jeudi 31 décembre 2015

Ah! La voix d'Aretha!

Allez, pour terminer l'année en beauté, cette magnifique prestation de la Queen of Soul, la grande Aretha Franklin, avant-hier. Puissance intacte d'une des plus belles voix du monde... Que de l'émotion!
Bonne année à tous!

mercredi 30 décembre 2015

Méditations sur la "laïcité"

En ces derniers jours de l'année civile, la question se pose une nouvelle fois, vu sans doute les événements dramatiques dont nos pays sont victimes, d'une inscription de la "laïcité" dans notre Constitution.
Pourquoi pas?
Je voudrais ici dresser une liste non exhaustive des problèmes que nos députés et sénateurs (puisque cette question relève du Parlement) auront, dès lors,  à régler :
- la laïcité est-elle simplement la séparation de l'Etat et des religions? En France, la loi de 1905 prescrit la "séparation de l'Etat et de l'Eglise", mais ne parle jamais de laïcité, cette dénomination étant réservée, à l'époque, à une posture militante anti-cléricale et anti-religieuse en général. Qu'en serait-il chez nous? Nous savons que les cours dits "de morale laïque" (qui devraient plus justement être appelés "de morale non confessionnelle") ont été déclarés par la Cour Constitutionnelle non pas neutres, mais idéologiquement engagés. Reviendrait-on, par exemple, sur cet arrêt et, si oui, pour quels motifs et avec quels attendus? On peut au moins dire qu'une terrible ambiguïté, sur ce point, mérite d'être levée - premier objet du débat, sans aucun doute.
- la laïcité est-elle la "neutralité"? Cela signifierait, du point de vue étymologique, que l'Etat ne prend pas parti vis-à-vis des religions. Il serait "neutre" (neuter, en latin : "ni d'un côté, ni de l'autre.") Un Etat démocratique peut-il être "neutre"? Cette position ne saurait que  difficilement être  tenue jusqu'au bout, car, précisément s'il défend des valeurs démocratiques, un Etat ne saurait  être complètement "neutre" : il devra combattre des positions, religieuses ou non, contraires... à la démocratie (l'égalité des citoyens entre eux, des hommes et des femmes entre eux, par exemple et ainsi de suite.) Le concept de "neutralité" ne me semble donc pas plus facile à manier que celui de "laïcité" - là aussi, des ambiguïtés méritent d'être levées.
- de ce qui précède je retiens que cette inscription souhaitée par d'aucuns dans notre Constitution ne pourra se faire sans un gigantesque travail intellectuel : sur les concepts et ce qu'ils impliquent, sur les relations nécessaires entre Etat et religions ou idéologies, sur les leçons de l'Histoire à cet égard, bien entendu, de l'Histoire en général ou de notre Histoire en particulier (je pense à tout l'héritage scolaire, hospitalier, caritatif, dont est porteuse l'Eglise catholique  en Belgique, un héritage toujours extrêmement présent, utile à la société, et qui très vraisemblablement ne saurait être rayé d'un trait de plume, malgré les souhaits de certains de voir se reproduire chez nous une forme de "nationalisation des biens du  clergé" mise en œuvre à la Révolution française.) Il se peut que, dans un pays "laïque", "neutre", et tout ce qu'on veut, des institutions, même subsidiées par l'Etat parce qu'il en reconnaît la valeur et la pertinence sociales, veuillent être fidèles à leurs convictions propres,  catholiques, ou religieuses en général - c'est ce que vient de rappeler Mgr De Kesel en parlant du secteur hospitalier.  Comment traite-t-on, comment négocie-t-on  avec elles?   On voit le caractère complexe, délicat, de ces questions. On ne les résoudra jamais - sauf à créer des tensions redoutables qui mettraient en péril l'équilibre de notre société - par des diktats idéologiques, fussent-ils ratifiés parlementairement. Un grand débat s'impose, qui doit mobiliser, je l'ai dit, non seulement les élus, mais les représentants (concernés au premier chef) des religions, et les intellectuels (théologiens, philosophes, historiens, sociologues, etc.) qui réfléchissent à ces enjeux. Le chantier est grand - mon principal souhait en cette fin d'année est qu'il ne soit pas traité de façon médiocre. Tout le monde, dans ce pays, mérite mieux que des slogans.

L'année écoulée a été rude!
Belle année  nouvelle à tous!

dimanche 27 décembre 2015

Nos familles...

Le dimanche de la "Sainte Famille" nous invite évidemment à une méditation sur nos familles, et sur le dessein de Dieu à leur égard. L'évangile proposé cette année (Lc 2, 41-52), qui raconte l'épisode de "Jésus perdu et recouvré au Temple", n'est pas simplement le récit d'une fugue d'ado qui se moque de ses parents (même si l'on peut repérer quelques caractéristiques comportementales qui, semble-t-il, franchissent les temps et les cultures...) L'évangéliste, en réalité, parle plus dans ce texte de... Pâques que de Noël : Jésus est retrouvé "le troisième jour", et lors d'un pèlerinage pascal de ses parents. "Le troisième jour", pour des oreilles chrétiennes, c'est toujours le jour de la Résurrection. Et il réapparaît de nouveau en effet, après avoir été perdu, revenu aux siens après avoir séjourné "chez son Père" - "perdu et retrouvé", comme la brebis, comme la pièce de monnaie, comme le Fils dit prodigue, tout ce que Luc met toujours en scène au long de son évangile, pour évoquer non seulement la destinée du Christ, mais celle de tout chrétien à sa suite. Celui qui ne se sent pas perdu, au moins une fois dans sa vie,  ne saurait se sentir "rattrapé" comme de justesse, "sauvé", redressé, remis debout, réhabilité (ajoutez les termes que vous voulez dans cette série.)
Or, nos familles passent toutes par ce sentiment d'être "perdues" : les conjoints, les enfants ne sont (et en tout cas ne restent) pas tels qu'on les a rêvés; les modes de conjugalité se diversifient, les familles se séparent et se reforment  très, peut-être trop,  vite, aujourd'hui,  jusqu'à devenir des "tribus", les personnes bi- ou/et homosexuelles fondent également des foyers, et ainsi de suite. Situations nouvelles, qui ne se vivent pas sans "crises", sans souffrances ("Mon enfant, dit la mère de Jésus à son Fils, pourquoi nous as-tu fait cela? Vois comme ton père et moi nous avons souffert en te cherchant!") Nos familles, en effet, se cherchent beaucoup, se trouvent, se perdent et se retrouvent, se recomposent, essayant  de maintenir un équilibre au gré des traversées de chacun et des désirs de tous.
L'Eglise annonce le Christ. Elle n'est pas une ligue de vertu, elle est le Corps actuel du Christ. Elle est le Christ aujourd'hui vivant sur la terre. C'est pourquoi elle est d'abord un lieu d'accueil, d'écoute et d'accompagnement. Toutes les situations, toutes les personnes - je dis bien "toutes", sans aucune exception - doivent - je dis bien "doivent"- être accueillies dans l'Eglise et, si elles le souhaitent, y trouver un lieu de fraternité spirituelle. Quel que soit le motif pour lequel des personnes viennent frapper à ses portes - mariage, baptême, sacrements de l'initiation, maladie, deuil -, les portes en question doivent être ouvertes, grandes ouvertes. On n'accueille pas les gens avec un règlement. On les accueille comme le Christ accueille  - a-t-il jamais rejeté quelqu'un?
Cela demande de renoncer à nos rêves sur une famille prétendument "idéale". Certains modes de vie conjugale sont, a priori, davantage porteurs de la sacramentalité de l'Eglise, bien sûr, mais cette sacramentalité trouve d'abord sa pertinence dans la foi. Il arrive - et ce n'est pas si rare - que des familles "classiques" soient de ce point de vue plus indifférentes que d'autres, peut-être plus disloquées, plus fragiles - mais qui, précisément grâce à cette fragilité, font spontanément l'expérience d'une foi qui n'est pas un amoncellement de certitudes et de doctrines, mais un abandon à l'amour du Père.
Nous devons vraiment approfondir notre méditation sur ce que sont nos familles, sur le regard que l'Eglise porte sur elles, et en définitive, sur la façon dont elles répondent au projet d'amour du Père sur l'humanité.
La mère de Jésus, nous dit l'épisode évangélique déjà cité, resta bouleversée par cette" fugue" de Jésus,  à la fois traumatisante et incompréhensible ("Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait", rapporte Luc, parlant de Marie et de Joseph), mais elle en fit un long objet de méditation, "gardant en son cœur tous ces événements." Mettons-nous à son école...

vendredi 25 décembre 2015

Noël, Noël...

Une nouvelle fois, les célébrations de la Nativité ont été partout dans le Doyenné une occasion de grande joie, d'espérance renouvelée. Et ce, malgré les tensions et difficultés présentes, qui obligent à faire face à l'insécurité aussi bien qu'à l'accueil des réfugiés.
Nous devons tenir le cap.
C'est-à-dire : accueillir autrui, qu'il soit ou non proche du point de vue géographique, idéologique, religieux, social, tout ce qu'on veut. C'est la seule manière de vivre : le décentrement est gage de bonheur.
Dieu lui-même se "décentre", dans l'Incarnation : il se manifeste dans l'humanité la plus méconnue, la plus marginale, d'une époque donnée, celle de pauvres refusés "dans la salle commune", celle de bergers - vagabonds de leur temps - devenus premiers messagers de la joie.
Nous n'avons, au fond, rien d'autre à dire et il m'a semblé que de plus en plus de personnes voulaient se recueillir pour non seulement écouter, mais entendre, recevoir au plus intime, ce message.
Heureux Noël à tous, à chacun, et du fond du cœur...

mercredi 16 décembre 2015

Communauté, société

Voici que par hasard je retrouve cette citation de mon oncle, André Lobet (qui fut aussi mon parrain), prêtre et à l'époque où il écrivit ce qui suit, Président du Petit-Séminaire de Bonne-Espérance, avant d'être Doyen Principal de Mons. Le propos est extrait d'une lettre écrite à L'abbé Louis Haustrate, Enghiennois connu, aimé, estimé  de beaucoup, qui fut longtemps son Préfet des Etudes - et qui fut aussi mon Professeur de rhétorique. C'est Louis qui m'avait confié cette lettre, il y a des années :

     " Ce qui différencie une communauté d'une société, c'est que la première est basée sur un échange et un partage, dans une mise en commun des biens, non dans une économie de profits, mais dans une économie de moyens, chacun apportant à l'ensemble ce qui lui manque. " (André Lobet, 1965)

     Je ne juge pas inutile de continuer à faire de ce précepte, en quelque sorte familial,  un mot d'ordre nécessaire à notre vie commune. Petite occasion de rendre  ce soir hommage à  mon cher vieil oncle (il aurait aujourd'hui... 107 ans!)

    

lundi 14 décembre 2015

Le travail patient de l'EAP (Equipe d'Animation Pastorale)

Il y a un peu plus d'un an, conformément aux procédures en vigueur dans le Diocèse (avis des Conseils Locaux de Pastorale), notre évêque reconduisait pour trois ans l'Equipe d'Animation Pastorale, élue par les paroissiens  et envoyée en mission une première fois en janvier 2011. Cette équipe restera en place jusqu'aux nouvelles consultations qui accompagneront, dans deux ans, la "refondation" de notre Unité Pastorale en Paroisse Nouvelle, conformément aux vœux du Synode diocésain. Derrière tous ces noms et sigles un peu barbares et qui semblent quelquefois trop bureaucratiques, je voudrais souligner, tandis que je prépare la rencontre de ce soir, avec quel esprit positif cette EAP poursuit au service de tous un patient et décisif travail pastoral. Depuis quatre ans donc, nous n'avons jamais rien décidé qu'à l'unanimité, alors que les tempéraments, les origines, les âges et les provenances des membres sont disparates. Nous avons pris le temps de regarder les priorités pastorales que les paroissiens eux-mêmes avaient désignées : la jeunesse, la formation en particulier liturgique et sacramentelle, les pauvretés. Et nous avons mis en place des moyens de répondre, peu à peu, à ces attentes - peu à peu, car ce sont là des œuvres de longue haleine.
Quelques exemples :
- pour la pastorale de la jeunesse : une équipe relais s'est structurée qui "fait le pont" entre les Mouvements de jeunesse d'Enghien et de Silly (Scouts et Patros) et leur propose des rencontres régulières et des animations pastorales de qualité (par exemple, autour du 11 novembre ou dans une matinée du mois de mars),  de même qu'elle prépare et réalise les visites des camps d'été. Une autre équipe s'essaie, en lien avec la catéchèse, à proposer des activités de formation aux adolescents nouvellement confirmés. D'autres initiatives sont à prendre, certes, mais des choses importantes ont vraiment commencé...
- pour la pastorale de la formation, en particulier catéchétique et  liturgique : des efforts considérables ont été faits pour l'animation des rencontres (ou "assemblées") catéchétiques, en lien avec les célébrations dominicales, partout dans le doyenné, et pour l'animation des célébrations de la foi elles-mêmes. Des efforts viennent d'être entrepris pour rassembler de temps en temps les diverses chorales de notre Unité Pastorale, et travailler à un répertoire liturgique commun et adéquat. Des conférences sont organisées au temps de l'Avent (une seule, davantage biblique) et au temps du Carême (sur des sujets de société) avec l'espoir que les intervenants soient toujours de qualité - en tous les cas d'une compétence indiscutable. Une magnifique équipe, regroupant les directeurs des Ecoles Paroissiales du Doyenné, se réunit régulièrement pour stimuler des activités pastorales en lien avec les temps liturgiques et leur tâche particulière  de formation humaine et chrétienne. Là aussi, nous avançons, doucement mais sûrement...
- pour l'aide aux fragilités et aux pauvretés, nous avons à plusieurs reprises réuni les divers acteurs (administrations communales, CPAS, ASBL) paroissiaux ou non, pour favoriser des actions communes. Une équipe relais, là encore, soutient de façon structurée et vigilante des situations précaires, grâce aux fonds propres du doyenné, qui aident aussi, ponctuellement, la belle initiative de la Banque alimentaire. Nous nous sommes récemment penchés sur les modalités d'accueil de personnes réfugiées, également en lien avec les pouvoirs publics, et sommes en train d'étudier le type d'aide matérielle et administrative que nous pourrions  offrir. Tout n'est certes pas résolu, et la tâche est immense : mais des décisions sont prises, et sont ou seront  suivies d'effets.

