mardi 27 avril 2010

Un principe de "non refoulement"

Prenant récemment la parole au Capitole de Rome, Mgr Agostino Marchetto, secrétaire du Conseil Pontifical pour les Migrants, a souhaité que les pays européens respectent le principe de "non refoulement" des migrants sur leurs sols.
Il s'agit là en effet d'un principe élémentaire de respect des personnes, hors lequel on se demande comment on ose encore se revendiquer chrétien.
A bon entendeur...

samedi 24 avril 2010

Il est l'agneau et le pasteur

Les lectures de ce quatrième dimanche de Pâques, dans la liturgie, nous disent une chose paradoxale et centrale pour notre foi. Le Christ y est décrit à la fois comme l'agneau (dans le Livre de l'Apocalypse, au chap. septième, le visionnaire décrit la foule immense "debout devant le Trône et devant l'Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main"), et, dans l'évangile de Jean, au chap. dixième, comme "le bon pasteur, le vrai berger". Je songe au chant d'une antienne qui fait écho à cela : "Il est l'agneau et le pasteur, il est le roi, le serviteur". Je l'écrivais : nous voici au coeur du christianisme, c'est-à-dire au coeur de la présentation chrétienne de la "religion" ou du "sacré". Le Christ est pasteur parce qu'il est d'abord l'agneau immolé, victime offerte : son pouvoir pastoral s'origine dans le don de sa vie, dans son amour épandu. Il est, poursuit le chant de l'antienne, "roi et serviteur". Il n'exerce sa royauté que dans une mise au service radical de tous les hommes de tous les temps. Nous voilà loin des images coutumières du pouvoir lorgné par ambition, pour "s'accomplir", pour gravir les échelons sociaux. Et comme est grande la conversion de l'Eglise à ce seul pastorat, à cette seule royauté.
Peut-être bien que le scandale qui frappe l'Eglise belge aujourd'hui (et dont le seul point positif est qu'on a enfin le courage de parler publiquement) n'aurait pas cours si l'on connaissait mieux ce pouvoir pastoral dont la seule justification, je dis bien la seule, est le don de soi jusqu'à être écarté, "immolé", devenu agneau.
On dit souvent que, dans notre Eglise, les pasteurs font défaut. Peut-être (manque de vocations, et manque de dignité morale chez certains, en effet). Il me semble, ce soir que, dans notre Eglise, ce sont d'abord les agneaux qui manquent...

vendredi 23 avril 2010

Le bien commun

Dans la gestion d'un ensemble de paroisses comme celles d'Enghien-Silly, je me rends compte de plus en plus que le prêtre a la mission première de rappeler le bien commun. Celui-ci n'est pas l'addition de biens individuels, de personnes ou de groupes, mais le bien de la communauté. Une communauté qui, pour ce qui me concerne comme doyen, comprend deux entités communales, douzes paroisses dont je suis le seul curé, une population de 20.751 habitants (aux dernières statistiques) répartis sur un territoire d'environ 30 km de longueur, etc. La recherche du bien commun suppose certes d'entendre les désirs de chacun, de chaque paroisse, de chaque groupe ou groupement... mais elle suppose aussi de prendre des décisions qui favorisent l'ensemble, et de s'y tenir. Il ne sert à rien de vouloir faire les quatre volontés de chacun, et du reste c'est impossible.
Certains jours, on prend des coups parce que des personnes se pensent lésées, ou peu écoutées. Comment leur dire qu'elles doivent aussi apprendre à écouter le bien "commun"?

