mercredi 31 août 2016

L'arrogance risible de certains "intellectuels"

On entendait ces jours-ci, sur les médias et les réseaux sociaux français, des débats censés alimenter la réflexion sur la place de la - des - religion(s) dans la société. Des intellectuels de renom (j'en retiens deux : Badiou, Onfray) se chamaillaient comme des gamins sur la place plus ou moins imposante du "cadavre de Dieu", puisqu'il est bien entendu, bien évident, entre personnes de constitution intellectuelle à peu près normale, que "Dieu est mort", même si l'on concède que son cadavre bouge encore et même si ce cadavre, ajoutait Onfray, "est immense". Mais enfin... c'est un cadavre, convenons-en, semblent-ils dire, entre personnes de bonne compagnie.
Et l'idée, dès lors, serait de recréer une pensée exempte de Dieu, pour reconstruire, hors libéralisme, une société où la jeunesse trouverait un autre épanouissement que celui du terrorisme et/ou de l'abrutissement. Je caricature à peine.
Badiou et Onfray sont de grands messieurs, et je n'ai aucune peine à les reconnaître pour des gens intelligents. Et même, s'ils aiment cette appellation "franco-française" un peu cucu, pour des "intellectuels".
Mais quelle pitié de voir des a priori idéologiques si peu contestés! Il est certes possible que telle ou telle forme religieuse passera, mais d'autres viendront et, en attendant, il nous faut vivre avec celles qui sont là, et sans les mépriser, s'il vous plaît. Et on la le droit de trouver en elles, en certaines d'entre elles,  les modèles, les signes, les sacrements, du salut humain - oui, de son salut, de ce par quoi il "s'en tire", l'homme, d'être un homme sur cette terre. Disqualifier cela "a priori" comme un cadavre certes encombrant encore, mais un cadavre tout de même, cela me semble faire étalage d'une arrogance intellectuelle qui sied mal aux prétentions des penseurs sus-nommés et de quelques autres. Car la philosophie, messieurs les philosophes, commence avec une appréciation du réel - et le réel, pour l'instant, est un retour de et à la pensée religieuse, ne serait-ce que pour la critiquer, mais d'égal à égal, sans prétendre avoir d'avance abattu son adversaire.
Messieurs, rendez-nous service, apprenez à penser sérieusement - c'est-à-dire, entre autres, apprenez à considérer que d'autres, beaucoup d'autres, qui n'ont pas les mêmes postulats que les vôtres, sont aussi des penseurs. Apprenez à penser à partir de leur point de vue, et non d'abord du vôtre, car telle est la noblesse de la pensée. Cessez d'être arrogants, et risibles... Devenez crédibles!

samedi 20 août 2016

La porte étroite, la prétention...

La page d'évangile lue ce dimanche (Lc 13, 22-30) nous montre un Jésus qui répond volontairement à côté de la plaque. A la question : "N'y aura-t-il que peu de monde à être sauvé?", question portant sur le nombre, il répond sur la manière et l'origine du salut.
Car le nombre, c'est le mystère de Dieu, un mystère de miséricorde qui nous échappe, et quand bien même nous jugerions les autres, ou nous-mêmes, indignes du salut, "Dieu est plus grand que notre cœur, et il sait toute chose."
Laissons donc, comme Jésus, le débat sur le nombre, qui préoccupa pourtant certains théologiens de haut vol -  saint Augustin par exemple estima un jour qu'il y aurait beaucoup de damnés, histoire d'augmenter le bonheur des élus : on le connaît mieux inspiré!
Non, la question, dit Jésus, c'est la manière : celle de la porte étroite. Et cette question devient dès lors : comment passer par une porte étroite?
Il n'y a qu'une réponse : il faut maigrir. Les obèses n'ont aucune chance. Ni ceux qui sont trop encombrés par leurs bagages : il faut les lâcher.
Pas question ici d'invoquer ses origines  et son appartenance - Jésus s'adresse à un interlocuteur juif, tenté peut-être de penser qu'appartenant au Peuple "élu", l'affaire est pour lui dans le sac. Que non! L'élection du Peuple saint est certes le début d'une magnifique alliance, mais elle est une mission - celle d'annoncer au monde entier le bonheur du salut - et en aucun cas un privilège. Dès lors, "beaucoup viendront de l'orient et de l'occident, du nord et du midi, prendre place au festin."
Il ne faut pas non plus invoquer ses bonnes pratiques cultuelles : "Nous avons mangé et bu avec toi!", sous peine de s'entendre dire : "Je ne vous connais pas, vous qui pratiquez l'injustice!" Il ne suffit pas d'être chrétien, oh que non, ni même de participer fidèlement à la table eucharistique.
Aucune prétention ne sera admise. Aucune arrogance n'est possible, devant la porte étroite du salut.
Une seule consigne : pratiquez donc la justice.
Quels que soient votre foi, votre incroyance, votre religion, votre athéisme, votre passé, votre présent, votre jugement sur vous-même, et sur les autres, votre peu de considération sur vous-même, et sur les autres,  votre âge et votre milieu culturel, votre pays et votre métier, vos convictions politiques et votre indifférence : pratiquez la justice.
C'est la seule manière de se faufiler, jour après jour, à travers la porte étroite du salut. Jésus ne dit pas qu'elle est difficile - car la pratique de la justice, de la droiture, souvent est plus facile que les dévoiements retors de la malhonnêteté et de l'injustice. Mais Jésus dit qu'elle est "étroite" : désencombrez-vous, même de vos bonnes œuvres, de celles qui sont prétendues telles, de vos appartenances et de vos bons droits, et recommencez quotidiennement à essayer d'être justes.
Il n'y a pas d'autre voie.

