mardi 28 septembre 2010

Poème du soir et de la nuit

Comme souvent après une journée fatigante - et celle-ci le fut!, après une réunion où l'on parlé de finances (et il le faut bien!), et avant d'aller dormir, j'ouvre un recueil de poèmes, et c'est Patrice de la Tour du Pin, encore une fois lui, qui dira pour moi, pour nous, la prière du soir :

La fin de ce jour est-elle très triste pour toi, - mon Dieu qui es amoureux des hommes?
Fais-nous ce don, ô Père, d'avoir dégoût du mal, - pour que nos sens aident l'esprit à s'élever.
Ô Père, de prendre goût aux choses divines plus qu'aux autres, - pour que nous ne soyons pas
trop divisés dans notre besoin de bonheur.
Ô Père, de sacrifier les plaisirs moindres que les joies, - de nous complaire en Toi dans les
autres.
Fais-nous ce don, Ô Père, de laisser libre - le lit de notre gorge pour que ton amour puisse y
passer.
Ô Père, de ne pas nous laisser nous tromper de bonheur, - de ne pas être triste pour de
mauvais regrets.
Ô Père, d'alléger les choses trop lourdes, - ô Père, de nous endormir sans épouvante
dans ton sourire.


P. de la TOUR du PIN, Une somme de poésie. I. Le jeu de l'homme en lui-même, Gallimard, 1981, pp. 422-423.

samedi 25 septembre 2010

Une nouvelle école à Enghien

J'ai eu la joie, cet après-midi, d'inaugurer et de bénir la nouvelle école Saint-Nicolas à Enghien, école paroissiale qui regroupe déjà 250 élèves sur une vingtaine de classes pour les deux dernières années de l'enseignement fondamental. Devant un parterre d'autorités multiples, j'ai pu rappeler combien l'Eglise se soucie depuis toujours de l'enseignement, non tant dans une perspective d'accumulation encyclopédique de savoirs, mais au sens étymologique de "faire signe", de rendre la vie signifiante : in -signum, dit le latin.
Surtout, j'étais heureux de voir la joie de ces personnes assemblées, enseignants, inspecteurs, parents, hommes et femmes politiques. C'est qu'il y a du bonheur à inaugurer une école, on y met tous ses espoirs, et une Eglise qui aide la société à ouvrir des écoles, des lieux de savoir, de transmission, de culture, cette Eglise-là est bien vivante.
Elle est bien vivante à Enghien, notre Eglise, qui ose et investit là-dedans! Et comme on peut et doit remercier tous ceux et celles qui "s'y mouillent"!

jeudi 23 septembre 2010

L'urgence d'entendre la parole sociale de l'Eglise

Dîné ce soir, à sa demande, avec Paul Washer, l'un des grands financiers et économistes du Royaume, qui préside Solvac (un ancrage important de Solvay). L'homme, qui a passé les 85 ans, n'a rien perdu de sa vivacité, de son élégance. C'est évidemment un grand capitaliste, rompu aux flux boursiers, au métier des investissements, etc. (tous domaines que j'ignore de façon absolue!) Il est inquiet : le capitalisme se dévoie, dit-il, et nous convenons même d'un mot : se "pervertit". Il parle d'un "casino" dans lequel joue un petit nombre de privilégiés qui s'enrichissent encore et encore, dans le plus grand mépris des classes moyennes et des petites gens, sans avoir voulu rien comprendre à la crise financière qui dure et à l'origine de laquelle se trouve leur manière intéressée de faire jouer l'économie spéculative à leur profit. "On oublie l'économie réelle", me dit-il, l'argent issu de la spéculation boursière est virtuel et n'est pas réinjecté dans le circuit de l'emploi : il faut s'attendre à de terribles effets "boomerang". A l'objection issue de l'actualité ("Mais le groupe Solvay est précisément en train de licencier"), il répond que c'est inévitable pour empêcher une déglingue sans cela bien plus catastrophique, vu l'étroite connexion de ces grands groupes industriels répandus partout dans le monde, et le jeu de la concurrence entre eux.
A sa demande, je lui dis les grandes lignes de ce que l'on appelle quelquefois la "doctrine sociale" de l'Eglise, qui s'appuie sur l'Ecriture et les Pères (saint Basile le Grand, saint Augustin, par exemple) et s'élabore dans sa forme actuelle depuis Léon XIII (1891) avec des textes majeurs de Jean-Paul II en 1979, 1987 et 1991 - sans oublier les documents là-dessus du Concile Vatican II.
"L'Eglise devrait marteler ce message", me dit-il, "on ne le connaît pas".
Venant d'un homme comme lui, et de ce milieu-là... l'encouragement prend tout son sens et révèle toute son urgence!

