La solitude suppose et permet, à l'autre bout de l'expérience spirituelle, la fraternité, la vie partagée. Les êtres humains ne sont pas des Robinson, ils sont destinés (au sens noble d'une "destinée") à la vie commune, que celle-ci se réalise dans une famille, une cité, un pays. Le christianisme, s'il insiste sur le coeur à coeur solitaire de chaque baptisé avec Dieu, propose lui aussi et d'emblée une vie communautaire, qu'on appelle dès lors "ecclésiale".
L'Eglise n'a pas bonne presse. On la réduit, surtout dans les médias généralistes, à une espèce d'institution moralisatrice, un machin hiérarchique destiné à opprimer des consciences, hypocrite de surcroît et mesquin. Et, hélas, cette vision n'est pas toujours fausse : il suffit de jeter un oeil sur les blogs des imbéciles traditionalistes pour être écoeuré jusqu'à la nausée par cette caricature. On oublie que l'Eglise est d'abord un mystère de fraternité. Se souvient-on des paroles étranges de Jésus, dans l'évangile de Matthieu : "Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un Père, celui qui est aux cieux, et vous êtes tous frères" (cf. Mt 23, 8-11)? On se dit qu'on en est loin : voyez comment on nomme les prêtres ou... le "Saint Père"! La pointe du discours n'est sans doute pas ici que les nominations paternelles et maternelles sont inutiles - on en connaît la nécessité psychologique, on sait les failles de qui en fut privé. Mais qu'elles sont provisoires : devant l'unique paternité qui vient du Père de tout et de tous, quelles que soient nos différences, même hiérarchiques, nous sommes tous frères et soeurs. Certes, le Saint Père est pour moi un père dans la foi, mais il est d'abord mon... frère. Et si les paternités et les maternités sont nécessaires, c'est pour nous reconduire à la fraternité.
Une fraternité qui se reçoit, puisque Dieu la donne. L'Eglise n'est pas une asbl, mais une assemblée convoquée par l'amour livré, dévoilé dans le Christ, et que le Nouveau Testament évoque en lui donnant le beau nom d'agapè : pas eros, l'amour amoureux, pas philia, l'amour de sympathie, mais l'oblation, le don sans repentance en lequel se fonde une fraternité chez ceux qui, reconnaissant leurs différences, y trouvent le germe d'un respect absolu, d'une égalité absolue, d'une liberté absolue...
J'ai déjà reçu quelques échos des "camps" des mouvements de jeunesse de nos paroisses, scouts ou patros. Je me réjouis de ce que, apparemment, tout se soit bien passé et dans ce sens ecclésial. Le but de ce genre de "camp", comme de toute autre activité dans laquelle l'Eglise intervient du reste, n'est-il pas que ceci : l'apprentissage de la fraternité, si difficile qu'elle soit?
Tout le reste, dormir à la dure, partager une certaine discipline, faire cuire des pommes de terre ou vivre sous tente... n'a de sens que si l'on contribue ainsi à s'ouvrir à l'autre. A découvrir que l'autre n'est pas tant "mon semblable" que "mon différent". A chercher dans cette différence reconnue l'inauguration de la fraternité que rend vraiment possible l'amour reçu de Dieu.
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