vendredi 19 août 2016

Sur l'enseignement "catholique" en Belgique

A quelques semaines de la rentrée, je ne peux que recommander la lecture de l'interview donnée ce matin, dans "La Libre Belgique", par Etienne Michel, le "patron" de l'enseignement catholique dans la partie francophone du pays (LLB du 19 août 2016, pp.4-5). D'une façon dépassionnée, extrêmement claire, il y analyse les rapports entre religion et citoyenneté, et explique comment le christianisme, par ses capacités répétées d'inculturation dans l'histoire, concourt à une meilleure citoyenneté.  Un passage : "L'avenir de la démocratie et de la culture européenne est une vraie question autour de laquelle règnent des incertitudes. Or, la démocratie s'inscrit toujours dans une culture donnée, et repose sur des fondements qui la précèdent. Un de ces fondements est l'inscription dans la culture occidentale d'un dialogue entre la religion principalement catholique et la tradition des Lumières. De plus, l'Europe connaît un défi important aujourd'hui qui est celui de réinventer son humanisme. Et pour cela j'évoquerai le discours du pape François prononcé en mai dernier devant les institutions européennes à Strasbourg. Il soulignait combien l'Europe a appris au cours de son histoire à intégrer dans une synthèse toujours neuve les cultures les plus diverses et sans lien apparent entre elles. L'identité européenne, insistait le pape, est et a toujours été une identité dynamique et multiculturelle. C'est dans ce cadre et en fonction de ces défis que l'enseignement catholique se doit de conjuguer une tradition éducative qui se rattache au christianisme, avec les exigences contemporaines de la citoyenneté. Je répète qu'il n'y a donc pas de contradiction entre le religieux et la citoyenneté, mais que les deux se renforcent au service d'un humanisme pour notre temps." L'ensemble du propos, de la même veine, mérite vraiment une méditation...

samedi 6 août 2016

"Il reviendra dans la gloire et son règne n'aura pas de fin..."

