dimanche 31 janvier 2010

De grandes joies

La vie pastorale a sa part de fatigues, j'en ai donné des traces dans certains messages précédents. Elle a aussi ses grandes joies.
Ce dimanche matin, par exemple, l'église d'Enghien était très peuplée pour la messe de 11h00, et j'ai bien senti qu'il y avait une vraie communion de prière, de recueillement, de louange : une liturgie dans la ferveur, dans la vérité, avec beaucoup de familles, d'enfants, de jeunes. Qu'on n'aille pas dire que nos églises sont partout désertées : je protesterai en montrant fièrement la communauté enghiennoise - et c'est pareil dans les villages des alentours : à 9h30, une joyeuse célébration à Hoves, avec aussi une église très remplie, et partout ailleurs, une belle participation du Peuple de Dieu, qui lit, qui chante, qui prie.
Et les amitiés du dimanche, où l'on prend le temps de se retrouver : un déjeuner chez des amis à la campagne, un long coup de fil de Luc Norin, journaliste à "La Libre Belgique", qui me parle de ses projets, le dîner rituel chez la Princesse de Chimay, comme depuis des dizaines d'années, et la fraîcheur et la jeunesse de cette femme de 84 ans qui traverse tant d'épreuves (entre autres familiales) avec l'enthousiasme d'une foi intacte. "Pendant la nuit, me dit-elle, quand j'ai des insomnies, j'en profite pour régler mes comptes avec le Bon Dieu. Je lui dis : Expliquez-moi. Je suis trop bête pour vous comprendre, mais après tout, c'est vous qui m'avez faite. Et je crois bien qu'il m'explique, en effet. Je crois qu'il me fait entrevoir que nous vivons une partie de notre purgatoire sur cette terre. Alors je lui dis, fermement : dans ces conditions, j'espère bien qu'il n'y en a plus trop de l'autre côté, hein, on a eu sa dose. Et je crois qu'il sourit, qu'il rit, même."
Une grande dame...
Devant certaines médiocrités, on en a besoin!

mercredi 27 janvier 2010

Saint Bernard à l'appui...

Je lis aujourd'hui dans le Commentaire du Cantique des Cantiques de saint Bernard la formulation très exacte de ce que j'essaie d'exprimer dans ce blog depuis quelques jours, sur l'oraison comme prise de conscience sans cesse renouvelée d'une "fragilité habitée" : "Où donc notre fragilité peut-elle trouver repos et sécurité, sinon dans les plaies du Sauveur? Je m'y sens d'autant plus protégé que son salut est plus puissant. L'univers chancelle, le corps pèse de tout son poids, le diable tend ses pièges : je ne tombe pas, car je suis campé sur un roc solide. J'ai commis quelque grave péché : ma conscience se trouble, mais elle ne perd pas courage, puisque je me souviens des plaies du Seigneur, qui a été transpercé à cause de mes fautes. Rien n'est à ce point voué à la mort que la mort du Christ ne puisse le libérer." (Ct 61, 3-5) Tout est dit, avec le génie de l'expression que l'on envie toujours à Bernard de Clairvaux : "Rien n'est à ce point voué à la mort (et Dieu sait que, quelquefois, on est sans issue, sans secours, sans lumière, sans appui) que la mort du Christ ne puisse le libérer." La formule est magnifique, qui dit le coeur de l'espérance chrétienne et introduit dans le secret de l'oraison.

mardi 26 janvier 2010

Ce que doit être un prêtre (suite)

Il me semble que l'oraison silencieuse du prêtre commence par le constat du décalage dont j'ai précédemment parlé. Pour lui comme pour tout chrétien, l'oraison silencieuse - je ne parle pas ici de la méditation, qui est un exercice discursif, mais bien de la prière "sans filet", "sans support" - conduit toujours à la découverte de sa misère, mais d'une misère tellement "miséricordiée" (si l'on ose ce néologisme) qu'on en est tout de suite débarrassé.
C'est que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes : nous vivons dans la représentation de nous-mêmes, dans le théâtre extérieur et intérieur de nos personnages, de nos rôles. Mais qui sommes-nous, en vérité? Seule la prière nous délivre, dans le face à face silencieux avec Dieu, notre Créateur et notre Sauveur, la révélation de notre idéntité véritable. Devant Dieu, nous nous voyons peu à peu tels que nous sommes et que les critiques inévitables d'autrui nous font pressentir. Mais, surtout, nous nous découvrons sauvés, réconciliés de l'intérieur avec nous-mêmes, plus conscients de nos faiblesses, mais éveillés à la présence de Celui qui, plus faible encore que nous-mêmes par consentement d'amour, nous précède en nous-mêmes pour nous dire combien nous comptons aux yeux de l'Amour.
Je crois qu'aucune vie chrétienne et, en particulier, aucune vie sacerdotale, n'est possible sans ce genre de rencontre qui est au-delà des mots. Ôtez l'oraison, rien n'est fécond dans la vie de l'Eglise. Prenez le temps de l'oraison, et l'amour (agapè) devient possible, reçu et peut-être même partagé.

