mardi 30 septembre 2014

Retour de Rome...

Rentré la nuit dernière de Rome, où je me trouvais depuis vendredi avec quelques proches collaborateurs et amis en pèlerinage. Une nouvelle fois séduit par la beauté de cette Ville, une nouvelle fois ému d'y retrouver des racines complexes - celles de l'Antiquité païenne, celles des premiers siècles chrétiens, celles de la Renaissance - qui s'expriment dans les pierres, dans la magie des lieux, dans le mystère de ces rues antiques sous la basilique de Saint-Clément, dans les dorures théâtrales du baroque...
Joie d'avoir participé, au milieu d'une foule impressionnante (combien de dizaines de milliers de personnes?) à la messe présidée dimanche par le pape François, en présence de son prédécesseur, pour les familles du monde entier et, en particulier, pour que soient raffermis les liens entre générations. Ce qui se passe là, au Vatican, depuis que François est pape, est une chose très étrange : on sent que quelqu'un parvient à répondre à l'attente diffuse de tant de peuples à travers le monde!
Prié, beaucoup, pour notre doyenné, et en particulier donc pour ses familles, dont je sais certaines en grand désarroi. Déposé le tout près de saint Pierre, sur son tombeau, à l'endroit où ce pêcheur d'un coin perdu de Palestine est venu, il y a deux mille ans, témoigner de son espérance, et pour cela, donner sa vie.

jeudi 25 septembre 2014

Prière, précarité

Relisant hier soir Gesché, je suis frappé par l'une de ses notes où il signale la filiation étymologique entre "prière" et "précarité". Je veux y revenir ce matin, non sans avoir - habitus philologique oblige - vérifié la chose dans mon vieux "Gaffiot"(le meilleur dictionnaire du latin classique). Comme toujours, Gesché a raison : precari, le verbe latin, a donné "prier" et l'adjectif latin qui en est issu, precarius, a donné "précaire" dont la première signification est "obtenu par la prière".
Ma méditation de ce matin a tourné là autour.
C'est donc la précarité qui nous fait prier, la nôtre, certes, mais aussi celle du monde. Avant d'être une plainte face au caractère éphémère de toute chose, la prière est d'abord un émerveillement : tout ce qui enchante ma vue, la beauté des dernières roses de mon jardin ou l'agencement du monde derrière lequel je suppose sans la voir une infinité d'univers inconnus, tout cela est aussi "pour moi", pour mes yeux provisoires. Il y a dans cette rencontre entre deux précarités - la mienne, celle du monde - de quoi frémir de bonheur, puisque cet univers n'est pas seulement là pour lui mais, au moins dans ce moment de méditation, "pour moi" et "pour nous". Avant tout engagement éthique à le défendre, à prolonger l'éphémère, on est en effet dans ce que la prière nomme "l'action de grâce", une gratitude pour le don "gratuit" de la beauté.
D'autres fois, cette précarité - la mienne, celle des autres hommes, celle de mes proches, celle du monde - fait mal, et suscite autrement la prière : elle est à l'origine d'un scandale : pourquoi faut-il que tout finisse sur cette terre, la vie des hommes et celle des bêtes (le chagrin d'Yvette, hier, une dame âgée, amie, voisine, qui a perdu son petit chien) que nous aimons? Pourquoi la mort, et ses cortèges endeuillés? Pourquoi les traversées douloureuses de la maladie, de la contradiction, de la mésentente, de la guerre, de la haine? Pourquoi les catastrophes et les calamités? La précarité ici, nous conduit de l'émerveillement à l'interrogation et à la supplique - et c'est encore de la prière.
Il faut bénir la fugacité de tout, qui s'en va - parce ce que c'est en effet le lieu de la méditation intérieure, le lieu où l'on ramasse son action de grâce et sa désolation, le lieu où l'on prie. Et, parmi toutes les activités qui le constituent aussi comme être humain, l'homme est, ici-bas, et parce qu'il est précaire,  fait pour prier.

mardi 23 septembre 2014

La vraie question est celle de la foi...

