Je songe à tel ou tel de mes voisins et (plus encore) voisines, âgés et seuls, qui voudraient tant avoir la chance de la conversation, et qui n'ont plus guère que la télé pour partenaire... Comment oserais-je, devant eux, faire un éloge du silence? Le silence est ambivalent, il n'est pas toujours une vertu ou un bienfait. Nous le savons bien, nous qui magnifions une religion de la Parole, une religion du Verbe!
J'ai appris à me taire. je suis d'un naturel joyeux, la repartie me vient aux lèvres plus vite qu'il ne faudrait, cette réplique "qui tue", et je me serais autrefois damné pour un bon mot. Au risque de blesser, bien sûr. Alors j'ai essayé d'apprendre à me taire - apprentissage inachevé! Les traits d'esprit et, pire, les mouvements d'une colère qui gronde, j'essaie de les ravaler. Mais ce n'est pas encore le silence...
Le silence, celui que j'entends ici recommander, il faut apprendre à l'écouter. Dans une chambre d'hôpital, en soins palliatifs, quand il n'y a plus que, de temps en temps, le bruit de la pompe à morphine, quand seuls comptent les gestes et les caresses mille fois répétés sur des bras aimés, alors on apprend quelque chose du silence. Ou, à l'autre bout de la vie, à son commencement, durant cet éveil de la nuit - moment que j'imagine entre tous béni et que j'ai toujours regretté, moi le prêtre sans enfant - lorsqu'on reconduit le petit gamin ou la petite fille alarmés du cauchemar à la quiétude d'un sommeil délivré : cette béatitude ouvre sur un silence infiniment peuplé (n'est-ce pas là un instant de pur bonheur que Dieu a donné à l'homme comme un geste et un signe de sa propre paternité?)
Le silence que j'évoque ici est plein de ces rumeurs d'amour, de ces échanges au-delà des mots, au-delà des sons, de cette musique au-delà des notes. Il ouvre l'espace d'une présence, de la Présence. Il donne d'écouter ce que seul le coeur peut percevoir quand l'ouïe n'a rien à entendre, le murmure de Dieu, ce bruissement auquel on nous dit, dans le Premier Livre des Rois, qu'Elie le grand prophète le préféra à tous les fracas pour se voiler le visage devant son Seigneur (1R 19, 12).
Le temps des vacances, je le vois aussi comme un temps de "prises de silence", comme on évoque parfois des "prises de parole". Le matin, dans un lieu solitaire ou n'importe quand en promenade, quel luxe de pouvoir s'arrêter, s'asseoir, se recueillir, et ainsi écouter l'inentendu - c'est la part de Marie, la soeur de Marthe, "la meilleure", disait Jésus dans l'évangile de Luc proclamé hier. A Belval, un monastère cistercien du Nord de la France, une inscription est placardée dans la salle à manger des hôtes. Inspirée d'un texte de Bernanos, elle précise : "Ce n'est pas nous qui gardons le silence, c'est le silence qui nous garde." En effet.
Nous avons tant besoin d'un peu de lumière. D'un peu de vérité. D'un peu de justice. D'un peu de paix. D'un peu de miséricorde versée sur nous-mêmes. Et Dieu est là, qui attend de nous les donner pour notre soulagement. Comme pour Elie, comme pour Marie et pour Marthe sa soeur, la Parole de liberté ne vient à nous que dans le fin bruissement du silence.
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