vendredi 27 octobre 2017

J'ai peur...

La proclamation de l'indépendance catalogne, ce soir, me fait peur. Oh non pas que je la juge inopportune : sur le fond, cela ne me regarde guère, et les mouvements d'opinion ou de politique, qu'ils soient locaux, régionaux, nationaux ou internationaux, ne doivent pas d'abord être l'objet d'un jugement par le "clergé".
Mais j'observe, et j'essaie d'avoir de la mémoire : toujours - ne prenons que l'Europe - on aura vécu dans une espèce d'accordéon entre, tantôt, des revendications autonomistes plus ou moins affirmées (la République de Venise, et celle de Florence, et le Royaume de Naples, et la Bourgogne, et la Bretagne, etc., etc.) et des velléités d'unification ou de réunification en des Etats plus ou moins englobants (l'Italie, autour de 1870, la France, l'Espagne, et finalement l'Union Européenne.) Je ne suis pas politologue mais, ce que je constate, c'est que, à part la progressive Union Européenne (avec tous ses défauts, sans doute), ces mouvements, dans un sens ou dans l'autre, ont coûté du sang, beaucoup de sang. Des vies - souvent des vies de jeunes hommes - fauchées. Des guerres, des guerres, des guerres.
J'ai peur, ce soir.
L'Espagne est une nouvelle fois au bord de la guerre civile.
Au bord du sang versé.
Et, comme nous savons que les choses, en ce domaine, se retournent à peu près tous les cinquante ans, disons : du sang inutilement versé. Stupidement versé.
J'espère que la sagesse l'emportera - la sagesse, et non l'escalade verbale ou institutionnelle, tellement ridicule au regard de vies fauchées...

dimanche 22 octobre 2017

La mort est là, les saints sont plus nombreux...

J'apprends ce dimanche la mort du Père Dieudonné Dufrasne, moine bénédictin de Clerlande (Louvain-La-Neuve). Dieudonné, originaire du Borinage, dont il gardait le solide bon sens et le goût de la relation fraternelle, avait été élève à Bonne-Espérance, alors que mon Oncle y était le "Président" - il m'a fait don de quelques photographies de cette époque, que je conserve précieusement.
Il était surtout devenu un remarquable liturgiste, dans la grande tradition bénédictine, capable de traduire en gestes, en textes, en poèmes, ce que la réforme du Concile Vatican II propose de meilleur. Il était encore un excellent connaisseur de la spiritualité "rhéno-flamande" et en particulier de ce que les "béguines" médiévales ont cultivé comme expérience de prière - il avait là-dessus publié un très bon livre, voici quelques années. Il est mort un dimanche matin - au "Jour du Seigneur"- et que peut souhaiter de mieux un liturgiste? Je prie pour lui et pour la belle communauté de Clerlande.


Aujourd'hui aussi, j'ai été appelé à conférer l'Onction des Malades à la veuve de mon ancien instituteur - décédé, lui, voici une dizaine d'années. Gisèle a nonante-trois ans, et (je peux l'écrire, je sais qu'elle ne lira pas ce blog), je l'ai toujours considérée comme une sainte. Je ne veux pas parler ici de sa vertu, mais de sa foi : j'ai rarement vu une foi aussi incarnée, aussi solide, aussi décisive. J'ai été ému en lui faisant l'Onction, en voyant comment ce Sacrement prend tout son sens dans un parcours de vie d'une aussi grande richesse.  Comme me le disait un jour une vieille paysanne de mon village, "celle-là, elle ira au ciel, et sans carte d'identité!"


Et avant cela, j'étais passé voir Hubertine - je célébrerai demain ici à Enghien les funérailles de son époux. Hubertine, "Bertine", là encore, quel trésor de vie chrétienne! Septante années de mariage, de vie simple, de vie donnée, que j'ai eu le privilège de l'entendre raconter si doucement, avec tant de vérité dans la voix! Une vie de travail, de partage conjugal, de prière quotidienne et de don de soi aux autres, dans une toute petite maison de la Dodane. Bertine - qui va avoir 90 ans - s'est levée tôt toute sa vie, et continue à se lever tous les matins vers 4h30, "pour dire ses prières", des textes qu'elle étale, en ce moment de la journée où tout est calme encore, sur la table de la cuisine. "Alors, quand j'ai fini, je peux me mettre au travail", dit-elle. Mais quelle merveille, quel trésor!