mardi 20 avril 2010

Le pape et les immigrés clandestins

Je note avec bonheur que, quittant hier l'île de Malte après un voyage pastoral d'environ vingt-quatre heures, Benoît XVI a invité les autorités et la population à "ne pas refouler les immigrés clandestins" qui veulent se réfugier chez eux, et à leur assurer leurs droits. Le Saint Père a lié cette recommandation au rappel des racines chrétiennes de l'île.
Je crois que cette invitation vaut pour tous les peuples européens, trop frileux et trop injustes devant la grande question de l'immigration, qui est probablement le plus redoutable défi de nos civilisations en ce XXIème siècle. C'est un problème certes complexe et difficile, qui mérite d'être traîté de façon multidisciplinaire, mais l'appel de la doctrine sociale de l'Eglise, chez Jean-Paul II et Benoît XVI (voir Caritas in veritate) est clair : les biens de la terre sont à l'origine (une origine ontologique plus que chronologique) destinés à tous - c'est le principe de la "destination universelle des biens" proclamé depuis la Bible, les Pères et saint Thomas d'Aquin - et les personnes privées d'un accès suffisant aux biens de consommation indispensables à la vie ont le droit moral de venir les prendre là où ils sont. L'aide au développement peut et doit sans doute réguler ces flux migratoires, mais la venue chez nous de personnes de plus en plus nombreuses privées chez elles de droits élémentaires comme le droit à la nourriture, cette venue, donc, suppose chez les chrétiens que nous sommes des réflexes d'accueil et de partage. Là est la vérité de l'Evangile, et on remercie le Saint Père de nous le rappeler.

samedi 17 avril 2010

L'humble amour de Pierre

La page d'évangile que la liturgie de ce dimanche nous donne à lire contient les versets les plus bouleversants que je sache : Jésus demande à Pierre, par trois fois, "s'il l'aime vraiment" (Jn 21, 15-19). Cette triple demande vient en contrepoint de la triple trahison, ce que l'Apôtre perçoit bien, lui qui, nous dit-on, "fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : M'aimes-tu?" A chaque réponse positive de Pierre correspond l'injonction du Ressuscité : "Sois le pasteur."
Voilà qui devrait éclairer nos coeurs au moment où le ministère de Pierre est peu ou mal compris dans l'Eglise. Le texte en question nous apprend que ce ministère est fondé sur une trahison reconnue et pardonnée - raison pour laquelle il ne "faillira" plus. Il ne s'agit pas ici de perfection humaine - tous les Pierre de l'histoire, tous les successeurs de Pierre donc, ont donné l'exemple de grandeurs et de misères. Il s'agit de reconnaître la faiblesse humaine habitée par la puissance de Vie du Ressuscité : dès lors, on ne craint plus l'humble reconnaissance de ses incapacités naturelles, de ses ombres, dès lors on les sait au contraire points d'appui de la grâce.
Si le Ressuscité, voulant fonder son Eglise, avait souhaité diffuser une multinationale efficace (genre : la Catholic Incorporated Company), il aurait cherché, tel un moderne "chasseur de têtes", quelque énarque de l'époque, hyper-diplômé en communications et en médias, bardé de connaissances et de reconnaissances. Or, il se fie à un pêcheur des bords du lac de Galilée (autant dire, un trou perdu), peu instruit et mal dégrossi, et de surcroît traître et peureux au moment ultime. Ce n'est décidément pas sur les qualités humaines de Simon-Pierre que Jésus se fonde, mais sur le pardon accueilli dans la vérité de son coeur, sur la lâcheté reconnue et dépassée dans l'amour. Ce geste inaugural du ministère de Pierre en est aussi, et pour tous les temps, le contenu même : l'Eglise n'a rien d'autre à annoncer au monde que cette vérité de l'amour qui reconnaît la misère humaine transfigurée dans la miséricorde toute-puissante du Ressuscité.
Et si l'on y songeait pour apprécier les effets d'annonces et les "tempêtes médiatiques" autour du Pierre d'aujourd'hui?