     Je tiens à remercier les membres de l'EAP, sans l'accord desquels je ne prends aucune décision importante pour la vie pastorale de notre ensemble paroissial. Je sais leur dévouement, leur capacité aussi à  mettre le bien commun avant leurs souhaits personnels. Et j'ajoute que nos rencontres se déroulent toujours  dans un climat de prière et de fraternité indispensable à toute vie en Eglise. Avec moi, ces responsables élus - c'est un geste de démocratie dans l'Eglise - et envoyés par l'évêque, qui ont toute ma confiance, concourent à la vitalité chrétienne de nos communautés. Ils sont pour moi une vraie source de joie et de reconnaissance.

dimanche 13 décembre 2015

"Le peuple était en attente..."

On a l'impression que Luc, l'évangéliste, parle de nous, dans le passage proclamé ce matin : "Or, le peuple était en attente...", dit-il. C'est ce que nous voyons autour de nous : l'attente. L'attente d'une vie meilleure, mieux estimée, mieux valorisée. L'attente d'une vie pacifiée, débarrassée des causes et effets du terrorisme. L'attente d'une vie bienheureuse, harmonieuse, épanouie... Tout le monde se plaint, chez nous, alors que les conditions objectives d'existence sont parmi les meilleures du monde (accès à l'eau potable, aux soins de santé, à la nourriture, à l'éducation, et ainsi de suite : faites les comparaisons avec tant d'autres pays de la planète.) Que manque-t-il donc, sinon le goût du bonheur?
Jean-Baptiste lui aussi vivait dans un moment de semblable attente : Celui qui devait venir allait tout réformer, tout changer, tout restaurer. Cétait le Messie de l'espérance juive...
Nous croyons qu'il est venu, et cependant l'attente subsiste. Il a en effet tout réformé, tout changé, tout restauré : rien n'est plus pareil dans les relations humaines, depuis la venue, la vie, la prédication, la mort et la résurrection de Jésus, que nous confessons comme le Messie espéré. Les promesses sont accomplies. Mais elles le sont "à la manière de Dieu" : à chacun de le reconnaître non d'abord dans l'évidence des révolutions sociales, mais dans le secret de son regard intérieur. Si tu veux la joie, cultive-la! Le Christ est là, présent, secret, se révélant à qui veut le chercher, et te la donne, cette joie. Mais ne la cherche pas d'abord en dehors de toi, en attendant que tout change à l'extérieur. Change ton cœur, et tu changeras le monde, ton monde : laisse-toi, pour reprendre encore les paroles du Baptiste, "baptiser par lui dans l'Esprit et le feu", laisse-lui faire le tri en toi, passer ton cœur au crible de la pelle à vanner, nettoyer ton aire à battre le blé. Apprends de lui le discernement, et tu deviendras enfin "bienveillant", voulant le bien de tous et capable de le réaliser : "Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche", écrit pour sa part Paul aux Philippiens.
En France aussi, ce soir, le peuple était en attente. Il a donné et reçu des signes, des signaux : signes qu'il veut être mieux traité, mieux respecté, mieux accompagné par ceux qui en ont la mission. Signaux, peut-être, que ces derniers ont compris quelque chose à leur espérance, voire à leur détresse ou à leur peur. Oh, rien n'est joué : c'est l'avenir qui dira si les leçons d'un scrutin sont enregistrées. Et, comme je le disais dans un précédent post, nous, en Europe, nous avons raison, depuis quelques siècles, de garder les yeux fixés sur la France : dans les tangages de l'histoire, elle reste une Nation, une grande Nation, qui en principe rappelle à tous un certain cap, de "liberté, égalité, fraternité". Un  barrage a été dressé contre ce qu'il y avait de pire comme solution - mais il ne suffira pas. Il convient maintenant de résoudre les problèmes, qui sont nombreux et douloureux pour beaucoup de personnes, en France comme ailleurs, comme chez nous.
Le peuple reste en attente...

jeudi 10 décembre 2015

Une personne exceptionnelle...

Il m'arrive souvent de présider des funérailles dans les paroisses dont je suis directement le curé, et c'est une tâche que je trouve importante, dont j'essaie de m'acquitter avec le plus grand soin. C'est en effet l'occasion pour le prêtre que je suis d'entendre des histoires de vie, des histoires de famille, d'entrer - dans ces moments de grande fragilité que sont les moments du deuil - dans l'intimité, dans le cœur des personnes. Ces écoutes constituent pour moi un trésor, une source qui alimente ma prière, le moteur d'un accompagnement toujours recommencé.
Souvent, presque toujours, on dit là du bien de la défunte ou du défunt. C'est normal, et du reste cela signifie que la "nature" humaine, si elle existe comme "nature" (vaste débat!) n'est pas si mauvaise : une fois que quelqu'un est mort, on va quand même d'abord chercher ce qu'il a fait de bien et tous les côtés positifs de sa vie occultent vite ses parts plus maudites.
Mais il est très rare que, à l'annonce d'un décès, une paroisse entière fasse remonter des jugements positifs, élogieux et surtout reconnaissants.
Or, lorsqu'on a appris le décès de Monique, dont j'ai présidé les funérailles ce matin à Graty, ce fut le cas : cette femme de quatre-vingt-cinq ans, enseignante de latin et de religion  durant toute sa carrière professionnelle  au Collège d'Enghien, a réveillé chez tout le monde, anciens collègues, anciens élèves, et plus largement encore, une mémoire où l'éloge dominait. Enthousiasme et bonté foncière, confiance faite aux jeunes dans leurs capacités d'apprentissage et de progrès, intelligence aussi, mais qui n'aurait rien été sans ce sourire porté sur la vie, y compris sur ses difficultés, attachement à la foi chrétienne, amitié secrète avec la "petite Thérèse", dévouement jamais compté aux siens -  tous les témoignages sont là, qui décrivent ce qu'est une vie chrétienne : une vie réussie, parce que donnée.
Les funérailles ont été à l'image de cette femme : simples, familiales, pleurantes et chantantes, joyeuses aussi à travers les larmes normales, les larmes nécessaires.
Samedi matin, je présiderai les obsèques de Jean : autre belle figure d'Enghien, attachante, fidèle, aimante, autre histoire chrétienne incarnée en quelqu'un. Quel trésor, ces personnes exceptionnelles, pas des stars, non, des gens tous simples. Mais leur enthousiasme et leur fidélité au Christ les a rendus étincelants, ainsi que  sont les étoiles pour éclairer nos routes. Comme nous en avons besoin, et comme des funérailles peuvent être cette sorte d' "instantané" où se révèle la richesse de notre foi dans l'histoire d'un chrétien de chez nous!

lundi 7 décembre 2015

Allemagne, mars 1933 ou les paradoxes de la démocratie

Allemagne, mars 1933 : les dernières élections démocratiques de l'Allemagne avant la deuxième guerre mondiale donnent plus de 41% des voix au Parti National-Socialiste. Et Adolf Hitler va devenir le Chancelier de la République... avec les conséquences que l'on sait.
Paradoxe de la démocratie : elle peut engendrer son contraire - Platon, déjà, l'avait noté dans La République, ce "dialogue" où il philosophait sur les dérives de la démocratie athénienne.
Comment corriger cela? Peut-être en rappelant que, la démocratie, ce n'est pas seulement une question arithmétique de suffrages additionnés. En ajoutant, aussi, que la vérité ne se décrète pas par le seul fait de convaincre 50,01% des citoyens d'un pays. Et que, donc, il y a des valeurs qui ne sauraient être soumises à l'arbitrage démocratique, parce que, même si une majorité de citoyens dit le contraire, ces valeurs restent des valeurs : un homme égale un homme, un homme égale une femme et réciproquement, tous les êtres humains sont libres de circuler partout dans le monde, d'avoir leur culture et leur culte et d'y être attachés en les pratiquant, pourvu qu'ils respectent ceux et celles qui en ont d'autres ou qui n'en ont aucun...
La France, je crois m'en souvenir,  a été l'une des premières à déclarer solennellement ces valeurs comme constitutives de son identité, à la fin du XVIIIème siècle, puis, après la deuxième guerre mondiale, précisément, la plupart des nations du monde ont ratifié ce qui est devenu, en 1948, la "Déclaration Universelle des Droits de l'Homme." Je crois sincèrement que la France a été et reste, et restera, cette "lumière" généreuse qui a éclairé les autres pays en leur parlant de liberté, d'égalité et de fraternité.
Je ne suis pas inquiet. J'aime la France et les Français. Ils connaissent les paradoxes de la démocratie et se souviendront des leçons de l'Histoire.

mercredi 18 novembre 2015

"Derrière toute politique, il y a une théologie"

Le mot est de Proudhon, l'un des théoriciens français du socialisme au XIXème siècle - et qui ne brille pas dans la mémoire collective pour avoir été un Père de l'Eglise, il était plutôt un anticlérical acharné. Mais sa remarque est pertinente, et donne à penser, en particulier sur les événements présents.
De l'imbroglio qui nous submerge, il me semble que l'on peut repêcher quelques balises :

1° Nous assistons à un "retour du religieux", avec les ambivalences du terme - le religieux peut être violent, assassin, meurtrier, tout ce que l'on voit. Il peut être le pire. Ou le meilleur. La question est donc de savoir comment il peut rester, devenir ou redevenir le meilleur, étant entendu que son élimination de la sphère sociale, je l'ai déjà maintes fois répété ici, une élimination quelquefois tentée dans l'histoire, non seulement échoue mais se conclut par une horreur accrue.

2° Les doctrines ou les textes sacrés des grandes religions, notamment des grandes religions monothéistes, et de l'Islam en particulier, ne sont pas en cause : tous les textes sacrés, s'ils sont lus et interprétés d'une façon radicale, sont potentiellement meurtriers. La question est donc : comment lire les textes sacrés des religions pour que celles-ci soient facteurs de paix, et non de haine? Cette question est l'objet d'une science particulière, qui s'appelle la théologie. Je plaide pour une (ré)habilitation et une mise en valeur de la théologie dans nos pays, à tous les niveaux, universitaires, scolaires, ecclésiaux, cultuels, culturels, artistiques, philosophiques, etc. Il appartient à l'Etat de favoriser cette mise en valeur du débat théologique, qui est le fondement idéologique des attitudes à venir chez les citoyens de chez nous et d'ailleurs. D'où le titre général de mon propos de ce soir : "Derrière toute politique, il y a une théologie." Proudhon, là, était prophète... La brusquerie avec laquelle, pour des raisons partisanes et intellectuellement faibles (pour être gentil...) on traite en nos pays la présence du religieux dans  la sphère publique - voyez les cours de religion qui deviennent "cours de rien" dans la précipitation générale! -, cette brusquerie sans concertation est non seulement grotesque, mais dangereuse.

3° Il n'est donc pas question de stigmatiser une communauté (l'Islam) ou "la religion" en général comme étant causes des problèmes actuels du terrorisme  : ce qui est en cause, c'est un manque global d'intelligence de nos pays quand ils réfléchissent (s'ils consentent à le faire) sur leur fonds religieux. La question de la foi personnelle n'a, a priori, rien à voir avec cela. La question de la visibilité du religieux, de ses rapports (y compris financiers) avec les pouvoirs publics, de son débat avec les courants anthropologiques de nos sociétés, oui.