Dieudonné, Gisèle, Bertine et son mari : oui, le trésor de l'Eglise, le vrai trésor!

mardi 10 octobre 2017

Au 9 octobre, le céphalophore...

Hier 9 octobre, et particulièrement à Paris, on fêtait Saint Denis, réputé avoir été le premier évêque de Lutèce au IIIème siècle. Martyrisé à Montmartre ("le mont des martyrs", justement) il aurait été décapité et se serait relevé, tête sous le bras, pour marcher ainsi par la "Rue des Martyrs" jusqu'à l'actuelle... "Saint-Denis", dans la banlieue nord de la capitale française.
C'est donc un saint "céphalophore" ("porteur de tête" - et non, comme me l'avait suggéré un jour un étudiant distrait dans ses étymologies, "céphalopode", ce qui eût signifié qu'il aurait pris ses pieds pour sa tête ou l'inverse, comme les escargots, qui sont céphalopodes...)
Légende, légende?
Oui, bien entendu, mais légende qui, comme toutes les légendes, signifie quelque chose.
Saint Denis, c'est l'Eglise, toujours témoin, toujours "martyre", donc, et c'est l'Eglise tête et corps, évêque et assemblée. C'est l'évêque qui porte l'Eglise, car il succède aux Apôtres et assure ainsi la continuité du corps ecclésial avec la personne même de Jésus et de ceux qu'il a choisis comme envoyés. Sans l'évêque, il n'y aurait pas d'Eglise.
Mais l'évêque n'est rien sans l'assemblée : quelquefois, c'est le corps qui porte la tête et qui avance ainsi pour rendre son témoignage.
On ne saurait  détacher l'un de l'autre : n'essayez pas de disjoindre la tête et le corps!

dimanche 8 octobre 2017

La joie de la famille et le mystère de l'Eglise

Ce qui, dans la spiritualité du prêtre diocésain, constitue sans doute une marque particulière par rapport à d'autres états de vie, comme par exemple la vie monastique, c'est que le prêtre est appelé à fréquenter toutes sortes de milieux et de situations. C'est souvent une chance, et j'ai déjà rapporté ici la joie qui est chez moi toujours ravivée lorsque je peux rencontrer une famille - une tribu? - que je connais depuis plus de trente ans, en Picardie. En 1985, j'avais eu le bonheur de célébrer le mariage d'Eric et Caroline, alors que j'étais étudiant à Paris; trente-deux ans plus tard, j'ai célébré celui de leur fille aînée Valentine, avec Edouard - Valentine que j'avais baptisée bébé, première d'une série indéfinie qui, espérons-le, ne se clôturera jamais. J'ai, pour la plupart, célébré les mariages et les baptêmes des frères, sœurs, neveux et cousins, et déjà des petits-neveux ou petits-cousins.
Il est difficile de décrire la joie très vive que ces rencontres me procurent, le grand réconfort qu'elles constituent pour moi. Comme si, dans l'Eglise et au fond grâce elle, nos vocations respectives s'étaient fécondées, certes chargées d'amitié, mais il y a plus : chacun restant fidèle autant que faire se peut à ce que l'appel de Dieu lui demande, nous nous appuyons les uns sur les autres, nous nous soutenons dans la traversée de la vie qui connaît ses hésitations, ses grandes joies, ses déceptions, ses tristesses, quelquefois ses drames,  comme partout. Oui, c'est le mystère de l'Eglise : nous avons besoin les uns des autres, personne ne pourrait prétendre manifester à lui seul le Visage du Christ, c'est ensemble que nous en disons au monde quelque chose de "sacramentel". Cela passe non pas par de longues contemplations, mais par les récits de la vie, qui grandit chez chacun avec ses choix professionnels et ses engagements,  par les rires partagés, par les craintes confiées, par la solidité de l'amitié.
Il y a là-dedans un vrai bonheur, un bonheur de Dieu, un sourire du Père.
Ah, comme je les aime, ceux-là, et comme je les remercie!
Quant à Valentine et Edouard, évidemment, ce sont mes chéris du moment - tout de même, hein, j'ai versé une larme quand j'ai vu Eric, ce grand dady, conduisant sa fille à l'autel, et que, une image se superposant à l'autre, je le  revoyais, il y a donc plus de trente ans, mais cette fois dans la posture du jeune époux...

