vendredi 30 juillet 2010

Vivre en frères

La solitude suppose et permet, à l'autre bout de l'expérience spirituelle, la fraternité, la vie partagée. Les êtres humains ne sont pas des Robinson, ils sont destinés (au sens noble d'une "destinée") à la vie commune, que celle-ci se réalise dans une famille, une cité, un pays. Le christianisme, s'il insiste sur le coeur à coeur solitaire de chaque baptisé avec Dieu, propose lui aussi et d'emblée une vie communautaire, qu'on appelle dès lors "ecclésiale".
L'Eglise n'a pas bonne presse. On la réduit, surtout dans les médias généralistes, à une espèce d'institution moralisatrice, un machin hiérarchique destiné à opprimer des consciences, hypocrite de surcroît et mesquin. Et, hélas, cette vision n'est pas toujours fausse : il suffit de jeter un oeil sur les blogs des imbéciles traditionalistes pour être écoeuré jusqu'à la nausée par cette caricature. On oublie que l'Eglise est d'abord un mystère de fraternité. Se souvient-on des paroles étranges de Jésus, dans l'évangile de Matthieu : "Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un Père, celui qui est aux cieux, et vous êtes tous frères" (cf. Mt 23, 8-11)? On se dit qu'on en est loin : voyez comment on nomme les prêtres ou... le "Saint Père"! La pointe du discours n'est sans doute pas ici que les nominations paternelles et maternelles sont inutiles - on en connaît la nécessité psychologique, on sait les failles de qui en fut privé. Mais qu'elles sont provisoires : devant l'unique paternité qui vient du Père de tout et de tous, quelles que soient nos différences, même hiérarchiques, nous sommes tous frères et soeurs. Certes, le Saint Père est pour moi un père dans la foi, mais il est d'abord mon... frère. Et si les paternités et les maternités sont nécessaires, c'est pour nous reconduire à la fraternité.
Une fraternité qui se reçoit, puisque Dieu la donne. L'Eglise n'est pas une asbl, mais une assemblée convoquée par l'amour livré, dévoilé dans le Christ, et que le Nouveau Testament évoque en lui donnant le beau nom d'agapè : pas eros, l'amour amoureux, pas philia, l'amour de sympathie, mais l'oblation, le don sans repentance en lequel se fonde une fraternité chez ceux qui, reconnaissant leurs différences, y trouvent le germe d'un respect absolu, d'une égalité absolue, d'une liberté absolue...
J'ai déjà reçu quelques échos des "camps" des mouvements de jeunesse de nos paroisses, scouts ou patros. Je me réjouis de ce que, apparemment, tout se soit bien passé et dans ce sens ecclésial. Le but de ce genre de "camp", comme de toute autre activité dans laquelle l'Eglise intervient du reste, n'est-il pas que ceci : l'apprentissage de la fraternité, si difficile qu'elle soit?
Tout le reste, dormir à la dure, partager une certaine discipline, faire cuire des pommes de terre ou vivre sous tente... n'a de sens que si l'on contribue ainsi à s'ouvrir à l'autre. A découvrir que l'autre n'est pas tant "mon semblable" que "mon différent". A chercher dans cette différence reconnue l'inauguration de la fraternité que rend vraiment possible l'amour reçu de Dieu.