Très docilement, les paroissiens (d'Enghien et de Silly, en tous les cas), répètent dimanche après dimanche cette proposition du Symbole de foi, le "Credo" vénérable de Nicée-Constantinople qui, dès le IVème siècle, proclame à propos du Fils de Dieu, après avoir annoncé son incarnation en Jésus, sa mort et sa résurrection : "Il reviendra dans la gloire et son règne n'aura pas de fin."
Ils le répètent, probablement - et je suis souvent comme eux - sans bien saisir la portée de cette affirmation chrétienne sur Jésus, le Fils incarné.
Cette affirmation touche, en effet, à la considération du temps et de l'espace : ceux-ci finiront, le monde en expansion tel que nous l'entrevoyons grâce aux travaux des astrophysiciens (je dis bien "entrevoir", "connaître" serait pure prétention), ce monde, donc, ces infinités de galaxies, ces milliards de soleils surgissant puis mourant - notre soleil n'est que l'un d'entre eux, une étoile parmi tant et tant d'autres), ce monde un jour arrêtera son expansion, et ce sera le dernier jour du monde. Cela, même les savants contemporains en conviennent, d'accord là-dessus avec ce qu'annonce la foi. On ne dit pas que c'est pour demain. On dit : "Un jour, il n'y aura plus de jour. Il n'y aura plus de temps et d'espace - puisque le temps et l'espace, voir Einstein, sont liés à cette énergie expansive. Un jour, il n'y aura plus rien." Mais, pour les chrétiens, ce rien n'est pas rien, si j'ose dire : il correspond à une plénitude enfin survenue, celle du Royaume que Jésus a annoncé par sa parole et ses actes, sur cette petite boule, petite planète d'un petit soleil que nous nommons "la terre", à un moment précis du temps - il y a deux mille ans, un rien au regard de l'histoire du monde, et qu'il a annoncé à une espèce vivante de la terre en laquelle il s'était incarné : l'être humain, qui peut-être disparaîtra bientôt et sera remplacé par d'autres! Mais ce Royaume a été annoncé, mieux, il a été inauguré : il a commencé. Il est fait de quoi? De paix, de justice, de fraternité entre êtres humains, certes, mais aussi avec les autres espèces et avec le monde qui leur est commun. D'une préoccupation inlassable pour la faiblesse, pour le statut des faibles - alors que l'évolution créatrice, au contraire, les ignore et les méprise et ne semble parier que sur la force des plus forts.
Il est vertigineux d'imaginer un Dieu créateur - créateur de tous les Univers, de cette expansion incroyable et inconnue, préoccupé par la faiblesse des plus faibles. Au point de visiter sa création non dans la force et le déploiement de sa gloire, mais dans l'humilité d'un berceau, d'une crèche, et dans l'accueil du rejet qui conduit à l'infamie et à la mort. Au point de rejoindre ainsi, en un être humain donné du temps et de l'espace, toute faiblesse de tout l'espace et du temps tout entier. C'est ainsi que Dieu est "miséricorde", comme l'annonce le Jubilé que le pape a ouvert cette année dans l'Eglise catholique, il l'est "en lui-même", non comme une condescendance, mais parce que c'est son Etre.
Le Royaume a donc commencé, et la fin du "monde", c'est pour les chrétiens l'établissement définitif de ce Royaume : c'est le Christ revenant victorieux de toute injustice, relevant toute faiblesse, ressuscitant toute mort.
Deux tentations : prendre cela pour de la rêverie, se fier seulement à ce que l'on voit et touche, à l'ici et au maintenant, au sensible actuel, et mépriser comme du délire ces propositions saugrenues. C'est fréquent chez nous, et les chrétiens qui professent encore leur foi en ce domaine, si on les aime bien, on les prend pour de pauvres idiots qui auraient un peu fumé la moquette, quand même... Version plus hard : ces délires sont dangereux, ils empêchent de transformer de fond en comble l'ici et le maintenant, de faire régner - par force s'il le faut - le Royaume attendu par tous : supprimons ces débilités (communisme soviétique, par exemple, il n'y a pas si longtemps, avec les conséquences que nous savons.)
Seconde tentation, inverse mais en vérité complice : tout miser sur l'au-delà, et minimiser la nécessité de réformer l'ici-bas. "Vous êtes malheureux maintenant? Souriez! Vous serez d'autant plus heureux à la fin des temps!" Tu parles! On a assassiné - avec bénédiction d'ecclésiastiques, quelquefois - des milliers de pauvres gens en les enfumant de la sorte : oui, quelquefois, la tentation est celle d'user de cette espérance comme d'un "opium" engourdissant (Marx, dans la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel, et la stigmatisation de la religion comme "opium du peuple.")
Espérance, j'ai lâché le mot : elle est entre ces deux tentations. Voir l'horizon de la fin comme une promesse, et déjà comme une présence, celle du Christ qui nous intime l'ordre d'attendre en servant le monde et les autres. Car attendre, attendre activement, c'est servir.  La page d'évangile lue aujourd'hui et demain dans nos églises est tirée de saint Luc (Lc 12) : cet évangéliste, contrairement à Matthieu et Marc qui repoussent les propos de Jésus sur le monde à venir en finale de leur texte, disperse, lui, à trois moments de son récit, ces mêmes propos. Comme une manière de dire que la fin du temps et de l'espace, que le retour du Christ, que l'établissement du Royaume, ne cessent de se rappeler à nous à chaque "instant". Chaque instant du temps doit être préoccupé par la fin du temps : c'est l'urgence du service, du don, de l'empressement pour autrui qui est ainsi au cœur de la foi, qui est, si j'ose dire, l'espérance au cœur de la foi. Une espérance active, qui se donne de la peine, qui veut changer le monde mais sait que c'est le Christ, à la fin, à la fin de tout, qui changera, pour nous, avec nous - et jamais sans nous - le cours de la vie, l'injustice en justice et la haine en amour.
"Heureux ceux qu'à son retour, il trouvera en train de veiller : je vous le dis, il prendra lui-même alors la pose du serviteur, les fera passer à sa table, et les servira."
La messe est dite - l'Eucharistie, en effet, n'est pas autre chose!

