mardi 29 juin 2010

Dieu dans les rues

J'ai participé pour la première fois à la Procession de la Saint-Jean à Enghien. J'en ai été ému aux larmes. Je ne pourrai jamais assez remercier le Comité organisateur, qui prévoit tant de merveilles depuis tant de mois : ornement des statues, groupes, fanfares, etc. Et le bon ordre de tout, qui est parfait. Le Saint Sacrement, tour à tour porté par le Doyen et son Vicaire sous le baldaquin, a donc parcouru les rues d'Enghien. Et c'est dans les "petits" quartiers, les plus humbles, que j'ai vu les maisons les mieux ornées, les personnes les plus enclines à vénérer le passage de Dieu parmi elles. Je dis bien : de Dieu. Je m'émerveillais encore de cette vérité simple de l'Incarnation, dimanche : Dieu, dans un morceau de pain baladé. Quel coup à démonter tous nos fantasmes, quelle simplicité désarmante, qui restera toujours un sujet majeur de méditation pour la théologie!
Ce que j'ai entrevu le lendemain, hier lundi, en présentant à mes étudiants de la Faculté de Théologie de l'UCL des textes de la mystique rhéno-flamande du XIVème siècle, en leur demandant de les commenter pour leur examen de première session. Les mystiques sont, de tous les auteurs théologiens, sans aucun doute ceux qui ont entrevu cette limpidité que je signalais plus tôt, et donc ceux qui nous laissent les plus perplexes. Si on le lit avec ce regard, rien de plus évident que Maître Eckhart (au moins, dans ses Sermons).
Mais la vraie difficulté, si j'ose ce paradoxe, c'est la simplicité (désarmante, en effet) de la foi chrétienne, qui retourne tout!

vendredi 25 juin 2010

Monseigneur Jozef De Kesel, évêque de Bruges

Apprenant ce midi la nomination de Mgr De Kesel à la tête du diocèse de Bruges, je tiens à partager ma joie avec les lecteurs de ce "blog". Depuis que j'ai la chance de le connaître (des années), j'ai trouvé en cet homme l'évêque "idéal" (pour peu qu'il existe!) : excellent théologien, cultivé mais humble, à l'écoute, pasteur vraiment, ne "la ramenant pas" comme on dit quelquefois. Nous avons collaboré beaucoup ensemble, il y a quelques années, au sein de la commission épiscopale pour l'évangélisation dont j'étais alors membre comme théologien "expert" (en quoi, je vous le demande!) J'ai eu alors l'occasion de profiter de son érudition, de son calme, de son sens de l'à-propos, de son écoute, et le travail (en commission et hors commission) que nous avons affectué, pendant des heures et des heures, des jours et des jours, je crois qu'il portera encore beaucoup de fruits parce qu'il a été accompli dans un vrai climat de fraternité. Son amitié l'a aussi conduit à préfacer mon dernier livre en date, Un homme la nuit, paru en 2009 chez Bayard, et ce texte est un bel hymne à l'amitié, tout empreint de subtilité.
Vraiment, je suis heureux pour le diocèse de Bruges et pour l'Eglise dans notre pays : c'est un beau signe d'ouverture que lui donne le Saint Père en ces temps plus que troublés.

