d'année où tout, ou presque, nous invite à la tristesse : on n'aura pas de Noël familial, l'épidémie a fait et fait encore des ravages meurtriers, il n'y aura pas de "messes de minuit", beaucoup de commerces vont vers la faillite, etc., etc. Vraiment, direz-vous, comment ose-t-on parler de "joie"?

Cela dépend de quelle joie on parle. S'il s'agit de rigoler à gorge déployée parce que nos greniers sont remplis de biens matériels, ou même de chaleur domestique, et nos yeux des "illuminations" de Noël, alors en effet, non : pas de quoi rire. Mais si la joie était autre chose? Non pas l'absence de la privation, voire même de la souffrance, mais leur traversée? Car la joie de Noël est déjà, si j'ose cette audace liturgique, la joie de Pâques - mettons qu'elle est adossée à la joie de Pâques. On  ne fêterait pas la naissance du Sauveur, on ne l'attendrait pas avec l'impatience prophétique du Baptiste ou le frémissement des entrailles de la Vierge enceinte, précisément s'il n'était pas "le Sauveur", Celui qui vient pour nous sauver, pour nous accompagner des ténèbres à la lumière. C'est cette joie-là qui illumine le berceau de Noël, et pas simplement la venue au monde d'un nouveau-né.

Des ténèbres, nous en traverserons toujours. Quand cette épidémie-ci sera terminée, ou calmée, d'autres souffrances subsisteront, qu'aujourd'hui nous méconnaissons ou avons oubliées : celles de la faim, de la guerre, des injustices sociales, du racisme, de la bêtise humaine qui tue l'autre par jalousie, par appât du gain, par idéologie, tout ce que vous voulez. Et d'autres épidémies suivront, bien sûr, et nous continuerons à être malades et à mourir, à tout âge, et de trente-six façons. Le Mal, et son mystère, resteront toujours la première énigme de ce que Malraux appelait "la condition humaine." Mais depuis la survenue dans le temps des hommes de "Celui qui devait venir", Dieu même le Créateur devenu l'un de nous pour nous conduire à Lui, alors le Mal est vaincu comme il le sera de façon décisive dans la Résurrection après son apparente victoire sur la Croix - l'ombre de la crèche. C'est l'Amour qui est victorieux, et voilà ce qu'entrevoit dans l'Enfant la solennité de Noël, et voilà la source de la joie, de la vraie joie.

Oui, Gaudete! "Réjouissez-vous!"

mardi 8 décembre 2020

"L'Immaculée Conception" : Marie, la "cadette du genre humain"

 Marie, conçue sans péché... Aujourd'hui, dans l'Eglise catholique, nous fêtons cette solennité, qui n'a donc rien à voir avec la virginité de Marie, mais avec sa conception : en elle, le "péché originel" n'a eu aucune prise, elle est, depuis sa conception, depuis qu'elle existe comme créature humaine,  absolument sans péché, elle annonce par cet état la victoire absolue du Christ sur toute forme de mal.

La plus belle page que je connaisse là-dessus est de Bernanos, dans le Journal d'un Curé de Campagne, et c'est le vieux curé de Torcy qui s'y exprime ainsi en s'adressant à son jeune confrère :

"Mais remarque bien maintenant, petit : la Sainte Vierge n'a eu ni triomphe ni miracles. Son fils n'a pas permis que la gloire humaine l'effleurât, même du plus fin bout de sa grande aile sauvage. Personne n'a vécu, n'a souffert, n'est mort aussi simplement et dans une ignorance aussi profonde de sa propre dignité. Car enfin, elle était née sans péché, quelle solitude étonnante! Une source si pure, si limpide, si limpide et si pure, qu'elle ne pouvait même pas y voir refléter sa propre image, faite pour la seule joie du Père - ô solitude sacrée! Les antiques démons familiers de l'homme, maîtres et serviteurs tout ensemble, les terribles patriarches qui ont guidé les premiers pas d'Adam au seuil du monde maudit, la Ruse et l'Orgueil, tu les vois qui regardent de loin cette créature miraculeuse placée hors de leur atteinte, invulnérable et désarmée. Certes, notre pauvre espèce ne vaut pas cher, mais l'enfance émeut toujours ses entrailles, l'ignorance des petits lui fait baisser les yeux - ses yeux qui savent le bien et le mal, ses yeux qui ont vu tant de choses! Mais ce n'est que l'ignorance, après tout. La Vierge était l'Innocence. Rends-toi compte de ce que nous sommes pour elle, nous autres, la race humaine? Oh! naturellement, elle déteste le péché, mais enfin, elle n'a de lui nulle expérience, cette expérience qui n'a pas manqué aux plus grands saints, au saint d'Assise lui-même, tout séraphique qu'il est. Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul vrai regard d'enfant  qui se soit jamais levé sur notre honte et notre malheur. Oui, mon petit, pour la bien prier, il faut sentir sur soi ce regard qui n'est pas tout à fait celui de l'indulgence - car l'indulgence ne va pas sans quelque expérience amère - mais de la tendre compassion, de la surprise douloureuse, d'on ne sait quel sentiment encore, inconcevable, inexprimable, qui la fait plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue, et bien que Mère par la grâce, Mère des grâces, la cadette du genre humain." (G. BERNANOS, Journal d'un Curé de Campagne, in Oeuvres romanesques, Gallimard, Pléiade, 1992, pp. 1193-1194)

vendredi 4 décembre 2020

Il faudrait se rendre à Colmar...

 A Colmar, au musée Unterlinden, se trouve l'un des chefs-d'oeuvre de l'humanité :le retable dit d'Issenheim, peint par Matthias Grünewald, au début du XVIème siècle. Le "mal des ardents" brûle alors la population pauvre, à cause de céréales mal cultivées et nocives - les paysans ont des membres gangrenés, les extrémités des doigts et des pieds les font se tordre de douleur, c'est une épidémie sans vraie solution sanitaire. Au couvent tenu par les Antonins, disciples de saint Antoine du désert, on accueille ces malades, et on ne leur offre pas un vaccin (inexistant), mais un polyptique, dont le tableau central représente le Christ en Croix : c'est le fameux polyptique d'Issenheim, demandé au peintre Matthias Grünewald. 

Voyons le tableau central. Le fond en est on ne peut plus sombre, plus noir - toute lumière en a disparu. C'est la nuit. C'est la crucifixion de l'amour, d'un Christ marqué par les plaies de ceux qui le regardent, ces malades aux stigmates, les doigts déjà presque détachés de la main et du corps. Mais le plus remarquable, c'est ce qui se passe au pied de la croix : à gauche, certes, Marie, la mère de Jésus, comme dans toute l'iconographie traditionnelle, est soutenue par saint Jean. Mais à droite se trouve un personnage anachronique : Jean le Baptiste, qui, historiquement, était mort depuis belle lurette quand Jésus fut mis en croix. De sa dextre, il montre le Christ, comme les Evangiles nous disent qu'il l'a toujours fait; dans sa main gauche, le livre ouvert des Ecritures : voilà où vous pourrez rencontrer Celui que je vous présente comme "l'agneau de Dieu qui enlève le péché - et le mal - du monde". Du reste, un petit agneau, à ses côtés, confirme la chose...

Deuxième dimanche de l'Avent : nous lisons encore saint Marc et la présentation qu'il fait, précisément, du Baptiste, de son baptême de conversion qui annonce l'autre, le baptême de sang et de feu, d'immersion complète dans les plaies de Jésus, le baptême chrétien. 

Nous portons désormais avec Lui, le crucifié, les plaies du monde en même temps que les nôtres. Jean le Baptiste ne se désigne jamais lui-même - beau signe du véritable apôtre, il ne se montre pas lui-même, mais disparaît ("Il faut que lui grandisse et que moi, je diminue"... vraie devise du prêtre, du prédicateur, de l'évêque, de tous ceux qui auraient tendance, ou envie, au nom de leur mission, de se mettre en avant...) Comme le Baptiste, nous annonçons la conversion nécessaire pour rencontrer non pas seulement un purificateur, mais un Sauveur - tout autre chose! Quelqu'un qui, venant de Dieu et nous faisant retourner à Dieu avec lui - nous guérit entièrement de nos plaies physiques et spirituelles.

Deuxième dimanche de l'Avent  : Jean le Baptiste nous initie doucement à la vie chrétienne, au mystère du Christ Sauveur, il nous le désigne. Il faudrait se rendre à Colmar, aujourd'hui et ce week-end, et passer des heures, en ce temps de pandémie, devant le retable d'Issenheim - c'est impossible.

Alors, un reportage?


mercredi 2 décembre 2020

Ruusbroec l'admirable : "Se réjouir au-dessus du temps"...

 Aujourd'hui 2 décembre j'ai célébré (privément, hélas) la mémoire liturgique du Bienheureux Ruusbroec l'admirable, mystique bruxellois du XIVème siècle (1293-1381) qui fut chanoine et chapelain de Sainte-Gudule... en quelque sorte donc l'un de mes prédécesseurs! Je croise son portrait chaque fois que, du déambulatoire de cette église devenue cathédrale, j'entre dans la sacristie. Comme son culte est limité à son diocèse (il est "béatifié" mais non - encore?- canonisé), je n'avais jamais eu cette occasion. Mais je fréquente ses textes depuis longtemps, en particulier dans la plus récente des traductions, celle du regretté dom Louf, ancien père-abbé du Mont-des-Cats (publiée dans la collection "spiritualité occidentale", aux éditions de l'Abbaye de Bellefontaine). En particulier me réjouit la dernière longue méditation de Ruusbroec, intitulée "Les Douze Béguines" - douze femmes consacrées à Dieu et qui souvent se plaignent des tourments nécessaires de la vie spirituelle. 

Le XIXème siècle l'a en quelque sorte redécouvert, par exemple l'écrivain français Joris-Karl Huysmans, récemment édité en Pléiade, et qui en exergue de son roman "A rebours" fait paraître cette citation de l'Admirable : "Il faut que je me réjouisse au-dessus du temps!" 

Quel programme, et combien il peut inspirer notre expérience présente - une pandémie vécue dans le temps de l'Avent, temps de vigilance et, précisément, de joie.

samedi 28 novembre 2020

Temps de l'Avent, temps de vigilance...

 L'Evangile de ce premier dimanche de l'Avent (Mc 13, 33-37) résonne comme un appel à la vigilance : "Veillez!" Et, plus précisément, veillez pour ne pas louper le retour de Celui qui, comme dit cette fois la première préface de l'Avent, "est déjà venu, et viendra de nouveau." Il y a là un aspect de notre foi que nous ignorons trop, et que le temps de l' "Avent" nous rappelle pourtant chaque année : nous attendons le retour du Christ et l'établissement définitif du Règne de justice, d'amour et de paix qu'il inauguré en sa première venue - en son premier "avènement", puisque le mot même "Avent" n'est que le condensé du mot "avènement". 

Oui, nous attendons. Mais la page évangélique suggère aussi que cette attente n'est pas une attitude de bras croisés - comme "un homme parti en voyage", le Maître qui va revenir a distribué ses tâches à chacun... Notre attente est donc active, le temps de l'Avent nous invite à retrousser nos manches, chacun selon sa vocation, son tempérament, ses talents, tout ce qu'on veut, mais enfin il faut aller au charbon, si j'ose ainsi dire.