4° Le reste, qui est important, concerne :

     - la question de savoir pourquoi des jeunes de chez nous sont séduits par des propositions religieuses islamistes (le Califat, son extension territoriale, sa conquête du monde, l'extermination par lui programmée de ceux et celles qui ne lui font pas soumission, etc.) : il y a probablement des raisons sociologiques, économiques, mais aussi existentielles. Peut-on imaginer que le bonheur consumériste proposé comme seul horizon gratifiant dans nos sociétés, pour d'aucuns, soit trop court, et qu'ils lui en substituent  un autre - un autre fantasmé, un autre horrible, un autre crapuleux, tout ce qu'on veut, mais un autre?
     - la question de savoir quand nos Etats mettront fin à l'hypocrisie de leur double langage : d'un côté on dénonce le terrorisme international, d'un autre côté, on l'alimente. Comment, direz-vous? Par exemple, en le fournissant en armes de première main ou recyclées. Le pape ne cesse de dénoncer ce commerce des armes (auquel se livrent abondamment la Belgique, la France, les USA et quelques autres) qui, évidemment, permet les conflits. Dans les armes de guerre qui ont tué les victimes de vendredi soir, à Paris, combien sont sorties des ateliers de la FN? On ajoutera à cela une géo-politique occidentale obnubilée par le profit, et qui met la diplomatie au service de celui-ci, avec depuis vingt ans des ingérences au Moyen-Orient qui se sont révélées, à terme, désastreuses, exacerbant, par méconnaissance, ignorance ou mépris, les conflits tribaux et intra-religieux. Et on s'étonne d'avoir chez nous des effets "boomerang"?

5°Que faire? Responsabiliser les hommes et femmes politiques, lorsqu'ils se présentent à nos suffrages, lors de ces exercices magnifiques que sont les élections démocratiques. Les interroger bien autrement qu'on ne le fait sur leur conception de la justice internationale, de la paix, de la protection des populations les plus fragiles dans le monde, de la répartition des biens, etc.  Beaucoup d'autres questions, pour importantes qu'elles soient (l'âge de nos retraites, l'idiome dans lequel s'exprime le Bourgmestre de Linkebeek, etc.), en seront sans doute relativisées, et ce ne sera pas dommage.

Cher vieux Proudhon! Réapprendre en effet, avec lui,  que "derrière toute politique, il y a une théologie"!

samedi 14 novembre 2015

Sommes-nous en guerre?

Après ce qui s'est passé hier à Paris, la question se pose : sommes-nous en guerre? Probablement oui, mais à condition de saisir que la notion même de "guerre" a changé de signification, du moins en Occident. Il ne s'agit plus d'armées qui se font face, mais d'états récurrents de violence qui s'emparent d'une société - la nôtre - trop assoupie, inquiète seulement d'elle-même et peu du reste du monde et de ses conflits. Or les conflits du monde - c'est un aspect de la "mondialisation" - retentissent chez nous, que nous le voulions ou non, avec leurs composantes géo-politiques, économiques, financières, culturelles, démographiques (voir la question des migrants), religieuses. (Par parenthèse, ceux qui penseraient encore que "le religieux" est relégable dans la sphère du privé trouvent dans ce qui s'est passé hier un cinglant - et sanglant - démenti.) Les "guerres" qui nous concernent seront donc sporadiques, non plus programmées pour un temps jusqu'à la victoire d'une force sur l'autre, inédites, aussi, symboliquement très meurtrières. Quelles que soient les mesures et les précautions des Etats européens, elles sont, à mon avis, inévitables. Et inégales : face à nous, qui craignons la mort corporelle, il y a des gens qui non seulement ne la craignent pas mais la souhaitent pour eux-mêmes, car c'est une manière de glorification. Je lisais sur Facebook hier une réaction un peu bêtasse, dans la liste invraisemblable des "il n'y a qu'à...", recommandant à nos pays de rétablir la peine de mort pour les terroristes : pas besoin, cher ami, ils se font exploser eux-mêmes une fois leur tâche achevée! Cela dit bien - à mon avis mieux que tout - le fossé culturel immense qui existe entre des conceptions très différentes de la vie humaine. Quels sont les jeunes de vingt-cinq ans, chez nous, qui accepteraient de mourir pour sauver nos démocraties?
Il est fini, le temps de l'insouciance...

lundi 9 novembre 2015

L'anthropocène

Participé vendredi soir, à la Maison Jonathas ici à Enghien, à une conférence sur l' "anthropocène" donnée par Guillaume Lohest. Il s'agissait donc de parler de cette nouvelle ère géologique déterminée par l'empreinte excessive de l'être humain sur sa planète, ère dans laquelle nous sommes entrés déjà avec les conséquences à court et moyen termes que l'on connaît.
Beaucoup, vraiment beaucoup de choses intéressantes dans cette soirée : (re)prendre conscience d'une urgence déjà dépassée pour bien des paramètres, et peut-être surtout tirer les conséquences pour nous-mêmes, les êtres humains, de ces prospectives tout de même catastrophiques.
Un aspect peut-être n'a pas été suffisamment souligné (il l'a été, mais trop peu à mon goût) : la résonance sociale de tout cela. On a peur pour soi-même, d'abord (encore qu'un pachyderme célibataire comme moi ne craint guère pour lui-même...), pour les siens, ensuite, pour l'espèce sans doute. Mais pense-t-on aux premières victimes - celles qui sont déjà les victimes aujourd'hui, et le seront davantage encore demain? Je veux dire : les populations économiquement fragiles du Sud, les centaines de milliers de personnes que les changements climatiques (la désertification, par exemple) font aujourd'hui migrer vers l'Europe du Nord (c'est l'une des causes, souvent passée sous silence, du phénomène migratoire qui ne peut aller qu'en s'accélérant)? Ce sont les plus fragiles qui vont le plus trinquer - comme toujours : ceux que le prétendu "progrès" technologique n'a pas aidés, mais a, au contraire, à cause de toutes sortes de procédés méprisants et méprisables qui relèvent de la macro-économie, enfoncés toujours davantage dans la misère, les privant d'une juste exploitation de leurs terres ou de leur sous-sol.
Une autre insistance qui peut-être manquait (ici encore, elle était présente mais trop peu selon moi) : la dimension spirituelle de cette prise de conscience. Les courbes exponentielles présentées et qui conduisent à une chute brutale de la possibilité même de vivre ne devraient pas seulement faire peur, mais devraient conduire à considérer la fragilité de nos existences individuelles et de l'espèce humaine tout entière. Or je tiens - c'est un point de vue philosophique autant que "religieux" (au sens large)  - qu'on ne peut vivre correctement son présent et son avenir proche qu'en considérant sa fin, chacun pour son compte ou tous ensemble. Intégrer sa finitude dans sa méditation, c'est ouvrir le présent à des tas de possibles inattendus. Dans la Bible déjà, l'Apocalypse reconduit à l'urgence du moment présent, et le Déluge n'est raconté que pour renouer l'Alliance vitale avec le Créateur...
Relire, là-dessus - devoir du temps de l'Avent qui s'annonce - l'encyclique Laudato si' du Saint Père François. D'urgence...

vendredi 6 novembre 2015

Bienvenue au nouvel archevêque

Joie depuis hier de savoir que Mgr Jozef De Kesel est le nouvel archevêque de Malines-Bruxelles et le nouveau Président de la Conférence épiscopale de Belgique. Joie parce que c'est un homme simple, intelligent, évangélique, ouvert à la modernité, à la culture contemporaine, fraternel - je pourrais ajouter de nombreux qualificatifs élogieux. J'ai eu l'occasion de travailler beaucoup avec lui, avant d'être à Enghien, alors que je faisais partie, comme "théologien-expert" (expert en quoi, je vous le demande!) de la Commission pour l'Evangélisation de la Conférence des évêques. Nous avons, en particulier lui et moi, beaucoup travaillé sur la rédaction de certains textes en néerlandais et en français. En 2009, il m'a fait l'amitié de préfacer l'un de mes livres sur la spiritualité, et de façon très généreuse.
Je ne pense pas que, dans l'Eglise, il faille jamais opposer prédécesseurs et successeurs dans une tâche - ici, dans la première d'entre elles en Belgique. Il est normal que des tempéraments, des sensibilités, des points de vue divers soient, à tour de rôle, représentés! L'Eglise n'est heureusement pas monolithique.
Mais enfin, je confesse que le profil du nouvel archevêque me va bien. Me va même, disons, mieux...

jeudi 5 novembre 2015

Faut-il en finir avec le Diable?

C'est le titre d'un Colloque de deux jours, le Colloque de théologie dit "Colloque Gesché" (car il est organisé tous les deux ans pour honorer la travail du théologien belge Adolphe Gesché) et auquel j'ai participé, après avoir contribué à son organisation, hier et avant-hier à Louvain-La-Neuve. Exégèse, histoire, sociologie (le monde des jeux vidéos ne manque pas de sel...), littérature (j'ai proposé un parcours des romans de Bernanos pour voir comment le Diable y est non pas "un" personnage mais peut-être bien "le" personnage), psychologie, ouverture sur le Coran et le monde musulman, théologie : bien des disciplines ont concouru à montrer comment la figure du Diable donne à penser. Et cela en déplaçant des questions un peu inutiles, du genre : "Existe-t-il?" (en tous les cas, le Mal existe, et un Mal énigmatique qui dépasse les seules initiatives humaines) ou "Est-il une personne" (comme disait Benoît Bourgine, ce serait lui faire trop d'honneur que de le considérer comme une "personne", avec tout le retentissement philosophique de cette notion, mais on peut exister autrement que comme "personne"). Il me semble important que des théologiens cherchent dans leur fonds propre, dans leur arsenal conceptuel, ce qui peut éclairer la situation présente de la société et peut-être relancer à son propos une vision plus critique. Ce fut fait, et les nombreux participants du Colloque (environ 200) se disaient stimulés par la réflexion. Actes à paraître courant 2017...
Hier soir, précisément, nous apprenions la mort survenue à Stanford (Californie) du Professeur René Girard, de l'Académie Française, et qui était né en 1923 en Avignon. Cet intellectuel catholique a profondément renouvelé, à partir de la philosophie, de la littérature et de la Bible, la pensée contemporaine touchant aux mécanismes de la violence (notamment en développant le concept de "désir mimétique", désir dans la rivalité). Relire Girard aujourd'hui (par exemple son maître-livre, La violence et le sacré, paru je crois en 1972), peut certainement contribuer à mieux appréhender les liens contemporains entre religion(s) et violence - religion(s) comme sources de la violence, mais aussi comme lieux possibles de son apaisement. Ce n'est probablement pas inutile dans le contexte que nous connaissons...

dimanche 1 novembre 2015

Les saints

Nous avons donc, aujourd'hui, fêté les saints, "tous les saints" connus et anonymes que le christianisme a, si j'ose ainsi dire, "fabriqués" en deux mille ans d'existence - autant dire en très peu de temps! "Foule innombrable", nous disait le visionnaire de l'Apocalypse, foule de gens "debout", "en vêtements blancs", "avec des palmes à la main" : aucune de ces notations n'est anodine. La position "debout" est celle des ressuscités, celle des vrais vivants, celle des résistants. Le vêtement blanc est celui du baptême, il suppose que l'on se soit dépouillé des vieux vêtements, qu'on les ait laissés, abandonnés - à travers eux, on a laissé les vieilles habitudes, les vieilles pensées, les vieilles habitudes de penser, les vieux réflexes, et tout ce qui conduit toujours à la reproduction du même, des mêmes erreurs, avec obstination. On s'est retrouvé tout nu, nu de la nudité d'Adam, mais sans honte, et le Christ s'est donné à nous, nous l'avons revêtu, il est devenu notre seul vêtement, celui d'une vie jeune, neuve, audacieuse... Et les palmes à la main sont celles de la victoire sur toutes les insinuations sournoises du mal et du péché.
La sainteté n'est pas la vertu : quel ennui ce serait!
C'est la pauvreté assumée, celle du cœur, rappelée par la première béatitude de l'Evangile : mains ouvertes et vides, capables d'accueillir le don de l'amour.
C'est la destinée humaine telle que Dieu la voit, et l'aime, et la bénit.
Celle qu'il promet à tous, absolument tous les hommes...

mercredi 28 octobre 2015

Sur les prescriptions alimentaires...

