Chaque matin, à l'Office des Laudes (des "louanges"), la liturgie nous invite à proclamer le Cantique de Zacharie, père de Jean le Baptiste, et à proclamer avec lui que le salut nous vient "grâce à la tendresse, à l'amour de notre Dieu, quand nous visite l'astre d'en-haut!"
"L'amour de notre Dieu", nous le célébrions aujourd'hui comme chaque année, en ce Vendredi qui suit la solennité du Saint-Sacrement, oui, en célébrant "le Sacré Coeur". Nous célébrons en quelque sorte l'amour de Dieu pour lui-même, contemplé dans son surgissement créateur, accompli à la Croix lorsque, comme un fruit, s'ouvre le Corps supplicié et qu'en jaillissent "le sang et l'eau", figure au dire des Pères des sacrements de l'Eglise, le baptême et l'eucharistie.
La lecture évangélique de ce jour, tirée du chapitre 15 de Luc, ce chapitre qui n'appartient qu'à lui dans les Evangiles et rapporte un triple mouvement de "perdu- retrouvé" (parabole de la brebis perdue et retrouvée, de la pièce de monnaie perdue et retrouvée, du fils perdu et retrouvé), cette lecture donc, nous fait communier à la joie du berger qui a laissé les 99 brebis sages pour se mettre en quête de celle qui était perdue et qui, l'ayant retrouvée, l'a ramenée sur ses solides épaules.
Voilà en effet "l'amour du coeur de notre Dieu". On pourrait penser, si l'on se contentait de la manière humaine de penser et d'aimer, que cette brebis perdue n'a après tout que ce qu'elle mérite : sans doute l'a-t-on prévenue des dangers de s'écarter du bon, du droit chemin; sans doute quelques chiens de garde lui ont-ils mordillé les mollets pour la faire revenir dans le troupeau. Rien à faire : cette brebis avait des humeurs vagabondes, elle voulait flâner, errer, quitte à se perdre, insoucieuse des dangers qu'elle a peut-être bien courus, le loup, les ronces, la perte des repères, tout ce qui plus ou moins vite ne saurait conduire qu'à la mort.
Oui, Dieu, s'il était comme nous, pourrait se dire : "Tant pis pour elle! On le lui avait bien dit!" Pire : il pourrait exploser de colère devant cette petite sotte qui n'a pas écouté sa sagesse - la colère de Dieu dont parle saint Paul dans la Lettre aux Romains dont on lisait aussi, et précisément, un passage dans la messe de ce jour.
Mais le Christ, Fils bien-aimé envoyé par le Père, montre le coeur de l'amour paternel : au risque de se perdre lui-même, il cherche l'égarée et, une fois qu'il l'a retrouvée, nettoyée de ses peurs et de ses blessures, sans un mot de reproche il la cale sur ses solides épaules. Tout là-dedans n'est que joie : il rassemble ses amis et fait la fête avec eux, parce qu'il a retrouvé "celle qui était perdue!"
Au moins une fois par jour, tout être humain, et tout chrétien, est cette brebis qui, précisément parce qu'elle a été recherchée et retrouvée dans son égarement même, sait le prix qui est le sien aux yeux du berger. Elle a pressenti "l'amour du coeur de notre Dieu", l'amour qui n'est pas d'origine humaine, l'amour du Coeur Sacré, du Sacré-Coeur.
Elle en est devenue aussi le porte-parole dans un monde où cet amour-là est non seulement ignoré, mais vilipendé, et même quelquefois détesté - "L'amore non è amato!" s'écriait en pleurant saint François d'Assise, "L'amour n'est pas aimé!" On en voit les conséquences, chaque jour, dans notre monde. Et les chrétiens sont là pour, puisant à la source, témoigner que, si cet amour-là était aimé, l'humanité irait mieux sur la terre qui lui est confiée.