Le premier avènement, du début jusqu'à la fin, s'est vécu dans le dénuement, dans la nudité : nudité du bébé de la crèche, nudité du condamné mis en croix. C'est le même : l'ombre de la crèche, déjà, dessine une croix. Cela, tout de même, indique un certain style de présence au monde, qui n'est pas dans la gloriole, dans la revendication d'une présence péremptoire, dans une affirmation massive de soi. Nous voici dans un certain effacement ou, pour le moins, une grande discrétion. 

Cela se travaille donc - c'est la dimension spirituelle de l'Avent! Le Cardinal de Bérulle, au début du XVIIème siècle,  dans un magnifique Sermon pour le temps de l'Avent, l'exprime d'une puissante manière : "Le temps de l'Avent du Seigneur (...) nous invite à rendre honneur à l'anéantissement si profond du Fils de Dieu sur la terre, en nous anéantissant nous-mêmes devant lui. Pour nous, c'est seulement en cette vie que l'anéantissement a un sens. Au contraire, le Fils de Dieu se trouve pour jamais dans un continuel état d'anéantissement. En effet son état de gloire n'est pas en lui incompatible avec cet état d'anéantissement qui lui appartient. Car aussi longtemps que Dieu existera, il en sera de même pour l'anéantissement de sa divinité unie à la nature humaine par un noeud indissociable. C'est pourquoi nous devons demeurer dans un continuel état d'anéantissement en cette vie pour rendre honneur à l'anéantissement si profond du Fils de Dieu : qu'il veuille bien l'accomplir lui-même en nous en vertu de sa bonté." (P. de BERULLE, Oeuvres complètes. 1. Conférences et fragments, introduction et notes par M. Dupuy, Oratoire/Cerf, 1995, p. 285.)  Chacun comptera facilement le nombre d'occurrences du mot-clé de ce passage : "anéantissement", qui, dit l'auteur, a sa source désormais en Dieu même, un Dieu "à la divinité à jamais anéantie"... Le temps de l'Avent nous rappelle ce style de présence au monde que Jésus a inauguré pour raconter ainsi qui est Dieu, pour qu'on ne se trompe pas de Dieu.

Se retrousser les manches, donc. Oeuvrer, oui.  Faire grandir le Royaume déjà inauguré et remis en nos mains - justice, paix, joie, fraternité, bienveillance et miséricorde, respect de tout ce qui est bon. Mais tout cela, dans une certaine "musique", un certain mode d'être au monde. Voilà la vigilance que ce temps de l'Avent nous recommande, pour que nous attendions d'une juste façon Celui qui doit venir. 


vendredi 27 novembre 2020

Bientôt Noël...

 Je comprends la frustration de celles et ceux, parmi les chrétiens, qui se sentent privés de la "messe de Noël" - ici, au doyenné de la Cathédrale, plusieurs appels par jour demandent "s'il y aura une messe de minuit, ou au moins une messe" à Noël - impossible, à ce moment, de leur répondre, et si l'on doit forcer la réponse, elle est tout de même plutôt négative - non, pas de messe publique à Noël, comme il n'y en eut pas à Pâques. Et, permettez-moi de vous dire, si c'est pour arracher trente personnes par messe comme l'épiscopat l'a finalement réussi en France, ce n'est pas la peine! Et figurez-vous que, au risque de choquer, je le comprends : vraiment, les risques sanitaires sont trop importants, et la communauté catholique, comme les autres communautés religieuses, doivent comprendre que ce renoncement est un renoncement à de possibles "clusters" terriblement contaminants. Voudrions-nous nous rendre complices d'une troisième vague, par pure frustration de gamins gâtés? Oh, j'entends déjà les remontrances : "Mais, monsieur l'abbé; nous demandons, nous réclamons, nous exigeons, comme catholiques, notre nourriture vitale, l'Eucharistie! Et surtout à Noël, fête entre les fêtes! Quelle mollesse, celle de vos évêques, qui n'exigent plus rien de leur Etat, qui se font bouffer par lui,... etc., etc. " Oui, j'entends, j'entends...

J'entends aussi les souffrances à mon sens infiniment plus grandes des soignants débordés dans les hôpitaux, de véritables héros que rien ne ménage - en effet pas même notre Etat. J'entends les plaintes des familles qui, après avoir rapproché sans protection papis, mamis et petits-enfants, voient les premiers souffrir en grand nombre dans les soins intensifs. J'entends les détresses des commerçants privés de revenus, et qui vont licencier leur personnel, mettre la clé sous la porte, déclarer faillite. Je vous assure que ces bruits-là me font plus mal que les catholiques dits "en souffrance de messe".

D'abord, dans la foi chrétienne, on n'a pas toujours fêté Noël - cela n'a commencé qu'au IVème siècle, et certainement pas toujours avec la messe.

Ensuite, si nous trouvions, pour une fois, d'autres façons d'être chrétiens et de vénérer l'Incarnation de Dieu dans la faiblesse humaine? Il y a les crèches, dans nos familles ou nos églises - visitons-les! Ici, à la Cathédrale de Bruxelles, elles viennent de toutes les communautés étrangères qui vivent leur foi dans cette grande cité cosmopolite... Magnifique trajet que je vous invite à parcourir avec elles, dans le déambulatoire de l'église. Quant à la crèche même de la Cathédrale, j'ai demandé qu'on y ajoute un personnage : un soignant, médecin ou infirmier et infirmière ou aide-soignant, que vous repérerez vite à son masque : il raconte sans rien dire que l'Enfant de Noël vient pour eux, spécialement pour eux, cette année. Mais dans toutes les églises, les crèches méritent aujourd'hui d'être plus encore qu'en d'autres temps soignées, éclairées, ornées, et qu'on y vienne faire pèlerinage : elles rediront la faiblesse d'un Dieu devenu enfant, privé de parole, lui, le Verbe, la Parole de Dieu. Comment, vénérant ainsi la faiblesse de Dieu, pourrions-nous contaminer cette célébration par des revendications politiciennes, partisanes, idéologiques?

Et "ma messe", direz-vous? Oubliez-vous que, d'ordinaire, nombre de communautés catholiques à travers le monde (en Afrique, par exemple) vivent sans guère plus qu'une célébration eucharistique par trimestre? Et vivent souvent avec plus d'enthousiasme que nous leur foi chrétienne?... Et si la privation temporaire de l'Eucharistie nous était une catéchèse imposée pour que nous nous rendions compte, par défaut, de son importance habituelle? Tout de même, on ne peut pas dire que, d'habitude, tout le monde se presse en masse à la messe!

Que le temps de l'Avent nous soit paix et joie, réserve, souci de l'autre, solitude sans doute, communion spirituelle puisque pas eucharistique, téléphonage pour prendre soin de chacun, aide aux isolés dans les règles prévues de protection sanitaire, prière pour les malades, les mourants et le personnel soignant. Mais qu'il ne devienne surtout pas un temps de stérile polémique entre "Eglises" ou "Cultes" et "Etat" - personne n'en sortirait grandi, et la fête n'en serait que gâchée.

mercredi 25 novembre 2020

Les dieux vivants sont donc mortels...

 Maradona est mort aujourd'hui. Deuil quasi national en Argentine;  "ville morte", entends-je, à Naples où il a joué (et pas seulement au football), la canonisation est unanime, le peuple pleure un "dieu vivant". Cela a toujours été - certains gladiateurs de la Rome antique bénéficiaient de semblable aura. Et sans doute avons-nous tous besoin de héros de ce genre, des personnages d'exception dans leur domaine qui ont enthousiasmé les foules et provoqué des vocations - j'emploie à dessein ce terme passé dans la religion : il y a une religion mondiale du football!

Mais Maradona est mort : les dieux vivants sont donc mortels.

Et, de Dieu immortel je n'en connais qu'un...

samedi 21 novembre 2020

L' Autre Roi

 Le 16 avril dernier, le Père Guy Lafon décédait à Paris des suites de la Covid19. Il avait été pendant deux années l'un des mes professeurs parisiens (1984-1986), un enseignant qui m'aura beaucoup marqué. Et parmi ses nombreuses publications, je relève L'Autre Roi ou La religion fraternelle, ouvrage de 1987 (Nouvelle Cité, Paris).

J'ai rouvert ce livre ces jours-ci parce que sa trame en est la fameuse scène dite du "Jugement dernier", que rapporte l'évangile de Matthieu (Mt 25), le passage proclamé précisément demain, dernier dimanche de l'année liturgique, en la solennité du "Christ-Roi". Le Christ, à la fin du temps, revient comme Roi de tous les Univers, et Juge - impressionnante vision! Et le critère du jugement des élus ou des réprouvés est déconcertant : il n'est pas cultuel ("Avez-vous bien dit vos prières? êtes-vous bien allés à la messe?"), il n'est pas sexuel ("Avez-vous trompé votre femme ou votre mari?"), il n'est pas doctrinal ("Avez-vous cru en moi et à ce que disait de moi et de Dieu la Sainte Eglise?")... Il est rigoureusement éthique, pratique et social : "J'avais faim, j'avais soif, j'étais nu, j'étais un étranger, j'étais malade, j'étais en prison... avez-vous pris soin de moi?")

Les élus sont autant surpris que les réprouvés : jamais ils n'auraient pensé aider le Christ ou le rencontrer, peut-être même ne le connaissaient-ils absolument pas. Mais la pointe de cette vision est celle-ci : "Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait..." Qui est mon Juge? Qui est mon Roi? Qui est le Christ-Roi? C'est l'autre : et voilà ce que rappelait Guy Lafon dans ce beau livre, largement inspiré aussi par la philosophie de Levinas, et qui me revient en mémoire, tandis que nous allons célébrer (confinés encore, mais quand même) le Christ-Roi de l'Univers.

Le Roi, c'est l'autre - le différent, celui qui est tout à côté de moi, et qui a besoin de ma présence et de mes soins.

dimanche 15 novembre 2020

Domine, salvum fac Regem nostrum Philippum...

 Aujourd'hui 15 novembre, mémoire de saint Albert le Grand, c'est la fête du Roi en Belgique. Mais - crise sanitaire oblige - le traditionnel Te Deum n'a pas pu retentir dans la Cathédrale de Bruxelles, pour la première fois depuis bien longtemps sans doute. Un drapeau, une photo du Souverain, une prière (bilingue) à son intention... voilà ce qui permet aux visiteurs , peut-être, de prier pour le Roi des Belges  et, plus largement, pour tous ceux qui, dans nos sociétés portent le poids de décisions publiques difficiles à assumer (inutile, aujourd'hui, de donner des exemples...) Ils sont souvent moqués, critiqués, partialement jugés - et pourtant, ils partagent une responsabilité redoutable.

