lundi 20 janvier 2025

Luciani et Mussolini...

 On demandait un jour à Albino Luciani, futur pape Jean-Paul Ier, qui voyait passer sous ses fenêtres le Dictateur Mussolini alors adulé par la foule, comment il réagissait. Il répondit par la citation d'un Psaume, le Psaume 36 :

"J'ai vu l'impie dans sa puissance se déployer comme un cèdre vigoureux. Il a passé, voici qu'il n'est plus; je l'ai cherché, il est introuvable."(Ps 36, 36)

Allez savoir pourquoi cette anecdote me revient, ce soir...

mercredi 15 janvier 2025

La question de la vérité

 A partir de la prochaine prestation de serment du nouveau Président des USA, on voit bien que la géopolitique mondiale sera redessinée - les Etats-Unis se désolidarisant sans doute davantage de l'Europe et des traités qui les lient à elle, la "vassalisant" en quelque sorte et favorisant ses divisions internes en accréditant les forces et partis de la droite extrême qui s'y déploient. La stratégie des sieurs Trump et Musk est à cet égard on ne peut plus explicite. La Russie pourra multiplier les déclarations, comme elle le fait ces jours-ci, l'habilitant d'après elle à étendre son empire vers l'Ouest et à reconquérir, ne serait-ce qu'idéologiquement, les contrées perdues après la chute du Mur de Berlin. L'influence de l'Europe en Afrique s'amenuisera encore, y laissant un champ de plus en plus libre aux ambitions chinoises. Bref, les puissances et les puissants réécrivent leur partage du monde...

Pour accréditer ce qui apparaît bien comme le grand changement depuis la fin de la dernière Guerre Mondiale, des discours sont partout brandis qui, au nom de l'histoire, de la culture, ou simplement du profit économique, sont truffés de ces "fake news" qu'autrefois et en français on appelait simplement des mensonges.

Ce n'est plus la vérité qui guide les choix et les positionnements stratégiques, mais l'arrogance et le n'importe quoi - on affirme comme vrai tout et son contraire, pourvu que l'affirmation serve des intérêts particuliers.

Ce qui pose à tout le monde la question de la vérité. Certes, on peut d'abord rappeler ce qu'elle n'est pas : la paisible détention de certitudes pré-critiques, par exemple religieuses,  ou de simples constats scientifiques certes importants mais insuffisants pour justifier une vie humaine. La  vérité est un horizon de sens, qui suppose le dialogue patient et complexe entre personnes de bonne volonté et porteuses de convictions, de passés et de présents fort divers. Elle n'est  jamais séparable du débat, même lorsqu'elle est une vérité religieuse et donc "révélée" - la révélation suppose toujours aussi une reprise critique, une herméneutique plurielle, sauf à verser dans le fondamentalisme dont on sait le danger. Elle est un cheminement, une quête incessante qui ne se dissocie pas d'une recherche concomitante de l'éthique et de l'esthétique, du bien et du beau. En ce sens, rien de laid ne saurait être vrai; rien de mal non plus. Ceux que le Moyen Âge philosophe appelait "les universaux" (le bien, le vrai, le beau...) marchent ensemble.

La déferlante du mensonge, un mensonge volontaire et intéressé, sur les réseaux sociaux, une déferlante entretenue par certains grand dirigeants, nous invite à retrouver la beauté et la bonté de la vérité. Reconquête patiente, mais obstinée que les chrétiens seraient bien inspirés d'entreprendre avec d'autres, avec tous ceux, espérons-le nombreux,  que le mensonge effraie - à juste titre.

mardi 7 janvier 2025

"Louée soit la lecture"

 C'est sous ce titre, "Louée soit la lecture", que les éditions Equateurs proposent la "Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation", du pape François, datée du 17 juillet 2024. Document en effet remarquable, à propos duquel j'ai eu l'occasion de m'exprimer hier matin sur KTO, dans l'émission "La Foi prise au mot", de l'ami Régis Burnet - diffusion dans le courant janvier, sans doute.