Rencontre d'EAP hier soir et, venant d'une paroisse rurale, longue interrogation autour des communautés locales modestes et de leur éventuelle "absorption" dans un ensemble trop vaste. J'entends bien le souci, mais à mon sens, la question est ailleurs. Elle est dans la disparité de plus en plus grande entre les convictions communes de nos contemporains et les propositions de la foi chrétienne.
Résumons-nous :

1° D'un côté, donc, la foi chrétienne : le Christ est ressuscité des morts, premier-né des morts. Cet homme qui a vécu il y a deux mille ans dans la foi juive, pétri pendant trente ans des prophéties et des attentes messianiques, cet homme qui a prêché un "salut" de l'humain par ses actes et par ses paroles, a été tellement incompris de son temps qu'on l'a éliminé physiquement. Après quelques jours de stupeur, de crainte et d'enfermement, ses proches ont prétendu le rencontrer vivant, non qu'il ait repris sa vie humaine antérieure seulement, mais parce qu'il inaugure une Vie nouvelle, absolument inédite, et désormais non susceptible de mourir. Ce faisant, il révèle de Dieu un visage  lui aussi absolument inédit, -  déconcertant. Un visage qui change tout, par ricochet, de la conception que l'être humain peut avoir de lui-même, de son origine et de son terme, de ses relations et de ses valeurs.  C'est exactement cela que les chrétiens d'aujourd'hui proclament,  en appuyant leur conviction sur le témoignage de ces premiers témoins. Aux yeux du "monde" (non seulement d'aujourd'hui, mais de tous les temps, à leur époque comme à la nôtre), c'est une folie (saint Paul parle à juste titre de la "folie de la prédication.")

2° D'un autre côté, donc, la foi du monde : la vie est courte et il faut en profiter, elle se limite à elle-même, il importe d'en soigner les bons côtés le plus et le mieux possible (médecine qui prolonge, attention  portée à l'environnement, solidarités avec tous, services humanitaires, etc.) La mort est la fin, une fin souhaitable et qu'il faut même hâter si la vie n'est plus source de (ré)jouissance. Les rêveries des chrétiens ou des autre religions sont des stupidités, qui plus est souvent dangereuses car fauteuses de troubles et alimentant les guerres quand elles sont utilisées à des fins politiques, et elles coûtent cher (voir chez nous l'entretien, par les fonds publics, de bâtiments du reste désertés de plus en plus.)

3° Les gens qui, chez nous, fréquentent encore les églises ou leur demandent quelque chose, sont pour l'essentiel dans la catégorie numéro 2 : ils demandent des bénédictions ou des protections ou des fêtes de familles un peu solennisées, mais n'ont aucune idée de la catégorie numéro 1 et, la plupart du temps, n'ont aucune envie qu'on leur en parle et qu'on leur dise que la foi chrétienne consiste en cela.

4° Toutes les difficultés viennent de cette disparité entre le numéro 1 et le numéro 2. Tout  : gestion difficile des bâtiments, peu de monde à des célébrations récurrentes, pastorale des baptêmes, des mariages, des sacrements de la foi (eucharistie, confirmation) ou des funérailles, difficultés éventuelles avec les pouvoirs publics, etc., tout vient de là.

5° A partir de là, commencer à réfléchir à ce que l'on veut proposer comme pastorale chrétienne dans nos régions pour les années à venir. Mais sachant, donc, que la vraie question n'est pas la "morale" des chrétiens, ou je ne sais quoi d'analogue,  mais leur foi.

dimanche 21 septembre 2014

Rentrée des Patros... et des autres mouvements!