dimanche 20 juin 2010

Des bienfaits de la grippe : la lecture

Un peu grippé ces jours-ci, fatigué et devant même une journée entière garder le lit, je me suis mis à reprendre les romans de Paul Auster, le grand auteur américain. Moon Palace, déjà ancien, et le tout récent Invisible, tout cela publié chez Actes Sud, l'excellente maison parisienne. Des romans initiatiques, en quelque sorte, des romans qui nous promènent en même temps que le héros (dans les deux cas, un étudiant américain "basique", intelligent mais sans repère spirituel précis, le décalque même de nos ados et grands jeunes d'aujourd'hui) dans les découvertes des pourquoi de la vie. Dans le plaisir de la transgression. Dans la culpabilité de la transgression, aussi. Dans le jeu épuisant des questions sans réponse, aussi curieux soit-on de tout. Toutes ces intrigues, conduites avec un sens maîtrisé du rebondissement, nourrisent vraiment ces jours-ci ma vie spirituelle elle-même. Elles reconduisent finalement à celles de la Bible, du Premier Testament en particulier, de ces histoires incroyables de jalousies, de rancunes, de meurtres fratricides, d'intrigues de cour - ces histoires humaines, "trop humaines" - à travers lesquelles, pourtant, Dieu se donne à connaître.
Quel étrange animal que l'être humain. Lorsqu'il n'y comprend plus rien, il invente, il crée des personnages et des destinées, et voilà que cette création l'éclaire. La Bible aussi est de la littérature - et de quelle qualité! - mais inspirée par Dieu même pour se raconter aux hommes et peu à peu illuminer leur étrange route dans cet étrange monde. Et tous les vrais romans, tous les livres bien écrits, au fond, reconduisent à ce Livre-là, au Livre, donnent de le lire avec une curiosité neuve.
Bienheureuse grippette, qui permet de lire "from cover to cover" (de de la première de couverture à la quatrième de couverture, du début à la fin), presque d'un trait! Je ne dis pas qu'on en redemande, non, mais il y avait là, malgré les frissons de la fièvre et le mal de gorge, une espèce d'avant-goût des vacances...

mardi 15 juin 2010

La liberté de Jésus - sa puissance

Bouleversé encore par l'évangile lu et médité en Eglise dimanche dernier (Lc 7, 36 - 8, 3), cet épisode où l'on voit la "pécheresse" publique venir - et chez un pharisien - baigner de ses larmes les pieds de Jésus, j'ajoute ici ce que je n'ai pas osé dire dans l'homélie. Cette femme montre à Jésus son amour par tous les signes extérieurs de son "métier" de prostituée : elle embrasse, elle baigne de ses larmes, elle essuie avec ses cheveux (l'érotisme des cheveux longs dans l'Antiquité, quelle littérature là-autour...), elle répand du parfum. Un vrai salon de massage pour clients avertis : les propositions n'ont pas beaucoup changé, de ce côté-là, depuis vingt siècles. (Comment le savez-vous, diront les esprits mal intentionnés : si ça peut les rassurer, on me raconte, c'est tout. Et, les esprit mal intentionnés, je m'en balance). Ce qui est bouleversant, c'est que Jésus reçoit ces signes ambigus de l'amour en les interprétant pour ce qu'ils sont en leur genèse : une demande authentique non pas tant d'affection que de conversion. Cette femme pourrait-elle manifester son désir réel autrement que par ce qu'elle a coutume de donner, en pauvre substitut, à ses amants? Jésus ne s'offusque pas, là où les pharisiens (et un pharisien, au moins, toujours sommeille en nous) voient du scandale. Il accueille l'être humain dans sa détresse, dans son péché, tel qu'il est, et le relève.
Pourquoi, bon sang, pourquoi sommes-nous si étriqués, et tellement peu "christiques", tellement peu évangéliques?

jeudi 10 juin 2010

Pèlerinage et... culture

Depuis bientôt dix ans, avec mon confrère le doyen de Leuze, nous accompagnons en juin un groupe de pèlerins du diocèse pour une "halte contemplative". La formule comprend la résidence dans un lieu où la prière des heures est assurée, mais aussi la découverte culturelle de la région visitée et la prédication sur un thème donné. Cette année : le lieu, c'était le nord de Paris, la forêt d'Ermenonville ou de Chantilly, avec les sites magnifiques de l'abbaye royale de Châalis (et les collections superbes de Madame André), la ville et surtout la cathédrale de Senlis, la cathédrale de Meaux, la crypte Saint-Paul de Jouarre, le château de Chantilly et la ville de Cambrai. Au menu "spirituel" : l'évocation des grandes figures de Bossuet et de Fénelon, et une méditation sur les psaumes.
Pause, vraiment, dans la vie agitée que nous menons, pas seulement les prêtres, mais les "fidèles chrétiens". Temps de louange, de prière et d'intercession. Retour sur sa vie, sur la vie, sur ce qui est vraiment important dans l'aventure chrétienne. Temps de grâce, sans aucun doute : se reposer "en Dieu" est un luxe, mais un luxe nécessaire.
L'année prochaine, on remet cela : l'autre côté de Paris, cette fois-là, le sud, avec Versailles, son château et ses jardins mais surtout l'évocation de l' "Ecole Française de spiritualité" (l'expression est de Henri Bremond pour désigner les grands auteurs spirituels français du début du XVIIème siècle comme le Cardinal de Bérulle, Jean-Jacques Ollier, etc.) et aussi Pascal et le jansénisme.
Ne pas omettre de (re)lire Pascal, et son "deuxième discours sur la condition des Grands", qui nous apprend tant et tant de choses sur l'état de l'Eglise... d'aujourd'hui!

