La Bible est d'une richesse inépuisable, sa lecture est infinie. Ainsi, la parabole dite "du fils prodigue" que la liturgie nous donne à méditer en ce quatrième dimanche du Carême : proprement lucanienne - elle n'est pas répertoriée dans les autres évangiles - elle nous annonce, à l'évidence, la miséricorde incroyable du Dieu prêché par Jésus. On s'est longtemps focalisé sur le cadet, "le prodigue" comme dit souvent la langue française, alors que les langues germaniques préfèrent parler du fils "perdu" (de verloren zoon, dit notre néerlandais, et un poème de Rainer Maria Rilke, daté de 1907, parle étrangement du "départ du fils perdu", der Auszug des verlorenen Sohnes). Mais il y a aussi l'autre fils, l'aîné et sa colère qui le fait rester au-dehors, figure des auditeurs de Jésus (et de nous-mêmes, donc) trop assurés de leur bon droit et de leur bonne conscience, race qui s'exclut de la fête paternelle. A propos, où est la mère, dans cette histoire? Ne doit-elle pas, elle aussi - elle d'abord? - être anxieuse du départ du cadet, et se réjouir de son retour? Pourquoi n'est-elle pas mentionnée, sauf à penser que le Dieu ici présenté est à la fois père et mère, comme l'indique le magnifique tableau de Rembrandt qui représente la scène des retrouvailles, avec, posées sur les épaules du fils retrouvé, une main d'homme et une main de femme... Et puis, il y a les "trous" de l'histoire, qui donnent à penser : l'aîné a-t-il fini par entrer ou s'est-il enfermé dans sa suffisance? Le cadet, parti pour conquérir sa liberté hors d'un milieu familial sans doute trop étouffant (c'est le thème du poème de Rilke, plus haut cité, qui imagine pourquoi il est parti), a-t-il trouvé cette liberté en rentrant chez lui - on sait que ses motivations, pour revenir au foyer, ne sont guère que matérielles : il crève la faim, c'est tout)?
Bref, comme toujours dans nos Ecritures saintes, un texte plein de vides, de creux, où nous-mêmes pouvons inscrire nos histoires si singulières, si universelles...
Pour ceux que cet épisode intéresse, je signale un livre récent qui évoque les lectures littéraires de ce texte et ses interprétations aux XXème et XXIème siècles : sous la direction de B. JONGY, Y. CHEVREL, ,V. LEONARD-ROQUES, Le fils prodigue et les siens. XXe-XXIe siècles, Cerf, 2009. Une collection de remarquables études sur cette parabole évangélique qui nourrit aujourd'hui notre méditation de Carême.
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