Ai participé, en début d'après-midi, à la rentrée du Patro d'Enghien (garçons) comme je l'avais fait pour celle du Patro (filles) dimanche dernier, et, la veille, des Scouts et Guides. Gauthier, qui, lui,  au sein de notre "Equipe d'Animation Pastorale" (EAP) assure le lien avec, entre autres, les Mouvements, avait participé à la rentrée des Patros de Silly.
Les charismes fondateurs sont sans doute différents, mais la volonté des jeunes (chefs, dirigeants) est la même : aider des enfants et des adolescents à grandir bien, droitement, dans une pédagogie du contact avec l'autre, de la sortie de soi, de la découverte et du respect de son environnement. Je suis frappé, je le redis ici comme je l'ai dit publiquement lors de ces "rentrées", par la générosité de ces grands jeunes qui, bénévolement, se donnent de la peine pour animer des cadets; par la confiance des parents, qui souhaitent ainsi donner à leurs enfants les loisirs les meilleurs. Ils sont vraiment les bienvenus et, cet après-midi, j'ai pu apprécier avec quel respect et quelle écoute tous étaient accueillis au Patro, par exemple. Je pense à mon petit "enfant de chœur" de ce matin - qui avait si bravement tout seul servi la messe des "Jubilaires", une grand-messe un peu solennelle tout de même! -  retrouvé rue du Patronage cet après-midi - sept ans, cet enfant, il ira loin - accompagné par sa maman africaine, avec un petit peu de peur au ventre, mais rassuré par les sourires des autres! Bravo!
Il y a dans tout cela un véritable esprit chrétien : même si les Scouts ont renoncé à ce qu'on le dise explicitement, ils sont demandeurs d'une présence de prêtre, lors de leurs animations ou de leurs camps; pour les Patros, le lien est plus explicite : ils sont - et, à mes yeux, ils restent - une émanation des paroisses, créés pour animer une jeunesse peut-être plus populaire à l'origine - mais que veut dire le terme, à l'aune d'une fraternité revendiquée et souhaitée partout et, j'espère, par tout le monde?  La généalogie peut bien, de temps en temps, se distendre : la joie de la rencontre reste intacte.
Je suis fier, je l'ai dit et j'aime à le répéter, de la jeunesse d'Enghien. Je n'ignore pas ses problèmes et ses contradictions, ses interrogations et parfois ses errances. Mais je sais sa générosité. Je remercie chaleureusement chefs et dirigeants, anciennes et anciens, qui sont des veilleurs et des éveilleurs. Ils nous donnent à voir une génération généreuse (si j'ose ce jeu de mots), soucieuse des plus petits, et, quelles que soient les pédagogies diverses - et légitimement diverses - mises en œuvre, ils nous donnent à voir ce qui doit, pour la rendre heureuse, motiver toute vie humaine : se soucier des autres.

samedi 20 septembre 2014

La Patrie plutôt que la Nation...

Ainsi donc, les Ecossais ont voté avant-hier, et c'est "non" (à plus de 55%) à l'autonomie. Ils ont, à mon sens, choisi la Patrie plutôt que la Nation et - à mon sens toujours - ils ont eu raison.
Que veux-je dire par là?
La Nation, cela a des côtés sympathiques : on s'y retrouve entre soi, on y partage souvent la même langue, la même "culture", les mêmes habitudes - notamment alimentaires - et ainsi de suite. C'est très bien, l'identité : sans elle, on  ne va pas loin.
Mais la Patrie est toujours, d'une certaine façon, la mise en commun plus ou moins artificielle et cependant nécessaire de diverses Nations. Sans l'idée de Patrie, on risquerait un repli sur soi, un manque d'ouverture aux autres (aux autres cultures, aux autres langues, aux autres modes de vie, etc.)
J'emprunte cette conception, cette différence de définitions - qui n'est, je le sais, pas admise par tous - à Voltaire - eh oui! - qui, dans son Dictionnaire Philosophique, parle de "Patrie" comme d'une "réunion de diverses familles".
Il n'y a pas besoin d'aller loin pour donner des exemples de ce que j'esquisse ici.
La Belgique est une Patrie, c'est-à-dire un assemblage, pour une part hétéroclite et accidentel, de Nations. Cela fait d'elle le lieu d'un exercice qu'on peut appeler de "brassage culturel".
Pareil pour l'Allemagne - un fédération de Nations autrefois souveraines (la Prusse, la Bavière, etc.)
Pareil pour l'Italie - quoi de commun entre le Nord, la Vénétie et la Sicile?
Pareil pour l'Espagne.
Pareil pour la France, dont la configuration  actuelle est après tout relativement récente...
Et ainsi de suite. Je ne trouve pas heureux, pour les motifs exprimés ci-dessus, qu'une Nation veuille devenir une Patrie. Je peux, jusqu'à un certain point, entendre les volontés identitaires qui doivent évidemment être respectées, mais, pour des raisons strictement anthropologiques et éthiques, je ne trouve pas cela souhaitable.
(C'est aussi, soit dit par parenthèse, le motif pour lequel j'estime qu'un Chef d'Etat - de Patrie - ne doit pas être élu au suffrage universel : cela personnalise  infiniment trop le rôle qui, bien rempli par une figure  charismatique, peut alors se défendre, mais sinon... voir en France aujourd'hui! Même dans de grandes Républiques européennes - Allemagne, Italie - le Chef de l'Etat est élu par de "Grands électeurs", ce qui diminue considérablement son pouvoir personnel. Et c'est pourquoi le système monarchique, qui ne fait absolument pas appel au suffrage du Peuple pour l'élection du Chef de l'Etat - seule compte sa naissance,  arbitraire - me semble convenir tout à fait. Soit.)
Cela dit, je ne trouve pas non plus très heureux que l'Union Européenne se profile comme un "super-Etat", surtout s'il ne se trouve compétent que dans le domaine économique : il me semble qu'alors, pour le coup, les Nations n'y sont pas assez respectées.
Comment sera l'avenir?
Evitons les idéologies, regardons le bien réel des peuples - économique, culturel, social, international - et méditons. Et alors, oui, militons pour ce qui nous semble être le bien commun. C'est aussi un devoir de chrétien...