samedi 10 avril 2010

Renoncer à l'arrogance

On peut, dans la société et dans l'Eglise, repérer toutes sortes de fractures : entre les "croyants" et les "incroyants", entre les "intellectuels" et les "manuels", entre les "actifs" et les "chômeurs", pour tout présenter, et volontairement, pêle-mêle et sans souci de hiérarchie entre ces classifications. Il en est une qui devrait, me semble-t-il, retenir plus que les autres notre attention, parce qu'elle les traverse toutes : c'est celle qui court entre les arrogants et les modestes. Je veux dire ceci : on peut être un intellectuel croyant (chrétien), actif dans l'institution (par exemple, prêtre ou évêque, professeur, catéchiste, etc.) et... parfaitement imbuvable du seul fait de son arrogance, de sa prétention à détenir mieux que les autres la vérité, de son goût à mépriser ceux ou celles qui sont posés autrement, ailleurs, qui partagent d'autres convictions. Que l'on m'entende bien : je ne défends ici aucunement le relativisme, qui consiste à penser et à dire que tout le monde a également raison, que la vérité de l'un vaut la vérité de l'autre ou que - formule trop souvent entendue - "toutes les vérités se valent" (ce qui, au passage, revient à dire qu'aucune n'a de valeur!) Il est souhaitable que chacun ait des convictions et les défende. Mais, et en particulier si l'on est chrétien, il convient de le faire avec douceur, humilité, modestie, parce que ce sont des attitudes qui font précisément partie du message évangélique. Ce qui authentifie l'enseignement du Christ, c'est son dépouillement, sa "kénose", son abaissement, qui, loin d'affaiblir la force de sa révélation, en attestent l'authenticité théologique.
Comment pourrait-on être arrogant et prétentieux en proposant la foi au Dieu de Jésus-Christ, sauf à trahir par son attitude le contenu même de ce que l'on souhaite annoncer?

lundi 5 avril 2010

Le Soleil du Ressuscité

Depuis la nuit de Pâques, l'Eglise déploie dans sa liturgie, dans les signes qu'elle donne au monde, la chaleur qui rayonne en son coeur : le Christ est ressuscité, dans l'histoire des milliards d'être humains apparus sur notre terre, il est le premier vainqueur de la mort. Un vainqueur définitif : il ne mourra plus, sa Vie désormais inaugurée est celle même de Dieu, et il nous entraîne avec lui dans son cortège triomphal.
Tous les deuils et toutes les vieillesses, toutes les tristesses et toutes les trahisons pourront bien exister encore : ils ne sont que du vent, ils ne sont qu'une ombre qui ne résiste pas au Soleil du Ressuscité. Cette affirmation ne nie en rien la dureté de la condition humaine ou la perplexité de ses questions.
Elle ouvre une brèche, une espérance, fût-elle fragile et vacillante comme la lumière du cierge pascal dans la nuit.
Mais l'église d'Enghien, et celle de Silly, et toutes les églises du monde en furent tout de même illuminées peu à peu, et entièrement. Et, grâce à l'Eglise, le monde lui aussi et peu à peu devient et deviendra plus lumineux. Notre espérance est ferme. Elle est la plus forte!
Alleluia!

samedi 3 avril 2010

Samedi Saint "Il est descendu aux enfers"

Le Grand Samedi est le jour où la Tradition de l'Eglise célèbre la mort du Christ, non seulement sa mort comme un fait historique, mais la réalité de sa mort. Il a, pour reprendre l'antique expression, "fréquenté le séjour des morts", ou, pour reprendre la formule du Symbole, "il est descendu aux enfers". "Les enfers" (au pluriel, non au singulier), c'est dans l'antiquité le lieu supposé des défunts. L'Eglise annonce par là la réalité de la mort de Jésus : il n'a pas fait semblant de mourir, la mort est véritablement entrée en lui et, par son humanité, en Dieu. Le Dieu immortel a expérimenté la mortalité de sa créature humaine.
"En le voyant, Adam se frappa la poitrine et s'écria : Mon Seigneur avec nous tous!" Une ancienne homélie du IVème siècle, attribuée sans certitude à Epiphane de Salamine, raconte ainsi le Saint Samedi : le Christ, ayant brisé les verrous du séjour des morts, entre, victorieux et illuminateur, avec entre les mains la Croix, arme de sa victoire sur la mort. De sa dextre il empoigne Adam et toute l'humanité ensevelie avec lui dans la poussière des siècles, et les emmène en son cortège pascal et triomphant. Il leur chante, il leur clame, à tous - et à nous : "Relève-toi, ô toi qui dors, réveille-toi d'entre les morts. Le Christ t'illuminera!"
La mort nous guette tous. Elle rôde en nous, autour de nous, dans nos santés, dans nos familles, dans nos deuils, dans notre monde. Elle nous accable, elle nous emprisonne, elle nous emmure. La mort physique et, plus encore, la mort spirituelle - le péché - nous rendent semblables à Adam, nous ensevelissent avec lui dans la poussière et la tristesse.
Aujourd'hui, dans le mystérieux silence du Grand Samedi, le Christ nous rejoint là, précisément là, où nous pensions que jamais plus ne nous atteindrait la lumière de la Vie.

