dimanche 27 août 2023

Le cri d'amour de saint Augustin

 Aujourd'hui - si nous n'étions pas un dimanche - nous célébrerions la mémoire de sainte Monique, mère d'Augustin, avant, demain, de fêter son fils. Parmi les innombrables écrits de saint Augustin - plusieurs bibliothèques! - Les Confessions reste un texte majeur, écrit vers 399, à l'âge de quarante-cinq ans, à la fois autobiographie spirituelle et méditation sur la foi chrétienne.

Dans la surprenante traduction de Frédéric Boyer, lisons ce cri d'amour glané au Livre XII :

"Vérité. Lumière de mon coeur. Ne laisse pas ma part obscure me parler. Je suis dispersé là-bas. Je suis obscur. Mais là, même là, je t'ai aimé à la folie. Je me suis perdu et je me suis souvenu de toi. J'ai entendu ta voix derrière moi. Reviens. J'ai mal entendu à cause du vacarme d'une impossible paix.

Maintenant, regarde, je reviens vers ta source. En feu. Le souffle coupé. Personne pour m'en empêcher. Je vais la boire. Je vais en vivre. 

Je ne suis pas ma vie. Je vis mal de moi. J'ai été ma mort.

En toi je revis. Parle-moi. Explique-moi. J'ai cru tes livres. Les violents mystères de leur parole."

(SAINT AUGUSTIN, Les Aveux, trad. F. Boyer, Paris, P.O.L., 2007, p. 342)

dimanche 20 août 2023

Quand une païenne "évangélise" Jésus : moment décisif pour la foi chrétienne

 Jésus est d'abord réticent face à l'appel de la Cananéenne (une païenne, non-juive) qui lui demande, dans l'épisode évangélique proclamé aujourd'hui, de guérir sa fille "tourmentée par un démon" (Mt 15, 21-28). Il n'a, lui dit-il, été envoyé "qu'aux brebis perdues d'Israël" et il ajoute, devant l'insistance de la femme, qu'il "n'est pas bon de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens", manière peu flatteuse de comparer juifs et non-juifs. Mais la réponse de cette femme va, si l'on ose ainsi dire, "évangéliser" Jésus, en tous les cas va le pousser à accepter que le message de salut dont il est porteur est destiné à tout le monde. Avec bon sens, la femme a dit que, comme les petits chiens, elle était prête à se contenter des miettes tombées de la table. Cette humilité et cette foi ("Femme, grande est ta foi") emportent l'accord du Maître.

Toute sa vie, Jésus s'est heurté au courant pharisien - dont il était pourtant proche. Un courant qui se méfiait des païens et de leur fréquentation, craignant une espèce de contamination de la foi juive, soucieux au contraire d'en préserver la pureté par l'observance tatillonne, voire obsessionnelle, des rites et préceptes de la Torah. Saint Paul  plus tard, lui-même Pharisien, vivra sa conversion comme un passage de cette obsession à l'ouverture aux païens, devenant l'Apôtre des Nations et substituant la grâce et la foi à l'économie désormais dépassée de la Loi. Jésus avait tracé la voie...

Mais le pharisaïsme nous guette toujours. Nous pouvons aussi, nous chrétiens, vivre notre appartenance au Christ comme un privilège et oublier qu'elle est une mission : notre foi chrétienne, c'est un judaïsme qui s'ouvre perpétuellement à la nouveauté, aux autres, aux différents. L'oublier nous renferme sur nous-mêmes, sur nos identités - identités certes nécessaires, mais qui ne servent à rien et deviennent même dangereuses si elles sont de repli : pour rester vivantes, elles doivent rester à l'écoute. A l'écoute des personnes et des cultures rencontrées, sans cesse diverses. A l'écoute des autres religions ou des autres conceptions de la vie. A l'écoute des aspirations et des revendications, comme des volontés de réalisation de soi. Bref, un échange et un dialogue doivent sans cesse être repris entre les chrétiens et ceux qu'ils croisent. La foi chrétienne n'existe que risquée dans cet exercice. Sinon, elle sera préservée comme dans du formol : intéressante à observer comme un objet archéologique, sans doute. Mais morte...

vendredi 11 août 2023

Deux grandes dames et un poète

 Se sont-elles donné le mot? A quelques jours de distance seulement, deux grandes dames qui furent aussi, pour mon bonheur, deux grandes et fidèles amies, se sont envolées de cette terre. D'abord la Princesse Elisabeth de Chimay, 97 ans, que je connaissais depuis près de quarante ans - que de souvenirs communs, de vacances partagées, de voyages, de rencontres, de traversées d'événements heureux ou dramatiques... Les funérailles, lundi dernier à Chimay, ont rassemblé la ville entière dans une commune émotion. Aux fenêtres de bien des maisons, une photo en berne d'Elisabeth - c'est dire si elle était aimée et si les chimaciens lui sont reconnaissants!

L'autre grande dame, c'est Hélène Carrère d'Encausse, 94 ans, qui me faisait avec son mari Louis la faveur de son amitié, elle aussi. Tout le monde a dit l'érudition, la finesse d'esprit et l'élégance de cette académicienne, qui donna sa dernière conférence publique à mon invitation, ici à la Cathédrale de Bruxelles, le dimanche 12 mars dernier, et avec un brio qui avait ébloui les nombreux participants. Ses funérailles sont célébrées aujourd'hui à Paris, en l'église Saint-Germain-des-Prés que, tout en étant orthodoxe, elle fréquentait souvent.

Deux grandes dames qui ont beaucoup compté pour moi, et je compte encore sur elle - d'où elles sont maintenant, de cette intimité divine qui est désormais la leur, j'attends leur prière!


Mais la liste des défunts n'est pas close : avant-hier on a appris le décès, semble-t-il brusque, de mon ami Lucien Noullez. Ce poète bruxellois d'origine wallonne était connu et reconnu pour la délicatesse de ses vers et la pertinence de son Journal. Il était aussi l'une des chevilles ouvrières des "messes festives" de la Cathédrale, et ses funérailles seront célébrées ce lundi 14 à Anderlecht (Saint-Guidon). De lui aussi, j'espère l'intercession - grande est la prière des poètes!