mardi 27 juillet 2010

Des moines en général, de la solitude en particulier

J'aime les moines. Depuis l'enfance, leur existence toujours m'a fasciné et même si, avec les années, j'ai appris à faire la part des choses, à désenchanter mes représentations de leur vie, je continue de penser qu'ils sont indispensables à la respiration de l'Eglise. J'aime me retrouver chez des Cisterciens, surtout, à Sénanque, à Lérins, à Hauterive, chez des Trappistes ou des Trappistines de chez nous et d'ailleurs : ils allient à la prière la rugueuse vocation de paysans, ce qui est mieux en phase avec ma nature que d'autres ordres plus intellos. A chacun son truc!
Or, quel est le ressort de la vie monastique sinon, comme son nom l'indique et pour faire un peu d'étymologie, la "solitude"? Même s'ils vivent en communauté, ce qui est le plus souvent le cas, les moines sont des solitaires, chacun s'avance vers Dieu, avec ses allers et ses retours, dans l'impartageable abîme de son coeur. Mais le grec monos, qu'on traduit donc par "seul", veut aussi dire "un, unifié" : la solitude ne serait pas heureuse si elle n'était un lieu d'unification intérieure. Je songe au frère Jean-Marc, la cinquantaine, né dans une banlieue de Marseille : il a tout du footballeur des rues, on dirait Zidane. Ce garçon accueille la vie qui va, ses handicaps - il est peu à peu privé de la vue - en l'unifiant dans le quotidien autour de la solitude monastique. Il travaille au potager, il prie "dans le secret" de son coeur et de sa cellule, il lit tant qu'il le peut encore ou écoute sur des cassettes des livres enregistrés, il partage offices et repas avec ses frères. Jean-Marc est pour moi un signe, au sens presque sacramentel de ce terme : un rappel adressé à l'Eglise entière et à chacun des baptisés, une manière de dire sans parler combien la quête de Dieu, qui est aussi quête de soi, suppose évidemment d'être seul avec soi, seul avec Dieu.
Je ne suis pas, je ne serai jamais moine. Mais, dans une vie plus extravertie que la leur, j'ai comme eux besoin d'être seul. Et je crois qu'il en va de même pour tout être humain, quel que soit son état de vie. Les partenaires d'un couple, par exemple, feraient bien de cultiver chacun son jardin secret. Sinon, comment l'autre, d'étranger qu'il est au départ, pourrait-il ne jamais cesser de devenir mystère? Et s'il cesse d'être un mystère, comment pourrait-on n'en pas être lassé au bout d'un temps? Il me semble que, souvent, les crises conjugales trouvent une part de leur origine dans l'incapacité des époux à rester seul avec soi. Et seul avec Dieu.
Ce vis-à-vis de soi et de Dieu, qui dans le meilleur des cas conduit à l'unification intérieure, commence par engendrer la peur. C'est que nous ne savons guère qui nous sommes - quand sont ôtés les fards et les paravents dont nous masquons nos vies afin d'être pris pour le personnage fantasmé. Une fois sorti du théâtre intérieur, que reste-t-il de moi? La solitude donne d'accéder peu à peu à la vérité de soi-même, et c'est souvent une découverte effrayée : derrière les meilleurs sentiments, on trouvera frustrations et rancunes, blessures reçues très loin dans l'enfance, qui nous rendent blessants. Failles. Désirs monstrueux, quelquefois. Sans le regard de Dieu sur notre vide, la solitude serait en effet désespérante. Placée sous ce regard, elle est une chance et un repos : O beata solitudo, sola beatitudo, osait chanter saint Bernard - en connaisseur qu'il était : "Ô bienheureuse solitude, seule béatitude!"

mercredi 21 juillet 2010

Au soir de la Fête Nationale

Puisque d'aucuns me l'ont demandé, voici le texte des propos que j'ai tenus ce matin à 11h00 à l'église d'Enghien lors du Te Deum solennel chanté pour le Roi et le Pays à l'occasion de la Fête Nationale :

"Madame la Députée-Bourgmestre, Madame et Messieurs les Echevins et Membres du Conseil Communal, Madame et Messieurs les Représentants des Pouvoirs Civils et Militaires, Messieurs les Représentants des Associations Patriotiques, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Pasteur d'Enghien, Frères et Soeurs,

Permettez-moi d'abord de remercier Monsieur le Pasteur d'Enghien pour sa présence à mes côtés ce matin.
Chaque année, la Fête Nationale permet aux citoyens d'Enghien de se retrouver ici, en l'église Saint-Nicolas, dans la diversité de leurs convictions politiques, religieuses ou idéologiques.
Mesurons-nous la chance que nous avons, nous qui, par tempérament et mauvaises habitudes, avons si fréquemment l'inclination de nous plaindre?
. Nous avons la chance de vivre dans une démocratie - "le moins mauvais des régimes", disait Churchill, ce qui n'est hélas pas le cas de la grande majorité des pays du monde.
. Nous avons la chance de vivre dans un pays globalement riche, l'un des plus riches en PIB de l'Union Européenne - je n'ignore pas, ce disant, que des pauvretés subsistent chez nous, et de tous ordres.
. Nous avons la chance de vivre dans un pays de compromis où, aussi loin que possible, des communautés diverses par leur langue, leur culture, leur conception même de la citoyenneté, apprennent à se mettre d'accord en vue du bien commun.
. Nous avons la chance de vivre dans un pays en paix, et même s'il y a des frictions communautaires, cela ne nous a jamais conduits, depuis plus de soixante ans, à de graves violences ou à des assassinats (comme on a pu le voir, par exemple, en France ou en Espagne).
. Nous avons la chance de vivre dans un Etat dont le Souverain est un Roi réputé pour sa sagesse et qui, entouré de sa Famille, accepte et remplit le mandat que les Constituants de 1830 ont confié à cette Famille, assurant par là-même à notre Patrie une stabilité enviable.

