dimanche 28 mars 2010

Eloquence du rite

Au fond, nous ne croyons pas assez à la liturgie. Depuis la réforme liturgique du Concile Vatican II (réforme opportune, faut-il le préciser, qui n'a certainement pas remis en cause ce que d'aucuns, par méconnaissance, appellent "la Tradition", mais qui au contraire l'a restaurée dans sa diversité), on a organisé beaucoup de sessions, de conférences, de prises de parole pour éduquer "à" la liturgie, pour l'expliquer. Et il y avait là-dedans beaucoup de bonne volonté et beaucoup de talent, souvent.
Mais...
mais c'était sans doute ignorer une part importante du rite : il ne doit pas être "compris" (la formule, d'ailleurs, connoterait une mainmise, une prise de possession), car c'est précisément dans son "incompréhension" qu'il éduque au mystère toujours incompréhensible.
Ce matin, à Enghien, dans une assemblée de plusieurs centaines de personnes, j'ai eu la joie de présider, en même temps que la liturgie des Rameaux et de la Passion du Seigneur, la première communion d'une cinquantaine d'enfants. Comprend-on quelque chose au rite eucharistique, au don de l'amour qui s'y dévoile autant qu'il s'y voile? Les enfants, sans doute, mieux que les adultes, yeux grands ouverts sur le rite et n'y "comprenant" pas grand chose, apprennent tout de lui : dans ce pauvre morceau de pain, il y a vraiment Jésus, il y a vraiment Dieu, il ya vraiment son Corps offert, il y a tout l'amour du monde.
J'ai vu ce matin des enfants qui, par delà toutes les explications possibles, savaient cela, et le vivaient. Ils s'étaient laissé éduquer par le rite, plus qu'au rite. Eloquence de la liturgie, éloquence du rite, si on les laisse parler...

mercredi 24 mars 2010

Le regard de Jésus

"Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre" (Lc 22, 61). Nous allons lire ce dimanche (et ce samedi soir) le récit de la Passion dans l'évangile de Luc. Comme les autres évangélistes, Luc rapporte la trahison de Pierre, mais il est le seul à noter ce regard de Jésus posé sur l'Apôtre, un regard qui le sort de l'amnésie ("et Pierre se rappela la parole du Seigneur qui lui avait dit : Avant que le coq chante aujourd'hui, tu m'auras renié trois fois", Ibid.). Un regard, aussi, qui ouvre en lui la source du repentir et des pleurs : "Il sortit et pleura amèrement" (Lc 22, 62). Quelque chose de capital se joue dans ce regard noté par ce seul évangéliste : l'Eglise advient là, dans la trahison annoncée, dénoncée, reconnue et pardonnée. A ce moment, Pierre est l'Eglise tout entière, présente, passée et à venir. Il est donc chacun de nous, surpris dans son emportement et son adhésion, dans sa fougue à suivre le Christ, dans sa déception, dans sa peur, dans sa lâcheté, dans sa trahison. Remis debout, aussi et, en quelque sorte, déjà ressuscité par les yeux du maître trahi qui ne jugent pas, mais sont capables de faire pleurer de contrition les yeux du traître. Oui, de "contrition" : j'emploie à dessein ce vieux mot latin, qui indique l'état d'un coeur "brisé", "broyé", un cor contritum, à jamais incapable de "la ramener"!
Personne dans l'Eglise ne sera plus jamais "dans son bon droit". Depuis cet instant jusqu'aujourd'hui, et pour toujours, seul Jésus l'est.
Il n'y a dans l'Eglise que des traîtres pardonnés - ou des hypocrites et des menteurs.
Qu'on ne l'oublie pas en célébrant la Passion de l'unique Juste!

mardi 23 mars 2010

Fier de son pays, de sa famille royale

Le Roi a mis à la disposition de demandeurs d'asile des appartements de la Donation Royale qui jouxtent le château de Ciergnon. Ce sont des Afghans qui se disent honorés et émus par cet accueil du pays, Roi en tête. Je suis fier de mon Roi, de mon pays : voilà des signes d'ouverture de coeur et d'esprit, loin des frilosités et des replis sur soi qui courent partout - y compris dans le monde catholique, hélas, quelquefois - en ce temps dit de "crise" (mais quel temps n'est-il pas un temps de "crise"?) J'ai eu la joie de le dire à la Reine Fabiola, dînant avec elle dimanche soir avec deux amies communes, et j'ai été une nouvelle fois impressionné par la grandeur d'âme, la culture, la droiture de cette femme devenue si frêle d'apparence, mais toujours si forte dans ses convictions. Et par son humour : nous avons beaucoup ri ensemble, comme des enfants simplement joyeux de la vie, des dons reçus, et de tout ce qui reste à donner en échange.

dimanche 21 mars 2010

Relicti sunt duo...