Oui, aujourd'hui, 15 novembre, nous prions pour le Roi : Domine, salvum fac Regem nostrum Philippum, "Seigneur, sois le salut de notre Roi Philippe!"


samedi 14 novembre 2020

Oscar Wilde et le Christ

 Emprisonné en 1897 à Reading, le grand écrivain Oscar Wilde rédige là un texte superbe qu'il intitule De Profundis. C'est une méditation sur la vie et sur la foi, avec quelques pages sur le Christ. Voici l'une d'entre elles : "Sa morale (la morale du Christ) est toute sympathie, exactement ce que devrait être la morale. S'il n'avait jamais dit que ces mots : 'Ses péchés lui sont pardonnés parce qu'elle a beaucoup aimé', il eût valu la peine de mourir pour les avoir prononcés. Sa justice est toute poétique, exactement ce que devrait être la justice. Le mendiant va au ciel parce qu'il a été malheureux. Je ne puis concevoir meilleure raison pour l'y envoyer. Ceux qui ont travaillé pendant une heure dans la vigne et la fraîcheur de la soirée reçoivent exactement le même salaire que ceux qui ont peiné tout le jour sous un soleil torride. Et pourquoi pas? Il est probable que personne ne méritait rien. Ou peut-être s'agissait-il de créatures de nature différente. Le Christ était sans indulgence pour les mornes systèmes figés qui traitent automatiquement les gens comme s'ils étaient des objets et, par conséquent, de façon identique. Pour lui, les règles n'existaient point, il n'y avait que des exceptions." (O. WILDE, De Profundis, trad. L. Lack, Paris, Stock, 2001, pp. 166-167.)

vendredi 13 novembre 2020

Dieu, "comme un homme qui part en voyage"...

 Le texte évangélique proposé ce dimanche à la méditation des fidèles est une parabole de la "fin des temps", au terme de l'Evangile de Matthieu (Mt 25, 14-30), une parabole qu'on nomme parfois "la parabole des talents" parce qu'en effet il y est question des talents que chacun fait ou non fructifier dans sa vie terrestre.

Mais on oublie trop souvent le début : "C'est comme un homme qui part en voyage..." Et voilà une figure de Dieu à laquelle nous sommes peu accoutumés : Dieu, "comme un homme parti en voyage." Parti en voyage, Dieu n'a sans doute pas oublié ceux qu'il a ainsi quittés pour un temps, au contraire, on peut même penser qu'il s'en soucie. Cet "homme parti en voyage", on le voit bien s'inquiéter des siens, alors qu'il est dans de lointains pays, envoyer sms ou autres messages, bref, prendre des nouvelles. Cet "homme parti en voyage", je ne saurais l'imaginer insouciant...

Mais, enfin, il est parti. Et donc, les siens se trouvent un peu livrés à eux-mêmes ("Quand le chat est parti, n'est-ce pas, les souris dansent", dit le vieux proverbe...) Que font-elles, ces petites souris que nous sommes, que vont-elles faire de leur danse? C'est-à-dire, de leur liberté?

Recueillir l'héritage de celui qui est parti, oui, sans doute, et le faire fructifier encore. Mais comment? L'enterrer, manifestement, pour le garder intact, ce n'est pas une bonne idée : en tous les cas, lorsque revient ce Dieu parti, c'est le reproche qu'il fait à celui qui s'est ainsi réfugié dans cette prudence imbécile. Ce que certains catholiques, quelquefois, nomment "Tradition", et qui n'est qu'une bête répétition du même, à travers les siècles, en refusant de rien changer à rien pour tout sauver - le talent, alors, périt en terre!

Il faut donc oser, voilà ce qu'attend ce Dieu éclipsé. Oser comment  direz-vous? Eh bien, mettez en oeuvre(s) vos talents, votre intelligence, votre sens artistique, votre inventivité, tout cela qui s'enracine dans vos meilleurs désirs.

Et ce Dieu parti - oh! comme on sent qu'il est parti, certains jours, et comme on voudrait hâter son retour! - , parti mais qui revient et ne cesse de penser à nous et de nous chérir, ce Dieu, oui, vous fait déjà fête pour tout ce que vous aurez créé en son nom, comme fraternité, comme bienveillance, comme éblouissement devant l'autre.

mercredi 11 novembre 2020

La charité de saint Martin

 Aujourd'hui, 11 novembre, l'Eglise célèbre la mémoire de saint Martin, légionnaire romain du IVème siècle, devenu moine puis évêque de Tours. La Vita de Martin (biographie et légende mêlées, sans doute) nous rapporte un geste de charité - souvent son iconographie dans les nombreuses églises qui, chez nous, lui sont consacrées : vers l'âge de dix-huit ans, nous dit-on, rencontrant dans la campagne un pauvre transi de froid, Martin coupa en deux son manteau de soldat et recouvrit de cette moitié le corps du malheureux. Le lendemain, le Christ lui apparut vêtu de ce demi-manteau...

Demi-manteau : on pourrait se poser la question de savoir pourquoi Martin n'a pas donné la totalité de sa cape... N'y a-t-il pas là quelque pingrerie? Non, il a donné tout ce qu'il avait, tout ce qu'il possédait - car le légionnaire romain était propriétaire seulement de la moitié de ses biens, et Martin ne pouvait pas donner ce qu'il ne possédait pas. 

Pour la petite histoire, cette cape (l'autre moitié, donc) fut conservée dans une petite église reliquaire à laquelle on donna bientôt le nom de "chapelle" (capella, Kapel, comme vous voulez dans la langue que vous voulez...) Saviez-vous que le terme "chapelle" tire ainsi son origine du mot... "manteau"?

Aujourd'hui, et depuis plus de cent ans, la fête de St Martin est un peu occultée par la commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918, qui mit fin à l'une des plus désastreuses boucheries de l'Histoire. Et au fond, il n'est pas anodin que Martin, lui-même soldat, veille sur ceux qui ont tout donné en donnant leur vie pour la liberté et, finalement, pour la paix. Légionnaire devenu chrétien, moine et évêque, il rappelle que nos guerres doivent cesser, toujours, et se transmuer en véritable don de soi à l'autre - un don dans lequel on se donne soi-même tout entier, en donnant tout ce qu'on est, tout ce qu'on a.

mardi 10 novembre 2020

Lecture pour temps de confinement

 A quoi passer son temps quand on ne peut pas sortir? Evidemment, et entre autres, à lire... Et pourquoi ne pas "s'attaquer" à un texte sans doute exigeant, ce genre de texte qu'on lit peu même si l'on est un chrétien fervent, et qu'on appelle une "encyclique", par lequel un pape exprime sa vision du monde sur un point particulier ou général?

 On dira : trop technique, trop lourd, écrit sans doute à plusieurs mains - autant d'excuses pour ne pas lire. Pourtant, un ami français, athée et passablement anticlérical, écrivain, traducteur et éditeur, m'appelle il y a quelques jours et me dit : "Vous avez lu Fratelli Tutti? C'est le plus grand texte écrit depuis des années sur la condition humaine, et le plus puissant sur la situation présente du monde. D'habitude, je n'aime pas les papes, mais là, chapeau, le François!" Que nous soyons ainsi invités par des lecteurs "de l'autre bord" à nous pencher sur notre propre fonds, voilà qui me semble intéressant.

 Lisons, donc. Je ne vais pas ici proposer un résumé de ce texte en effet admirable, mais simplement signaler qu'il rassemble et actualise ce qu'on nomme souvent la "doctrine sociale de l'Eglise", ce trésor d'enseignement qu'elle porte en elle depuis les Pères (voyez saint Basile le Grand, par exemple, dès le IVème siècle) et surtout depuis l'encyclique Rerum Novarum de Léon XIII en 1891, écrite dans le contexte de l'industrialisation forcenée de l'Europe avec toutes les conséquences sociales, quelquefois dramatiques, que cela entraînait. Depuis, pratiquement tous les dix ans, les papes ont rédigé leur synthèse personnelle et apporté leur enrichissement particulier à ce point de vue trop méconnu des chrétiens (et des catholiques) eux-mêmes. Je songe par exemple à Laborem exercens de saint Jean-Paul II (1981) ou, du même, à Centesimus annus (1991, pour le centenaire de l'encyclique de Léon XIII), deux textes qui reflètent l'expérience et la réflexion du pontife polonais en matière de droit au travail, mais aussi de propriété et de capital, d'actionnariat ouvrier, de prise de distance à l'égard des systèmes collectiviste et libéral - le travail, disait-il, donnant droit à une certaine propriété sur l'outil de travail, sur le capital, donc.

 Savons-nous que notre foi est ainsi critique de certains principes que nous pourrions penser sacro-saints, comme celui de la propriété privée? Que celle-ci ne peut être légitime qu'étant sauve la destination universelle des biens (les biens de la terre - pensons aux biens de première nécessité, comme l'eau, l'alimentation, le logement, mais aussi l'éducation, etc. - étant foncièrement destinés à tous)? "Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés; et cela comporte des conséquences très concrètes qui doivent se refléter sur le fonctionnement de la société. Mais il arrive souvent que les droits secondaires se superposent aux droits prioritaires et originaires en les privant de toute portée pratique", constate et déplore ainsi François (Fratelli Tutti, n°120, p. 88)

 Ce n'est là qu'un exemple de la surprenante synthèse qu'on lira dans ces pages. Une vision dynamique s'y déploie, absolument conforme à l'enseignement de l'Evangile et de l'Eglise, et dont on redécouvre pourtant la modernité et la pertinence. L'être humain ne s'accomplira qu'en ouvrant son coeur et ses bras à l'exercice sans cesse recommencé de la fraternité universelle, celle dont rêvait le Poverello d'Assise.

 Alors, puisqu'on ne peut guère sortir, calons-nous dans un bon siège, encyclique dans une main et de quoi annoter dans l'autre, lisons et travaillons ce texte qui nourrira notre foi. On ne perdra certainement pas son temps...


Lettre encyclique du Saint-Père François Fratelli Tutti, Tous frères, donnée à Assise le 3 octobre 2020, trad. française, Paris, Salvator/Fidélité, 218 pp., 4,50 euros.

samedi 7 novembre 2020

Veiller, prier

 A mesure que nous nous acheminons vers la fin de l'année liturgique, les textes évangéliques proclamés (ou lus...) le dimanche, par exemple demain, sont des appels à la vigilance. Les dix jeunes filles, cinq "insouciantes" et cinq "prévoyantes", qui ouvrent le chapitre vingt-cinq de l'évangile de Matthieu, nous rappellent l'importance de faire provision de prière comme d'huile pour nos lampes, car l'Epoux vient toujours au milieu de la nuit.

La période de confinement que nous vivons une nouvelle fois me semble décidément propice à ce recueillement, au sens le plus actif du mot : recueillir comme on ramasse, se recueillir comme on se rassemble, faire le point, prendre meilleure conscience de nos faiblesses, de nos fragilités, de nos précarités personnelles et sociales - j'ai déjà suggéré, je crois, ailleurs dans ce blog, la connivence étymologique entre "prière" et "précarité" , deux termes l'un et l'autre enracinés dans le latin precare. La précarité, l'incertitude, le trouble du chaos qui empêche pour le moment toute prévision, tout plan sur le futur - je songe aux commerçants, aux gens de l'Horeca en particulier, et bien sûr aux malades et au personnel soignant, aux enseignants, à toutes ces personnes qui cumulent peurs et fragilités - oui, cette précarité peut être une chance d'aller enfin, sans concession, au plus intime de soi.