lundi 25 janvier 2010

Ce que doit être un prêtre

Joël Rochette, un prêtre ami, recteur du Séminaire de Namur, me demande d'intervenir dans les mois qui viennent sur "la spiritualité sacerdotale". Je commence donc à réfléchir à la chose... Les premiers éléments sont les suivants :

1° ce que les gens attendent du prêtre, ce qu'ils projettent sur lui, font que la tâche est impossible. Il doit être, et le tout ensemble : jeune encore mais expérimenté; intelligent mais accessible; capable de s'adapter à toutes les classes sociales, chômeurs, ouvriers, paysans,bourgeois, classes moyennes, aristocrates, à l'aise avec tous comme s'il était chez eux et connaissait tout de leur modus vivendi; bon prédicateur, capable de parler en même temps à des enfants et des personnes âgées, bon connaisseur des Ecritures Saintes, théologien mais pas trop compliqué; versé tout de même dans la "culture" (comme on dit) d'aujourd'hui; priant, spirituel, pieux, assidu aux offices que les autres désertent; bon célibataire, sans attache affective, continent et vertueux, irréprochable sur le plan de ses désirs sexuels; bon cuisinier, capable de se nourrir sainement, faisant ses courses et sa popotte, tenant sa (grande, toujours) maison en bon ordre; gestionnaire, capable de garder les comptes qui lui sont confiés et de gérer les biens dont il passera l'exercice exemplaire à ses successeurs; ferme mais pas rigide devant les désirs des uns et des autres; attaché à l'Eglise, y compris magistérielle, mais pas "fermé" (comme on dit, aussi), capable de s'émouvoir vingt fois par mois devant la mort mais aussi de s'émerveiller, dans le quart d'heure qui suit, devant la joie des mariages ou des baptêmes qu'il prépare, bon coordinateur, capable de préparer et guider une réunion, de faire aboutir des projets malgré les bâtons qu'on lui met inévitablement dans les roues, avec une armure intérieure faite d'airain pour résister aux critiques des mal-contents, voire des calomniateurs. Le tout pour un salaire dérisoire. Qui peut être comme cela aujourd'hui? Nemo, Domine : "Personne, Seigneur!"
Vu ainsi, on comprend qu'il y ait peu de vocations.

2° vu ainsi, mais autrement : là est, pourtant, le fond d'une spiritualité du prêtre, dans ce décalage entre l'offre et la demande (fantasmée). Le prêtre est tous les jours renvoyé à ses pauvretés, à ses misères, à son péché, à son manque, à son creux, par des espèces de coups de poing dans l'estomac, par les déceptions (sans doute légitimes) des personnes à lui confiées, et, au lieu de le replier sur lui-même, ce décalage lui donne de s'en remettre à Celui qu'il a choisi d'annoncer par sa vie, ses engagements et sa parole. Un Autre qui le précède et le dépasse, et auquel sa médiocrité même lui donne, peut-être, d'être transparent. On n'a rien écrit de mieux là-dessus que Le Journal d'un curé de campagne (Bernanos).

A suivre...