"Libres", vous avez dit "libres"?
On croyait que c'étaient les religions qui prescrivaient des restrictions alimentaires, surtout le judaïsme et l'islam, et un peu moins le christianisme avec son jeûne du carême et son poisson du vendredi.
Que nenni!
Ecoutons les nouvelles : de viande rouge, peu mangeras; de charcuterie, pas du tout; de vin et autres boissons alcoolisées, tu restreindras la consommation et même l'éviteras complètement; de la graisse, surtout animale, comme le beurre, le saindoux, le lard et autres excellentes choses, tu te méfieras comme de la peste; du poisson tu consommeras, en petite quantité, pour éviter les traces de mercure, et si tu vis à Bruxelles, pour éviter les odeurs, seulement la veille des jours où passe le service des poubelles, le sucre tu fuiras qui peut te filer le diabète, et le sel aussi, qui augmenterait ton hypertension artérielle, le pain tu consommeras avec grande modération pour éviter les surpoids et les viennoiseries tu banniras au moins en semaine... Alors peut-être parviendras-tu à apparaître juste devant les juges implacables que sont ta balance, ton médecin et la sécurité sociale.
Je mets au défi n'importe qui de trouver dans la Bible juive, dans la Bible chrétienne ou dans le Coran des interdits aussi restrictifs, aussi péremptoires et aussi sévères. Les "religions" qu'on accuse de tous les maux ne nous ont jamais pareillement contrôlé les assiettes...
J'ajoute, et c'est plus grave, que la nourriture recommandée est réservée aux riches : cinq fruits et légumes par jour, ça n'est pas donné, et en tous les  cas pas donné à tout le monde...
Dictature de la diététique!

mardi 20 octobre 2015

"Avec ou sans Dieu" : vidéo de la conférence

J'ai évoqué déjà la conférence-débat qui nous a réunis, Jacques Sojcher et moi-même, aux Ecuries du Château d'Enghien, le 8 octobre dernier. Pour ceux et celles que cela intéresse, voici la vidéo qui reprend l'intégralité de cet échange :

https://youtu.be/wWgyJZhbbNo

dimanche 18 octobre 2015

Week-end chargé, et riche...

Je n'aime guère l'appellation de "week-end", puisque, dans le comput chrétien des jours, le dimanche est le premier de la semaine - jour de la Résurrection, huitième jour (anticipant déjà le jour sans nuit de l'éternité), ou reprise christique du premier jour entre les jours... Il s'agirait donc plutôt d'un "week-beginning", mais laissons là ces considérations théologiques sur le temps qui passe.
Week-end chargé, en tous les cas  : vendredi soir, j'ai concélébré avec notre évêque la messe durant laquelle une relique du Bienheureux Empereur Charles Ier de la Maison d'Autriche  fut déposée en la Basilique de Tongres-Notre-Dame par l'un de ses petits-fils : du "beau monde" (la Famille princière de Ligne, beaucoup de Habsbourg, les Grands-Ducs héritiers de Luxembourg, les Bourgmestres de Chièvres et d'Ath, etc.) mais surtout un "beau moment" de recueillement autour d'une figure emblématique du XXème siècle européen, celle d'un Empereur d'Autriche - le dernier en date - qui aura tout fait pour éviter la boucherie de la Première Guerre mondiale. Son épouse, l'Impératrice Zita, plus récemment décédée, attend elle aussi d'être mise sur les autels - elle fut en effet une femme remarquable. Le week-end commençait donc sous le regard d'un couple de saints, et qui se sanctifièrent l'un par l'autre - ils ne furent pas les seuls, j'y reviendrai.
Deux funérailles, le samedi matin, à Petit-Enghien et à Silly, de deux dames également et diversement remarquables par leurs qualités humaines, familiales et sociales.
Et, au retour, un appel pour bénir le corps d'un paroissien d'Enghien qui venait de mourir : un homme dont l'épouse encore toute (é)perdue me dit en quelques mots la simplicité de vie, la droiture, la bonté : sainteté moins connue, mieux éclatante encore dans son anonymat.
Dans l'après-midi, je devais bénir le Chapitre de la Confrérie de la Double Enghien, non tant pour promouvoir une bière (si bonne soit-elle) que l'amitié qui lie ceux et celles qui, autour de ce produit local, veulent faire connaître Enghien. Le dîner du soir devait agréablement prolonger cette bénédiction, et je suis toujours heureux de pouvoir participer à ces événements associatifs qui innervent la vie enghiennoise et la dynamisent.
Entretemps, j'avais une nouvelle fois célébré la messe, à 17h30, à Enghien, et accueilli une meute de louveteaux des Scouts d'Europe qui étaient logés à la Ferme des Scouts : ces petits bouts, et leurs chefs, nous édifièrent par le sérieux de leur prière...
Dimanche matin, après avoir petit-déjeuné avec Eloi, le séminariste qui est en stage chez nous, c'était la messe d'abord à Bassilly (avec une belle assemblée d'une soixantaine de personnes), puis à Enghien avec, à l'initiative de deux paroissiens, l'animation musicale assurée par une chorale africaine ("African Joyce"). Et de la joie, il y en eut en effet dans cette église bondée, chantante et dansante... Que du bonheur!
Et l'après-midi : musique de nouveau, mais avec les enfants et leurs familles qui venaient inaugurer au Collège l'année catéchétique. Beaucoup discuté, gravement, avec mon voisin, Samuel - 7 ans - de l'importance de Jésus dans nos vies, et de faire convenablement le signe de la croix pour se souvenir de son amour pour nous. Les enfants savent tout, ce sont eux qui nous catéchisent... Au passage, j'ai goûté avec eux (goûter, un repas d'enfant) et me suis régalé de quelques gâteaux : prix, probablement encore quelques kilos!
A peine rentré, un coup de sonnette à ma porte m'annonçait  qu'une paroissienne, cette fois, venait  de retourner près du Père. J'ai accompagné  son fils qui me prévenait ainsi, son mari que j'ai rejoint très vite et qui était entouré de ses enfants, et j'ai béni le corps délivré de cette vieille dame de 87 ans, désormais jeune à jamais, de la jeunesse de Dieu - ce vieux ménage que je voyais si souvent à la messe de semaine, avec tant d'attentions l'un pour l'autre, quelle tristesse, quel déchirement de le voir séparé, et pourtant, c'est au creux de ces larmes que pointe l'espérance d'être unis "pour toujours" comme ils l'ont souhaité au jour de leurs noces.
Et pour clôturer le dimanche, j'ai rejoint des amis qui fêtaient un anniversaire, et figurez-vous que j'ai même eu l'énergie d'y danser (un peu, et mal : manque de pratique.)
Au retour, j'ai prié les nouveaux saints de l'Eglise : Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de Lisieux que le pape a canonisés ce matin à Rome. Nouveau et magnifique modèle d'une sainteté toute simple, qui en a enfanté une autre, et s'est vécue au quotidien de la conjugalité.
Un week-end, donc, encadré en quelque sorte par le regard bienveillant de saints contemporains, époux et parents, témoins de l'amour de Dieu par la qualité de leur amour. Je prie ces couples de bienheureux de réconforter les ménages âgés que la mort vient de séparer, et de leur murmurer au cœur la force de l'espérance.
Crevé - à mon âge, quand même, ça donne l'impression d'un tourbillon, quelquefois - mais heureux de tant de  rencontres graves, profondes, amicales, joyeuses,  où le sourire du ciel se donne à voir, quelquefois même à travers les larmes de la séparation nécessaire.
"Nous rendons grâce à Dieu!"

dimanche 11 octobre 2015

Confirmations à Blaton

J'ai eu la joie de présider, comme délégué de l'Evêque, les confirmations à Blaton, ce dimanche. Un petit groupe de jeunes d'environ treize ans, dont j'avais lu auparavant les "lettres de motivation". Dans l'une d'elles, j'avais remarqué qu'un jeune "offrait" la célébration de cet après-midi pour "la santé de sa maman"... Pas besoin d'en savoir beaucoup plus. Je l'ai repéré tout de suite, j'ai pu lui parler, et de cette connivence inattendue la célébration a, je crois, pris une densité plus grande.
Que dire à des ados de treize ans? L'Evangile d'aujourd'hui leur racontait, au fond, l'essentiel  : ce jeune homme riche et comblé, mais qui n'a rien s'il ne donne pas tout!
Oh, qu'ils apprennent la vraie richesse, celle du don! C'est le seul bonheur, c'est le bonheur versé sur eux aujourd'hui par l'Esprit Saint et l'Eucharistie.
J'ai admiré la façon dont on les avait préparés, le sérieux de la catéchèse qui les avait entourés, j'ai une nouvelle fois goûté la précieuse amitié de Christian, le doyen de Beloeil, leur doyen.
Tant d'amour, j'en suis assuré, n'est pas répandu en vain... Il portera ses fruits!

vendredi 9 octobre 2015

"Avec ou sans Dieu..."

Belle soirée, hier à Enghien, aux Ecuries du Château.
Belle soirée parce que préparée de concert par la Maison de la Laïcité d'Enghien-Silly et notre Unité Pastorale, ce qui est, je crois, une première.
Belle soirée parce qu'ai pu dialoguer, en public, avec Jacques Sojcher, ami de longue date - déjà cité dans ce blog - dont j'estime au plus haut point la délicatesse, la compétence, et surtout le sens du débat.
Belle soirée parce que le public, nombreux, était réceptif et heureux de l'événement, ce qui me conforte dans l'idée que nous devons multiplier les occasions de rencontre entre nous.
Enghien et Silly possèdent un "potentiel citoyen", si j'ose ainsi dire, absolument remarquable!

dimanche 4 octobre 2015

Ouverture du Synode des évêques

Le Synode des évêques catholiques, consacré à la famille et à son rôle dans la société, a été ouvert à Rome ce matin par le pape François. Il devrait durer trois semaines.
Une mauvaise manière de considérer ses travaux consisterait, me semble-t-il, à s'interroger sur ce qu'il va changer à la "discipline" de l'Eglise catholique en matière matrimoniale, genre : "Les divorcés remariés pourront-ils communier?" etc. Ce serait, comme on dit, voir les choses par le petit bout de la lorgnette...
La question importante est ailleurs : quelle place donner à la conjugalité dans notre société? Et, si j'ose ainsi dire, quels honneurs lui rendre? Qu'en est-il de la sacramentalité dont elle peut, dans la foi - et dans la foi seulement - être porteuse? Quel accueil réserver à toutes les personnes qui vivent des situations non-sacramentelles, jeunes en couples non mariés, personnes homosexuelles civilement mariées ou non, familles divorcées et recomposées, familles monoparentales, etc.? C'est un vrai défi que d'accueillir tout le monde, et à bras ouverts, tout en continuant à proclamer la possible sacramentalité d'un certain type d'union conjugale.
Nous devons prier pour les Pères synodaux. Leur tâche est d'autant moins commode que certains médias n'attendent que des effets d'annonce.
La vérité n'est pas dans les effets d'annonce.
Elle est dans la recherche patiente, commune, priante, de ce que murmure l'Esprit à ceux qu'il a choisis comme pasteurs de son Eglise.

mercredi 30 septembre 2015

Prière d'humeur - et d'humour - à la Sainte Vierge

(Pour ceux qui l'ignoreraient, "relou" est un terme de verlan - argot - qui signifie "lourd", c'est-à-dire, "enquiquineur"...)

Un séminariste me partage cette prière adressée à la Sainte Vierge, "Notre-Dame des Relous", une prière que je trouve à la fois pleine d'humeur et d'humour, dont il me semble que chacun de nous peut être à la fois le sujet et l'objet :

PRIERE A NOTRE-DAME DES RELOUS

"Tendre Mère des fâcheux de toute sorte qui, par votre indulgence ineffable, pouvez supporter avec miséricorde tous les boulets de la terre, prenez en pitié nos pauvres cœurs excédés. Nul n'a jamais pu vous faire sortir de vos gonds, et jamais vous n'avez manifesté la moindre lassitude, malgré l'armée de casse-pieds qui a dû se bousculer à votre porte, sans oublier tous ces enquiquineurs qui, jour après jour, depuis votre bienheureuse montée au Ciel, refusent de vous accorder le moindre repos. Enseignez à nos cœurs la même patience face à ces emmerdeurs qui nous cernent de toutes parts. Donnez-nous la force de les endurer en silence, voire même celle - surhumaine - de les bénir. Tout spécialement ce chieur de... (ici, nommer secrètement la personne qui nous empoisonne), afin de ne pas nous laisser sombrer dans la critique à son égard. Et si votre bienveillance maternelle se laissait toucher par notre misère, de grâce, prenez-nous en pitié : Notre-Dame des Relous, délivrez-nous de tous les relous (mais vite.) Amen."

(Prière, paraît-il, composée par un certain Edmond Prochain)

lundi 28 septembre 2015

Riches et épuisantes : les réunions!