mercredi 3 août 2016

L'extrémisme catho en délire contre le pape

Dans l'avion qui le ramenait de Cracovie à Rome, le pape a, comme de coutume, donné une conférence de presse. Dans l'une de ses réponses, il a fait valoir qu'à ses yeux, l'Islam ne pouvait être dit "violent", mais simplement qu'il y avait des musulmans violents comme il y a des catholiques violents.
Des "cathos" d'extrême-droite, sur la "blogosphère", du coup, se lâchent : le pape serait un traître, il doit démissionner, etc.
L'intérêt de ces réactions, c'est qu'elles dévoilent leur vrai visage : ces gens-là sont mimétiquement identiques aux extrémistes qui se réclament de l'Islam, avec une vision de l'autre - des autres - idéologique et nauséabonde. Ce qu'ils ne supportent pas, c'est la différence, c'est une société métissée où le principal art de vivre consiste en l'acceptation bienveillante et réciproque de la différence de l'autre. Ce à quoi ils n'ont pas renoncé, c'est à un esprit de conquête qu'ils confondent avec l'annonce désintéressée et joyeuse de l'Evangile. Ce qu'ils ne veulent pas comprendre, c'est que la confusion entre le politique et la religion - mettons, la "chrétienté" - n'est plus un modèle souhaitable aujourd'hui. Ce dont ils sont d'indécrottables nostalgiques, c'est du pouvoir exercé au nom de la foi, de l'alliance toujours dangereuse entre le sabre et le goupillon. Et comme ils sont enfermés dans leur raisonnement totalitaire, même si le pape leur dit qu'ils sont dans l'erreur, ils estiment que c'est le pape qui a tort et qui n'est pas chrétien : on voit le degré de leur  culot et de leur aveuglement!
Une religion, faut-il le rappeler, n'est pas en soi "bonne" ou "mauvaise". Les textes sacrés d'une religion sont en outre ce qu'ils sont : dans la Bible juive, dans la Bible chrétienne, dans le Coran, il y a des passages d'une violence inouïe (et même dans le Nouveau Testament, contrairement à ce que l'on entend et lit quelquefois : "Allez-vous en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour vous depuis la création du monde", lit-on, par exemple, en Mt 25, lorsque Jésus parle du Jugement Dernier; et voyez les combats titanesques de l'Apocalypse!) Il ne s'agit pas de censurer ces textes, comme le préconise, et de façon, pardonnez-moi de le dire, un peu bébète, Monsieur Juppé qui prônait récemment une version du Coran compatible avec les valeurs de la France et qu'on a connu mieux inspiré. Il s'agit d'apprendre à interpréter, ou plus simplement, à lire ces textes d'une façon qui nous fasse tous marcher vers la Vie, et non vers la mort. Cela s'appelle : la théologie. Les événements tragiques que nous traversons nous invitent, me semble-t-il, à réintroduire la théologie, ses discussions, son érudition, dans le concert des disciplines indispensables à une vie commune et pluraliste harmonieuse. Monsieur Valls, actuel Premier Ministre Français, déclarait récemment dans je ne sais plus quel hebdomadaire, que la France devait devenir un pays de référence et d'excellence en matière de théologie musulmane et de réflexion théologique dans le dialogue interreligieux, sans que cela n'entrave en rien, au contraire (disait-il toujours), le caractère laïc de la République. Il me semble qu'on entend là des propos plus justes - que certains amis, qui lisent ce blog, se rassurent : cela ne signifie pas que, si j'étais Français, je voterais Valls plutôt que Juppé, hein! On est ici dans la réflexion.
Et il y a de quoi réfléchir, et à deux fois, en effet... Pour que la théologie puisse jouer, dans nos sociétés, ce rôle indispensable, il faut : des lieux et des programmes de formation, une valorisation de ce qu'elle est, des diplômes reconnus par les Etats, un dialogue entre Facultés de Théologie et gouvernants, des liens interdisciplinaires entre les sciences religieuses et les autres sciences humaines (psychologie, philosophie,  sociologie, littérature, etc.)  En Belgique, on est en train de détricoter ce qui existe encore comme enseignement public de la religion, exactement à l'opposé de ce qu'il faudrait faire!
Ah oui, il y a de quoi réfléchir, et agir, surtout, pour apprendre à réfuter les positions extrémistes, en ce compris celles des soi-disant "cathos" opposés au pape, et essayer d'éviter, s'il en est encore temps, la "guerre des civilisations" vers laquelle certains se réjouissent de nous entraîner...