vendredi 22 janvier 2010

L'Evangile n'est pas une idéologie

Dans les réactions relayées par la presse suite à l'élection de Mgr Léonard comme archevêque de Malines-Bruxelles, on est frappé par la récurrence d'un mode extrêmement pauvre de pensée, mais fréquent aussi bien à "gauche" qu'à "droite" de l'échiquier religieux. Appelons-le le "prêt-à-penser" : on sait à l'avance ce qu'il faut penser de quelqu'un ou de quelque chose, on se fie à ses a priori, on est même persuadé de la tournure que vont prendre les événements. Certes, le passé donne des indications sur quelqu'un et sur la désignation de ce quelqu'un à un poste important. Et, quelquefois, ce passé est assez "lourd" en termes d'incompréhensions, de raideurs - alors on incrimine, quelquefois à juste titre, une arrogance, une manière d'être plus qu'un contenu.
Mais tient-on assez compte du fait que quelqu'un peut changer, avec l'âge, avec les circonstances et même, précisément, avec une nouvelle affectation?
D'autre part, les propos sur lesquels Mgr Léonard est jugé, tant par ses partisans que par ses détracteurs, sont des propos parfaitement périphériques par rapport à la foi chrétienne : ils relèvent tous de l'éthique, et de quelques problèmes éthiques en particulier (la place et le type de reconnaissance dévolus aux personnes homosexuelles, la question de la culture de cellules-souches totipotentes dans une Université catholique, le rôle et l'efficacité d'un moyen de protection contre des maladies sexuellement transmissibles à l'intérieur du problème, plus global, d'une éducation à la sexualité humaine, etc.) : on ne touche pas là au coeur de la foi chrétienne, qui proclame la résurrection du Christ et la libération qu'elle apporte à tous les hommes de tous les temps! Que ces questions aient leur importance sociétale - comme on dit aujourd'hui -, c'est entendu, mais elles sont un objet de discussion dans une société plurielle et, pour discuter, il convient d'abord d'avoir des points de vue. En aucun cas elles ne constituent des points centraux de la foi et de l'appartenance chrétiennes ou catholiques.
Il est assez dommage, me semble-t-il, que le débat sur la place de l'Evangile dans notre culture prenne ainsi des tournures idéologiques, trop facilement calquées, pour la commodité du propos, sur des appartenances ou des sensibilités partisanes. Personne n'en sort grandi, et la foi chrétienne n'y trouve pas son compte!

mercredi 20 janvier 2010

Une interview de Mgr Léonard

Je relève quelques propos du nouvel archevêque de Malines-Bruxelles dans La Libre Belgique de ce 20 janvier :

- sur les intégristes et leur éventuelle réintégration :
"Je suis assez dubitatif sur la réussite de l'entreprise généreuse amorcée par Benoit XVI. D'accord pour l'ouverture sur le principe, mais mes préférences ne vont pas à ceux qui s'attachent farouchement au missel de 1962. Les supporters de Mgr Lefebvre ne manquent pas de générosité ou de zèle mais ont des visions étriquées sur le plan intellectuel, philosophique et théologique. Ils ont encore beaucoup de chemin à faire..."

- sur le dialogue avec les "laïques" et les francs-maçons :
" J'ai déjà eu plusieurs contacts avec eux à Namur. J'aime beaucoup chez eux et chez les laïques pointus qu'ils soient amis de la raison. J'ai aussi un côté un peu rationaliste; si je n'étais pas chrétien, je serais spinoziste ou hégélien. C'est notre grand bien commun : dans les sciences et ailleurs, la raison nous inspire. J'aime débattre avec eux et m'y sens en très bonne compagnie plus qu'avec certains confrères bizarroïdes."

Toute l'interview, conduite par l'excellent Christian Laporte, est intéressante (pp. 12-13 de La Libre Belgique du mardi 20 janvier 2010).

samedi 16 janvier 2010

Mgr Léonard, archevêque?

A l'heure où j'écris cette note, il est extrêmement probable que Mgr Léonard a été élu par le Saint-Père archevêque de Bruxelles-Malines et primat de Belgique : la nouvelle devrait être confirmée en début de semaine prochaine.
Mgr Léonard n'est pas le restaurateur qu'on en fait dans certaine presse. C'est un homme intelligent, et d'ouverture. Je l'ai connu, étant alors son étudiant, comme professeur de métaphysique à Louvain (Leuven, encore) dès 1976 (au début de son enseignement universitaire) : il était brillant. Ses travaux sur Hegel font et feront longtemps autorité. Puis je l'ai connu comme président du Séminaire Saint-Paul, et évêque de Namur : certes, il est direct, carré, mais c'est un homme qui aime le dialogue et ne supporte pas l'intégrisme bêta, dans lequel il a dit à plusieurs reprises ne pas se reconnaître. Je l'ai rencontré il y a peu encore ici à Enghien, où il était venu parler à des paroissiens dans une conférence qui manifestait son indépendance d'esprit et sa curiosité intellectuelle.
Si c'est bien lui que le pape a choisi (attendons encore un peu), accueillons-le donc dans l'espérance d'une belle continuité avec son généreux prédécesseur!