Passé la journée à Tournai - c'était la rencontre désormais bisannuelle des doyens. Excellente conférence de Mgr Jean-Luc Hudsyn (évêque auxiliaire de Malines-Bruxelles, pour le Vicariat du Brabant-Wallon) sur la miséricorde - thème de l'année sainte que le pape a décidé d'ouvrir partout dans l'Eglise et sur laquelle il nous faudra revenir dans nos paroisses. Après la messe - admirable photo en ligne, sur le site du diocèse (!) -,  déjeuné avec lui et Mgr Harpigny, notre évêque, qui a longuement raconté son récent voyage au nord de l'Irak, la désolation des camps et sa crainte de les voir se prolonger indéfiniment ("comme les camps de Palestiniens que je visitais déjà dans les années '70", dit-il). Avons évoqué, tout ensemble, ce que l'Eglise locale peut apporter comme concours aux pouvoirs publics, la peur quelquefois compréhensible de nos concitoyens devant l'afflux de réfugiés alors que nos pays se sentent dans une situation économiquement précaire. Bref, nous avons parlé de la vie, de sa fragilité, de son intensité, aussi, et de l'espérance que notre foi au Christ, au Ressuscité, nous invite à garder à travers tout, et par le biais de gestes concrets.
J'étais heureux de revoir Mgr Hudsyn - que je connais de longue date : nous avons ensemble travaillé, dans une autre vie, pour une formation théologique adressée au plus grand nombre.
Entre deux coups de fourchette, des questions concernant notre doyenné Enghien-Silly ont trouvé des réponses que je crois positives.  Des dossiers avancent...
Après-midi consacrée au Synode des Jeunes, à la problématique difficile de la communication dans le diocèse, au renouveau de la catéchèse, aux annonces diverses : j'avoue qu'à mon âge (eh oui) mon attention "post-prandiale" s'émousse et que j'ai quelquefois piqué du nez.
Oui, riches mais épuisantes journées de réunion...
Et, jeudi, c'est le Conseil Presbytéral : on remet ça! La semaine sera complète, comme on dit!

dimanche 27 septembre 2015

Comment bien mourir?

Rencontré, aujourd'hui, une vieille amie - elle a quatre-vingt-six ans, et nous nous connaissons depuis longtemps, ce qui justifie à double titre cette qualification - à laquelle on a annoncé, voici quelques mois, un cancer incurable. Elle a du reste tourné le dos  à toute forme de soins invasifs, ne recourant plus qu'à l'homéopathie... Encore en bonne forme, quoiqu'amaigrie, elle a déjà fait appel aux soins palliatifs - dont elle n'a pour l'heure nul besoin, mais afin qu'ils se tiennent prêts le moment venu - et elle continue à vivre aussi pleinement que possible sa vie de femme aimant les beaux-arts et la musique, sa vie de mère et de grand-mère attentive aux siens, en particulier, donc,  à ses petits-enfants (elle en avait huit hier soir encore à sa table.)
Femme discrète, d'une humilité parfaite, elle dit que la vie l'a comblée - alors que d'autres souligneraient les épreuves qui n'ont pas manqué -  et qu'elle a tout ce qu'il faut pour "partir tranquille."
Pourtant, elle souhaitait me voir parce que... elle n'est pas si tranquille que ça.
Sa question était simple : "Comment faire pour mourir?"
Comme si j'avais la réponse, tiens!
Déjà, en parler comme nous l'avons fait, cet après-midi, de façon détendue et quelquefois rigolote - je lui ai rappelé la nécessité biologique de la mort, et d'une certaine manière son bienfait : imaginez ce qui se passerait si nous ne mourions pas, où mettrait-on tant de monde? On voit bien que la mort des individus est la garantie de survie de l'espèce... Oui, en parler comme cela, c'est déjà une sorte de réponse.
Pourtant, comme tout ce qui est important chez les êtres humains (la naissance, la souffrance, l'amour, la conjugalité...), cette réalité biologique ouvre aussi l'espace d'un mystère - et d'abord d'un scandale : chacun de nous est unique, et dans la mort s'efface apparemment cette unicité absolue.
Ne pas connaître le moment me semble aussi un test d'humanité : plutôt que de programmer sa mort par injection létale tel jour à telle heure, il y a la question de savoir comment vivre cette attente de l'inévitable - c'est inévitable pour tout le monde, mais ma chère vieille amie, elle, sait - les médecins le lui rappellent volontiers, ce pourquoi du reste elle ne les consulte plus guère - que, pour elle, cet inévitable est pour bientôt. Que faire du sursis?
Je crois, et voilà ce que je lui ai murmuré, du bout des lèvres : s'en fiche. Vivre chaque matin heureux de se réveiller vivant, et se coucher chaque soir dans l'action de grâce pour les instants traversés. Aimer ceux que l'on croise encore, leur donner tout, sans réserve, puisque la seule vie réussie est la vie donnée aux autres. Prier, non pas tant réciter des formules, mais jeter en Dieu, comme un petit enfant  peureux, ses plus grands moments d'angoisse.
Quel bonheur, cette rencontre qui était tellement pleine de vie, quelle joie dans nos embrassements...
Au retour, en voiture, je me disais que nous avions l'un et l'autre, longuement, respiré la saveur de l'existence humaine, son prix, son parfum d'éternité. Et que, ce que j'avais murmuré ainsi du bout des lèvres, je devais bien me le dire à moi-même : je serai - du reste, je le lui ai rappelé en riant, pendant que nous nous disions au revoir -  peut-être mort avant elle, qui sait?!
Il n'y a rien d'autre à vivre que l'instant présent. Est-elle de Thérèse de Lisieux, cette formule qui me revient en tête : "Tu le sais, Seigneur, que pour aimer, je n'ai que maintenant..."?

lundi 21 septembre 2015

Des évêques belges en Irak

Comme je l'ai annoncé aux messes de ce week-end, trois évêques belges rentrent aujourd'hui du Nord de l'Irak, où ils ont accompli une intense - et dangereuse - mission pastorale en visitant les personnes déplacées par la guerre, pour les encourager et leur apporter également, via Caritas, une aide matérielle concrète. Il s'agit de Mgr De Kesel, évêque de Bruges, de Mgr Lemmens, évêque auxiliaire de Malines-Bruxelles, responsable du Vicariat du Brabant Flamand et de Mgr Harpigny, évêque de Tournai (notre évêque).
Je conseille à chacune et à chacun de visionner ce petit reportage, qui permet de se rendre compte des ravages de la guerre et de la nécessité qu'elle crée d'une entraide effective entre ses rescapés et nous - qui vivons, par rapport à cela, dans un confort exceptionnel :

http://deredactie.be/permalink/1.2445583

dimanche 20 septembre 2015

Un Dimanche à Enghien...

Au soir d'un dimanche, il convient de rendre grâce, de remercier...
Je veux d'abord dire la première rencontre avec un séminariste, Eloi, qui vient entreprendre un stage pastoral chez nous, une "insertion" comme on dit. Eloi, né au Cameroun, est originaire de Mons et entame à Namur sa première année de formation théologique (après une année de propédeutique et deux de philosophie). Nous avons ensemble pris le petit-déjeuner, avant que je ne l'entraîne vers les activités de ce dimanche, à savoir :
- la messe dite des "Jubilaires" : comme chaque année, nous avons accueilli et fêté, pendant la messe, les couples qui célèbrent cinquante, soixante, soixante-cinq ans de vie conjugale. Quel bonheur de recevoir leur présence, leur témoignage, l'attestation, parmi les leurs, d'une fidélité qui nous fait du bien à tous, parce que nous savons qu'ils l'ont vécue à travers des épreuves et des difficultés que beaucoup d'autres connaissent.
- l'inauguration de la nouvelle Salle "Vita", qui complète un ensemble paroissial comprenant, au centre d'Enghien, l'école Saint-Nicolas et la Salle Pax : principalement destinée aux filles du Patro, cette salle très bien conçue va permettre beaucoup de rencontres et d'animations pour tous les paroissiens et, évidemment, au-delà aussi. C'est un vrai cadeau  - auquel, je le dis franchement, j'avais d'abord été réticent (le coût!) - mais je vois bien que leurs concepteurs avaient raison. J'ai béni, et de grand cœur, ce bâtiment, qui doit permettre de favoriser davantage encore la vie - comme son nom l'indique et lui en donne vocation - de nos paroisses.

Doyen heureux, ce soir, donc, rempli de gratitude envers tant d'initiatives généreuses!

mardi 15 septembre 2015

Notre-Dame des Douleurs

Le hasard, sans doute, a fait que j'ai reçu depuis quelques jours bien des confidences douloureuses. Des situations de famille très fragiles, des jeunes en plein désarroi, des deuils déchirants ou le récit de grandes souffrances physiques.
Et le hasard, sans doute, fait que je m'astreins à relire en parallèle, pour une conférence à faire à Louvain début novembre, l'intégrale des romans de Bernanos. Je dis bien : relire - je dois en être à ma cinquième ou sixième lecture en quarante ans! Bernanos est fasciné par l'existence du Mal (la majuscule est volontaire), par sa réalité quasiment métaphysique, comme une entité invisible mais présente, et décrit dans ses romans ses manifestations quotidiennes, loin des diableries de nos imaginations, mais tellement habituelles! Et non pas simplement dans la mesquinerie ou les petites rancunes, qui sont certes de vilaines choses mais au fond très vite méprisables. Non : dans le grand combat du cœur humain pour ou contre l'Amour, pour ou contre la Grâce de Dieu. Dans ce combat, sans avoir rien de doloriste, Bernanos sait bien qu'il y a une économie de la souffrance, que celle-ci constitue une traversée nécessaire pour accueillir l'Amour, et qu'il n'y a pas d'autre chemin.
Et aujourd'hui, toute la journée, après la fête célébrée hier de la Sainte-Croix, la mémoire de "Notre-Dame des Douleurs", du Stabat Mater  : "Au pied de la croix se tenait (debout : stabat) sa Mère...", et l'Eglise qui nous invite dans sa liturgie à contempler la douleur de cette femme, non pour s'en repaître évidemment, mais pour la prendre chez nous, dans notre cœur, comme Jésus invite alors "le disciple aimé" (tout disciple, donc, vous et moi) à le faire : "Voici ta Mère", lui dit-il. Comme s'il y avait, dans cette souffrance ou plutôt dans la manière de l'assumer, de la traverser, un engendrement nécessaire à l'humanité même de l'homme.
Dans cet esprit, recueilli ce soir les paroles et les enseignements de Christian Cannuyer, excellent connaisseur du Proche-Orient, venu expliquer à Enghien, pour l'Université des Aînés,  les tenants et aboutissants de la situation explosive dans ces régions dévastées.  Comme il est important de mieux comprendre d'où vient la violence, d'en saisir les motivations prochaines. En même temps, comme il est important de savoir que cette violence, ce déferlement de haine, de guerres, d'exils et d'exodes, dépassent la responsabilité humaine, mais s'inscrivent  dans ce grand combat contre le Mal, que Bernanos a si bien vu, si bien décrit dans ses romans. L'être humain en est souvent complice, mais n'en est pas l'auteur absolu - l'auteur absolu, c'est l'Adversaire, le Satan de la Bible, le jaloux accusateur de l'homme. Le séducteur, qui portera toujours sa lutte contre les hommes aimés de Dieu, et parce qu'ils sont aimés de Dieu - ce que cet autre-là ne supporte pas. Un Adversaire qui a beau se débattre - il est toutefois déjà vaincu - voilà l'espérance admirable des chrétiens.

jeudi 10 septembre 2015

Force de la douceur

L'islamisme radical et ses manifestations violentes ne sont jamais qu'une barbarie de plus dans l'histoire de l'humanité - qui n'en est pas avare : voyez le nazisme, par exemple, et combien il a pu ensanglanter l'Europe il n'y a pas si longtemps, d'une façon encore bien plus horrible que le terrorisme actuel. Pour rappel, les nazis étaient majoritairement des chrétiens, catholiques ou protestants, au moins d'origine. Le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'ont guère honoré leur baptême... Il est aussi malhonnête intellectuellement de confondre aujourd'hui Islam et Daesh que christianisme et nazisme il y a septante ans...
La question est : comment combattre cette violence? Sans doute y a-t-il le moyen des armes. Mais cela ne va pas assez loin. Il appartient à chacun de cultiver son fonds propre. Les chrétiens combattront d'abord par la douceur et la miséricorde, en témoignant jusqu'au martyre s'il le faut, comme ils le font déjà : telles sont leurs armes spécifiques. Ils pardonneront à leurs bourreaux et prieront pour eux, sachant que c'est là le moyen le plus conforme à leur vocation en ce monde. Ils se garderont de toute haine, même s'ils doivent combattre militairement. Evidemment, ils se garderont aussi de tout amalgame, de tout racisme, de toute xénophobie. Ils se réjouiront de pouvoir accueillir chez eux l'étranger et lui feront les honneurs de leur pays, assurés qu'en lui, c'est le Christ qu'ils accueillent ("J'étais un étranger, et vous m'avez accueilli.") En un mot, ils cultiveront la force de la douceur, accomplissant ainsi l'une des béatitudes : "Heureux les doux, ils recevront la terre en héritage."
Sommes-nous chrétiens?

dimanche 6 septembre 2015

Les oreilles et la bouche

Comme le sourd-muet de l'évangile, se laisser toucher les oreilles et la bouche par le Christ, de sorte qu'elles en soient assainies. Réapprendre à écouter - soi-même, d'abord, autrui, et Dieu, surtout, qui ne cesse de parler sans s'imposer jamais. Réapprendre  à parler, sur fond de cette écoute, ce qui suppose aussi de réapprendre à se taire.
Quel programme!