Lorsque saint Augustin commente l'épisode de la "femme adultère" qu'on lit aujourd'hui dans la liturgie catholique, il a cette formule pour résumer l'instant où, les accusateurs partis l'un après l'autre "en commençant par les plus âgés" (dit non sans ironie l'évangéliste), Jésus et la femme restent là, face à face : Relicti sunt duo, miseria et misericordia. "Ils sont restés à deux, la misère et la miséricorde". C'est l'un des plus beaux résumés que je sache de la foi chrétienne tout entière, dans ce regard, dans ce vis-à-vis seuls capables de nous remuer jusqu'au fond du coeur, de nous bouleverser, de nous convertir. Toujours la miséricorde est penchée sur notre misère, pour la délivrer d'une culpabilité légaliste qui la conduirait à la mort (la femme, sans elle, eût été lapidée) ou d'une légèreté qui l'enfermerait dans le recommencement sans fin de la faute("Va, et ne pèche plus désormais").
Le Christ nous libère, progressivement il nous désentrave et nous rend à une dignité joyeuse, magnifique.

lundi 15 mars 2010

Mort d'un poète

Jean Ferrat est mort. Oh, beaucoup de choses nous opposaient : il était communiste, et moi non; anticlérical et moi pas encore; athée, moi non; etc.
Mais il a chanté Aragon, et c'est mon premier vrai souvenir de poésie. J'avais 16 ans, j'écoutais sa mise en musique des textes du poète, et j'admirais cet art de ne pas dire les choses comme elles sont, pour les dire mieux. C'est grâce à lui que j'ai acheté ensuite les oeuvres d'Aragon, et que j'ai appris par coeur certaines d'entre elles, parce qu'il avait su mettre au jour, sans en faire trop, la musique dont leurs mots étaient porteurs.
"De la musique, avant toute chose!" Du talent, sans aucun doute, et gentil avec ça, combinant sans arrogance ses convictions et sa douceur.
Salut, l'artiste! Et chapeau bas!

dimanche 14 mars 2010

Progrès oecuméniques

En ce dimanche de la Laetare, on peut se réjouir des progrès de l'oecuménisme. A Rome, le pape Benoît XVI s'est rendu à la "Christuskirche" de la Via Sicilia, où il a célébré un culte avec le pasteur luthérien de cette communauté. Ils ont l'un et l'autre commenté les Ecritures et prié aux intentions des Eglises chrétiennes. De quoi fêter de belle façon la joie de la mi-carême!