dimanche 6 juin 2010

Poème d'action de grâce - d'eucharistie

Au soir de cette solennité du Saint Sacrement, je relis quelques textes du grand Patrice de la Tour du Pin dans sa Somme de Poésie.
En voici un, pour rendre grâce encore face à la richesse du mystère célébré :

Comme un marin s'écrie : la terre!
voici la terre! - moi, je clame :
enfin voici l'homme, les hommes!

Jadis je butais dans leurs vignes,
je bronchais sur leurs éminences
et contre leurs ombres portées.

Mais je n'ai pas gagné le large :
au contraire, je suis rentré
très loin dans l'homme que j'étais.

Le Seigneur a brûlé mes vignes,
miné de partout mes hauteurs :
il a pris mon ombre en pitié.

Il m'a refait une campagne,
il m'a recouvert de plantiers,
il m'a reformé des collines!

Maintenant il me rend aux hommes,
à travers eux j'entends la Fête
des Tabernacles s'avancer.

La vigne est en fleurs, notre vigne!
toute clôture est inutile :
le Seigneur viendra vendanger...

P. de la Tour du Pin, Une somme de poésie. II. Le jeu de l'homme devant les autres, texte définitif revu et corrigé par l'auteur, Gallimard, 1982, p. 176.

mercredi 2 juin 2010

L'insolence de Job

La Bible est un trésor. Ces jours-ci, revenus au temps ordinaire, nous lisons dans l'Office dit "des lectures" - qu'on appelle parfois "Vigiles" et qu'on nommait autrefois "Matines" - le livre de Job en continu. Une merveille toujours retrouvée... Je suis bluffé par la modernité de ce texte, où l'on voit l'homme dire son fait à Dieu. Dépouillé de tout par la volonté de l'Adversaire - et avec l'accord de Dieu - Job crie son mécontentement avec une insolence digne de nos adolescents. "Rien fait de mal", dit-il. "Pas juste". "Et puis fais-moi mourir, tant que tu y es. " "Et puis, t'aurais aussi bien fait de ne pas me faire". "Pourquoi tu m'as fait naître, hein?" Quant aux (faux) bons amis qui tentent de le raisonner, comme feraient de sages éducateurs d'aujourd'hui, il les remballe séance tenante : "F... - moi la paix!"
Ah! Quelle santé, que d'envoyer ainsi balader l'autorité sous prétexte qu'on devrait coûte que coûte y être soumis parce que c'est l'autorité! Combien nos Eglises ont-elles souvent oublié la belle insolence de Job, qui veut râler, argumenter, qui n'accepte pas l'ordre tout cuit sous prétexte qu'il vient de Dieu.
Et n'oublions pas : c'est à lui que Dieu, en finale, donne raison, et pas aux (faux) amis craintifs et pleutres.
Ah! Quelle leçon pour notre vie en Eglise aujourd'hui!
Je dois ici, à Enghien, exercer l'autorité, et, les gens le savent maintenant, je le fais - c'est mon devoir. Mais le débat, la contestation, les propositions contradictoires, tout cela me semble de bonne santé, de meilleure santé que le suivisme quelquefois prêché (à nouveau) aujourd'hui dans l'Eglise catholique.
A ce propos, lire l'excellent recueil récemment publié chez Lessius en hommage à Raphaël Collinet, et dirigé par mon confrère Alphonse Borras, vicaire général de Liège : Délibérer en Eglise. Hommage à Raphaël Collinet, A. Borras dir., préface de Mgr A. Jousten, évêque de Liège, Lessius, 2010, 303pp. Avec entre autres une remarquable intervention de Mgr Albert Houssiau, ancien évêque de Liège, sur le fonctionnement des conseils locaux de pastorale...