jeudi 3 septembre 2015

L'icône et le changement

La photographie du petit garçon mort noyé sur une plage de Turquie n'est pas seulement une image, mais une icône : elle a fait passer bien des personnes de l'autre côté de leurs représentations mentales, de leurs craintes, de leurs idées toutes faites. Comme les icônes peintes dans la foi chrétienne orthodoxe, elle est devenue un lieu de conversion, de bouleversement. Sauf à être inhumain, on ne peut pas ne pas être profondément touché par ce qui n'est plus une illustration du drame migratoire, mais le drame lui-même enfin devenu visible.
Il est essentiel que les citoyens de l'Europe en aient le cœur brisé, car sans cela, c'est l'avenir spirituel de ce continent qui serait impossible - c'est-à-dire son avenir tout court. Il est essentiel que les citoyens de l'Europe apprennent à accueillir les autres, et arrêtent de se prendre ou de se penser pour les plus malheureux du monde. S'ils le peuvent encore, s'ils n'ont pas oublié la portée de ce geste, il est essentiel qu'ils apprennent à partager, car la réalisation de soi est dans le partage.
Du reste, il n'y a dans ce geste aucun danger : l'accueil de l'autre, s'il est conduit avec rigueur autant qu'avec enthousiasme, promeut une société, et ne la détruit pas. Il l'enrichit : le partage multiplie les biens, contrairement à ce que pensent les égoïstes.
Plus encore que les idéologies ou les théories, ce sont les mentalités qui pourront être revigorées par cet afflux de réfugiés. De la plainte ("Nous sommes malheureux, nous sommes sans travail, nous sommes pauvres" - tu parles!, etc.), passer au décentrement de soi, qui est le commencement du bonheur : "Il y a plus malheureux que moi", cet étonnement devant l'autre, vécu comme une surprise au fond bienfaisante. J'ai l'impression que les Européens, souvent, sont comme ces adolescents refermés sur eux-mêmes, "addicts" à leurs jeux vidéos et leurs réseaux sociaux, et dont le seul coup de pied au cul - le seul salut - consiste en la nécessité tout à coup où ils sont d'aider plus pauvre qu'eux, ici ou ailleurs dans le monde. Alors, ils comprennent quelque chose de la vie...
C'est ce que l'on peut espérer de mieux de cette crise importante pour l'Europe et pour le monde, en souhaitant qu'elle ne laisse intacts ni nos vieux réflexes ni les crispations sur nos avoirs...

mardi 1 septembre 2015

La mort de Louis XIV...

Louis XIV est mort... il y a très exactement trois cents ans aujourd'hui, le 1er septembre 1715, vers huit heures du matin, au Château de Versailles, gagné par une gangrène purulente probablement due à un diabète qu'alors on ne diagnostiquait pas. Il avait reçu quelques jours auparavant son arrière-petit-fils, le futur Louis XV,  âgé de cinq ans - tout le reste de sa famille était mort!
Etrange personnage : stature impressionnante, volonté de grandeur - avant De Gaulle, on peut dire qu'il s'était fait, lui aussi, "une certaine idée de la France". Et au fond les Français ont besoin, de façon récurrente - mettons une fois par siècle - de se trouver un homme providentiel. Grandeur des arts et de la culture (architecture, peinture, musique, opéras, théâtre, danse, sculpture, etc.), grandeur territoriale, grandeur de l'étiquette pour mettre à sa botte une noblesse dont la Fronde lui avait appris à se méfier.
Mais misère du peuple, famines, désolation des guerres et injustices liées à un régime qui fut certainement le plus autoritaire qu'ait connu la France (sauf  la Terreur) : on est avec Louis XIV au sommet de la monarchie absolue de droit divin - sur ce dernier point, il était le premier à réfuter la "séparation de l'Eglise et de l'Etat", lui qui  s'arrogeait tout naturellement le droit de nommer les évêques de son Royaume, d'où d'incessantes querelles avec les papes qui se succédèrent pendant son règne.

A Vêpres, ce soir, la liturgie nous fait chanter le psaume 48 : parlant des puissants et des riches de ce monde, il annonce avec sagesse que "à l'aurore, ils feront place au juste; dans la mort s'effaceront leurs visages : pour eux, plus de palais!"

Leçon d'histoire - qui relativise nos pouvoirs d'ici-bas!

samedi 29 août 2015

De l'intérieur à l'extérieur...

"C'est du dedans, du cœur de l'homme, que sortent les pensées perverses." Les versets conclusifs de l'évangile entendu ce dimanche, j'ai voulu les introduire, tout au long de la semaine, par cette longue méditation sur l'oraison.
Si mes propos ont paru, peut-être, un peu complexes, les voici résumés dans leur simplicité évangélique : c'est l'intérieur qu'il faut soigner - et l'oraison est ce soin.
Le reste, l'extérieur, donc, ne sera jamais que le reflet de ce qui se passe . On ne triche pas - du moins, pas longtemps - avec son intériorité.
C'est comme pour je ne sais plus quel yaourt, dans la publicité : "Ce qu'il fait à l'intérieur se voit à l'extérieur!"
Beau dimanche à tous...

vendredi 28 août 2015

L'oraison comme renaissance : "Renais du Vent!"

Parmi tous les passages énigmatiques des Ecritures judéo-chrétiennes (et il y en a beaucoup...), la page qui rapporte, au début de l'Evangile de Jean (Jn 3), la rencontre nocturne entre Jésus et Nicodème constitue sans aucun doute un sommet.
"Tu dois renaître", dit Jésus à ce religieux juif, pétri de convictions et de pratiques (pharisien), mais tout de même curieux de ce "rabbi" si neuf et  qu'il aime à entendre. Nicodème est venu de nuit - métaphore de nos ténèbres intérieures - trouver Jésus, sans doute pour ne pas être vu, surtout pour lui parler de sa nuit.
"Comment un homme déjà vieux peut-il renaître", s'étonne-t-il?" Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et ressortir?"
Quel imbécile!
L'évangéliste aime à se moquer de ces prétendus lettrés, de ces prétendus religieux, de ces prétendus pieux, qui décidément ne comprennent rien à rien. Entendez : il aime à se moquer de nous.
C'est pourtant tout simple, et c'est inattendu : "Renais", dit Jésus. Qui ajoute, pour ceux qui n'auraient pas compris : "Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de tout homme né de l'Esprit."
Ah! Cette renaissance, quel appel à liberté : ni plus ni moins la liberté du vent dans les feuillages et sur les plages et dans les tempêtes et dans les alizés... Sa force et sa douceur : renaître de cela!
L'oraison n'est propriété de personne : "L'Esprit souffle où il veut." Aucune institution n'en est maîtresse - ce pourquoi, du reste, on s'est souvent méfié des "mystiques" dans l'Eglise, cette race dangereuse de priants qui laissent en eux l'Esprit faire son œuvre désordonnée.
L'oraison est ce lieu de renaissance.
Nous pensons tous, je crois, nous sentons bien, pour parler simple, qu'il nous faut "quelque chose d'autre", que nous sommes faits pour un accomplissement. Nous le sentons,  dans le silence de nos oraisons, de  nos nuits intérieures,  de nos trébuchements. Nous sommes tous des Nicodème, trop fiers de nous, trop prétentieux, trop... cons! Braves, sans doute, même désireux de bien faire. Mais tellement cons! Tellement attachés à nos règlements, à nos manières de faire, à nos traditions, tellement craintifs, tellement sûrs de nous (c'est la même chose)...
La douceur compréhensive du regard de Jésus devant notre incroyable connerie, notre prétention ridicule, nos velléités intellectuelles, est quelque chose de si désarmant, que j'en serai, je pense, toujours impressionné.
Le vent est là, qui souffle.
Cette ruah qui planait sur les eaux de la Genèse, et qui d'un mot du Verbe de Dieu fit tout surgir :"Que soit..." "Et cela fut..."
Imaginons-nous la puissance incroyable qui peut s'incarner en nos cœurs pour venir faire œuvre d'oraison, et, de l'intérieur de notre première naissance, nous en offrir une autre, sans cassure, en continuité avec la première, mais en même temps toute nouvelle?
Le christianisme est d'abord là, en son lieu le plus intérieur : "Renais du Vent!"

jeudi 27 août 2015

Sur l'anamnèse dans l'oraison

J'aime le mot "anamnèse", qui ressortit au vocabulaire médical aussi bien que théologique. En médecine, l'anamnèse est la mémoire de nos maux : le praticien nous demande de nous souvenir des maladies qui furent les nôtres, des symptômes, des atteintes. Cette connaissance de notre passé lui est indispensable pour nous suggérer des thérapeutiques. En théologie, on sait que le terme désigne l'acclamation de l'assemblée qui, au cœur de la Prière Eucharistique, suit la consécration du Corps et du Sang du Seigneur : "Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus! Nous célébrons ta résurrection! Nous attendons ta venue dans la gloire!" Ici, mémoire est faite également, mais c'est une mémoire du salut - la mort, la résurrection et la parousie du Seigneur sont lieux de notre délivrance.
L'oraison est œuvre de mémoire : l'Esprit qui prie en nous fait remonter à notre cœur conscient des sentiments enfouis, et surtout les causes des traumatismes oubliés qui nous firent ce que nous sommes, qui nous tissent en nos profondeurs. Nos blessures nous constituent, en effet, que nous avons reçues tout enfants encore et peut-être déjà in utero, non qu'on ait voulu nous blesser toujours, mais souvent par des maladresses ou des empressements qui nous ont égratignés. Nous sommes tous blessés - ce pourquoi, du reste, nous sommes blessants. Laisser venir à notre vie consciente le souvenir enfoui de ces coups jadis reçus, apprendre à pardonner à ceux qui nous les portèrent (même s'ils sont morts...), c'est nous disposer à accueillir en nous la guérison.
Le Verbe que l'Esprit Saint forme en nous dans l'enfantement intérieur,  c'est Jésus aujourd'hui comme hier guérissant les blessures et les blessés. Sur les routes de Palestine, ne fut-il pas d'abord ce thaumaturge soucieux de soulager, de réconcilier, de relever - ce pourquoi les foules en un premier temps le suivirent avec enthousiasme? Ce qu'il fut de son vivant historique, il le reste pour nous, Ressuscité et ressuscitant, manifestant en nous l'identité du Père aimant qui veut restaurer l'humanité dans sa grâce.
Oraison, double anamnèse, double travail : accueil des souvenirs perdus, et, à mesure, de la guérison proposée.
Proposée : car tout est laissé à notre liberté. Ainsi que Jésus le demande d'abord à l'homme malade depuis trente-huit ans, couché au bord de la piscine de Bethzatha, "Veux-tu être guéri?" (cf. Jn 5, 6)
Voulons-nous guérir?

mercredi 26 août 2015

Sur l'oraison, encore, et la "présomption d'innocence"

A ce stade du descriptif de l'oraison, j'entends l'objection : "Mais de quoi nous parle-t-il? ce 'ruisseau d'infamie', ce genre d'expression, pour désigner quoi? Moi, je suis 'sain(e)', et non pas flétri(e) depuis toujours, mon enfance fut bonne, je n'ai pas de pensées criminelles, j'ai été bien élevé(e), qu'il pense cela pour lui s'il le veut, mais sans le projeter sur tous, etc."
C'est ce que j'appelle la "présomption d'innocence", important ce concept du droit dans la psychologie spirituelle : nous serions tous purs et béats, candides comme l'enfant qui vient de naître. Rousseau a repris cette idée que je ne partage pas, d'un être humain naturellement bon, mais devenu mauvais par la culture qui l'entoure. Moi, je suis plus enclin à penser, avec Augustin, à une forme de malice dont nous ne sommes évidemment pas coupables - mais quelquefois complices, à un entraînement du cœur humain vers la duplicité, à  ce que Mauriac un jour dans un formidable roman (noir) appela "Le nœud de vipères".
Et l'objection de l'innocence revendiquée me semble pire que tout : elle contribue à la dissimulation, à la non-vérité, au non-vouloir de la vérité, comme chez ces alcooliques qui nient jusqu'à l'absurde leur comportement ("Moi, boire, jamais!")
La vérité sur nous-mêmes n'est pas si belle que ça - elle n'est pas si laide, non plus.
Elle est, plus que la sincérité, une opération lente et nécessaire pour advenir à nous-mêmes, pour apprendre qui nous sommes, pour rendre grâce des dons et évaluer l'étendue des dégâts.
Sans cet exercice (cette "ascèse", dit le grec), pas de vie spirituelle possible. Pas de vie chrétienne possible - nous resterions toujours à l'extérieur de nous-mêmes, dans la représentation théâtrale de nous-mêmes, dans l'illusion d'être vraiment le personnage (le masque) que nous jouons à nous en faire crever.
Etre délivré des faux-semblants, c'est notre premier devoir. Et l'oraison - ou, mettons, simplement, la prière - nous en offre la faculté.
A un ami qui lui parlait de prière, quelqu'un - un intellectuel belge, réputé et en effet savant - répondit trop brusquement : "La prière est-elle exaucée?" Celle dont je parle l'est toujours.