samedi 13 mars 2010

Richesse de la Bible

La Bible est d'une richesse inépuisable, sa lecture est infinie. Ainsi, la parabole dite "du fils prodigue" que la liturgie nous donne à méditer en ce quatrième dimanche du Carême : proprement lucanienne - elle n'est pas répertoriée dans les autres évangiles - elle nous annonce, à l'évidence, la miséricorde incroyable du Dieu prêché par Jésus. On s'est longtemps focalisé sur le cadet, "le prodigue" comme dit souvent la langue française, alors que les langues germaniques préfèrent parler du fils "perdu" (de verloren zoon, dit notre néerlandais, et un poème de Rainer Maria Rilke, daté de 1907, parle étrangement du "départ du fils perdu", der Auszug des verlorenen Sohnes). Mais il y a aussi l'autre fils, l'aîné et sa colère qui le fait rester au-dehors, figure des auditeurs de Jésus (et de nous-mêmes, donc) trop assurés de leur bon droit et de leur bonne conscience, race qui s'exclut de la fête paternelle. A propos, où est la mère, dans cette histoire? Ne doit-elle pas, elle aussi - elle d'abord? - être anxieuse du départ du cadet, et se réjouir de son retour? Pourquoi n'est-elle pas mentionnée, sauf à penser que le Dieu ici présenté est à la fois père et mère, comme l'indique le magnifique tableau de Rembrandt qui représente la scène des retrouvailles, avec, posées sur les épaules du fils retrouvé, une main d'homme et une main de femme... Et puis, il y a les "trous" de l'histoire, qui donnent à penser : l'aîné a-t-il fini par entrer ou s'est-il enfermé dans sa suffisance? Le cadet, parti pour conquérir sa liberté hors d'un milieu familial sans doute trop étouffant (c'est le thème du poème de Rilke, plus haut cité, qui imagine pourquoi il est parti), a-t-il trouvé cette liberté en rentrant chez lui - on sait que ses motivations, pour revenir au foyer, ne sont guère que matérielles : il crève la faim, c'est tout)?
Bref, comme toujours dans nos Ecritures saintes, un texte plein de vides, de creux, où nous-mêmes pouvons inscrire nos histoires si singulières, si universelles...
Pour ceux que cet épisode intéresse, je signale un livre récent qui évoque les lectures littéraires de ce texte et ses interprétations aux XXème et XXIème siècles : sous la direction de B. JONGY, Y. CHEVREL, ,V. LEONARD-ROQUES, Le fils prodigue et les siens. XXe-XXIe siècles, Cerf, 2009. Une collection de remarquables études sur cette parabole évangélique qui nourrit aujourd'hui notre méditation de Carême.

mercredi 10 mars 2010

La famille, premier lieu de transmission de la foi

Ce titre peut sembler ou décalé, ou naïf, ou inconséquent... Il n'est pas un souhait, mais un constat : voilà ce que nous a dit, entre autres, Henri Derroitte, professeur à la Faculté de Théologie de l'UCL et lui-même père de famille, lors de notre deuxième conférence de Carême hier à Enghien. Henri ne nie pas les difficultés présentes de la vie familiale, contraintes d'un double travail, fatigue, surmenage, soucis liés à l'emploi et à sa précarité, fragilité du lien conjugal, souvent "décomposé" puis "recomposé". Mais sans rêver à une famille idéale - qui n'existe pas - il constate que tous les parents veulent, au fond d'eux-mêmes, le meilleur pour leurs enfants. Et que, dans ce meilleur, il y a aussi le patrimoine spirituel à nous légué depuis dix-sept siècles. Que des parternariats s'instaurent entre communautés paroissiales, écoles et familles, voilà comment rencontrer ce désir souvent caché et qui peine à s'exprimer ou à se réaliser. Du pain sur la planche, encore, pour notre Eglise. Les nombreuses personnes présentes me semblaient enthousiastes et désireuses de s'y mettre...

samedi 6 mars 2010

De la vérité dans la vie spirituelle

Je lis avec bonheur le petit récit de "Pietro de Paoli" (les guillemets, pour l'anonymat que cet auteur veut absolument préserver), un petit texte, donc, intitulé 38 ans, célibataire et curé de campagne, une sorte de Journal d'un curé de campagne à la sauce contemporaine. J'aime vraiment beaucoup ce texte qui m'avait échappé lors de sa parution en 2006 déjà. L'auteur imagine un prêtre encore jeune, donc, un certain Marc, aux prises avec les réalités de la vie pastorale et de ses engagements sacerdotaux. Vers la fin se dessine une crise majeure, qui a affaire à la vérité dans la vie spirituelle : sa foi, sans qu'il s'en rendît toujours compte, avait été, découvre-t-il, une échappatoire. Cruelle lucidité, mais heureuse découverte : Dieu est dans le réel, non dans le rêve. Lisons : "Et moi, pendant des années, j'avais voulu croire que la vraie vie était ailleurs. (...) Voilà ce que je sais aujourd'hui : il n'y a rien d'autre que la réalité; il n'y a pas d'ailleurs, nulle part où se réfugier. Et le miracle, c'est que Dieu est là. La vérité que j'ai entraperçue n'est ni la mort ni l'absence de Dieu. C'est sa Présence à travers le corps, le sang, les larmes, la vie des hommes, sa Présence dans la réalité, et par-delà, mais en passant par elle, en la vivant jusqu'au bout. C'est ce que le Christ fait sur la croix. Il n'échappe pas à la réalité. Il passe par elle. (...) Dieu ne condamne pas le monde, il le sanctifie." (Pietro De PAOLI, 38 ans, célibataire et curé de campagne, récit, Plon, 2006, pp. 190-191, passim.)
Je signe volontiers ce terrible Credo, qui ne nous distrait pas du réel mais nous y reconduit pour y vivre la vie de l'Esprit, la vie spirituelle.