Mesdames et Messieurs, Frères et Soeurs, je pourrais poursuivre la liste, et longuement. Vous l'aurez compris, j'ai voulu ce matin insister sur ce que le tempérament belge, volontiers grincheux, tend à ignorer et qui, pourtant, nous rassemble précisément ce matin dans cette église : la chance et le bonheur de vivre en paix dans nos différences.

Les chrétiens sont accoutumés, depuis l'origine de leur foi, à rendre grâce et à prier pour les chefs des Etats où ils vivent, demandant à Dieu de les garder dans Sa sagesse et de les bénir. C'est le sens du Te Deum laudamus que nous allons maintenant chanter pour le Roi et pour notre pays.

Aan U allen hartelijk welkom in uw rang en hoedanigheid. Ter gelegenheid van onze Nationale Feestdag zijn wij hier in deze dekanale kerk samengekomen om hulde te brengen aan ons Vaderland en zijn instelligen. Samen met de overheden, de militairen en de burgers is hier ook de gelovige gemeenschap aanwezig om te bidden voor ons land, en voorspoed en harmonie tussen de gewesten en de gemeeschappen. Tenslotte zullen wij God loven en danken door het zingen van het plechtig Te Deum laudamus, want van Hem komt alles wat goed is. Aan Hem hebben wij alles te danken, en van Hem moeten wij alles verwachten."

lundi 19 juillet 2010

De l'art du silence

Je songe à tel ou tel de mes voisins et (plus encore) voisines, âgés et seuls, qui voudraient tant avoir la chance de la conversation, et qui n'ont plus guère que la télé pour partenaire... Comment oserais-je, devant eux, faire un éloge du silence? Le silence est ambivalent, il n'est pas toujours une vertu ou un bienfait. Nous le savons bien, nous qui magnifions une religion de la Parole, une religion du Verbe!
J'ai appris à me taire. je suis d'un naturel joyeux, la repartie me vient aux lèvres plus vite qu'il ne faudrait, cette réplique "qui tue", et je me serais autrefois damné pour un bon mot. Au risque de blesser, bien sûr. Alors j'ai essayé d'apprendre à me taire - apprentissage inachevé! Les traits d'esprit et, pire, les mouvements d'une colère qui gronde, j'essaie de les ravaler. Mais ce n'est pas encore le silence...
Le silence, celui que j'entends ici recommander, il faut apprendre à l'écouter. Dans une chambre d'hôpital, en soins palliatifs, quand il n'y a plus que, de temps en temps, le bruit de la pompe à morphine, quand seuls comptent les gestes et les caresses mille fois répétés sur des bras aimés, alors on apprend quelque chose du silence. Ou, à l'autre bout de la vie, à son commencement, durant cet éveil de la nuit - moment que j'imagine entre tous béni et que j'ai toujours regretté, moi le prêtre sans enfant - lorsqu'on reconduit le petit gamin ou la petite fille alarmés du cauchemar à la quiétude d'un sommeil délivré : cette béatitude ouvre sur un silence infiniment peuplé (n'est-ce pas là un instant de pur bonheur que Dieu a donné à l'homme comme un geste et un signe de sa propre paternité?)
Le silence que j'évoque ici est plein de ces rumeurs d'amour, de ces échanges au-delà des mots, au-delà des sons, de cette musique au-delà des notes. Il ouvre l'espace d'une présence, de la Présence. Il donne d'écouter ce que seul le coeur peut percevoir quand l'ouïe n'a rien à entendre, le murmure de Dieu, ce bruissement auquel on nous dit, dans le Premier Livre des Rois, qu'Elie le grand prophète le préféra à tous les fracas pour se voiler le visage devant son Seigneur (1R 19, 12).
Le temps des vacances, je le vois aussi comme un temps de "prises de silence", comme on évoque parfois des "prises de parole". Le matin, dans un lieu solitaire ou n'importe quand en promenade, quel luxe de pouvoir s'arrêter, s'asseoir, se recueillir, et ainsi écouter l'inentendu - c'est la part de Marie, la soeur de Marthe, "la meilleure", disait Jésus dans l'évangile de Luc proclamé hier. A Belval, un monastère cistercien du Nord de la France, une inscription est placardée dans la salle à manger des hôtes. Inspirée d'un texte de Bernanos, elle précise : "Ce n'est pas nous qui gardons le silence, c'est le silence qui nous garde." En effet.
Nous avons tant besoin d'un peu de lumière. D'un peu de vérité. D'un peu de justice. D'un peu de paix. D'un peu de miséricorde versée sur nous-mêmes. Et Dieu est là, qui attend de nous les donner pour notre soulagement. Comme pour Elie, comme pour Marie et pour Marthe sa soeur, la Parole de liberté ne vient à nous que dans le fin bruissement du silence.