Je sors de la Cathédrale. On ne s'y bouscule pas, évidemment - et ce serait contraire aux règles sanitaires! Mais des jeunes gens, de façon régulière, en font le tour, surtout à cette heure vespérale où la pénombre descend et vient ombrer le regard des statues, les contrastes nués des vitraux et les couleurs des tableaux. Oui, des jeunes gens, souvent en couple, qui, au son de la musique du XVIème siècle, marchent lentement dans les nefs latérales, quelquefois s'assoient et visiblement, en effet, se "recueillent".  J'ose penser qu'ils font là, comme les jeunes filles prévoyantes de l'Evangile, provision de cette huile nécessaire pour que demeure allumée en eux la flamme, la petite flamme indispensable à toute vie. Il n'y a pas de parole prononcée. En faut-il? L'église, toute de pierres qu'elle soit, d'elle-même raconte quelque chose au plus intime de chacun...

lundi 2 novembre 2020

La mort, dans la vie

 Aujourd'hui, 2 novembre, les Catholiques ont vénéré la mémoire des défunts. Occasion de méditer sur la mort, que notre société semble refuser aujourd'hui - alors qu'elle est,  comme événement individuel, une nécessité pour la survie de l'espèce (imaginons ce qui arriverait si l'on ne mourait pas : où mettre tout le monde?) Pour que l'espèce se renouvelle, il faut que les individus meurent - c'est la loi même, aussi paradoxale soit la formule, du Vivant.

 Pourtant la mort reste un scandale : pas tellement la mort du "il", comme disait le philosophe Jankékévitch, la mort anonyme qui ne nous concerne pas. Ni peut-être la mort du "je", que nous oublions sauf quand elle nous rattrape par le biais d'une maladie ou d'une pandémie - comme aujourd'hui. Mais la mort du "tu", du proche, de l'aimé(e), qui nous semble insupportable, qui défait nos liens les plus sacrés, les plus essentiels, qui nous fait mourir nous-mêmes un peu, sans mourir tout à fait - oh, cruauté de cette mort-là! 

 On l'acceptait mieux, autrefois, on mourait à tout âge sans regimber - mort des enfants, morts des jeunes soldats à la guerre (quel âge avaient-ils, ceux de 14-18 ou de 40-45, dont nous allons célébrer la mémoire le 11 novembre, quel âge? Dix-huit, vingt, vingt-cinq ans? Et ils furent des millions à périr à cause de la bêtise humaine...) Mais l'homme occidental a voulu non seulement reculer les frontières de la mort (ce qui est un progrès, à quelques réserves près : est-il toujours souhaitable de vivre sur cette terre, passé un certain âge, et dans quel état?); il a voulu aussi refuser la mort, ne pas la voir de son vivant, la rejeter comme une intruse. Oh, elle est loin de nous la prière du Poverello François d'Assise : "Béni sois-tu Seigneur pour notre soeur la mort corporelle..." Qui oserait encore dire aujourd'hui, en Occident, que la mort corporelle est "notre soeur"?

 Pourtant nous n'en sortirons pas sans mêler la mort à la vie. Sans traverser cette peur-là, sans la regarder en face, certes comme un scandale mais aussi comme une alliée. La foi de l'Eglise, célébrée aujourd'hui, c'est qu'avec elle nous entrons dans plus de Vie, dans "la Vie", comme disait Thérèse de Lisieux. La mort  referme une page ici-bas, mais en ouvre une autre, dans un mouvement à la fois de rupture et de continuité. 

 Nous allons vers plus de Vie. Nos défunts marchent dans une Vie plus vaste, plus libre. Et nous, nous allons vers eux...

dimanche 1 novembre 2020

Des saints et de la sainteté

 La sainteté chrétienne, aujourd'hui célébrée dans la solennité commune de "Tous les saints" (connus ou non, canonisés ou non), n'est pas la perfection de la vertu. Elle est l'accomplissement en soi du baptême reçu, la conformation lentement réalisée par l'Esprit Saint, par le baptême - la confirmation et l'eucharistie- au Christ ressuscité.

 Voyez par exemple comment Paul nomme souvent, dans ses lettres, les chrétiens auxquels il s'adresse : ainsi, entre autres, les "saints de Corinthe". Or, à y regarder de près, ils ne sont pas des modèles de vertu, ces "saints-là" : divisés entre eux et se réclamant de tel ou tel évangélisateur, au bord du schisme, donc, mais aussi peu fraternels dans leurs repas eucharistiques, les uns scandalisant les autres par leurs pratiques, peu enclins à croire à la résurrection des morts - et donc à celle du Christ ("Or, dit Paul, si Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine"...), et, pour l'un d'entre eux, amant de sa mère ou de sa belle-mère - pratique incestueuse peu recommandable sous toutes les latitudes. Les voilà, les "saints de Corinthe". 

 Pourtant, ce sont des saints... Ceux que l'Apocalypse, dans la première lecture de la messe d'aujourd'hui, nous décrit comme "se tenant debout" (en posture de ressuscités, donc), en vêtements blancs (le vêtement baptismal), avec des palmes à la main (la palme du vainqueur), ayant "traversé la grande épreuve" (la vie, tout simplement la vie)... Humanité épanouie, fraternelle, qui chante la gloire de l'Agneau victime et victorieux du mal, humanité enfin vraiment libérée, foncièrement libre, heureuse (socialiter gaudentes, dit une antique formule latine, "ils se réjouissent en société, les uns de la joie des autres").

 Ils nous offrent sans cesse leur communion de vie et de prière. Et aujourd'hui, à travers toutes les grisailles du temps qu'il fait, du temps qui passe, aussi, nous en reprenons conscience - ils sont une lumière pour nous, eux qui furent et restent transparents à la douce lumière de Dieu. Ils nous attendent, et déjà nous désirent...

samedi 31 octobre 2020

Au revoir, Josse!

 J'apprends à l'instant le décès de Joseph Heugens, que tous ses amis appelaient "Josse". Historien de métier, il avait été mon professeur au Collège de Bonne-Espérance, avant de devenir le Président de cette vénérable institution. Mais surtout, c'est lui et son épouse Colette qui m'ont fait connaître les Focolarini et la richesse spirituelle du charisme de Chiara Lubich. Eux-mêmes focolarini mariés, ils ont été un moment envoyés en Grèce (à Rhodes en particulier, je crois) pour y encourager ce Mouvement. 

 Josse était un gentleman comme on n'en voit guère, extrêmement délicat et bienveillant. Il a rejoint Colette dans l'amour éternel de Dieu. Cette année, la solennité de la Toussaint s'illumine encore d'une nouvelle lumière...

jeudi 29 octobre 2020

Liberté, liberté chérie...

 J'écris ces lignes au soir d'une rude journée, une journée qui aura une fois de plus endeuillé la France et les Catholiques de France. Evidemment, nous condamnons tous la barbarie qui engendre ces drames - et comme Belge, et monarchiste, je ne vois pas de contradiction à redire ici mon attachement à la République laïque. Certes, le Royaume de Belgique est une monarchie, mais il est au fond une "monarchie républicaine" en laquelle le Peuple est le vrai souverain ("Tous les pouvoirs émanent de la Nation", stipule, je crois, notre Constitution, "tous les pouvoirs", c'est-à-dire aussi les pouvoirs du Roi.) Dans ce cadre, les citoyens sont libres, absolument libres, de confesser ou non une foi religieuse, dans des modes et des rites compatibles avec les choix des autres citoyens. Ce principe est incontestable, inviolable.

 Reste la question des modalités de cette liberté. Peut-elle s'exercer en choquant délibérément des convictions religieuses importantes, en les blessant volontairement? C'est la question du blasphème, souvent médiocre et médiocrement inspiré d'un humour simplement potache, mais dont les répercussions ne sont sans doute pas assez prises en compte : ne pas blesser autrui est sans conteste le premier soin qu'on lui doit - comme le disaient les anciens médecins, primum non nocere, "d'abord, ne pas nuire"... En encourageant la liberté de pensée, d'expression, de presse, etc., ne devrait-on pas mieux l'assortir d'une recommandation de ce type, "d'abord, ne pas blesser"?

 Cela vaut également, puisque tout nous arrive en même temps, pour le "reconfinement" probable qui va,  lui aussi, brimer pour un temps nos libertés d'association, de libre circulation, de culte, etc. La liberté, aussi vaste soit-elle en son principe, ne doit-elle pas toujours être accompagnée d'une recommandation : celle, ici encore, de "ne pas nuire", de ne pas faire du tort à l'autre?

Liberté, liberté chérie, je veux, comme disait le poète Eluard, "partout écrire ton nom", mais sans faire de toi une idéologie de plus -  c'est-à-dire, au contraire, avec prudence et respect.

samedi 24 octobre 2020

Reconfinement...

 Dans une lamentable pagaille d'annonces (une honte!),  tombe ce midi l'info d'un reconfinement presque complet pour la Région bruxelloise. Je comprends cette mesure, qui touche entre autres les cultes (comme lors du premier confinement) - la situation des hôpitaux de la Région est catastrophique. Mais je reprends mon interrogation du précédent post sur ce blog : à côté de ces décisions nécessaires, où sont celles qui devraient protéger l'avenir? Rien sur le refinancement des soins de santé, rien sur la revalorisation par exemple des salaires en milieu hospitalier ou sur l'accroissement du nombre de lits, rien, pas un mot. Rien non plus sur la revalorisation des métiers de l'enseignement, en particulier dans le fondamental. Rien, bien entendu, sur l'avenir des métiers de la culture, comme si l'on pouvait sacrifier tout ce secteur (essentiel) de la vie sociale sans l'ombre d'une esquisse de solution  (et pouvez-vous me dire ce qu'est une société sans théâtre, sans musique, sans littérature, etc.? - que saurions-nous sans cela de notre passé, sans cela qui forge notre présent? )  Or, nous  voyons bien - cette crise sanitaire nous le révèle si nous ne le savions pas déjà - que ces professions sont le maillon qui permet de "tenir" : si le burn-out se généralise chez les infirmiers et infirmières, si les institutrices et instituteurs viennent à manquer (comme c'est le cas maintenant), si les institutions culturelles ferment leurs portes,  notre société s'écroule, elle devient un rien du tout, une carcasse vide.  Il faut être aveugle et sourd pour ne pas en tenir compte.

Je comprends donc parfaitement les urgences sanitaires qui conduisent à protéger au maximum les citoyens, mais j'attends d'un Gouvernement de plein exercice (et dont l'accouchement a tout de même été assez long pour qu'il soit maintenant un enfant bien formé qui fasse pleinement son boulot) qu'il gère non seulement le présent, mais l'avenir à plus ou moins brève échéance. Dans l'incertitude présente, je crois que des annonces positives - et des réalisations, car il ne suffit pas d'annoncer, évidemment - allant en ce sens, rendraient du moral à tout le monde.

Gouverner, c'est prévoir.

vendredi 16 octobre 2020

Le rôle d'un gouvernement dans une crise sanitaire

 Apprenant les nouvelles mesures prises par le Gouvernement Belge pour lutter contre la Covid19, je (me) pose une question, une seule mais de taille, sur le rôle d'un Gouvernement :


- un Gouvernement doit-il tenter d'empêcher les gens de devenir malades?

- un Gouvernement doit-il tenter de soigner au mieux les gens qui sont malades?


Chacun donnera sa réponse...

vendredi 9 octobre 2020

Henriette...

 Dans la nuit d'avant celle-ci, vers la fin de la nuit, Henriette s'en est allée, victime elle aussi de la pandémie de Covid19. Depuis quelques mois, elle était fragilisée non seulement par son âge mais aussi par une autre maladie qui la ralentissait - ce qu'elle avait du mal à accepter. 

Henriette! Quel bonheur de l'avoir connue! J'ai rarement vu femme plus engagée dans son siècle, dans sa Ville, dans son monde, plus acharnée à faire vivre l'Evangile comme il doit être vécu - avec une attention si particulière aux personnes âgées, aux personnes fragiles, aux personnes précaires. Elle était capable de remuer ciel et terre pour trouver un logement, un statut, un salaire convenables pour un loustic croisé en rue. Mais c'était toujours avec un grand sens des responsabilités et un souci de transparence vis-à-vis des autorités locales, comme le CPAS.