mardi 25 août 2015

Sur le contenu de l'oraison

Et donc, que se passe-t-il quand il ne se passe rien?
Quel est le contenu de ce moment à la fois dans le temps et hors du temps, où le cœur de Dieu rencontre un cœur humain?
C'est l'Esprit qui est à l'œuvre, l'Esprit Saint de Dieu que nous reçûmes au baptême, à la confirmation et à chaque Eucharistie célébrée depuis que nous y communions : il y a un lien constitutif entre les sacrements de l'initiation et la prière proprement chrétienne, même si bien sûr l'Esprit "souffle où il veut" et n'est pas encagé dans nos institutions, fussent-elles sacramentelles...  L'Esprit féconde notre cœur, comme une fois dans l'histoire des hommes il a fécondé le sein de la Vierge Marie - pour qu'en nous aussi naisse le Verbe de Dieu, qui viendra se raconter en nous et raconter en nous l'histoire de Dieu tandis que nous rassemblerons sous son regard nos histoires humaines.
Car l'Esprit nous rend d'abord capables de nous rassembler peu à peu sous le regard de Dieu, de rassembler nos vies - nous sommes à nos propres yeux les premiers inconnus, Dieu seul nous connaît et peut nous livrer cette connaissance sur nous-mêmes. Dans l'oraison, nous voyons nos vies éparpillées, livrées depuis l'enfance à leurs démons - le délire d'être ce qu'on n'est pas, voire la fabulation, le narcissisme à fleur de peau, l'usage ou même le mésusage d'autrui et, comme me dit avec humour une chère et vieille amie, "la persévérance dans la mauvaise conduite." Nous voyons nos excuses trop faciles ("C'est plus fort que moi"), nous nous sentons immergés dans nos ruisseaux d'infamie. Nous apprenons peu à peu la vérité sur nous-mêmes - démarche qui n'est pas sans accointance avec la psychanalyse (et que quelquefois la psychanalyse peut aider, lors de blocages) mais qui me paraît aller plus loin que cette thérapie.
Ce "plus loin" est l'autre contenu : Dieu lui-même vient, en Jésus, se raconter encore aujourd'hui dans nos histoires d'hommes et ce que nous pressentons de nous-mêmes comme une boue infernale, nous en sommes par lui peu à peu tirés, sauvés. Il nous ressuscite de nous-mêmes, de la tombe que souvent notre cœur constitue pour nous-mêmes : la résurrection est pour chacun de nous d'abord une réalité spirituelle, dans son lieu le plus intérieur.

lundi 24 août 2015

Sur la difficulté de faire oraison

Par "oraison", j'entends ici un certain type de prière : la prière silencieuse, sans support textuel devant les yeux, que l'on pratique dans sa chambre ou dans la solitude d'une chapelle. La question, l'inévitable question première, est celle de la peur du vide, du silence, pour nous qui sommes tellement environnés de bruit. Que se passe-t-il, quand il ne se passe rien? C'est la grande difficulté de l'oraison,  celle de son début, qui est consentement à ce sentiment d'ennui (dès que l'on se met en silence, on a toujours "du lait qui bout sur le feu", des coups de fil à donner, des choses pratiques à régler. Normal.) Et au fond, la difficulté du début demeure durant tout le temps de l'oraison, et durant tous les temps pris dans une vie humaine pour "faire oraison" : on y est toujours un débutant.
Ce sentiment de l'ennui vient de très loin en nous : des première années,  déjà - "je m'ennuie", lamentation de l'enfant délivré des jeux et posté au bord de soi-même. Ennui d'être seul avec soi. Souhait d'être "dis-trait" de soi, tiré hors de soi. Et il est vrai que le monde extérieur nous convoque à la visite, à l'exploration.
Mais le monde intérieur n'est pas moins vaste.
Et dans les deux cas, l'appel au voyage vient du Même : le Créateur souhaite la curiosité de sa créature, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, les deux visites du reste s'appelant l'une l'autre et se fécondant mutuellement.
L'oraison silencieuse est bien un voyage, dont la mise en route est difficile - quitter le port d'attache, toujours, est une aventure à laquelle on ne consent pas sans quelque frayeur.
Mais un grand, un immense désir nous y convie.
Et si l'on se demandait pourquoi?

samedi 22 août 2015

"Cette parole est rude! Qui peut l'entendre?"

Ce dimanche, nous lisons en saint Jean la réaction des auditeurs de Jésus à son long discours sur "le pain de vie". "Cette parole est rude! Qui peut l'entendre?", disent-ils. Un moment donné, dans son itinéraire spirituel, chacun  est confronté à la rudesse de la proposition chrétienne : celle-ci a pu paraître séduisante quelque temps (et elle l'est en effet par certains côtés), elle a pu sembler aller de soi - les habitudes ont la vie dure. Mais on n'échappe pas, un jour ou l'autre, à un choix, dont Jésus du reste signale que c'est le Père lui-même qui donne d'y répondre favorablement : "Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père."
Ce choix est celui d'une cohérence, d'un engagement de tout soi-même auquel, confronté aux circonstances, on est sommé de consentir à nouveau régulièrement. Il ne s'agit pas d'une affaire intellectuelle, mais d'une décision vitale, qui englobe tous les aspects de la vie, une  façon de se positionner dans la société, d'y travailler, d'y œuvrer, de s'y démener, d'y prendre parti ou du moins d'y prendre la parole, etc.
S'il y a un aspect positif dans la "crise des migrants" actuelle - et il y en a plus d'un, très certainement - c'est que cette situation d' "abordage" de l'Europe par des populations pauvres, chassées de chez elles, longtemps ignorées ou méprisées, oblige les citoyens que nous sommes à prendre parti : quelle humanité voulons-nous? Acceptons-nous de renoncer à une part de notre confort pour accueillir des gens qui n'ont rien? C'est probablement le plus beau défi collectif lancé à l'Union Européenne depuis sa création. Et, bien entendu, ce n'est pas étranger au "choix" de la foi rappelé plus haut et décrit dans l'évangile d'aujourd'hui...
"Cette parole est rude! Qui peut l'entendre?"

samedi 8 août 2015

La chair de Dieu

"Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour la vie du monde." (Jn 6, 51) Ainsi se conclut le passage évangélique que nous lisons ce dimanche, ce nouvel extrait du discours sur "le pain de vie" qui est l'un des plus formidables de l'évangile de Jean.
Ce verset mérite qu'on s'y attarde : Jésus nous parle de sa "chair" (en grec, sarx), qui n'est pas seulement le corps (en grec, sôma), mais la réalité tout entière d'une vie terrestre, "incarnée", comme nous disons fort justement. Une vie "dans la chair", c'est une vie faite de travail, d'amitiés, de fraternité, de partages, de prises de parole, de prises de position, etc. Et la chair de Jésus, nous savons de quoi elle est faite : ce qu'il a dit, ce qu'il a montré, c'est une sollicitude constante pour les exclus et les démunis, c'est une parole incisive sur la justice, la vérité, la fraternité, c'est un don de soi pour l'autre jusqu'à vivre encore comme un don la mort injuste qu'on lui inflige.
Si le chrétien est celui qui se nourrit du Christ, c'est de cette "chair-là" qu'il se nourrit. Sa prière est rumination de la "sainte humanité" de Jésus, comme disent bien des auteurs spirituels - Ignace de Loyola, par exemple. Cette chair-là devenue nourriture de nos vies transforme celles-ci, en font des semences et des foyers de Vie éternelle dans le monde.
Voilà pourquoi le christianisme n'est pas seulement ou n'est pas d'abord une philanthropie, même très généreuse. Le service rendu au monde ("la vie du monde", dit Jésus) va beaucoup plus loin qu'un soulagement, même s'il passe par lui : l'union sens cesse reprise du chrétien  au Christ instille dans le monde, dans la trame du monde, dans le temps qui passe, dans l'espace éphémère, quelque chose de la Vie d'amour de Dieu, de l'éternité de Dieu, du Royaume de Dieu. Les chrétiens qui sont au Christ, s'ils sont au Christ, sont des passeurs de Vie dans ce monde chaviré. Avec le Christ, ils y sont la chair de Dieu.

mardi 4 août 2015

De bien mauvais souvenirs...

On apprend aujourd'hui (information relayée par The Telegraph) que la Hongrie a requis 500 chômeurs pour la construction d'une frontière anti-immigration d'environ 175 km devant la Serbie. Faute de se prêter à ce travail, les susdits chômeurs perdraient leur allocation (déjà fort minime), une allocation fortement menacée en tous les cas à partir de 2018 si l'actuel gouvernement reste en place. Avec des miradors, la frontière de barbelés?
Ah, les mauvais souvenirs...
Et l'Europe qui ne bronche pas!

dimanche 2 août 2015

Croyant, chrétien?

Les lectures bibliques de ce dimanche nous interrogent sur notre foi et, spécifiquement, notre foi chrétienne.
Il se peut que, pour nous aussi, comme pour le Peuple de l'Exode, la foi commence par un regret : il n'y a plus de sécurité, plus de filet, nous avons tourné le dos aux protections provisoires - dérisoires, aussi - que nous avons si beau jeu de placer entre la mort corporelle et nous-mêmes. Nous avons tourné le dos à tous ces biens matériels censés retarder pour nous ou nous faire éviter l'inévitable. Car c'est cela, la foi : tourner le dos à tout ce dont nous devenons vite esclaves, et se fier à la route désertique où Dieu seul pourvoit à nos vies. Où Dieu seul nourrit (et comment! Voyez le festin de ce soir-là au désert : des cailles pour tout le monde!) Mais le choix de croire - en ce sens du terme - est à reprendre chaque jour, puisque chaque jour en nous se réveille la nostalgie des sécurités abandonnées, ou relativisées, la nostalgie des "marmites de viande" qui nourrissaient si bien les esclaves que nous étions en Egypte, les esclaves que nous risquons toujours de redevenir...
Est-ce ainsi que nous sommes "croyants", quand nous nous disons "croyants"? Est-ce dans cet abandon de tout nous-mêmes?
Jésus va plus loin encore, et le christianisme avec lui : "Travaillez à l'œuvre de Dieu, dit-il : croyez en moi." Pourquoi en lui? Pourquoi pas en d'autres, pourquoi pas en Confucius, en Lao Tseu, en Bouddha, en Socrate, ou en... personne? Parce que nous reconnaissons en lui l'œuvre de Dieu, l'œuvre d'amour, qui s'accomplit, parce que nous goûtons en lui, le vrai Vivant, la Vie que plus rien ne vient limiter. Parce qu'il est le pain, la nourriture, de cette Vie-là en nous, et que dès lors tout le reste, même le plus utile, est secondaire. D'abord, qu'il nous nourrisse...
Est-ce ainsi que nous sommes "chrétiens", que nous sommes au Christ, quand nous nous disons "chrétiens"? Est-ce dans cette remise de tout nous-mêmes à "Celui-là" - "Celui-là" qui ose dire : "Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim; celui qui croit en moi n'aura plus jamais soif"?
A vérifier...

mardi 28 juillet 2015

Un mois après...

J'ai pris quelques vacances et quelques distances aussi, pendant un mois, avec ce blog, vous l'aurez observé, chers amis lecteurs.
Pourtant, que d'événements!
La Grèce, d'abord : j'y étais au moment du referendum, et encore une semaine plus tard au moment du "désenchantement". Il y a eu tant et tant de commentaires, et en tous sens, que l'on hésite à placer son point de vue. Pourtant, le voici : à mon sens, c'est l'Europe qui est malade, parce qu'elle veut se construire sur des critères uniquement ou d'abord financiers, et que la finance ne peut pas mener le monde, ni même l'économie. La finance est au service des peuples, elle ne saurait devenir leur maîtresse - ou pour le dire en termes bibliques, l'idolâtrie de l'argent est un asservissement épouvantable, ne promet qu'un ersatz de bonheur et enferme les personnes dans la misère morale. C'est ce que nous rappelle le pape à longueur de jours, lors de son voyage exemplaire en Amérique du Sud par exemple ou dans son Encyclique Laudato si'. On ferait peut-être bien non seulement de l'écouter, mais de conformer nos pratiques à ses recommandations, faute de quoi je ne donne pas cher de nos "richesses" supposées.
Les migrants, ensuite, encore et toujours. L'Autriche va construire une espèce de "mur", l'Europe se déshonore par ses lenteurs à programmer un accueil de jour en jour plus nécessaire. Tout ce protectionnisme est non seulement inutile (les migrations aussi puissantes sont plus fortes que tout), mais bas : l'avenir de nos pays est dans l'accueil de l'autre, du moins riche, de celui qui tente de fuir la misère, et certainement pas dans le repli sur soi. C'est le défi premier, économique, politique et surtout éthique, de l'Europe dans les mois à venir.
Nos paroisses, leur vie, aussi : les jeunes partis dans les camps, les enjeux formidables de ces rencontres et la générosité des aînés pour l'animation de tous. Remarquable! Les visites m'ont valu un plongeon avec ma voiture dans un bassin de carrière (non signalé) samedi dernier, avec les conséquences que l'on devine, mais qu'à cela ne tienne : il faut sans cesse rappeler combien ces mouvements sont précieux, qui donnent aux jeunes de chez nous l'occasion d'un vivre-ensemble de première qualité. C'est là qu'ils apprennent les solidarités dont j'ai parlé plus haut... et qui devront les guider pendant toute leur vie.
Doucement, déjà, la rentrée se profile avec  des enjeux toujours nouveaux et pourtant toujours identiques : le premier d'entre eux consiste à approfondir la qualité de nos vies communautaires, de nos mises en commun, de nos "communions" de toutes sortes, en matière sociale, liturgique, intellectuelle. Du pain sur la planche...

dimanche 28 juin 2015

Princière procession...