dimanche 19 septembre 2010

Des hommes et des dieux

Je rentre de Bruxelles où j'ai profité de la "journée sans voiture" pour m'offrir un ciné : j'ai vu le film superbe de Xavier Beauvois, "Des hommes et des dieux", qui raconte l'assassinat des moines de l'Atlas en 1996. Tout y est remarquable : la retenue, le justesse de l'évocation, la sensibilité monastique, le drame de ces hommes confrontés à la foi, c'est-à-dire au don de soi jusqu'au bout.
A voir, absolument, comme une cure de rajeunissement évangélique, quand on se sent emprisonné dans les turpitudes que l'on sait!
Au retour, le message d'un ami parisien, non croyant, un grand ami, sur le répondeur : "Je suis allé voir cet après-midi le film de Beauvois, dit-il, il faut que vous voyiez cela." Je l'appelle et lui dis simplement, avec un brin d'humour, que "les grands esprits se rencontrent". Etrange, non, cette complicité par cinéma interposé? On n'a pas fini d'explorer les délicieux mystères de l'amitié, qui transgresse toutes les frontières, d'espace, de temps, d'appartenances!

samedi 18 septembre 2010

Un an après

C'est le 20 septembre 2009 que j'ai été "installé" (comme on dit) curé-doyen d'Enghien, soit il y a pratiquement une année.
L'occasion de dresser un premier bilan.
L'impression dominante est celle d'une grande joie : joie de découvrir un peuple varié, sensible, présent, attentif, réactif, vivant, soucieux de participer, de vivre du Christ, de faire communauté, de s'engager, de célébrer, de prier, de se soucier du monde, des pauvres, de la vie, quoi.
Bonheur de l'accompagner, ce peuple, et de voir sa richesse, de recevoir des confidences, c'est-à-dire d'être "reçu", soi-même, quelquefois, à l'intérieur, au coeur du coeur, au plus intime, à l'indicible, à l'invisible. Quel privilège, quel trésor, de souffrance et de réjouissance!
Je songe aux apartés, certes, mais aussi aux funérailles (plusieurs centaines), aux mariages, aux baptêmes, aux situations familiales diverses, aux célébrations de tout cela et, à travers tout cela, aux célébrations de la vie, de la Vie, "de la vie des hommes et des lumières de la foi", pour reprendre le titre d'un ouvrage auquel j'ai jadis collaboré.
Je songe à tout ce qui reste à faire : les conseils de participation, la fin du "chacun pour soi", le souci du bien commun, la catéchèse, la liturgie, la priorité accordée aux pauvres de chez nous (économiques, mais pas seulement, il y a des pauvretés de toutes sortes) et du monde, le partage des biens, la formation... Des chantiers, des chantiers, encore des chantiers!
Je songe aux déçus, aussi : des gens (heureusement peu nombreux, mais enfin ils sont là) que j'ai sans doute trop bousculés, ou trop vite, et qui se sont repliés ou qui sont devenus blessants, peut-être parce que j'ai touché en eux des blessures très loin enfouies (on n'est blessant que parce que l'on est blessé).
Au total, je rends grâce et dis vraiment mon remerciement à tous ceux qui m'accueillent, m'ont accueilli et, je le sais, le feront encore. A vrai dire, non pas moi mais celui à la suite duquel nous marchons tous : le Christ, qui nous entraîne avec lui vers la liberté, vers la Vie.
Alors nous repartons pour de nouvelles aventures!
Nous sommes toujours des balbutiants, des débutants.
Tant mieux.