Henriette! Fidèle à la messe du mercredi, à 10h00, qu'elle complétait souvent par un long recueillement dans l'église. 

Henriette! Fidèle aux siens, à son époux, à ses enfants et petits-enfants.

Vous allez dire : "Vous voilà en train de canoniser quelqu'un, comme vous le faites toujours avec les morts!" Eh bien... oui. Il n'y a pas dans l'Eglise que les grandes canonisations romaines. Il y a aussi place pour la reconnaissance locale, modeste et sincère, d'une sainteté plus cachée mais aussi réelle que celle des grands. Henriette n'était sans doute pas parfaite - heureusement, la perfection est assommante! Mais elle a vécu son baptême jusqu'au bout, de façon exemplaire, et elle nous laisse à tous un exemple éloquent de vie chrétienne.

Qu'elle prie pour nous, maintenant - nous en avons tant  besoin!

lundi 28 septembre 2020

Le merci d'Enghien et Silly

 Moment de grande émotion pour moi, hier, lorsque de retour à Enghien, j'ai eu la joie de présider une messe d'action de grâce pour les onze années passées dans l'Unité Pastorale désormais "refondée" d'Enghien-Silly. Une messe préparée avec beaucoup de soin par tout le monde, et célébrée dans la joie profonde de ce que nous avons pu vivre ensemble durant tout ce temps : que de cheminements et d'amitiés partagés, que de découvertes communes! La séance plus officielle qui a suivi, dans la Salle des Acacias, au Parc, a permis aussi de beaux échanges avec les deux bourgmestres d'Enghien et de Silly, et avec beaucoup de paroissiens et de citoyens qui - Covid oblige - n'avaient pas pu entrer dans l'église. De tout coeur merci aux organisateurs de tout cela. Enghien et Silly sont à jamais dans mon coeur et inspireront toujours ma vie pastorale!

mercredi 16 septembre 2020

Premières impressions bruxelloises

 Arrivé à Bruxelles depuis quinze jours maintenant, je commence à rassembler mes esprits. Au fond, je m'habitue vite. Je retrouve cette ville autrefois fréquentée, lorsque ma soeur et mon beau-frère y habitaient et que je venais passer du temps auprès d'eux. Je retrouve la Grand Place et le Centre Ville et dans les rares moments laissés libres par les réunions qui s'enchaînent les unes aux autres, je me promène dans ces vieilles rues comme un touriste ébloui.

La Cathédrale est magnifique, comme une espèce de Mère attentive à la Ville, protectrice.  J'ai l'impression que les gens la ressentent d'emblée comme cela, qui viennent prendre leur lunch sur ses marches. Et l'intérieur n'est que beauté - évidemment, je commence aussi à voir l'envers du décor, les personnes dévouées qui sont en charge de la maintenance, qui en font un espace toujours ouvert et accueillant.

La Covid a, me dit-on, réduit ici comme partout le nombre de fidèles et de touristes. On vient moins, on vient masqué. Mais à nous de veiller à une qualité d'autant plus grande que le nombre est moindre. 

Je commence aussi à prendre les dimensions de la pastorale dans le Centre Ville : les diverses églises, assemblées ou non en "Unité Pastorale", les divers services - j'admire par exemple ces jours-ci le dévouement du personnel du "Bapo" ("Bruxelles Accueil Portes Ouvertes"), un lieu dépendant du Doyenné où chacun, perdu dans la grande Ville ou en soi-même, peut aller poser son fardeau et aura la possibilité d'un accompagnement matériel et spirituel. Beaucoup de bien se fait, dans la discrétion et dans l'efficacité. 

Bref, je découvre. 

Je sais qu'à Enghien, mon successeur lui aussi prend peu à peu la mesure de sa tâche. Nous sommes solidaires, je n'oublie rien ni personne, et les merveilleuses années passées à Enghien et Silly, je les porte en priant dans le fond de mon coeur.

Tout va bien...

mercredi 26 août 2020

Pierre et Fanny se marient...

Vendredi, je quitterai Enghien pour un week-end, pour célébrer le mariage de Pierre et de Fanny. Pierre! Il fait partie de cette "tribu" qui m'est une autre famille, dans le coin d'Abbeville et de la Baie de Somme, Pierre dont j'ai célébré voici plus de quinze ans les funérailles du frère jumeau. Pierre qui a connu, du coup, une adolescence plus difficile, avec des tas de "pourquoi" ("Pourquoi lui, et pas moi?") Pierre déjà papa, Pierre qui va donc épouser Fanny, médecin, dont l'amour l'a soigné plus efficacement que tout. Comme je suis heureux pour ce ménage, pour ce petit bonheur appelé à devenir grand, comme je suis heureux de les connaître et de les accompagner. Il y a quelques semaines, je célébrais dans le même coin le mariage de son cousin Gauthier, autre adorable loustic... Evidemment, cela tombe en plein déménagement pour moi - mais bon, cela me fera un break. Et puis, jusqu'à présent, la Baie de Somme est toujours classée "verte" par les Affaires Etrangères, chez nous. Et jeudi matin, le 3 septembre, départ avec armes et bagages... Je me confierai à Fanny et Pierre, à leur bonheur tout neuf, et je leur confierai ma mission, tout comme je la confie encore à votre prière!

dimanche 16 août 2020

Quitter Enghien, quitter Silly...

 "Partir, c'est mourir un peu". Il me faut du temps pour quitter Enghien, pour quitter  Silly, un peu - j'imagine, car je vous promets n'avoir là-dessus aucune expérience - comme si l'on quittait une femme très aimée. Et après tout, la comparaison n'est sans doute pas idiote : il y a onze ans, je m'en souviens bien, en arrivant ici, j'avais l'impression d'épousailles.

Alors je parcours les rues et les campagnes, je ré-envisage les lieux et les personnes, je re-songe à celles et ceux que j'ai accompagnés vers la mort, ou dont j'ai béni le mariage et baptisé les enfants. Je me souviens des confidences, des drames et des joies partagés. Je hume, au hasard des chemins, la bonne odeur des rencontres vraies.

Car certaines furent plus fausses que d'autres : de convenance, celles-là sont de personnes soulagées de me voir partir et de laisser place aux petits pouvoirs et aux petites ambitions qui décidément refont toujours surface en prétextant travailler pour le bien - bon, j'aurai quand même un successeur déjà mis au courant et qui, avec la sagesse des "anciens" d'Afrique, que nous ne soupçonnons pas, fera la part des choses!

Tristesse? Oui, un peu. Nostalgie? Moins... la nostalgie ne conduit à rien de bon. Je suis passé ici en faisant ce que j'ai pu, en étant ce que je suis - à mon âge, on ne se réforme guère (j'en ai du reste prévenu ceux chez lesquels on m'envoie...)

Ce qui compte : l'Evangile annoncé, cette heureuse nouvelle qui fait sans cesse irruption au sein d'un monde de convoitises et de conflits, un monde de mort. L'Evangile, c'est la Vie. 

J'ai aimé cette Ville d'Enghien et les campagnes silliennes où l'on cultive la musique et les autres beaux-arts, où l'on sait que cela fait grandir l'humanité. J'ai aimé les confréries et les associations, les grands moments de rigolade et ceux, plus intimes mais tout aussi réels, de recueillement. J'ai aimé la jeunesse de ces lieux, la jeunesse des Scouts, Guides et Patros, qui habitent avec leur enthousiasme les vieilles pierres et les vieilles habitudes - sans eux, tout finirait vite par se nécroser. J'emporte tout cela avec moi, et je ne serai pas loin...

dimanche 2 août 2020

Les livres, bénédiction et malédiction...

Je suis en train de trier.
Bon, pour la vaisselle, il n'y en pas trop.
Pour les meubles, ça ira.
Pour les vêtements, je n'ai jamais fait d'excès!

Mais les livres, ah, les livres!
Des centaines de livres à classer, à ranger, à donner...

Oui, car il y a ceux que l'on a lus, étudiés même, et qui vous sont à jamais indispensables. Il y a ceux que l'on a connus, qui vous ont aidés, que quelquefois même on a relus. Il y a ceux que l'on a feuilletés, dont on pris connaissance : on sait qu'ils existent. Et puis ceux que l'on vous a donnés, envoyés, signés, recommandés, et qui traînent là, jamais ouverts - ce serait peut-être, du reste, le moment de les ouvrir, qui sait?

Bref, il faut trier.
Rien ne me pèse davantage!

Ah! Maudit déménagement, vivement le bout du tunnel...

dimanche 14 juin 2020

L'Eglise devait-elle approuver le confinement?

De plusieurs côtés des voix s'élèvent, surtout en France, un peu moins chez nous, pour reprocher à l'Eglise et à son clergé mille choses - comme d'habitude - et spécialement d'avoir été des "suiveurs", de "pleutres", des "poltrons" à la remorque de décisions politiques qui, avec le confinement, empêchaient l'exercice public du culte et le réconfort des sacrements.
Il y a derrière cette opinion quelque chose de profondément erroné : l'idée que l'Eglise serait un corps social à part, en surplomb en quelque sorte par rapport au reste de la vie civile. C'est un reliquat de théocratie, qui voudrait subordonner le politique au religieux ou en tous les cas assurer la complète indépendance de ce dernier. On oublie alors que même le libre exercice du culte (garanti par les Constitutions les plus laïques, comme la Constitution française) reste soumis au respect du bien commun.
Or, ce bien commun passe par la préservation, autant que faire se peut, de la santé de chacun. C'est ce à quoi le confinement entendait contribuer, et on peut estimer qu'il y a, pour une bonne part, réussi - on constate que les pays qui n'en ont pas voulu paient un tribut beaucoup plus lourd à la Covid19. En acceptant de suspendre les célébrations publiques de son culte, l'Eglise, comme du reste les autres religions reconnues dans notre pays, a contribué en toute conscience au maintien du bien commun et, en particulier, à ce bien précieux qu'est la santé.
L'exemple a contrario quelquefois donné pour fustiger la poltronnerie incriminée du clergé, à savoir l'exemple de ces prêtres italiens qui, bravant l'interdit de la distanciation sociale, se sont penchés sur les malades pour leur apporter les secours de la religion, et pour certains sont eux-mêmes devenus malades au point d'en mourir, est un mauvais exemple : contaminés, ces prêtres sans doute généreux sont aussi devenus contaminants, et ne sauraient en aucun cas être des exemples…
Il se peut que, quelquefois, l'Eglise catholique prenne position contre certaines législations qu'elle juge précisément non conformes au bien commun. Mais, en l'occurrence, c'est en ne suivant pas cette demande d'une suspension provisoire du culte qu'elle aurait desservi ce même bien commun.
Le caractère "va-t-en guerre" et quelquefois injurieux des protestations que j'évoque ici peut se comprendre comme le résultat d'une frustration engendrée par le confinement. Mais il ne résiste pas à l'analyse saine et posée de l'attitude que les chrétiens et leurs responsables devaient prendre - et qu'ils ont prise, en effet, pour le bien de tous.

dimanche 7 juin 2020

Le Dieu des chrétiens...