samedi 17 juillet 2010

Saint Bernard, Marthe, Marie et... Lazare

Pour commenter l'épisode que nous entendons dans la liturgie de ce dimanche, et qui est extrait de l'évangile de Luc (Lc 10, 38-42), saint Bernard dans ses Homélies (en particulier, ses Homélies pour... l'Assomption, précisément parce qu'on lisait cet épisode évangélique dans la liturgie cistercienne pour cette fête) adjoint aux deux soeurs leur frère Lazare, que l'on rencontre dans l'évangile de Jean : tout le chapitre onzième du quatrième évangile raconte en effet, on le sait, la maladie, la mort et la résurrection spectaculaire de cet ami de Jésus. Saint Bernard propose d'interroger nos existences à la lumière de ce trio que nous portons tous en nous : Marthe, Marie et Lazare. En chacun de nous, dit-il, il y a un "Lazare" malade, mourant, mort bientôt, que Jésus doit venir ressusciter : c'est tout le thème du "vieil homme" qui doit mourir en nous pour que naisse "l'homme nouveau", ressuscité avec le Christ. Lazare en nous étant ressuscité, la reconnaissance de Marthe sa soeur devient telle qu'elle l'entraîne à une générosité presqu'excessive : elle en oublierait, à force de le servir, celui qu'elle veut remercier. Elle en oublierait de l'écouter vraiment, de lui ouvrir son coeur. Et elle irait même jusqu'à juger importune la démarche de sa soeur Marie qui, elle, prend le temps de s'arrêter, de s'asseoir aux pieds de celui qu'elle veut pour intime. Marie! Marie, c'est Marthe... qui serait amoureuse! Elle n'a d'yeux et d'oreilles que pour le Maître bien-aimé, elle sait qu'en lui est la source de Vie, celle qui a pu donner à son frère cette énergie qui l'a poussé hors de la tombe. Et elle ne veut plus que s'abreuver à cette source. Mais elle doit, sur cette terre du moins, et même si "elle a choisi la meilleure part", ne pas s'endormir : sa contemplation serait oisiveté si elle ne la relançait pas au service de son Seigneur et, à travers lui, des hommes et des femmes qui sont ses frères et ses soeurs sur cette terre!
Beau trio, en effet, pour évaluer notre condition chrétienne et son exercice quotidien.

jeudi 8 juillet 2010

La justice et l'Eglise catholique en Belgique

Plusieurs personnes me demandent mon avis sur "ce qui se passe" entre la justice et l'Eglise catholique en Belgique, après les perquisitions du 24 juin à Malines et la longue audition, comme témoin, du Cardinal Danneels avant-hier à la PJ de Bruxelles.
Sur le fond, évidemment, je ne sais pas précisément ce qui est recherché par les enquêteurs.
Quelques éléments, pourtant, me viennent à l'esprit :
- ce qui était une évidence il y a vingt ans ne l'est plus, à savoir que l'institution devait être protégée et que les éventuels remous suscités par les moeurs légères d'un ecclésiastique, il valait mieux n'en point trop parler. Cette évolution est bénéfique, mais elle se fait par delà les personnes et les personnalités, elle constitue un changement de société qui dépasse les acteurs eux-mêmes de la société. Je suis persuadé que, même si (ce que j'ignore, évidemment) le Cardinal a minimisé des faits à lui rapportés, comme d'autres évêques du reste à la même époque, c'est parce qu'il croyait en toute bonne foi que c'était là son devoir, comme d'autres l'ont cru à la tête d'autres institutions. La justice qui juge le passé avec des critères du présent a toujours un petit côté anachronique;

- en même temps, ceci est un bienfait pour l'institution, même si elle met à mal une personnalité remarquable du pays, pour laquelle on ne peut qu'éprouver estime et reconnaissance. Aucune institution, si noble soit-elle, ne peut se substituer au bien des personnes individuelles. La "raison d'Etat", quel que soit " l'Etat" (ou, donc, l'institution), est toujours une mauvaise raison quand le bien d'un seul individu est en jeu. Que l'Eglise, secouée par la justice du pays, en prenne conscience, voilà qui ne peut que la grandir;

- l'Eglise, du coup, se grandira comme institution si elle ressort de cette épreuve plus humble, moins arrogante et moins donneuse de leçons. Il ne faut pas s'étonner qu'une démocratie comme le Royaume de Belgique, tellement traversée par la nécessité du dialogue constant entre tous les partenaires, trouve agaçante la prétention de l'Eglise catholique de se placer sans cesse, du point de vue éthique, "au-dessus de la mêlée", comme si ce qu'elle professe devait être avalé tout cru et sans discussion. Et, en particulier, en matière de morale sexuelle : on la rattrape là, précisément là, où elle pense si souvent devoir faire la leçon à tout le monde. C'est bien pour son matricule, et ne peut que la conduire à un comportement moins ombrageux et plus évangélique.

lundi 5 juillet 2010

Evangélisé par les gens...