jeudi 4 mars 2010

La "kénose" du Christ

Lors de la première Conférence de Carême à Enghien, mardi dernier, j'ai évoqué l'importance doctrinale et pastorale du thème de la "kénose" du Christ. Voilà que, hier après-midi, avec des collègues de la Faculté de Théologie de l'UCL (les professeurs Bourgine, Famerée, Scolas, entre autres), réunis pour la préparation d'un colloque à venir, nous nous disions aussi que ce thème mérite d'être présenté, actualisé, revisité.
De quoi s'agit-il? Le terme, qui peut paraître abscons, est grec : le verbe kenoun, dans cette langue, signifie "vider" et on le trouve utilisé à l'aoriste (passé simple, mettons) , sous la forme ekenosen, dans une hymne que Paul reprend au deuxième chapitre de sa Lettre aux Philippiens (Ph 2, 6-11) : Le Christ Jésus, dit-il, lui qui était "dans la condition de Dieu", n'a pas revendiqué d'être traité comme Dieu, mais il "s'est vidé". Il ne s'agit pas seulement, pour l'Apôtre, d'évoquer l'humble comportement de l'homme Jésus, mais il entend dire quelque chose de Dieu même. En Jésus, se révèle un Dieu agenouillé devant l'homme, dont la toute-puissance n'est accrochée à aucun privilège qui la ferait ressembler à une quelconque gloriole humaine.
La kénose est ainsi un trait distinctif de la révélation même du Dieu chrétien, du Dieu "de Jésus-Christ, non des philosophes et des savants" (Pascal), un trait qui retourne comme un gant nos représentations spontanées de Dieu. Elle est aussi à l'origine d'un grand nombre de conséquences : au nom d'un pareil Dieu, pareillement "kénotique", on n'exerce pas n'importe comment le pouvoir (et, en particulier, dans l'Eglise, bien entendu). Au nom d'un pareil Dieu, on n'agresse pas superbement la culture ambiante dans la proposition qu'on lui fait de l'Evangile. Et ainsi de suite...
Bref, ici encore, il y du pain sur la planche pour les pasteurs, pour les théologiens et, tout simplement, pour les... chrétiens!

mardi 2 mars 2010

Conférences de Carême

Je rentre de la première conférence de Carême proposée au doyenné d'Enghien, cette année, sur le thème important de la "transmission de la foi" et de ses difficultés. J'ai assuré ce premier point de vue, parlant des configurations nouvelles de la société nord-européenne, de la place du religieux en son sein, et surtout des chances que ce positionnement offre à la théologie et à la catéchèse de retrouver le coeur de la foi, le kérygme, la "proclamation fondatrice". Au coeur de ce coeur, la kénose, l'abaissement volontaire de Dieu dans la geste du Christ, qui nous interdit de rêver à une "chrétienté" vaguement médiévale où le religieux serait directement mêlé au pouvoir - pauvre dérive de notre foi, hélas récurrente dans quelques nostalgies contemporaines. Je suis surpris et ému de l'auditoire et de l'audience : plus de 150 personnes, sans doute près de 200, qui viennent ainsi un mardi, et qui se disent ensuite heureuses d'évoquer les enjeux de l'évangélisation aujourd'hui. Sans langue de bois. Sans formule toute faite. Sans idéologie. Sans simplisme. Les questions, pertinentes, renvoyaient à d'autres aspects qu'il faudra aussi, un jour, développer... C'est magnifique, de savoir qu'il y a du pain sur la planche...
La semaine prochaine, c'est mon confrère de Louvain, le professeur Henri Derroitte, qui viendra parler de "la transmission de la foi en famille". Lui-même est père de famille, excellent pédagogue : je suis certain qu'il mettra sa science (qui est grande) à la portée de cette belle assemblée, pour que continue sur ce plan là aussi notre aventure du Carême.