Dans la liturgie catholique, la solennité de la Sainte Trinité - aujourd'hui - est la seule fête qui nous demande de parler directement de l'objet premier de la théologie : Dieu. On parle peu de Dieu, et je me demande bien ce que les gens (paroissiens ou non, croyants ou non) ont dans la tête quand on l'évoque. Un super-chef, genre PDG, qui régirait tout? Un justicier qui nous attendrait de l'autre côté avec son bâton? Un comptable qui note dans un grand livre nos bonnes et mauvaises actions? Une nounou consolatrice qui nous berce sur sa poitrine généreuse quand nous avons chagrin? En réalité, toutes ces images de Dieu sont autant d'idoles - celles-là même que le Premier Testament refuse énergiquement que l'on se fabrique ("De Dieu, tu n'auras pas d'image", dit le Premier des Dix Commandements!) Dieu est et reste irreprésentable, "inconnaissable" (Grégoire de Nysse), parfaitement Autre, le Tout Autre de ses créatures, lui qui en est le Créateur.
Mais la Tradition chrétienne, solidement appuyée sur le Nouveau Testament et développée lors des grands conciles christologiques des IVème et Vème siècles (Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine) nous engage à envisager Dieu non comme un objet faisant nombre avec nous, mais comme une relation. Les noms des "personnes" divines (Père, Fils, Esprit) sont ainsi, particulièrement pour les deux premiers, non pas des noms propres (Jules, Antoine ou Marinette si vous voulez une version féminine de Dieu), mais des noms de relation. Le Père n'est Père que parce qu'il engendre, c'est-à-dire qu'il se dépossède de lui-même pour avoir devant lui un Autre que lui; le Fils n'est Fils que parce qu'il se reçoit du Père ("Ma nourriture, dira Jésus, le Fils incarné, c'est de faire la volonté du Père"), tout cela par détachement de soi dans la grande liberté de l'Esprit, la liberté spirituelle de l'amour,  que l'on nomme en grec agapè.
Nous avons reçu la puissance de cet amour, et la solennité de la Trinité nous invite non pas tant à connaître Dieu, ni même à le contempler, qu'à vivre en Dieu, initiant et restaurant entre nous ces mêmes relations paternelles (ou maternelles) et filiales, dans la liberté de l'Esprit. Nos communautés chrétiennes n'ont d'autre but que de nous apprendre à vivre ensemble, dans la dépossession de soi et le don fait à l'Autre, respectant celui-ci précisément parce qu'il est Autre. Ce but porte un nom en français : la fraternité. Etre frères et sœurs les uns des autres, c'est tour à tour, en effet, être père et mère, fils et filles, les uns des autres, dans une réversibilité de fonction qui tient à l'âge, aux compétences, aux missions ecclésiales.
La Trinité, c'est Dieu à vivre entre nous, dans ce que le regretté Guy Lafon, qui vient de mourir de la Covid19 et qui fut à Paris l'un de mes plus inoubliables professeurs, appelait "l'entretien" infini. Il aimait à répéter : "Dieu, c'est l'entre, dans l'entretien"... Quel programme!
Bonne fête à tous, spécialement aux Montois privés du Doudou. Ils se rattraperont bien...

dimanche 31 mai 2020

Digitus paternae dexterae...

Aujourd'hui, nous avons avec la Pentecôte célébré l'effusion de l'Esprit de Dieu sur l'Eglise et sur le monde. Pas seulement un événement historique, mais un événement quotidien, dont nous sommes encore loin de percevoir tous les effets. Pour les chrétiens, la "spiritualité" consiste en effet non tant en l'exploration de l'esprit personnel, qu'en l'accueil de l'Esprit de Dieu, et à ce qu'il produit dans le cœur de qui veut l'accueillir. En chacun il porte des fruits identiques et pourtant particuliers, en chacun il ouvre des charismes…
La très belle hymne de Pentecôte, venue de notre Moyen Âge, le Veni Creator Spiritus ("Viens, Esprit Créateur") nous fait dire de l'Esprit, entre autres formules magnifiques, qu'il est Digitus paternae dexterae, "le doigt de la droite du Père". Le Père ne cesse de nous faire, il est "Créateur", mais avec l'Esprit, c'est toute la finesse de la création qui est à l'œuvre : c'est désormais le doigt de l'artiste qui achève en chacun cette créature unique que nous sommes, et qui nous dessine "à l'image et ressemblance de Dieu"  pour reprendre une parole de la Genèse cent fois commentée par les Pères.
Laissons-nous modeler par l'Esprit, il affinera nos sens et les rendra "spirituels"...

dimanche 24 mai 2020

Sur la démocratie...

Le tapage médiatique provoqué par la pandémie qui nous affecte souligne, me semble-t-il, parmi beaucoup d'autres éléments, la fragilité de nos démocraties.
D'abord, on les voit soumises à des diktats extérieurs - en l'occurrence, celui de la science, et de la science médicale. La place qu'autrefois la religion a occupée comme "référent" du politique, la voici à l'évidence prise par "la" science - les médecins semblent dicter au politique, même s'il s'en défend, la conduite à tenir. Evidemment, on peut s'en réjouir en se disant que certaines attitudes ne doivent pas être soumises à la légèreté de l'arbitrage démocratique, et que c'est pour le bien de tous. N'empêche : il y a là un poids que "la" science revendique et qui, à terme, pourrait devenir aussi dangereux que le rôle, je le répète, autrefois tenu dans nos sociétés par la religion - et en certains pays, encore aujourd'hui, on sait avec quelles conséquences. D'autant que "la" science, et c'est pourquoi je mets des guillemets, apparaît alors comme un référent incontestable. Or, on sait que les scientifiques eux-mêmes, en l'occurrence les médecins, ne sont pas toujours d'accord entre eux et que, heureusement, la science comme beaucoup d'autres domaines culturels est et restera  un lieu de débat, non de vérités dogmatiques.
Et puis, il y a la vitesse avec laquelle, sur un claquement de doigts des gouvernants, nos pays ont abandonné les plus grandes libertés : liberté de rassemblement, liberté de culte, liberté de se toucher (plus de poignées de mains, du jour au lendemain….), liberté de se déplacer, de voyager, etc. Du jours au lendemain : fini! C'était sans doute, et cela reste  encore pour une part, nécessaire, et je conviens que l'on a probablement évité ainsi des contaminations dont le nombre eût été ingérable. Mais mesure-t-on le prix de tout cela, non seulement en termes économiques, mais en termes de droits fondamentaux normalement garantis par les démocraties? Des pouvoirs spéciaux ont été pris partout en Europe, ce qui a permis de ne pas demander l'avis du peuple sur des sujets aussi graves… Très vite donc, si l'on restait - ce n'est pas le cas chez nous - sans contrôle à propos de ces directives, on glisserait de la démocratie à la dictature. Par parenthèse, cela signifie aussi que, même en démocratie, ce n'est pas la majorité qui décide de tout, mais quelquefois, des "vérités" s'imposent - comme la réalité sanitaire - indépendamment des électeurs. La question est dès lors : quelles sont ces "vérités", peut-on en dresser une liste, si oui, qui le fait, pourquoi, etc...
Fragilité, donc, de nos santés, de nos systèmes politiques. Nécessité d'une vigilance accrue et que peut-être le confinement et sa sortie nous auront apprise… Espérons-le, tandis que nous supplions, en cette neuvaine préparatoire à la Pentecôte, l'Esprit Saint, l'Esprit de Dieu, "Esprit de sagesse et d'intelligence", de venir remplir nos cœurs.

dimanche 17 mai 2020

Choisir un bon avocat...

Ce n'est pas que Dieu nous mette en procès, comme notre penchant spontané à la culpabilité personnelle pourrait nous le faire penser, non. C'est, comme dit l'évangile de Jean, "le monde" - avec, dans ce texte un espèce d'hostilité anti-chrétienne, dans cet évangile - qui jusqu'à la fin des temps mettra le Christ et ses fidèles en procès. C'est-à-dire, aujourd'hui… nous. Les chrétiens ne doivent pas s'étonner d'être régulièrement tournés en dérision, méprisés, voire même, comme en certains pays, persécutés. Ils gênent, parce qu'ils dénoncent par leur vie, plus que par leur "doctrine", les habitudes matérialistes ou consuméristes de leurs contemporains : vivre seulement pour manger, boire, avoir du plaisir, jouir, pour la promotion du "moi d'abord", dans l'insouciance spirituelle du bien d'autrui,  dans ce que le philosophe Pascal, encore lui, appelait "le divertissement".
Il faut un avocat, un bon avocat. Jésus le promet, "le Défenseur", dit-il, "l'Esprit de vérité" qui assistera au long des siècles, comme un Conseil commis d'office, ses disciples devant le tribunal permanent du monde. C'est l'Esprit Saint que nous nous préparons déjà à recevoir, encore et encore, lors des célébrations de Pentecôte, qui affermira la foi, rendra libre, généreux et singulièrement humble dans sa foi. C'est lui qui, pour répondre à l'injonction de l'apôtre Pierre entendue aujourd'hui dans la deuxième lecture, donnera aux chrétiens de "rendre raison de leur foi", mais "avec grand respect".
Esprit d'écoute, donc, aussi, et de tolérance.
Qu'il vienne!

dimanche 10 mai 2020

L'insolence de Thomas

La pandémie qui nous accable a remis devant nos yeux une question que notre culture s'efforce d'occulter par tous les moyens : la mort. Car la mort n'est pas seulement une réalité qui affecte toute vie terrestre, elle est aussi une question et même, oserait-on dire, la question. Pourquoi des êtres comme nous, qui nous pressentons uniques dans toute l'histoire de notre espèce, doivent-ils un jour disparaître? Certes, on répondra par la nécessité biologique : si les individus ne mouraient pas, c'est la survie de l'espèce elle-même qui serait menacée (par exemple : où mettrait-on tant de monde?) Pourtant, cette explication ne suffit pas non seulement à calmer notre angoisse face à cette nécessité, mais à résoudre l'énigme que constitue la mort. Tout est-il fini avec la vie terrestre? Peut-être, mais alors… quelle inégalité de traitement entre les personnes qui auront vécu longtemps, dans l'aisance et la culture, le confort matériel et intellectuel, les joies familiales et amicales, et d'autres, leurs contemporains, qui, à peine nés, n'ont connu que la misère matérielle et sociale avant de mourir précocement? Cette injustice crie vengeance et nous fait espérer un monde plus égalitaire, à bâtir dès l'ici-bas bien entendu, mais aussi à entrevoir dans… l'au-delà de l'ici-bas. Le mot est lâché : l'espérance d'un au-delà est une espérance raisonnable chez l'être humain, elle lui donne de hâter dès maintenant, par ses engagements sociaux, la justice qu'il souhaite éternelle.
"Pour aller où je vais, vous savez le chemin…" vient de dire Jésus aux siens en prenant congé d'eux, assuré de sa mort prochaine. Et c'est Thomas, encore lui, notre jumeau, Thomas le douteur, qui, non sans une certaine insolence sympathique, rétorque à Jésus par l'objection du non-savoir lorsqu'on se demande si l'on va "quelque part" après la mort : "Nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin?" Oui, comme toujours, Thomas formule admirablement notre question.
Et Jésus répond, non par une démonstration philosophique, mais par une affirmation sur son identité véritable : "Je suis le chemin, la vérité et la vie. Qui veut aller au Père doit passer par moi." Non seulement il va quelque part, mais ce "quelque part" est le Père, la Source de toute vie. Et sa vie terrestre, à lui, nous y conduit : elle est un chemin, elle fait la vérité de l'être humain, elle lui donne d'aller non seulement vers la mort, mais vers la Vie.
Insolent Thomas! Merci pour la question qui suscita pareille réponse...