Le prêtre est là pour évangéliser, sans doute. Mais sait-on assez qu'il est d'abord évangélisé par les personnes à lui confiées? Ainsi, cet après-midi, j'ai eu la joie de célébrer l'onction des malades chez un paroissien gravement atteint dans sa santé, entouré de son épouse et d'un ami venu par hasard le visiter à cette heure-là. La façon dont cet homme vit avec dignité et sérénité, avec foi surtout, l'épreuve de sa maladie, la façon dont il est accompagné par son épouse, tout cela fut pour moi un moment de vraie joie spirituelle. Les pleurs de quelqu'un qui fait le bilan de sa vie, son action de grâce pour tous les bienfaits reçus, son regard d'amour à sa femme, ses regrets pour tout ce qui n'a pas été généreux, regrets vite compensés par sa confiance en la miséricorde de Dieu, son abandon tout simple, d'enfant : voilà qui m'a plus qu'épaté, disons, édifié, au sens architectural du terme, remonté, et, oui , "évangélisé".
Et ce soir, moi aussi, je rends grâce pour tout l'amour donné, reçu, contemplé.

jeudi 1 juillet 2010

Les vacances

Revoici le temps béni des vacances. l'étymologie dit : de vacare, "être vide, manquer". Et je ressens d'abord ce creux : l'agenda s'est désempli, la surcharge est moindre, voici tout à coup la page blanche. Pour un peu, j'en serais désarçonné, moi qui cours tous les jours après le temps pour le rattraper. D'un côté, c'est l'oasis longtemps rêvée. D'un autre, la bascule : on passe du tout au (presque) rien, du plein au vide. Mais, pour parodier Bécaud, "et maintenant, que vais-je faire, de tout ce temps, que sera ma vie?"
Oh, tout me convie à combler au plus vite cette béance offerte : ré-emplir mes journées par tel voyage ou telle sortie, tels amis que je n'ai pas vus depuis trop de mois, et surtout il y a ce sommeil en souffrance, à récupérer. Comme si je devais, vite, vite, occuper le terrain déserté par de nouvelles tâches. En réalité, ce "rien" m'effraie, moi comme tout le monde. L'être humain a peur du vide, c'est bien connu, il ne se penche sur ses bords qu'avec la plus grande appréhension, il se hâte de le remplir : la porte, sinon, ne serait-elle pas ouverte à la gamberge, à la déprime, même? Ce que Pascal, le philosophe, appelait au XVIIème siècle le "divertissement" aura tôt fait de le rassurer...
Je suis entré ce matin dans l'église, la belle église d'Enghien. Pas un bruit. les vitraux du choeur recevaient et diffractaient encore la lumière de l'Est, l'aube de la résurrection. Je me suis assis dans la promesse de cette journée, avec au coeur ce vide, cette vacance. Dieu s'y offrait à mon désir dans une plus grande béance, celle de son amour. "Je 'tattends", voilà ce mot qui résonnait à mes oreilles et, plus encore cet autre, prononcé dans le silence du matin : "Je te cherche". Avec le matin venait à moi un Dieu lui-même vacant, vide, sans a priori sur ma personne, n'ayant qu'un désir : être assez dépouillé pour me combler. "Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même..." Ainsi parle Paul, lorsqu'il raconte aux Philippiens la geste du Christ et lorsque, ce faisant, il nous raconte qui est Dieu pour les hommes (cf. Ph 2, 6-7) : un abîme d'amour en quête du nôtre, une quête amoureuse de notre quête.
J'avais envie de dire les versets du psaume des Laudes, ce matin-là : "Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube, mon âme a soif de toi..." Et sans que j'eusse prononcé aucune parole, déjà le Verbe me précédait et sans rien dire s'appliquait à lui-même ces propos inauguraux : "Homme, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube, mon âme a soif de toi..."
Je suis sorti de l'église une bonne heure plus tard. Des enfants trottaient dans la rue de la Fontaine, des jeunes libérés de l'école y esquissaient des courses de planches à roulettes : ils couraient eux aussi vers les vacances, chacun cherchant son repos. J'avais trouvé le mien, et je crois bien que j'avais prié.