jeudi 18 septembre 2014

Le "beau livre" d'Yves Vanopdenbosch

Dans la tradition éditoriale, un "beau livre" est un livre d'art, de format plus grand que les autres, un livre fait pour durer parce qu'il reproduit de belles photographies...
Il y a tout cela dans le "beau livre" que vient de faire paraître notre ami Yves Vanopdenbosch, qui dirige "l'Ecole des Plantes" de Lessines, un livre intitulé : Saints et simples.  Plantes médicinales entre terre et Ciel, Bruxelles, éd. Amyris, 246pp.
C'est une riche idée qu'il a eue là de présenter en parallèle des figures de saints et les plantes qui leur sont associées, avec les vertus thérapeutiques qu'elles possèdent.
Le tout forme un superbe ensemble méditatif, apaisant et chaleureux.
Le livre sera présent, dès que possible, dans la sélection proposée à l'église d'Enghien...

mardi 16 septembre 2014

De la tolérance

A propos de mon dernier "post", reçu quelques remerciements et un avis - d'un ami peu ou non "croyant", comme on dit - qui me reproche d'être, au fond comme tous les catholiques, pétri de certitudes (celles que j'énonce à propos du temps et de l'éternité, et de ce que je crois en effet être la pertinence chrétienne à cet égard, face à la légèreté souvent répandue.) Evidemment, je pense qu'on peut et qu'on doit dire son point de vue, et l'argumenter! Et que cela fait partie de la tolérance tant réclamée aujourd'hui...
Si la tolérance consiste à considérer que toutes les pensées ou les conceptions "se valent", alors en effet je ne suis pas tolérant, car pareille considération, comme disait Levinas, "évacue la valeur de la valeur" - autant dire, si tout se vaut,  que "rien n'a de valeur"!
J'ai il y a longtemps publié là-dessus un petit essai, où il m'avait semblé utile de montrer que la tolérance consiste en l'argumentation perpétuelle de son point de vue face à des argumentations contraires, c'est-à-dire en un dialogue incessant où chacun creuse ses convictions et les raisons de ses choix, sans les occulter jamais. La tolérance ainsi conçue se donne de la peine, car c'est pénible quelquefois de penser et d'argumenter, d'entendre jusqu'au bout les objections et de reformuler alors, de nuancer infiniment, sa conviction.
La résignation molle devant la prétendue équivalence de tout fait, au contraire, le lit de la barbarie. L'histoire le montre, et pas seulement l'histoire des idées...
J'étais content d'entendre là-dessus, mardi dernier, Gabriel Ringlet venu donner ici une conférence sur la présence chrétienne dans notre société contemporaine. Certes la foi chrétienne a appris, et doit continuer à apprendre, à cohabiter avec d'autres convictions bien légitimes . Mais cet apprentissage ne suppose pas qu'elle taise ses points de vue sur le monde, sur la vie, sur les êtres humains, sur la guerre et la paix, sur la justice sociale, sur - précisément - le temps et l'éternité, sur l'au-delà, sur Dieu, sur le Christ, sur la résurrection, sur l'éthique, enfin sur tout sujet à propos duquel il lui semble avoir à dire quelque chose d'original, dans un perpétuel échange d'idées avec des opinions différentes. Voilà une société plurielle et tolérante, comme je l'appelle de mes vœux!