Dans l'édition en question, la préface est signée William Marx, un grand nom du monde académique français - il est professeur de littérature comparée et en occupe la chaire au prestigieux Collège de France. La préface est tout aussi remarquable que la lettre elle-même. J'en cite avec délectation la conclusion :

"Alors que paraissait la lettre, des prélats, des fidèles et quelques personnalités s'insurgeaient contre un épisode de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques parisiens, interprétée à tort comme une parodie de la Cène. Un bref communiqué du Saint-Siège, non signé, embraya mollement. Ces censeurs de peu de discernement auraient difficilement pu se montrer plus éloignés de la hauteur spirituelle, intellectuelle et morale à laquelle s'élève François. On rêve que d'autres chefs religieux et politiques sachent s'inspirer de ce don exceptionnel d'intelligence et d'ouverture à tout ce qui fait l'humanité, en laquelle, selon la foi chrétienne, Dieu eut l'audace de s'incarner. C'est à cette même audace que nous sommes conviés en tant que lecteurs. Dans un sublime paradoxe moins ironique qu'on ne croit, où il inaugurait brutalement la poésie du XXe siècle, Guillaume Apollinaire le disait déjà : 'L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X.' C'était en 1913. Il n'y a qu'un nom à changer." (pp. 19-20)

On espère que pareille appréciation sera reçue et méditée par quelques médiatiques professeurs en modernité...

mardi 31 décembre 2024

"Le Verbe s'est fait chair..." Bonne année!

 L'Evangile du dernier jour de l'année civile est celui du Prologue de l'Evangile de Jean, ce texte magnifique, sans doute tardif (fin Ier siècle ou même début IIème siècle), une méditation théologique sur ce qu'est le christianisme. Ce qu'est le christianisme... que n'a-t-on dit, glosé, médit et souvent de façon intellectuellement peu honnête, à ce sujet! "Une reprise de mythes anciens, une secte juive, une pure et simple invention, un  culte à mystères de plus, un délire, etc., etc..."

On rechigne à y voir la grandeur de l'amour, de l'agapè, ce don sans retour qui est fait à l'humanité par un Dieu qui se donne à connaître comme pur Don. Saint François d'Assise l'avait déjà déploré en son temps, qui se lamentait en disant : L'Amore non è amato! "L'Amour n'est pas aimé!"

Le Prologue de Jean nous remet devant les yeux la grandeur de ce Don : le Verbe, Parole puissante par qui tout existe, est devenu enfant, in-fans, celui qui n'a pas la parole, qui ne parle pas encore ou qui est prié de se taire. Ce faisant il a réinvesti la "chair" humaine en lui offrant une seconde naissance, une naissance en Dieu, et ceux qui accueillent cela en effet "ne sont pas nés de la chair et du sang, mais nés de Dieu!"  Celui qui accueille ce Don, il trouve en Dieu sa naissance, et cela change son existence entière, lui donnant sens, dans la double acception de "direction" et de "signification".

Nous voilà loin de considérations morales, sociologiques, psychologiques ou autres. Le christianisme n'est pas une morale, il est un salut, un exaucement du grand désir humain ("L'homme passe infiniment l'homme", dit une Pensée de Pascal) et aussi son exhaussement. En cela, il offre à tout être humain une liberté incroyable, la plus grande liberté possible, la liberté spirituelle.

Je crois toujours davantage, avec l'âge, qu'il n'y pas de plus grand bonheur que celui-là. On peut être privé de beaucoup de choses (santé, argent, relations humaines, paix intérieure et extérieure, tout ce qu'on veut), la petite musique chrétienne, même en sourdine, résonne toujours.

Je crois qu'en elle, en cette musique, est la source de l'Espérance dont le pape François a fait le thème de cette année jubilaire qui s'ouvre, 2025. Il y a toujours une Espérance, même quand humainement il n'y a plus d'espoir. Il y a toujours une Espérance, parce que la source de l'agapè, la source du Don coule toujours en nous depuis le baptême. Et que c'est la source du bonheur.

Belle et sainte année à chacune et chacun de vous!

dimanche 22 décembre 2024

"Quand nous visite l'astre d'en-haut..."

 La Visitation dont la lecture évangélique de ce jour nous rapporte le récit en saint Luc, ce n'est pas seulement une visite - celle de la jeune Marie à sa vieille cousine Elisabeth, toutes deux étant enceintes. La Visitation, c'est une visite d'une autre ampleur - d'où l'ampleur aussi du terme. C'est, à travers Marie enceinte, Dieu lui-même qui rend visite à l'humanité et s'inquiète de savoir... comment ça va, du côté des humains.

Eh bien, mettons que ça ne va pas fort.