vendredi 2 avril 2010

Vendredi Saint "Il faisait nuit"

"Quant à Judas, ayant pris la bouchée, il sortit immédiatement : il faisait nuit." (Jn 13, 30) Cette notation de l'évangile de Jean, qui rapporte la trahison de Judas lors du dernier repas, n'est pas simplement chronologique. Elle est d'abord spirituelle : la nuit a recouvert le coeur de Judas comme celui du monde, la "puissance des ténèbres", comme dit ailleurs Jésus, est à l'oeuvre. En nous inclinant, en nous prosternant devant la Croix lors de l'Office de la Passion, sans rien dire nous confessons nos nuits, celles qui nous surviennent et auxquelles nous ne pouvons rien, ou celles dont nous sommes franchement complices. Nos incompréhensions, nos trahisons, nos haines et nos souffrances, nos rancoeurs et nos replis, nos doutes et nos incapacités, tout ce qui nous submerge et qui nous fait nous heurter à nos limites comme on marche à tâtons dans l'obscurité. En nous prosternant devant la Croix, nous y reconnaissons nos nuits, que le Christ aujourd'hui accueille en sa chair martyrisée.
Lui seul y percera des rais de lumière.

jeudi 1 avril 2010

Jeudi Saint

Je resonge aujourd'hui, Jeudi-Saint, à un texte de Bernanos, dans son roman La Joie : Chantal de Clergerie, l'héroïne, est comme en une extase transportée dans le coeur du Christ au Jardin d'agonie, et elle revit de l'intérieur les sentiments qui furent alors les siens. Voici :
"C'est à la trahison qu'Il pense, et elle y pense comme lui. C'est sur la trahison qu'Il pleure, c'est l'exécrable idée de la trahison qu'Il essaie vainement de rejeter hors de lui, goutte à goutte, avec la sueur de sang... Il a aimé comme un homme, humainement, l'humble hoirie de l'homme, son pauvre foyer, sa table, son pain et son vin - les routes grises, dorées par l'averse, les villages avec leurs fumées, les petites maisons dans les haies d'épines, la paix du soir qui tombe, et le enfants jouant sur le seuil. Il a aimé tout cela humainement, à la manière d'un homme, mais comme aucun homme ne l'avait jamais aimé, ne l'aimerait jamais. Si purement, si étroitement, avec ce coeur qu'Il avait fait pour cela, de ses propres mains. Et la veille, tandis que les derniers disciples discutaient entre eux l'étape du lendemain, le gîte et les vivres ainsi que font les soldats avant une marche de nuit, - un peu honteux tout de même de laisser le Rabbi monter là-haut, presque seul - criant fort, exprès, de leurs grasses voix paysannes en se donnant des claques sur l'épaule, selon l'usage des bouviers et des maquignons, Lui, cependant, bénissant les prémices de sa prochaine agonie, ainsi qu'Il avait béni ce jour même la vigne et le froment, consacrant pour les siens, pour la douloureuse espèce, son oeuvre, le Corps sacré, Il l'offrit à tous les hommes, Il l'éleva vers eux de ses mains saintes et vénérables, par-dessus la large terre endormie dont Il avait tant aimé les saisons. Il l'offrit une fois, une fois pour toutes, encore dans l'éclat et la force de sa jeunesse, avant de le livrer à la Peur, de le laisser face à face avec la hideuse Peur, cette interminable nuit, jusqu'à la rémission du matin." (La Joie, Pléiade, p. 684)

Voilà de quoi nourrir, me semble-t-il, notre célébration de la Cène et notre adoration nocturne devant le Corps consacré pour "la douloureuse espèce" - belle manière de désigner l'humanité de tous les temps.