samedi 13 septembre 2014

L'éternité n'est pas la mémoire

Célébré dans la douleur et dans la joie (les deux ne sont pas incompatibles, évidemment) ce matin à Beaumont, ou plutôt concélébré avec mon ami Francis, le doyen du lieu, les funérailles de Christian, ami médecin depuis si longtemps. Une église pleine, pleine de monde  certes - il y en avait dehors - mais surtout de reconnaissance pour tout ce que cet homme a fait dans sa vie, dans sa pratique, en faveur de tant et tant de personnes, et si souvent dans l'ombre. Une ombre qui ce matin venait à la lumière...
"Pourtant, me dit quelqu'un à qui je racontais cet hommage, vous verrez que bientôt on ne se souviendra plus de lui. La foule est oublieuse..."
Evidemment, ce quelqu'un a raison. La foule est oublieuse et bientôt on ne se souviendra plus de lui - sauf ses proches, évidemment. Et très vite - plus vite encore, car moi je n'ai pas d'enfants - quand je serai mort, on ne se souviendra plus de moi. Et tant mieux : la vie va, on ne peut pas demander à tout le monde de se souvenir de tout le monde, voyons! Nous sommes éphémères, passagers...
Du coup, si cette mémoire éphémère est l'éternité à laquelle nous aspirons, pardon, ça ne vaut pas besef, comme on dit en France! Quelle stupidité! Et je m'étonne quelquefois de voir repris au frontispice des faire-part de décès ce mot attribué à Jean d'Ormesson (j'espère qu'il n'est pas de lui, ça ne le grandirait pas, et je l'aime bien), ce mot probablement recensé dans des livrets tout prêts pour familles en détresse qui veulent trouver une belle formule (du coup, respect pour ceux qui le choisissent) : "Ce qui est plus fort que la mort, c'est le souvenir des morts dans la mémoire des vivants."
Tu parles!
Encore une fois, pour ceux qui ont une descendance, admettons que ce "plus fort que la mort" dure deux générations -  ce serait  déjà beau. Sinon...  pour qui se prend-on?
Vraiment, si l'éternité est la trace mnésique que nous laissons, c'est de la couillonnade... Et, si j'ose ainsi m'exprimer, en disant cela, je pèse mes mots!
L'éternité, c'est l'autre du temps et de l'espace.
C'est ce à quoi aspirent notre temps et notre espace.
C'est l'envers du décor, puisque nous savons bien que nous vivons dans le décor provisoire de l'espace et du temps.
Du reste - si l'on voulait une attestation autre que théologique à ce propos - voyez les astrophysiciens : ils ne contredisent pas cette opinion, que par ailleurs la foi au Ressuscité recommande comme une espérance pour le présent de la vie terrestre.
L'éternité n'est pas seulement l'au-delà de l'ici-bas, elle est déjà l'intensité de l'ici-bas lorsqu'il est vécu dans l'amour.
Elle n'est pas l'immortalité - nous ne sommes évidemment pas immortels, et heureusement!
L'éternité se donne, se propose, se laisse méditer avec fulgurance dans la Résurrection du Christ, qui manifeste la présence concomitante et du Jésus de l'Histoire et du Christ de la foi, à jamais indissociables, l'un parce que c'est l'autre - on ne saurait croire en l'un sans espérer l'autre.
De toutes les fibres de mon cœur, de mon corps, de ma raison, de mon esprit, je crois évidemment à la Résurrection de la chair, de l'être humain tout entier à la suite du Christ qui est le "premier-né des morts" comme dit saint Paul de façon admirable dans sa Lettre aux Romains.
Je peux être terriblement abattu par la mort d'un ami, d'un frère en humanité - comme celle de Christian - ou par les traumatismes épouvantables dont souffre notre "pauvre espèce" (Bernanos), je pense que je ne serai jamais désespéré.
Est-ce l'entretien méthodique en moi d'une illusion?
Honnêtement, je ne le crois pas. J'ai fait la critique, depuis des années, et la critique de la critique, et la critique encore de tout l'ensemble, plus que beaucoup de mes paroissiens - en ce compris de ceux qui, par principe ou par anticléricalisme sont hostiles à toute idée religieuse -  (je dis cela non pour me vanter,  mais parce que cela a été longtemps mon métier de théologien), j'ai lu et relu, et je lis encore, Freud et La Critique d'une Illusion, ou Totem et Tabou ou Malaise dans la Civilisation, ou Nietzsche et Ainsi parlait Zarathoustra et L'Antéchrist, ou Marx et La Critique de la Philosophie du Droit de Hegel et L'Idéologie allemande, et je pourrais allonger la liste, et je pense tous ces braves gens infiniment moins crédibles que le premier verset venu des Evangiles. Et je pourrais dire la même chose des récritures contemporaines, souvent plus bouffonnes que sérieuses, d'Epicure ou des Stoïciens - l'espèce de matérialisme bêtasse qui fait la philosophie de bazar de beaucoup de nos contemporains, genre : "Du moment qu'on a bien vécu et bien profité, hein Monsieur le Doyen, on peut partir, c'est déjà pas mal."  (Pour ne faire qu'une objection à cette absence de pensée : et tous ceux, dans le monde, qui, à peine nés, sont déjà mourants et meurent bientôt, sont-ce là des vies inutiles sous le prétexte qu'elles n'ont pas "joui" de l'existence? Et le moteur du bonheur est-il la "jouissance"? Il me semble qu'on ne se grandit guère en s'avançant dans cette voie...)
Plus je vais, plus je vieillis, plus j'essaie d'écouter les gens et le monde, plus le christianisme - cette alliance détonante entre , donc, le Jésus de l'Histoire et le Christ de la Foi, le Christ ressuscité - me semble constituer  pour l'être humain "le chemin, la vérité, la vie."
Comme persiflait  déjà  Claudel, le reste, "pfuit, on souffle dessus, il n'y a plus rien..."
Mais, comme on le dit et  l'écrit au stylet sur le Cierge de Pâques, au début de la Grande Vigile de la Résurrection : "Le Christ, hier et aujourd'hui. Commencement et fin de toutes choses.  Alpha et Omega. A lui le temps et l'éternité. A lui la gloire et la puissance pour les siècles sans fin."