samedi 2 mai 2020

Le "Bon Pasteur"

Au quatrième Dimanche de Pâques, on lit des versets de l'Evangile de Jean dans lesquels Jésus se présente comme "le bon pasteur, le vrai berger", celui qui n'est pas un mercenaire, mais qui donne sa vie pour ses brebis, qui les rassemble, qui connait chacune par son nom, etc. Ce n'est pas une image d'Epinal - c'est une image biblique et nombreux sont les textes du Premier Testament où Dieu se présente, là aussi, comme le berger fidèle - songeons par exemple au psaume 22, régulièrement chanté lors des funérailles : "Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien, sur de verts pâturages il me fait reposer, il me mène près des eaux tranquilles et me fait revivre. Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal : ton bâton me guide et me rassure…"
Beaucoup de choses sont dites, à propos de Dieu et du Christ, à travers cette représentation : d'abord, la prévenance de Dieu pour son peuple en général et pour chaque "brebis" en particulier - il connaît, répétons-le avec Jésus, chacune par son nom. Pour le Christ, l'humanité n'est pas une masse indistincte, mais une communauté où chacune, chacun a une valeur particulière et personnelle. Que quelqu'un vienne à manquer - et tous ressentent cette perte comme une amputation. Semblablement, au chapitre quinze de l'Evangile de Luc, Jésus se présente-t-il comme le vrai berger capable de délaisser tout le troupeau pour se mettre en quête de la brebis égarée,  jusqu'à ce qu'il la retrouve. Oui, d'abord, on lit dans ces textes l'incroyable prévenance de Dieu, que nous oublions souvent - nous ne pensons à lui que pour l'accuser de nos maux, alors qu'il n'y est évidemment pour rien  et  lorsqu'il s'en mêle, c'est pour nous en tirer, pour nous les faire traverser, comme un pasteur.
Car il nous conduit, ce Dieu d'amour, et le Christ nous conduit vers le Père, source de tout bien. Nous allons quelque part. Notre vie marquée par la finitude et la mort - les circonstances présentes nous le rappellent - n'est pas vouée au néant mais va vers la Vie. Et le Christ pasteur nous conduit vers la Vie.
Il le peut car il a pris condition humaine, ce Dieu incarné en Jésus : il connaît de l'intérieur nos perplexités, nous doutes, nos peurs, et nos angoisses. Il les partage pour toujours mais nous les fait traverser : "Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien…" Lui qui se tient en avant du troupeau se tient aussi au milieu de lui, il en porte l'odeur bien humaine. Et quelquefois, il est derrière, pour pousser dans la bonne direction.
Ce dimanche est aussi celui des "vocations", et on songe en particulier à la vocation de prêtre dans l'Eglise, de pasteur ordonné. Tout ce que Jésus dit de lui-même comme Pasteur, le prêtre, qui est un baptisé comme les autres, est chargé par son ordination de le "représenter" au sens fort, sacramentel du mot, au milieu du Peuple tout entier. Au milieu toujours, quelquefois devant pour tirer, quelquefois derrière pour pousser…
Ne nous perdons pas en considérations institutionnelles en pensant aux prêtres, en priant pour eux et pour ceux qui devraient le devenir  (je veux dire, ces questions sans cesse reprises jusqu'à la stérilité : faut-il ordonner prêtres des hommes mariés, des femmes, etc., questions sans doute intéressantes mais marginales). Songeons seulement qu'une Eglise sans prêtres oublierait la prévenance du don de Dieu, l'antécédence de son amour sur le don que l'être humain peut faire de lui-même aux autres, et que dès lors elle ne serait plus l'Eglise, mais quelque chose comme une ASBL philanthropique. Prions pour qu'il y ait des prêtres, et qu'ils soient - nombreux ou non - de vrais bergers, de bons pasteurs - ils le seront s'ils unissent leur vie à la vie du seul Pasteur.

samedi 25 avril 2020

Emmaüs : apprendre à voir avec le coeur...

Il nous semble connaître par cœur le beau récit lucanien des "disciples d'Emmaüs" : au soir de Pâques, deux disciples font route vers Emmaüs, tristes et déçus car ils avaient mis leur espérance en ce Jésus qu'on vient de liquider comme un malpropre. Et voilà que Jésus ressuscité les rejoint et les accompagne, mais, comme dit précisément le texte, "leurs yeux étaient aveuglés et ils étaient incapables de le reconnaître". Sur la route, ce mystérieux voyageur leur indique, dans les Ecritures, ce qui le concerne, il ouvre leur intelligence à cette lecture "christologique" des textes saints. Puis, retenu par les deux voyageurs dans l'auberge d'Emmaüs, à table avec eux, il rompt le pain et le leur partage. Alors, dit le texte comme en écho à la première remarque sur les yeux de ces deux disciples, alors, "leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent, mais lui disparut à leur regard." Leurs yeux se sont ouverts… pour ne plus voir personne! Mais peu importe : ils l'avaient reconnu et, tout joyeux, le cœur brûlant par l'explication des Ecritures que le Ressuscité leur a donnée, ils font à rebours, de nuit, le chemin qui les ramène à Jérusalem pour aller partager avec les apôtres cette expérience pascale.
Ce texte, nous le lisons encore au troisième dimanche de Pâques pour vérifier avec lui notre foi.  Les yeux aveuglés, incapables de reconnaître le Ressuscité, ce sont les nôtres, qui souvent ne veulent voir que ce qui est immédiatement visible, que la surface. Il faut, comme le dit une hymne, "tourner nos sens à l'intérieur" pour apprendre à voir avec le cœur - c'est le renard, raconte Saint-Exupéry, qui apprend pareillement au Petit Prince qu' "on ne voit bien qu'avec le cœur" et que "l'essentiel est invisible pour les yeux (de chair)"... Passer des sens du corps à ceux du cœur, aller vers l'intériorité, c'est possible grâce à la méditation renouvelée des Ecritures et surtout grâce à l'expérience sacramentelle. Le pain rompu a guéri leur cécité, ou plutôt leur aveuglement : signe par excellence de la Présence du Présent, ce repas partagé dit mieux que n'importe quoi ce que la Tradition chrétienne va appeler jusqu'aujourd'hui la "Présence réelle", la vraie Présence. Alors, la certitude vous enflamme à l'intérieur et on n'a qu'une envie : partager cette expérience de feu, dût-on pour cela refaire à l'envers une longue route.
C'est la foi chrétienne, toujours en mouvement, et qui est ramassée dans la structure même de la messe, l'avez-vous remarqué? On se rassemble, on est rejoint par le Ressuscité, la liturgie dite "de la Parole" nous expose et nous explique les Ecritures, on rompt le pain de la Présence, on est envoyé en mission…
Tout est là, expérience de Pâques aussi fraîche pour nous qu'au premier jour de la Résurrection. Et, même confinés, nous pouvons y goûter...

dimanche 19 avril 2020

Le doute : période et évangile

Il y a de quoi douter de tout. On nous annonce la docte ignorance des savants - qui est, espérons-le, un signe de leur humilité. Le fameux virus sera-t-il vaincu par nos efforts de confinement? On ne sait pas. Reviendra-t-il infecter des personnes déjà atteintes qui en sont sorties? On ne sait pas. Ces personnes sont-elles durablement immunisées, et donc non contagieuses et non susceptibles d'être réinfectées? On pense que oui mais, au fond, on ne sait pas. Comment se déroulera le déconfinement? On ne sait pas. Y aura-t-il des risques de voir "rebondir" le virus après un déconfinement même prudent, et vécu par étapes? On ne sait pas, mais on pense que oui. Sommes-nous partis pour des mois, voire des années de récession économique? On espère que non, on pense que oui. On ne sait pas. Aurons-nous un vaccin bientôt? On en doute. Ce vaccin protègera-t-il durablement contre l'infection? On ne sait pas. Les masques et autres protections (gants, gels hydroalcooliques, etc.) sont-ils des barrières suffisantes? On espère, mais on ne sait pas. Quand pourrons-nous reprendre une vie dite "normale"? Là, on ne sait vraiment pas…
Le doute, comme condition de la vie présente. Nous ne vivons pas seulement dans le confinement, nous vivons dans le doute, et c'est une situation terriblement anxiogène - je pense aux commerçants, à tous ceux qui ne savent pas quand ils pourront rouvrir leur petit commerce, leur entreprise, leur restaurant, avec ce que ce doute engendre d'incertitude économique.
Etrangement, l'évangile du deuxième dimanche de Pâques nous rapporte aussi un immense doute : celui de Thomas - et l'évangéliste Jean, à plusieurs reprises, donne dans son texte la signification du prénom de Thomas, "dont le nom signifie Jumeau", dit-il. Thomas, notre jumeau, Thomas notre double : nous y voici. C'est nous, et c'est nous aujourd'hui, dans l'incertitude et dans le doute devant la fragilité de la vie et l'évidence de la mort, qui rôde partout.
Jésus lui dit :"Regarde, vois, touche…" Touche les plaies, les stigmates, les blessures.  Et avec ton cœur de croyant, vois la Vie qui est là, cachée sous les meurtrissures. "Cesse d'être incrédule, sois croyant". Il avait pareillement dit à Thomas, avant de se mettre en marche pour aller visiter et relever de la mort son ami Lazare, "cette maladie ne conduit pas à la mort, elle va servir la gloire de Dieu." Et Thomas n'avait rien compris.
Là, devant les plaies exhibées, il comprend et s'agenouille : "Mon Seigneur, mon Dieu!" dit-il, ayant traversé le doute pour professer ce qu'on appelle la "foi".
Ce qui lui vaut cette réponse : "Parce que tu as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu…" 
Ceux qui croient sans avoir vu, c'est nous. Et cette situation, tout autant trouée de doute que celle de Thomas, est déclarée "heureuse" par Jésus. Heureuse, la condition croyante, qui ne consiste pas à perdre la raison devant les malheurs du monde - et nous en traversons un - mais à y trouver de quoi nourrir ce que la foi, encore elle, décline en deux autres vertus qui sont des attitudes intérieure et extérieure : l'espérance (ne jamais perdre confiance, même face à la mort et aux statistiques de la mort); et la charité (toujours être prêt à aider concrètement autrui.)
Elle nous apprend beaucoup, cette pandémie. Elle nous apprend aussi à (re)lire autrement les grands textes de Pâques!

samedi 18 avril 2020

Prière de Marie Noël pour ses médecins

A se murmurer, chaque soir, en ce temps de confinement, pour ceux et celles qui nous soignent, cette prière de la grande Marie Noël :


"Ayez pitié, mon Dieu, de ceux qui se sont chargés de la croix des autres, de ceux qui se sont faits sauveurs.
Sauveur de tous, donnez au médecin la lumière.
Eclairez-le dans l'obscurité d'autrui, pour qu'obligé de pénétrer dans le secret des corps et des âmes, il ne se trompe pas de route et ne blesse rien en passant.
Donnez au médecin l'amour, pour que, chargé de sa propre peine et sans refuge peut-être pour lui-même, il trouve toujours en soi une douceur, un abri, une force pour le désespéré qui l'attend.
Donnez au médecin la grâce, pour qu'en son plus mauvais moment, dans son incertitude, sa faiblesse d'homme, son trouble, il reste toujours assez sage, toujours assez bon, toujours assez pur, digne de la douleur sacrée dont la foi s'est donnée à lui.
Donnez au médecin la fidélité dans la miséricorde, pour qu'il n'oublie pas, n'abandonne jamais le moindre des misérables qui à lui se fie.
Donnez-lui la force, ô mon Dieu, pour que le poids de tous ne vienne pas trop l'accabler, pour que la détresse qu'il porte n'atteigne pas sa joie, pour que la blessure qu'il panse ne lui fasse pas mal."