Une nouvelle fois, le Comité de la Procession d'Enghien a fait merveille : avec persévérance, avec enthousiasme, ses membres ont réussi l'organisation d'un événement qui fait vibrer la Cité tout entière. Du reste, une nouvelle "statue", fort sympathique, était de sortie : celle du "Titje" qui dit un peu l'esprit d'Enghien, sa joie de vivre, sa bonhommie, son grand cœur, aussi.
Le temps était de la partie et, comme toujours, les gens d'Enghien, sur le seuil de leur maison, accueillaient le Saint Sacrement avec une certaine gravité. C'est l'une des "récompenses" de mon ministère, ici, comme doyen, de voir comment les citoyens sont accueillants, même s'ils ne sont pas particulièrement croyants, à la visite chez eux du Christ lui-même dans l'Hostie exposée.
Cette année, aussi, la famille princière de Chimay était présente et a été impressionnée par la simplicité, l'authenticité et le caractère rassembleur, citoyen, de cette Procession. Je suis un vieil ami de la Princesse Elisabeth - 89 ans! - qui était là avec son fils, le Prince Philippe de Chimay et sa belle-fille la Princesse Françoise. J'ai dit dans mon petit mot de remerciement combien ces grandes familles de notre pays n'éveillent pas seulement en nous la reconnaissance de la mémoire, mais l'urgence de protéger des valeurs dont elles continuent d'être porteuses. D'avoir ce matin à nos côtés les Princes de Chimay était une vraie joie, et une chance. Qu'ils soient encore une fois profondément remerciés.
Et vive Enghien!

dimanche 21 juin 2015

La joie de Jehanne

Elle se tenait toute droite, ce matin à l'église, dans sa jolie robe blanche, aux côtés de ses parents et de ses proches. Jehanne - onze ans - avait demandé à pouvoir communier pour la première fois au Corps du Christ, et elle l'a fait simplement, entourée d'amitié et de prière. Elle a illuminé sans rien dire, par son sérieux, par  une certaine gravité qui trahissait sa joie profonde, notre célébration  festive (les arbalétriers - parmi lesquels le grand-père de Jehanne - tenaient pendant la messe leur serment), et chantante, marquée toutefois par l'annonce du décès, hier, de Nicolas, ce grand jeune de vingt-neuf ans mort du cancer contre lequel il a lutté jusqu'au bout en nous "bluffant" tous. Il y avait, comme souvent dans l'église d'Enghien, de la tristesse et de la joie mélangées, il y avait la vie d'une communauté qui trouve là son lieu de rassemblement, de recueillement, d'épanchement.
Jehanne, là-dedans, à la troisième rangée, était lumineuse, elle ensoleillait l'ensemble...
Je suis le témoin de tout cela, et j'ai ce soir un cœur rempli de gratitude pour ce qu'il m'est donné de vivre, d'entendre comme confidences, de partager comme douleur, de souligner comme joie, comme victoire - j'ai été ce soir, dans la prière, presque jeté à genoux dans la reconnaissance pour la vie, pour cet extraordinaire débordement de vie, de Vie, qui est palpable ici dans la communauté des chrétiens et, bien au-delà, des citoyens, d'Enghien et de Silly.
Derrière chaque porte (j'en connais beaucoup maintenant, après six ans), je sais la misère cachée, mais je sais aussi la joie secrète, et l'espérance inébranlable.
Et le mystère des petites filles un peu graves qui, de tout leur cœur, veulent faire de Jésus un plus intime compagnon en communiant à son Corps, avec le sérieux de leur âge et la délicate beauté de leur geste, et qui brillent comme des étoiles dans nos églises...

mardi 16 juin 2015

Un égoïsme qui confine à la bêtise...

Un nouveau groupe parlementaire vient d'être créé au sein de l'Union Européenne. Il rassemble des députés de sept pays représentant des partis de la "droite extrême" et semble présidé par Madame Le Pen. Qui, l'inaugurant, a déclaré, à propos des migrants bousculés aux portes de l'Europe : "Qu'ils le sachent : nous n'avons rien à leur offrir, ni soins de santé, ni éducation, rien."
Ce même soir, les journaux télévisés, donc, diffusent des images honteuses de ces pauvres gens refoulés et presque battus dès qu'ils essaient de progresser sur le sol européen.
Parmi eux, des enfants, des femmes, des jeunes - des jeunes de l'âge de ceux de chez nous qui sont en train de passer des examens scolaires, tiens, et qu'à juste titre nous entourons de tous nos soins. Des jeunes pareils, exactement, avec les mêmes rêves, les mêmes droits, les mêmes intelligences, les mêmes ambitions légitimes, avec au cœur la même envie de bonheur. Et s'ils ne restent pas chez eux, c'est que, chez eux - et souvent par la faute des puissances occidentales, par notre faute - il n'est plus possible de vivre, ni même de survivre : famine et  guerres (à coup d'armes fabriquées dans nos pays, par exemple) empêchent toute civilisation et tout exercice de la dignité humaine.
L'Europe regarde, les bras (à peu près) croisés sur sa poitrine de grosse dame bourrelée, débordante de gras, emperlouzée, ces encombrants voisins du sud qui viennent mettre un pied sur un bout de terre plus clément, et les repousse à l'eau d'un air arrogant et dédaigneux.
Et il faut continuer à enseigner les Droits de l'Homme à nos élèves et à nos étudiants? Et dire que nous en sommes les patries?
Il ne m'étonnerait pas qu'un jour, un sale jour, on nous fasse croire qu'il est normal de tirer sur eux, de tirer à vue, comme sur des bandits ou sur des animaux nuisibles. C'est la logique des propos de Madame Le Pen.
Elle a beau se brouiller avec son père sur certaines formules peu honorables, le contenu reste pareil, toujours : mépris de l'autre et douloureux rappels de pages historiques que l'on croyait tournées. Brr, même si c'est bientôt l'été, que cela fait froid dans le dos!
Les chrétiens, eux, seront toujours du bon côté - je veux dire du côté de la bonté : du côté de ceux qui coulent. Ils plongeront avec eux. Ils ouvrirons leurs cœurs et leurs portes. La seule logique est celle de l'accueil - et que l'organisation suive, certes, mais d'abord, oui, d'abord, si nous voulons pouvoir nous regarder encore dans les miroirs de nos vies, ouvrir généreusement les bras.

jeudi 11 juin 2015

Le "Sacré Coeur de Jésus"

Après la Trinité, après le Saint-Sacrement, ces fêtes qui sont comme des espèces de rebonds du temps pascal après le temps pascal et la Pentecôte, voici, pour conclure, la solennité du Sacré-Coeur de Jésus que l'Eglise célèbre demain vendredi. La désignation semble surannée, le mot fait vieillot. Que cache-t-il?
C'est "l'amour du cœur de notre Dieu".
Le cœur de Jésus, c'est le cœur de Dieu, c'est le lieu d'où sourd son amour.
Un amour pour tous les hommes, absolument tous.
Un amour qui pardonne à tous, une miséricorde absolue, définitive.
Un amour qui donne tout - qui donne la vie et aussi la Vie par-delà la mort.
Un amour qui réconcilie, qui ne se lasse jamais d'aller chercher, rechercher, la brebis perdue, non pour la "remettre dans le droit chemin", mais pour lui dire combien elle est attendue, désirée.
Un amour jamais lassé d'espérer en ceux qu'il aime.
L'amour du cœur de Dieu, c'est la source de toute la foi chrétienne - hors cet amour, la foi ne serait que doctrine ou morale ou discipline, quelque chose de sec, de mortifère.
C'est par cet amour et pour le montrer que Jésus est né dans le monde, qu'il y a grandi, y a vécu, y a prêché; c'est pour montrer cet amour qu'il y a guéri les malades et ressuscité les morts; qu'il a consenti à donner sa vie; qu'il a traversé la mort en vainqueur et pour vaincre encore; qu'il a promis l'Esprit du Père et nous l'a envoyé; qu'il a choisi les Douze et appelé l'Eglise.
C'est pour cet amour-là que nous sommes chrétiens, et pour rien d'autre.

vendredi 5 juin 2015

L'Eucharistie, un sacrifice?

Ce dimanche, nous célébrons le Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, qu'on appelait autrefois la "Fête-Dieu", fête de l'Eucharistie.
... "le sacrifice pur et saint, le sacrifice parfait, pain de la vie éternelle et coupe du salut", comme le proclame le Canon Romain (la Première Prière Eucharistique), où l'on entend "le" un peu dans le sens de l'anglais "the", "l'unique sacrifice, le sacrifice par excellence".
Dans nos mentalités, le mot a du mal à passer, aujourd'hui...
Alors, revenons-y.
Le Premier Testament nous habitue à des rituels de sacrifices d'animaux, comme en rapporte la première lecture tirée de l'Exode, où le sang ainsi répandu est censé jouer un rôle de conciliation avec Dieu. Par rapport à des pratiques antérieures ou concomitantes dans d'autres religions, les animaux étaient une substitution  : pour les Juifs pieux, il n'était pas concevable de sacrifier des êtres humains. Mais la vie (le sang) ainsi offerte était épandue pour rapprocher l'offrant et son Dieu, source de toute vie. L'idée centrale du sacrifice ("faire du sacré") est en effet de diviniser la vie humaine, de lui conférer sa plus haute dignité. C'est-à-dire, d'abord, de la purifier : ainsi Moïse, dans le passage déjà évoqué, asperge-t-il le Peuple avec ce "sang de l'alliance", pour qu'il soit purifié de ses péchés, et se rapproche de Dieu.
A l'époque de Jésus, la même conviction sous-tend les sacrifices offerts au Temple par les prêtres : le sang des animaux est abondamment répandu pour rapprocher Dieu et le Peuple, et sanctifier ce dernier. L'idée que la mort de Jésus puisse être "sacrificielle" ne pourrait  absolument pas germer dans cette conception : son exécution est considérée, très certainement, par les prêtres et les religieux Juifs,  comme l'aboutissement d'un double procès et l'extirpation d'un faux prophète, d'un mauvais sujet.
C'est dans la foi à la résurrection que la mort de Jésus va être ré-interprétée, comme le fait la Lettre aux Hébreux (deuxième lecture de ce dimanche) : l'offrande que Jésus fait est définitive, le sang qu'il verse lui-même fait de lui le prêtre définitif et la victime définitive. Désormais, et pour toujours, Dieu et l'homme se sont rapprochés, la Vie a rejoint la vie et la féconde souterrainement, le Peuple est purifié, les péchés sont pardonnés. Le sacrifice est accompli, une fois pour toutes.
La parole du prophète Osée, surtout, est réalisée : "Je veux, avait dit Dieu par sa bouche, la fidélité et non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes." (Os 6, 6) En l'offrande de Jésus, cette mort vécue par lui comme un don volontaire et aimant, nous savons qui est Dieu : miséricorde et pardon, jusqu'au bout. Et quiconque s'approche de cette connaissance apprend la miséricorde et le pardon.
Dans la Pâque juive, le pain azyme (non levé) signifiait certes l'urgence des préparatifs pour l'exode, mais aussi la purification du cœur (le levain, le fermenté, ce n'est pas pur.) Les chrétiens d'Occident ont gardé la coutume de célébrer l'Eucharistie, perpétuation toujours et partout de l'unique sacrifice de Jésus, avec du pain azyme - nos "hosties" : manière de dire aujourd'hui encore ce qu'est ce sacrifice. Non pas un acte sanglant, mais une manière de faire entrer Dieu dans nos vies d'hommes, et donc l'appel à nous purifier de nous-mêmes pour lui laisser la place.
Ainsi lisons-nous mieux peut-être le texte de la Lettre aux Hébreux, proclamé lors de cette fête  : "Le Christ, poussé par l'Esprit éternel, s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant." (He 9)