mardi 14 septembre 2010

Une faute

Je comprends que la conférence de presse de l'épiscopat, hier lundi à Bruxelles, à propos de la gestion des plaintes transmises à l'ex-commission Adriaenssens et après leur révélation vendredi, ait déçu beaucoup de monde. La décision des évêques n'a guère manifesté leur sens d'une séparation stricte des pouvoirs dans une démocratie comme la nôtre, et ce sur un point précis : l'évaluation de la prescription des faits. Il appartient au seul juge ou à la chambre du conseil de se prononcer sur cette prescription, et non au plaignant ou à un "centre" qui l'accueille. Serait-ce que les évêques craignent que certaines réputations de prêtres (même déjà décédés) soient mises à mal? Ou pire, que l'on demande réparation financière pour des faits anciens? On serait alors dans du glauque, et on ajouterait une faute à une faute.
C'est la justice civile, au départ, et elle seule, qui doit être saisie des faits dénoncés. Point.
Qu'un accompagnement spirituel, psychologique, canonique, etc., suive, bien sûr. Mais d'abord, laissons faire la justice et faisons lui confiance.
Ce point étant acquis, il ne faudrait pas non plus faire l'impasse sur les raisons profondes, souterraines, qui ont permis - hélas - ce carnage. Je suis d'accord avec Mgr Léonard pour ne pas lier systématiquement célibat et inclination à la pédophilie, bien sûr. Mais le profil psychologique des candidats au presbytérat mériterait tout de même d'être franchement revu : l'âge, par exemple, est un paramètre au moins aussi important que le célibat. "Je n'aime pas les 'jeunes prêtres' ", disait plaisamment le théologien orthodoxe Olivier Clément. Il signifiait par là que, à ses yeux, mieux valait ordonner un homme d'expérience, pourquoi pas marié en effet, ayant traversé vie professionnelle et familiale, plutôt qu'un jeune de trente ans bourré de théologie et de ... complexes.
On n'est pas au bout du chantier!

samedi 11 septembre 2010

Après la honte...

A la suite de la publication du rapport Adriaenssens.
-D'abord, la honte (même si on n'est pas soi-même coupable, c'est comme dans une famille : on a honte parce que des frères se sont comportés de façon perverse).
-Puis, après la honte, quelques réflexions éparses.
.Ce rapport a été demandé par les évêques eux-mêmes, et ce sont eux qui ont insisté pour qu'il soit publié : l'institution, toute coupable ou complice qu'elle soit, a tout de même gardé assez d'énergie pour cette opération-vérité devant tout le monde.
.De se reconnaître atteinte par le péché, et le péché qu'elle dénonce si complaisamment chez ses contemporains, l'institution serait bien inspirée de devenir moins arrogante dans ses prises de parole sur ce sujet précis. Elle qui dénonce si souvent "la société" comme mauvaise, elle se fait reprendre par cette même société, plus morale qu'elle sur ce coup-là.
.Le christianisme est-il une institution? Il est d'abord une parole prophétique, celle du Christ, qui, de son temps, a dénoncé les structures religieuses et s'y est heurté : il en est mort. Que le "christianisme" ait ensuite pris les formes d'une religion n'y change rien : s'il porte en lui le Verbe, la Parole de Dieu qu'est le Christ, il est et restera toujours subversif, capable de dénoncer le mal où qu'il soit et d'abord en son propre sein.
.Il serait utile de voir dans les textes du Nouveau Testament comment Jésus tient un discours subversif par rapport à la famille ("Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi"), à la Loi et au Temple ("Vous avez appris qu'il a été dit aux Anciens... Moi, je vous dis..."; "Détruisez ce Temple, en trois jours je le relèverai...", etc.) et, généralement, aux autres institutions de son époque.
.Non qu'elles soient en elles-mêmes mauvaises, évidemment. Mais elles le deviennent si elles s'absolutisent : ce qui est le cas pour "la religion" quand elle veut se préserver, préserver ses privilèges ou sa réputation en évitant de faire le ménage en elle-même pour rester conforme à son message.
.Pour résumer, les Scolastiques avaient raison qui maniaient souvent cet adage : Corruptio optimi pessima ("La pire corruption - ou perversion - est celle du meilleur"). La pédophilie est un mal partout et en tous les milieux. Quand elle est le fait de prêtres, ordonnés pour évangéliser et nommés, souvent, pour éduquer des enfants, elle devient la pire perversion, parce qu'elle est la perversion, la corruption, de ce qui se présentait comme le meilleur et en lequel des familles avaient mis leur confiance. On n'est jamais à l'abri de ces terribles retournements, et seule la vigilance constante peut nous en garder.