mardi 3 octobre 2017

Eloge de la vie fragile

La presse fait grand cas, depuis hier soir (JT) et ce matin encore (LLB, p.10-11), du choix que la romancière Anne Bert a fait de venir demander - et obtenir - l'euthanasie en Belgique, atteinte qu'elle était par la Maladie de Charcot, une maladie paralysante irréversible. Je comprends cette presse : elle met en exergue les différences de législation entre des pays voisins, tous deux membres de l'Union Européenne, et aux conceptions pourtant encore fort diverses en ce domaine. Je comprends du reste aussi la demande de cette dame : il se peut qu'étant ainsi progressivement diminué, on ne voie pas d'autre solution que de demander, et d'obtenir, la mort.
Je suis en revanche plus perplexe sur la façon dont les médias - surtout un JT d'hier soir chez nous - répercute l'événement. On annonce, avec une froideur de statisticien : "La Maladie de Charcot, qui paralyse progressivement le patient, donne une espérance de vie qui n'excède pas cinq ans..." Comme si cela était un argument - un double argument : la paralysie progressive et l'échéance à peu près connue de la fin - pour souhaiter mourir. Et cela m'inquiète, si on laisse ainsi entendre qu'une vie humaine ne vaudrait la peine d'être vécue qu'en pleine santé (mais qu'est-ce que la pleine santé?) Qu'il faudrait, pour être psychologiquement à même d'assumer l'existence, pouvoir toujours y bouger, y entreprendre, y exercer à plein sa liberté de mouvement, d'initiative, de travail, de sport, de loisir, que sais-je? Qu'en dehors de ces conditions, rien ne vaudrait plus la peine... Qu'une vie handicapée, par exemple, par la maladie, par un accident, par une immobilisation progressive, réversible ou non, par la nécessité d'un assistanat, par la diminution de la liberté de bouger, de penser, de produire, de jouir, etc., n'aurait plus de sens. Bref, que la vie fragile ne vaudrait pas le coup.
Et là, je me permets d'afficher ici fermement mon désaccord : toute vie est fragile, toujours. La mienne, celle de mes proches (j'ai accompagné longuement ma mère devenue très handicapée, très usée, et c'est un moment de mon existence qui est parmi les plus beaux; j'apprends récemment les difficultés de santé de ma sœur, qui limitent son horizon de vie, et cela suscite en moi un surcroît de disponibilité à son égard, comme ce sera possible), celle de tout le monde, celle des bébés, et même des fœtus, celle des anciens, celle des jeunes atteints dans leur jeunesse par des maladies, des accidents, des lésions importantes, celle des personnes psychologiquement faibles, etc. Nous sommes tous fragiles, et nous devons développer pour tous des accompagnements et des soins qui prennent en charge ces fragilités. Vivre comme si cela n'existait pas, reléguer aux marges de nos préoccupations ces situations, c'est nier un élément constitutif de la vie humaine.
Je veux bien que les lois sur l'euthanasie soient nécessaires, ne serait-ce que pour faciliter le droit des médecins confrontés à des situations extrêmes et de grande détresse. Mais par pitié, qu'au nom de la liberté individuelle, on ne relègue pas les soins de santé apportés aux malades incurables et la considération de nos fragilités dans cette catégorie de "l'inutile non marchand improductif" qui signerait la mort, pour le coup, non pas de nos individus, mais, si j'ose dire, de l'humanité de notre humanité.