jeudi 11 septembre 2014

De deux livres étonnants...

J'ai nourri les temps plus souples des "vacances" de deux livres importants - en tous les cas, en volume! D'abord, la belle réédition du roman  de Joseph Malègue, Augustin ou le Maître est là (Cerf, 832p.), un texte paru pour la première fois en 1933 et qu'on a eu l'excellente idée de réimprimer. Augustin, jeune homme né dans une famille catholique moyenne, devient à Paris un universitaire brillant, confronté à ce que l'on nomme "la crise moderniste" (une crise d'interprétation et de critique historique des sources chrétiennes). Il y "perd" la foi, ou du moins la relativise, connaît des émois amoureux qui n'aboutiront pas - il meurt jeune, fauché par la tuberculose, mais réconcilié et en paix avec le christianisme. C'est un texte puissant - dont notre ami José Fontaine, paroissien de Graty, est un spécialiste depuis longtemps : il est l'auteur, sur Wikipédia, des notices remarquables concernant et Malègue et son roman. Pourquoi, un texte puissant? Parce qu'il pose la question de la foi, de ses allers et retours, de sa rencontre inévitable avec la critique intellectuelle, des sentiments troubles ou troublés qu'elle peut engendrer et contrarier, etc., etc.
Quatre-vingts ans plus tard, Emmanuel Carrère, célèbre écrivain français, publie l'autre texte dont j'ai voulu nourrir mes "vacances" : Le Royaume (P.O.L., 630p.) Avec le talent qu'on lui connaît, il brosse le tableau - et vraiment comme un peintre, à larges traits enlevés, précis, fulgurants - des premières années chrétiennes et relit avec nous les textes fondateurs du christianisme (les Actes des Apôtres, l'Evangile de Luc - il a pour Luc une affection toute spéciale - , les autres synoptiques, les textes johanniques, l'épître de Jacques, etc.) aux fins d'y déceler l'histoire, faite d'affrontements et d'incompréhensions, de rivalités autant que de fraternité, de ce qui est devenu l'Eglise chrétienne. C'est (à part quelques imprécisions ou erreurs mineures) impressionnant de justesse, de clairvoyance, et finalement d'empathie pour ces personnages qui ont "fait" notre foi, même si Carrère lui-même écrit aussi, dans les marges, sa propre histoire, sa propre relation à cette foi, plus distante aujourd'hui qu'hier, plus réservée - mais on le sent tout de même empli de la nostalgie de croire. Je connais Emmanuel Carrère (nous nous sommes vus en juillet dernier précisément pendant que je prenais, alors vraiment, un temps de vacances et avions déjà évoqué ce texte qu'il a eu la gentillesse de m'envoyer lors de sa parution la semaine dernière.) J'aime beaucoup ce qu'il fait et la modernité de son écriture, un style très cinématographique. Son livre est une réussite - à tous égards, du reste : il est (allez savoir pourquoi), l'un des best-sellers de la rentrée! Je suis surpris qu'on s'arrache en France un texte de plus de six cents pages qui raconte l'histoire de la composition du Nouveau Testament!