Les humains ne semblent guère heureux, ni dans les pays riches, ni dans les pays pauvres. Dans les premiers, ils sont inquiets et, dans les seconds, maltraités. Leurs responsables ne semblent guère futés, incapables de leurs procurer le bonheur autrement que par des gadgets chez les premiers, ou par des promesses chez les seconds. Alors, en lieu et place du bonheur, on leur offre des guerres, des guerres, des guerres, pour des bouts de territoire, pour des histoires compliquées de droits non respectés, pour des menaces prétendument religieuses ou culturelles - on serait dans des cours de récréation, bon, les maîtres siffleraient la fin de ces conflits imbéciles, mais on joue dans la cour des grands, n'est-ce pas, alors, on tue, on massacre, on assassine, on fabrique des armes, encore des armes, toujours des armes - une bénédiction pour les usines et les marchands, et même, au passage, pour les trafiquants. 

Non, vraiment, chez les humains, ça ne va pas fort ces temps-ci.

Mais Dieu vient visiter son peuple. Pas pour le punir, non, il a renoncé depuis longtemps à cette pédagogie de la punition. Pas non plus pour approuver ses délires, non : il y a tout de même du reproche dans sa visite.

Alors, pourquoi vient-il? Reprenons la formule habituelle : "pour sauver". Son salut à l'humanité n'est pas seulement une salutation, mais une salvation. Il vient sauver l'humanité d'elle-même car, laissée à ses propres décisions, elle ne s'en sortira pas. Et ce salut, il le veut radical - allant jusqu'à la racine du mal, du mystère du mal qu'il veut éradiquer. Non pas d'un coup de baguette magique, non, ce n'est pas son style. Mais en s'y livrant lui-même, en se faisant le tout-petit de la crèche, le rejeté de l'auberge, l'incompris de la prédication, le condamné de la croix, l'abandonné même de Dieu, lui qui est Dieu, le premier des athées dans son cri "Pourquoi?" Il n'esquive rien dans cette geste de salut. Il embrasse entièrement l'humanité, son extériorité et son intériorité, pour lui rendre la capacité d'aimer plutôt que de haïr.

Cela commence par les entrailles : c'est dans le sein de sa vieille mère que le dernier des prophètes tressaille en reconnaissant dans l'autre petit celui qui vient pour tout restaurer dans l'amour : "Lorsque j'ai entendu tes paroles de salutation, dit Elisabeth, l'enfant a tressailli d'allégresse au-dedans de moi!" 

Et elle ajoute : "Bienheureuse celle qui a cru!"

Bienheureux aujourd'hui encore ceux qui croient : l'astre d'en-haut vient nous visiter!

Heureux Noël...

dimanche 15 décembre 2024

Dieu, l'Energie

 Méditation ce dimanche sur l'énergie divine. Partons d'un constat : le Dieu qui crée toutes choses, "l'Univers visible et invisible" comme nous le proclamons dans notre Symbole de foi en oubliant souvent que l'Univers invisible est infiniment plus étendu que le visible, que, petite poussière que nous sommes sur la petite poussière un peu plus grande qu'est la terre, nous ne sommes qu'infimes dans cet Univers, bref, ce Dieu qui crée tout est aussi Celui qui seul me connaît au plus intime. Car pour lui, me créer, c'est me connaître ('yada, dit l'hébreu, qui désigne une connaissance de l'intimité : "Adam connut Eve, et Eve conçut", nous ne sommes pas dans une science livresque...) Et cette intimité est une forme d'amour absolu, car Celui qui me connaît ainsi est Celui qui m'aime - pour lui, connaître, c'est aimer. Moi-même, je me connais très mal et très peu; moi-même, je m'aime très mal et très peu. Dieu seul sait aimer comme il faut...

La même énergie se déploie dans l'acte créateur de l'Univers et dans l'acte créateur de chaque être humain, et c'est une énergie d'amour. S'il m'arrive, dans la prière, de me percevoir au moins un peu connu par Dieu, c'est que le même amour est à l'origine de toute chose. L'origine du monde, ce n'est pas le sexe féminin, n'en déplaise à Courbet, l'origine du monde, c'est l'amour de Dieu.