(MARIE NOËL, Notes Intimes, p.46)

dimanche 12 avril 2020

Soir de Pâques, Emmaüs...

Au soir de Pâques, qu'est-ce qui a changé? Apparemment rien… le confinement est toujours là, les drames surviennent encore. "Et nous qui pensions qu'il serait le libérateur…" Comme on comprend les sentiments des disciples qui retournent, déçus, de Jérusalem à Emmaüs. L'histoire était trop jolie, trop pleine d'espérance, pour être vraie!
Le voyageur mystérieux qui fait route avec eux mettra du temps pour ouvrir les yeux de ces deux disciples… Il leur apprendra à lire, d'abord, ou plutôt à relire leurs saintes Ecritures pour appréhender enfin, avec leur cœur, ce qu'elles annoncent. Il rompra le pain devant eux…
Le texte, très finement, nous avait prévenus : au début du chemin, "leurs yeux étaient aveuglés, et ils étaient empêchés de le reconnaître"; mais, au moment de la fraction du pain, "leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent… mais lui disparut à leurs regards."
Au soir de Pâques, l'expérience chrétienne commence - et c'est l'expérience des disciples d'Emmaüs. Nos yeux sont encore aveuglés, il faudra un long cheminement avec ce voyageur mystérieux qui nous apprendra à lire et relire encore nos Ecritures saintes, à fréquenter les sacrements et en particulier celui du pain rompu et partagé, alors notre déception se changera en émerveillement, alors nous saurons la présence du Présent à nos côtés, sans plus avoir besoin de le voir.
"Christ est ressuscité des morts, par sa mort il a vaincu la mort, à ceux qui sont dans les tombeaux il a donné la Vie. Alleluia!"


Belle et sainte fête de Pâques à tous!

samedi 4 avril 2020

La "kénose" du Christ

Dès ce soir nous entrons, avec le "Dimanche des Rameaux et de la Passion", dans la Grande et Sainte Semaine. Les textes de la liturgie, ce soir et demain, en particulier les textes bibliques, sont d'une très grande richesse spirituelle.
Arrêtons-nous sur la "deuxième lecture", l'hymne de la Lettre de Paul aux Philippiens (Ph 2,6-11), l'un des textes les plus denses de la Révélation chrétienne.
Paul y parle du Christ, et probablement greffe-t-il sur son nom, par le biais d'une relative, une hymne déjà connue et chantée dans la communauté des chrétiens de Philippes. "Le Christ Jésus, lui qui subsistait en forme de Dieu - je traduis au plus près du grec - n'a pas considéré comme une proie à retenir d'être traité comme Dieu, mais il s'est vidé (en grec : ekenosen heauton, d'où le nom de "kénose" que l'on va donner à ce mouvement…), prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et reconnu à son aspect comme un homme, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort - une mort de croix. C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé…" (etc.)
En Christ, Dieu se présente à nous comme un mouvement de "vidange", de "vide de soi" - car si c'est bien le Christ Jésus qui est le sujet de cette hymne, il faut convenir que ce mouvement atteint Dieu lui-même, puisque le Christ est Dieu et "subsiste en forme de Dieu"...
De Dieu nous avons souvent des images de plein, de trop plein même : sa toute-puissance, son règne éternel, etc. nous semblent écrasants. Et voilà qu'en Christ, tout se retourne de ces attributs, comme on retourne un gant : la toute-puissance se révèle, se donne à connaître, dans la toute-faiblesse assumée de la Passion. Ce "vide" en Dieu est volontaire, et signe de son amour : il s'est mis plus bas que tout pour nous montrer qui il est, ce qu'il est.
Les conséquences sont immenses : au nom d'un tel Dieu, d'un Dieu pareillement "kénotique", on ne saurait envisager un christianisme de conquête, ou de reconquête, de pouvoir, d'affirmation péremptoire de soi, de détention absolue d'une vérité définitive sur tout, etc.
Au nom d'un Dieu pareillement kénotique, pareillement agenouillé devant l'homme, on s'agenouille soi-même devant l'autre.
Et cette attitude - cette attitude seulement - nous relèvera tous!
Belle et sainte Semaine!

samedi 28 mars 2020

Saint Jean, ch. 11

Demain, cinquième dimanche de Carême, autre évangile johannique, autre récit époustouflant : au chapitre onzième de l'évangile de Jean, le récit de la résurrection de Lazare.
Jésus appréciait  Lazare et ses sœurs, le texte le rappelle - Béthanie était une maison où il aimait à venir chez ces proches. On lui annonce la maladie du frère, Lazare, et, dans une conversation alambiquée que les disciples ont du mal à suivre, il dit d'abord que "cette maladie ne sera pas mortelle", et il ne change en rien le programme de ses journées! Puis, pressé de questions, il ajoute : "Lazare s'est endormi… Lazare est mort", mais là aussi il donne à entendre, comme pour la cécité de l'aveugle-né, que cela servira la gloire de Dieu.
Et il finit par se mettre en route pour trouver son ami "au tombeau depuis quatre jours déjà", et, bien sûr, à encourir le reproches des deux sœurs, Marthe d'abord et Marie ensuite : "Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort."
Objection première "contra Deum" : si Dieu était, s'il était là, présent en son Sauveur, nous ne pourrions plus mourir, les affres de la dégradation, de la maladie, de la séparation, nous seraient épargnées. On se moquerait du "Covid 19" et de ses sbires, les autres assassins de l'humanité, de notre si précieuse humanité, vouée - c'est tellement clair! - à l'encontre des autres espèces, à une sorte d'éternité naturelle.
A Marthe, Jésus répond par une parole : "Ton frère ressuscitera." Et par une autre, qui la double et l'actualise en quelque sorte : "Moi, je suis la résurrection et je suis la Vie. Tout homme qui vit et croit en moi, même s'il meurt, il vit. Crois-tu cela?"
Question à nous posée, au cœur de ce drame mondial que nous traversons… "Crois-tu cela?" On me permettra de penser ici, dans cette méditation, à tous ceux, toutes celles qui font des efforts désespérés, au prix de leur propre existence, pour retenir la vie qui s'en va. On me permettra de penser aux familles qui n'ont plus le droit de commencer seulement leur deuil en s'embrassant autour d'un cercueil… "Celui qui vit et croit en moi, même s'il meurt, il vit. Crois-tu cela?"
Arrive la petite Marie, la petite sœur, celle qui toujours pointe son nez après la grande Marthe : même reproche. Et Jésus, là, est, nous dit-on, ému au plus profond. Il est le Dieu qui compatit à nos deuils, il veut lui aussi voir la tombe de Lazare, malgré le nombre de jours passés depuis la mise au sépulcre - "Il sent déjà", lui a-t-on dit de façon on ne peut plus réaliste.
C'est que Jésus est non seulement ému, mais en colère. Il a entendu les réflexions de certaines personnes assemblées là, et qui mettent en doute son amitié réelle pour le mort : "Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il empêcher Lazare de mourir?" Tas d'imbéciles! Peut-on empêcher quelqu'un de mourir, quand l'heure est là?  Peut-on dire  que la vie, par des prolongements de magiciens, va devenir "immortelle"? Oh non bien sûr, ils n'ont rien compris à ce que Jésus apporte comme salut : ce salut n'empêche pas de mourir (ni du corona, ni du reste), il offre autre chose.
"Lazare, viens dehors!" Jésus fait quelque chose qu'il n'aurait pas voulu faire : il fait revenir Lazare sur ce bord-ci de la vie. Et pour le mort, ce n'est pas un cadeau : car, sorti de sa tombe, le pauvre homme va devoir "re-mourir" (et ce n'est déjà pas drôle de mourir une fois!) C'est un signe que Jésus veut donner à tous de la puissance de Vie qui habite en lui, qui va nous rechercher dans nos tombeaux, quels qu'ils soient.
"Déliez-le, dit-il encore, et laissez-le aller." On imagine ce mort-vivant ébloui par le soleil, qui va reprendre pied, pour un temps, dans le monde de l'ici-bas. Il aura été un signe de la puissance de Vie que Jésus offre à tous. Une puissance de liberté : "Déliez-le", indique non seulement qu'il faut lui enlever les bandelettes qui enserraient son corps défunt, mais qu'il faut lui laisser vivre, maintenant, cette grande et neuve liberté que nous offre la mort - y songeons-nous assez, nous qui ne la voyons que comme un drame de séparation?
Evangile encore baptismal : l'eau du baptême, disent les Pères, c'est notre tombe, nous nous y engouffrons pour mourir à la vie terrestre et ressusciter avec le Christ à une vie nouvelle. Non pas, comme pour Lazare, une "resucée" de vie terrestre, mais la Vie enfin débarrassée de la mort, la Vie éternelle.

jeudi 26 mars 2020

Petit virus, grands effets...

Nous ne savions pas d'où viendrait l'effondrement, mais nous étions nombreux à l'attendre, car il était inévitable.
Les discours, même scientifiques, même exacts, même précis, restaient lettre morte : des discours de Cassandre, qui ne prévoit que le pire et n'est pas entendue, évidemment.
Il fallait quelque chose, une catastrophe, et la machine était si bien huilée que nous ne pensions pas qu'elle pût venir : les Etats se surveillaient, se tenaient en respect, quelquefois se menaçaient. La crise des migrants servait de combustible - l'Europe là-dedans a payé cher, et continuera de payer cher,  sa trahison en "vendant" en quelque sorte ces pauvres gens à la Turquie, qui nous les rend, une fois la somme empochée. Traîtrise pour traîtrise - en attendant, c'est la Grèce qui paie la première addition, dans les îles du  Dodécanèse jouxtant le vieil ennemi de toujours.
Il aura fallu une poussière, invisible à l'œil nu, un virus - même pas un animal - qui se propage à la vitesse de l'éclair et ne connaît pas de frontières.
Et tout s'écroule.
On ferme!
On ferme tout : écoles, industries, restaurants et cafés, églises et temples, et même le Vatican. Finis, les voyages d'agrément et même de travail. On ferme tout, vous dis-je!
Restez chez vous!
Et, de fait, c'est dans l'immédiat la meilleure chose à faire : rester chez soi, retrouver l'autarcie, la solidarité basique des voisinages, la chaleur d'un sourire envoyé de loin.
Et nous avons de la chance : imaginez cela sans les réseaux sociaux, par exemple au XIXème siècle, sans téléphone, sans télévision, sans informatique, sans internet, sans… rien!
Les conséquences? Incommensurables. Rien ne sera jamais plus comme avant : des pans entiers de l'économie mondialisée vont nécessairement s'effondrer, la géo-politique en sera durablement revisitée, les habitudes de vie, bouleversées.
Est-ce un mal? Ne qualifions pas trop vite le changement. Mais notons-le : c'est un tournant, un tournant majeur de la civilisation humaine.