On se ré-intéresse donc au christianisme,  à ses sources, à la critique de celles-ci, à leur récriture, à l'adhésion que, deux mille ans après, il est raisonnable d'avoir encore à leur endroit, au choix de la foi, à l'agacement devant la réalité de l'Eglise et à l'étonnement devant son mystère. On le fait sous des formes littéraires redécouvertes, republiées ou franchement contemporaines. Dans un cas comme dans l'autre, cela dit quelque chose de la pertinence chrétienne aujourd'hui, en Occident du Nord, en Europe du Nord, chez nous, quelque chose d'un besoin de savoir, de comprendre, et peut-être de s'abandonner à une conception de Dieu, de l'homme et du monde, porteuse de bonheur.

Car dans les deux cas, Malègue ou Carrère, je tiens que la motivation de leur travail est la quête de la joie spirituelle, de la joie "imprenable". Et n'est-ce pas cette joie qui, si souvent, fait défaut?

mercredi 10 septembre 2014

Le médecin...

Tristesse énorme, ce matin, d'apprendre le décès de mon ancien médecin, celui de ma jeunesse jusqu'à mon arrivée à Enghien. Celui de mes parents, dans les vingt dernières années de leur vie.
Un médecin généraliste qui était tellement ami de tous...
Un confident.
Quelqu'un qu'on ne semblait jamais déranger.
Qui venait quelquefois chez vous à l'improviste, sans qu'on l'ait appelé, pour vérifier que "ça allait".
Qui expédiait les consultations destinées seulement à renouveler des ordonnances.
Mais qui soignait toutes les autres.
Qui faisait faire peu d'analyses extérieures, mais du premier coup d'œil, savait presque vous dire ce qui n'allait pas - et c'était toujours vrai. Quarante ans d'expérience, de "feeling"...
Un peu bourru, parlant wallon quand il fallait, taiseux, ami jusqu'au bout des ongles.
Malade depuis de nombreux mois, il a assuré ses consultations jusque fin juillet.
C'était l'un de mes vrais, de mes grands amis, ami de cette amitié définitive qui peut lier pour toujours deux êtres, deux hommes, somme toute si dissemblables.
J'ai caché ma peine toute la journée, pris par d'autres tâches, d'autres devoirs, mais ce soir...
Et samedi, nous célébrerons sa Pâque, fidèlement, discrètement - comme il aurait aimé, sans ostentation aucune.
Les gens de mon coin, qui m'ont appelé tout l'après-midi, se désolent  : "Mais qui va-t-on prendre comme médecin, maintenant?" Parce que c'était "le" ("the") médecin! Il n'y a pas plus bel hommage populaire à quelqu'un qui, comme vient de me le dire son épouse au téléphone "n'a jamais pensé qu'aux autres".

samedi 6 septembre 2014

"La communauté, lieu du pardon et de la fête"