jeudi 9 septembre 2010

J'ai peur

Dîné, hier soir, avec, entre autres convives, une jeune femme originaire de mon village - la quarantaine, belle, intelligente. Nous nous accrochons sur un point : elle approuve bruyamment Mr Sarkozy d'avoir pris ses mesures de reconduite des Roms aux frontières. Moi, fidèle à la position de l'Eglise (de France, en particulier), et fidèle à ma propre conviction, je désapprouve aussi bruyamment : il en va, dis-je, des droits de l'homme, et puis je dénonce ce paradoxe constant chez les gens de droite, en France, toujours d'un côté à se dire plus catholiques que le pape, et indésireux d'un autre de pratiquer vraiment l'Evangile et sa Tradition d'accueil, d'intégration, d'écoute.
Au retour, faisant le point, la peur me gagne.
Où allons-nous?
Si même des gens généreux (comme cette jeune femme) n'ont plus de scrupule à dire leurs sentiments racistes, et de rejet de l'autre, où allons-nous?
Si une communauté linguistique ne voit, comme politique, que la gestion de ses propres avantages sans souci aucun de ceux d'une autre communauté qui vit depuis près de deux cents ans avec elle, où allons-nous? Et ils oseraient se dire chrétiens, ceux qui pensent et votent ainsi?
Où allons-nous?
Je vais vous dire où nous allons, et pourquoi j'ai peur : à cultiver des égoïsmes, lorsque je relis la saga monstrueuse du nazisme naissant (mais l'exercice est possible à toutes les époques, contentons-nous du XXème siècle), tous les ingrédients sont là pour une exclusion massive de l'autre, un rejet, une stigmatisation de sa race, de sa langue, de son économie, de ses pratiques, de sa religion, etc. Nous savons où cela conduisit l'Europe et le monde au creux douloureux du XXème siècle.
Alors, oui, j'ai peur!

dimanche 5 septembre 2010

La puissance de la Croix

J'ai baptisé des petits enfants ce midi, et je n'ai pu m'empêcher de mettre en parallèle le geste inaugural du baptême, qui consiste à tracer sur le corps du futur baptisé le signe de la Croix, et la parole de Jésus rapportée par l'Evangile du jour (Lc 14, 26) : "Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disicple." Porter sa croix : la destinée chrétienne. L'épicurisme ambiant a raison, qui nous fait aimer les "bons moments" de la vie, les rencontres, les amitiés, les repas et la musique, les fêtes et les beaux-arts, la littérature, la culture, etc. Mais n'est-il pas insuffisant, jusqu'à méconnaître la part difficile et inévitable pourtant de nos existences humaines : les déceptions et les échecs, les ratages et les souffrances, les incompréhensions et les divisions, les tristesses et les mélancolies, et puis, comme chantait Brel, "et puis la mort qui est tout au bout"? Le Christ n'a pas, dans son existence terrestre, méconnu les joies simples et les bonheurs légitimes de la vie : il les a au contraire partagés avec ses contemporains, et nos évangiles sont remplis de repas et de fêtes. Mais "il s'est dépouillé lui-même jusqu'à la mort, et la mort de la Croix" (Ph 2); il a embrassé jusque là notre nudité, nos pauvretés et nos échecs. Et maintenant, chaque fois que nous traversons les jours de peine, nous pouvons y reconnaître sa Croix, présente sur nos fronts et en nos vies depuis le baptême qui nous fit un jour Christs dans le Christ. Alors, elle change, la perspective de nos existences et la perception de notre bonheur : nous apprenons le dépouillement avec le Christ, le détachement de tout, peu à peu, à chaque Croix rencontrée, et nous devenons sans doute chaque fois un peu plus libres, un peu plus vrais, un peu plus nus. Et un peu plus espérants : la Croix nous ouvre la Vie éternelle, elle est depuis Pâques l'autre face de la Résurrection, de la Vie.
Pour les chrétiens, sans rien nier des joies présentes, là est la source du bonheur.

jeudi 2 septembre 2010

L'étrange aventure de la foi

J'étais à Louvain-La-Neuve cet après-midi, et je faisais passer des examens à des étudiants de la Faculté de Théologie. L'un surtout m'a frappé, un Africain, Nigérian : il a devant moi commenté avec une élégance, une intelligence, une souplesse d'esprit et de coeur, des textes de saint Bernard de Clairvaux (XIIème siècle, tout de même...), une Homélie sur l'Avent et autres propos spirituels du grand cistercien. Je voyais ce bonhomme né dans une autre culture, dans un autre continent, développer une saisie spirituelle que beaucoup de jeunes gens de son âge et de chez nous n'ont guère. Et je me disais (en lui mettant une cote excellente, qu'il se rassure, car il était stressé) que la foi chrétienne n'est décidément pas une question de gènes, de culture, etc., comme d'aucuns, trop souvent, voudraient l'y réduire. Elle est, en son coeur et en son sein, "catholique", c'est-à-dire promise à une universalité qui transcende et en même temps respecte les diversités de provenance, de naissance, d'habitudes.
A la messe, ce soir, à Enghien, pour une dame décédée il y a un an environ, joie de commenter aussi ces premiers versets de Lc 5 : l'appel de Simon et des autres, au gré d'une pêche miraculeuse qui indique leur mission. Comme c'est notre histoire, celle de ces premiers-là, toujours dans la surprise, toujours dans le bouleversement. Comme la vie est "passionnante", avec le Christ, puisque Dieu même ne cesse d'y jouer avec nous à cache-cache...