mercredi 13 janvier 2010

Funérailles

Depuis que je suis doyen d'Enghien, je célèbre en moyenne une vingtaine de fois par mois des funérailles, dans les paroisses rurales ou urbaines qui me sont confiées. A chaque fois, c'est, pour moi comme pour mes confrères dans la même situation que moi, un investissement personnel important : s'inquiéter de la personne, de sa vie, de sa famille, de son travail, de son passé et de son présent, aller sur place autant que faire se peut, rencontrer les proches, préparer la célébration des obsèques, choisir les lectures, les interventions de la famille, etc.
Cela suppose aussi une proximité de la mort qui ne s'inquiète pas de paravents ou de faux-fuyants : aller à l'essentiel, dire la vérité de quelqu'un, de son état, de son trépas. Et, du creux de cette vérité, annoncer l'espérance chrétienne en la résurrection.
On n'en ressort pas indemne. On touche là à de l'humain en son plus sensible. A la présence de Dieu au coeur même de la détresse et du deuil.
C'est une richesse incroyable qu'il ne faudrait pas perdre parce que, par exemple, les prêtres sont moins nombreux. Il y a là une fragilité qui nous expose...
Bienheureuse fragilité!

dimanche 10 janvier 2010

Notre baptême

La fête du baptême de Jésus, célébrée aujourd'hui, clôture les solennités de la Nativité. Elle nous rappelle la puissance d'Incarnation et de Vie que le baptême a inaugurée en nous, cette plongée non plus dans les eaux du Jourdain, mais celles de la mort et de la résurrection. Fiunt, non nascuntur christiani, disait Tertullien : "On ne naît pas chrétien, on le devient". On le devient par le baptême ou, plus précisément, par les sacrements de l'initiation chrétienne (baptême, confirmation et eucharistie) : parmi eux, on remarque que deux sont célébrés une seule fois (baptême, confirmation) et le troisième, sans cesse réitéré. Il y a bien un avant et un après : avant, on n'était pas chrétien. Après, on l'est devenu. Mais la réitération de l'eucharistie, sacrement de l'initiation (du devenir), nous rappelle que l'on ne cesse jamais de devenir chrétien. "Nous allons de commencement en commencement par des commencements sans fin" (Grégoire de Nysse, Huitième homélie sur le Cantique des Cantiques).
Le baptême, cette plongée dans les commencements...

samedi 9 janvier 2010

Hommage au Cardinal Danneels

On grandit avec les gens. Lorsque Godfried Danneels devint évêque d'Anvers, j'avais 19 ans... Lorsqu'il devint archevêque de Bruxelles, j'en avais 22, et j'allais entamer ma formation au séminaire de théologie de Tournai.
Il fut un père, à la belge. Silencieux (j'ai concélébré avec lui, quelquefois : à la sacristie, pas un mot! J'aimais ce silence, la vraie force.)
Il fut un homme de compromis, mot galvaudé trop souvent par les "purs et durs" du catholicisme intransigeant - s'il avait été un "pur et dur", la foi chrétienne, catholique en particulier, n'existerait plus du tout, du moins dans sa forme institutionnelle, en notre beau Royaume.
Il fut un sage, un homme pénétré de douceur évangélique.
Il fut un homme de la beauté, de la création artistique, dans un monde de brutes. "La beauté sauvera le monde" (Dostoïevsky).
Il fut un homme d'amour évangélique et "l'amour seul est digne de foi" (Cardinal Hans Urs von Balthasar).
Il fut... et il reste tout cela, lui qui va maintenant continuer à oeuvrer dans la prière pour le Royaume dont il fut le Primat.

Sur l'intégrisme

L'intégrisme est non pas une attitude ecclésiale, mais une attitude du coeur. Il traverse du reste toutes les religions ou toutes les appartenances "philosophiques" (comme on dit en Belgique). Il se résume en la conjonction de deux propositions :
1° J'ai raison (ou, au pluriel : Nous avons raison).
2° Je suis le seul à avoir raison (ou, au féminin, "Je suis la seule à avoir raison", ou, au pluriel, "Nous sommes les seuls à avoir raison").
A partir de là, tous les excès sont permis, jusqu'au terrorisme : l'histoire de l'Eglise catholique en donne - hélas - des exemples, l'histoire de toutes les religions, en général, aussi.
Lorsqu'on compare ces tendances aux textes fondateurs des religions (pour nous, chrétiens, la Bible juive et le Nouveau Testament), on se dit : comment une telle monstruosité peut-elle prendre naissance à partir de textes aussi généreux? Voyez la Première Lettre de Jean, lue durant toute la semaine passée, et qui ne parle que d' agapè, de l'amour au sens du "dessaisissement de soi pour l'autre"?
J'ai souvent pensé à cela. La réponse est dogmatique : le péché originel, qui instille en nous ses lents poisons de jalousie, de méchanceté, de repli sur soi, de dureté... et de connerie. Car la connerie, sans doute, est la forme la plus achevée du péché originel, celle contre laquelle on ne peut rien, non seulement tissée d'ignorance, mais de vulgarité, d'égoïsme et d'égotisme, de sûreté de soi jsqu'au mépris de l'autre, de crétinerie. Bref, de tout ce que le Christ, dans son amour sauveur et sa geste rédemptrice, a ôté comme germe malin de l'humanité. Bref, de l'oeuvre du diable dans l'humanité.
"Mort aux cons!" avait crié un quidam sur le passage du Général de Gaulle, un jour, lors d'un voyage officiel. Et le grand homme, imperturbable comme toujours, avait fait observer à son officier d'ordonnance : " Vaste programme!"
En effet.
L'intégrisme, c'est d'abord de la connerie. Mais... vaste programme, que de l'éradiquer!