Je me souviens avoir lu, il y a bien longtemps, ce beau livre de Jean Vanier, le fondateur de "L'Arche" : La communauté, lieu du pardon et de la fête. Paru en 1979, c'est un texte inspirant encore aujourd'hui, qui énonce comment il n'y a pas d'humanité hors communauté. Et comment c'est difficile.
L'évangile de ce dimanche met dans la bouche de Jésus (de façon visiblement rétrospective, mais sans que cela contredise ce qui a pu être sa pensée ou sa parole historique) un lien indissoluble entre sa présence et une vie communautaire : "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux." (Mt 18, 20) Les Pères de l'Eglise, méditant sur ce verset, ont toujours affirmé que cette présence de Jésus "au milieu" de personnes réunies en son nom, était une présence aussi réelle que sa présence sacramentelle, par exemple que sa présence dans l'Eucharistie. Et, dans les charismes récents reconnus et promus par l'Eglise catholique, celui des Focolarini, fondés par l'italienne Chiara Lubich au début de la Guerre, promeut cette présence première du Seigneur au milieu de personnes qui se mettent d'accord en son nom...
Jésus, semble-t-il, n'a pas voulu dissocier sa présence d'une communauté de vie, porteuse de son nom.
Le christianisme, ce n'est jamais "Moi et Dieu" ou "Dieu et moi", ce n'est jamais seulement une relation personnelle, c'est aussi toujours et d'emblée un "Nous". Du reste, Jésus nous enseignant la prière ne nous a pas demandé de dire "Mon Père", mais "Notre Père"- et par là, nous voilà constitués en communauté(s) de frères. Hors cela, pas de référence à lui - l'évangile, encore une fois, a le mérite d'être clair là-dessus.
Mais c'est difficile! Communauté de foi, de destinée, de partage, de vie : on est souvent bien plus tranquille tout seul! Vaille que vaille, cependant, avec ses grandeurs et ses faiblesses, l'Eglise rappelle au monde cette conviction qu'elle tient de Jésus et qui la tient autour de Jésus : pas de rencontre avec Dieu, dans le Christ, sans l'exercice ("l'ascèse", dit le grec) de la vie commune.
Je pensais à cela en préparant mes homélies, aujourd'hui : "mes", car il y en aura au moins deux. Ce soir, une rencontre à Graty avec des couples jubilaires (cinquante et soixante années de mariage) : la famille n'est-elle pas la première communauté de vie, le premier "lieu du pardon et de la fête"? Demain, à Enghien, célébration des septante années de la libération de la Ville : et prière pour la paix entre nations - autre communauté de destinée et de partage, hors laquelle il ne saurait y avoir non seulement de vie chrétienne, mais de vie tout court.
"Jésus au milieu", comme disait Chiara Lubich, présence réelle du Christ pour la paix des familles et des nations, et, comme disait cette fois Jean Vanier, source de pardon et de fête.

mercredi 3 septembre 2014

Environné par la mort, mais priant...

Impression, ces jours-ci, d'être comme tout environné de mort : des mourants, des défunts, jeunes encore, des amis qui s'en vont, des situations mortifères, souvent très proches, bref, des moments où l'on aurait tendance à se dire qu'il n'y a pas d'issue. Ou comme me le disait une maman, gravement atteinte dans sa famille et ses proches par toutes sortes de ces malheurs-là, "la prière ne me sert à rien, je ne suis plus exaucée."
Que signifie "prier"? Sûrement pas jouer au Lotto dans l'espoir de gagner de temps en temps, sûrement pas non plus un "win-win" avec le Bon Dieu, sûrement pas une assurance protectrice de vie ou de bien-être, non, sûrement pas tout cela - c'est trop clair, l'expérience le démontre.
Mais déposer son cœur, son désir, son angoisse, dire son trouble, crier son incompréhension et sa révolte, hurler son athéisme devant l'évidence de l'abandon par Dieu ("Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" - c'est bien le cri de Jésus en croix, et même si c'est le premier verset d'un psaume à la finale ressuscitante, c'est d'abord un cri d'abandon!)
Aucune prière digne de ce nom ne saurait faire l'économie du moment où il semble qu'il n'y a pas d'appui au "ciel" pour  reposer sa tête; que nous sommes, humains, désespérément seuls et, oui, abandonnés sur la terre;  que bien sûr il n'y a pas de Dieu;  et même que l'illusion qu'il y en ait un est pire que toutes les autres... Quiconque n'a pas fait l'expérience viscérale de cet athéisme-là, profond, douloureux, amputant, ne saurait appréhender la prière.
C'est-à-dire, à travers tout cela, le choix de s'abandonner quand même à la confiance. Le choix d'aimer, quand même, cette confiance.
Pourrions-nous prendre un autre chemin que celui du Christ?