mercredi 16 décembre 2009

Une lettre de Jacques Sojcher

Je reçois ce matin une lettre de mon ami Jacques Sojcher, professeur émérite à l'ULB, juif, athée, qui répond à une autre lettre, celle-là répondant elle aussi à la sienne, etc., etc., bref, voici un extrait de notre correspondance. Je le cite non pour l'exhibition, mais parce que je crois que, comme dans l'antiquité, certaines lettres méritent d'être rendues publiques. En l'occurrence, celle-ci manifeste le sens du dialogue entre "croyants" et "non croyants" (concepts flous, obsolètes, dépassés) qu'il me semble indispensable de cultiver dans notre société, dans notre Eglise et dans notre culture. Voici donc :

Bruxelles, 15 décembre 2009,

Cher Benoît,

Moi aussi, cher Benoît, je me sens plus proche de toi que de la plupart des athées ou agnostiques de mes connaissances. L'appartenance se décline au pluriel et dépasse toutes les identités figées et convenues.
Dieu est peut-être au-delà de Dieu. Pour un "incroyant" comme moi, il est dans la droiture d'un homme qui avance en doutant de tout, sauf de la vie et de la dignité des vivants.
Si la foi est une folie (une stultitia, dit Pascal), je partage, sans la foi, cette folie, qui est aussi une joie étrange devant le mystère de la vie et une force qui accompagne notre faiblesse. Cela fonde une amitié : celle de la rencontre de deux hommes qui partagent ce qui les dépasse.
Pour moi, Dieu est un "personnage" conceptuel et un catalyseur d'émotions - sans doute le plus important de l'histoire. Si je ne crois pas en sa "Personne", à l'Evangile et au Salut qu'Il apporte, je crois à son message d'amour... si éloigné de tous les mésusages théologico-politiques et des vulgates de la superstition.
Toi, tu rencontres aujourd'hui les souffrances et les espérances de tes paroissiens. Tu vis l'humanité de l'homme.
J'aimerais te revoir à Enghien, que j'ai connu comme professeur de français et de morale à l'Athénée Royal d'Enghien de 1963 à 1968. Je me souviens du très beau parc, d'un restaurant au nom d'arbre (à l'entrée du Parc?), d'un très beau couvent, du café des sports sur la Grand Place.
Retrouvons-nous donc sur les chemins de ta pastorale et sur ceux de l'amitié,
De tout coeur,

Jacques.


Merci, Jacques.

samedi 5 décembre 2009

Orval

Je suis rentré hier soir d'une semaine de retraite à l'abbaye cistercienne d'Orval. J'avais, il y a un peu plus d'un an, promis aux moines de leur prêcher leur retraite, comme je le fis souvent dans nombre d'abbayes de France, de Suisse, de Belgique, surtout dans des abbayes cisterciennes, durant ces vingt dernières années. Je ne savais pas alors que je changerais d'affectation - j'ai pris cela comme une chance, j'ai dit aux moines : je le fais, mais mettons-nous en retraite ensemble, j'en ai besoin aussi.

Ce sont de vrais frères. Des amis. Leur simplicité, la simplicité cistercienne, me touche toujours, m'émeut au plus profond. Il n'y a là rien d'apprêté, rien de surfait. Que de la vérité, dite clairement, posément, les yeux dans les yeux le souci de l'Eglise, de la vie évangélique.

Nous ne comptons pas assez sur les moines. Sur leur présence priante, fidèle, quotidienne, à la vie de l'Eglise - à notre vie. Quand nos forces défaillent, ils sont notre force. Quand notre coeur défaille, ils sont notre coeur. Quand notre foi défaille, ils sont notre foi.

Lode, l'Abbé, m'a dit : "Avec toi, à Enghien." Je sais qu'Enghien est dans leur coeur. Et aussi : "A ta prochaine fatigue, en clôture, avec nous, dans notre vie." Quel privilège! Tant de personnes ici, ont des fatigues plus grandes que les miennes, et aucun lieu pour les partager : si je pouvais être une aide, ne serait-ce qu'une petite aide, pour les plus isolés.