C'est une énergie formidable, qui produit le "big bang" et aussi la prière dans l'intimité du coeur humain. C'est une dépossession complète de soi qui veut devant soi l'autre. C'est une "kénose" perpétuelle, un vide de soi, un abaissement, un agenouillement du Créateur devant sa créature. C'est un amour de salut et de résurrection. C'est la Vie en sa puissance, en son surgissement. C'est l'amour porté par le Fils incarné, lui le Verbe devenu muet dans la crèche de Noël - une crèche dont l'ombre, déjà, dessine une Croix.

Tout cela me trottait en tête, hier, quand dans l'église Sainte-Catherine j'accompagnais par la prière la foule innombrable des adorateurs nocturnes du Saint-Sacrement qui se pressait là, attirée par le Mystère exposé. Car l'amour, toujours, attire. Dans cette hostie vénérée, oui, il y a avait - il y a - toute l'énergie créatrice par laquelle nous sommes des vivants. Et toute l'énergie recréatrice, salvatrice, par laquelle nous devenons de vrais Vivants.

dimanche 8 décembre 2024

Ah! Notre Dame!

 Comme beaucoup j'ai regardé les célébrations de ré-ouverture de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, ce week-end. Et comme beaucoup, sans doute, je suis rempli d'enthousiasme - même si les chapes de Castelbajac offrent une esthétique, mettons, discutable!

Ah! Notre-Dame! Quelle histoire! Un concentré des rapports difficiles, quelquefois séducteurs, entre le Trône et l'Autel...

Ainsi : 

- lorsque son édification est décidée par l'évêque Maurice de Sully, au XIIème siècle, c'est pour opposer son prestige au pouvoir royal

- lorsque Louis IX lui offre la précieuse relique de la Sainte Couronne d'Epines... c'est pour placer cette relique dans la Sainte Chapelle, non loin  de là, histoire de ne pas donner trop de prestige à la Cathédrale

- lorsqu'au XVIe siècle le futur Henri IV y fait célébrer son (éphémère) mariage avec Marguerite de Valois (la "Reine Margot"), c'est dans l'espoir, réintégrant ainsi l'Eglise Catholique, de donner une fin honorable aux Guerres de Religion

- lorsque le petit-fils d'Henri IV, Louis XIV, y fait chanter des Te Deum pour célébrer ses victoires militaires, c'est pour faire valoir son gallicanisme et sa prétention de détenir un pouvoir plus grand que celui du pape

- lorsque Napoléon en 1804 s'y fait sacrer Empereur des Français, préférant ce lieu à la Cathédrale de Reims pour des motifs évidents (ne pas trop ostensiblement renouer avec la monarchie et ses rois qui se faisaient sacrer à Reims), c'est pour affirmer sa primauté sur une religion catholique qu'il utilise mais ridiculise - il a fait venir pour ce sacre le pauvre pape Pie VII et lui arrache la couronne des mains, la plaçant lui-même sur sa tête

- lorsque Victor Hugo publie son Roman "Notre-Dame de Paris", au XIXème siècle, c'est pour exalter le petit peuple de Paris, exploité à l'ombre de cette église par un clergé tout puissant et sans scrupule

- lorsque Clémenceau, en 1918, refuse de participer à un Te Deum célébrant à Notre-Dame la victoire des Alliés lors de la Première Guerre mondiale, c'est pour affirmer son anticléricalisme revendiqué et le souci de respecter la stricte séparation de l'Etat et de l'Eglise

- lorsqu'en revanche le Général De Gaulle en 1944 fait entonner un Magnificat à Notre-Dame pour célébrer la proche victoire, c'est en écartant de cette célébration le Cardinal Emmanuel (tiens, un prénom...) Suhard, alors archevêque mais jugé trop pétainiste

- lorsque les Présidents De Gaulle, Pompidou et Mitterrand décèdent, une messe est célébrée selon leur volonté à Notre-Dame en présence de chefs d'Etat étrangers, mais leurs obsèques sont privément célébrées ailleurs

- lorsque la Cathédrale est la proie des flammes, c'est le Président de la République qui s'engage à sa reconstruction endéans les cinq années - pari réussi

- lorsqu'hier et aujourd'hui la ré-ouverture de cette église est célébrée, c'est en présence de nombreux (et importants) chefs d'Etat étrangers, mais sous la présidence de l'archevêque et en l'absence du pape, qui a décliné l'invitation.


Ah! Notre-Dame, lieu symbolique de tant et tant de choses, mais aussi des rapports si délicats, si nécessaires aussi sans aucun doute, et des alliances tellement compliquées entre le Trône et l'Autel!