vendredi 8 janvier 2010

Marie Noël

Certains jours, certains soirs plus encore, la fatigue est là, tissée des mille contrariétés de la journée, des incompréhensions, des travaux laissés en suspens faute de temps ou d'énergie, des stupéfactions devant la méchanceté ou la malveillance. Alors me revient cette Note de Marie Noël, la grande dame d'Auxerre :
"Je n'ai jamais rien réussi, accompli, sans faute. Ni mon âme, ni ma vie, ni mon oeuvre. Ni même complètement mené à bien -achevé - aucune besogne, même la plus petite, une sauce, un lavage, une reprise. Partout des maladresses, des défauts, des manques.
Maîtresse de maison, tous les jours, sans maîtrise; poète de temps en temps; sainte de loin en loin - s'il est permis de dire 'sainte' pour quelqu'un qui ne l'est qu'à la grâce de Dieu sans habitude de vertu - je n'ai su que m'accepter telle que j'étais, un jour riche, sept jours misérable, prendre Dieu comme Il me venait dans la paix ou dans l'angoisse, et les hommes comme ils passaient, méchants ou bons, devant ma porte.
Le seul mot à dire de moi à l'heure de vérité, la dernière :
Elle a supporté Dieu, soi-même et les hommes." (Notes Intimes, Stock, 1959, p. 254)
Chère Marie Noël...

mercredi 6 janvier 2010

Au Père Charles

Durant la nuit de la Nativité, le Père Charles Dumont, moine cistercien trappiste de Scourmont (Chimay), a rejoint son Seigneur. Il a encore communié dans la foulée de la messe de minuit (on lui a porté l'eucharistie dans sa cellule) et s'est éteint vers quatre heures, au commencement des Vigiles. Un homme toute sa vie passionné de l'Incarnation et de ce que saint Bernard et les Pères cisterciens en avaient dit, pouvait-il mourir un autre jour, une autre nuit, que ceux-là?
Charles était un ami de plus de trente ans : je l'ai connu quand j'avais 18 ans et que je faisais partie d'un premier "conseil pastoral" de mon doyenné d'alors, à Beaumont. Lui, l'érudit, avait accepté d'y prendre part pour donner ses conseils spirituels. C'était un petit homme fragile, mourant depuis toujours (de santé plus que délicate, il a quand même atteint 92 ans!) Son amitié, sa passion de la vie ecclésiale, de la théologie et de la spiritualité m'auront sans cesse été précieuses. Il me faisait lire ses manuscrits (des poèmes, des traductions - il avait traduit et fait connaître en français Aelred de Rielvaux, le grand abbé cistercien contemporain de saint Bernard), et moi les miens. Nous causions avec la grande liberté qu'on trouve chez les moines.
Notre dernière longue conversation remonte à juillet dernier : il était à l'hôpital de Chimay (comme souvent) et, dès que je suis entré dans sa chambre, m'a dit : "Cette fois, c'est fini." Et moi : "Arrête, Charles, ça fait trente ans que tu nous fais le coup!" Alors nous avons parlé de mon petit livre sur Nicodème, et il s'est comme ranimé - d'un coup, il n'était plus malade. Lui : "As-tu lu le traité de saint Bernard De la considération? Moi : Non, Charles, parcouru seulement il y a longtemps. Lui : "Alors, tu dois le lire et tu me feras le plaisir de faire un article de ta lecture."
Moi : "Promis, Charles".
Promis, Charles : où trouver le temps, maintenant? J'ai commencé De la considération de saint Bernard, je crois comprendre pourquoi il voulait me le faire lire.
Devoir sacré... Je continuerai!