jeudi 26 mai 2016

La mort de Bernard, la mort d'un frère...

Nous avons appris dans l'après-midi le décès, survenu ce matin, de notre confrère et ami prêtre l'abbé Bernard François. Bernard était, comme on dit, "de mon cours" - ce qui signifie des années communes de séminaire, et nous nous rencontrions depuis nos ordinations respectives (plus de trente ans, donc) environ tous les deux mois - la dernière fois, il y a peu, ici à Enghien.
Il y a quelques temps, cet homme robuste, fonceur, dynamique, têtu ("saintement têtu" disait-on déjà au séminaire...) a fini par obtenir ce dont il rêvait : se rapprocher des plus pauvres des pauvres, partir pour l'Afrique oubliée, accueilli et aidé par la Congrégation des Pères Spiritains. Il était en Guinée, dans une campagne perdue à plus de huit cents kilomètres de Konakry,  où il a été rattrapé par une atteinte violente de malaria (paludisme). Transféré à l'hôpital de Konakry, il y est donc décédé ce matin. Et, selon sa volonté, c'est là qu'il sera enterré.
Vicaire puis curé dans divers lieux du diocèse, Bernard aura marqué par son tempérament engagé, volontaire, quelquefois excessif, toujours généreux.
J'admire ce soir, tout rempli de la tristesse de son départ trop rapide, la cohérence de ses choix : être présent aux plus pauvres de tous. Il voulait cela de tout son cœur. En quelque sorte, il en est mort...
Des messes seront célébrées à sa mémoire dans le diocèse, je ne sais pas encore quand.
En tous les cas, le 24 juin prochain, ici à Enghien - jour anniversaire de mon ordination -, avec deux autres confrères du même cours, nous concélébrerons la messe de 18h00 en priant pour lui et en lui recommandant notre ministère...
Repose en paix, Bernard, dans la belle et douloureuse terre d'Afrique pour laquelle tu voulais tout donner!

lundi 23 mai 2016

Pourquoi je suis chrétien

La question mériterait, évidemment, bien des réponses.
Je souhaite aujourd'hui en évoquer une, qui me semble décisive.
L'humanité se caractérise en ceci, qu'elle veut des histoires signifiantes pour se donner un salut - les anthropologues diront des "mythes", ce qui n'a rien de péjoratif, le mythe est une histoire qui dit quelque chose de vrai sur le mode de l'invention, de la fiction. Toutes les civilisations vivent par ces récits, à travers eux, car ils permettent à chacun de trouver sa place dans l'histoire : voyez les Amérindiens, les Scandinaves, les Germains, les Polythéistes grecs puis romains, etc. Ces mythes sont fondateurs d'humanité : on y trouve de quoi non seulement vivre (cela, c'est le boire et le manger, comme tous les animaux) mais de quoi "être", "être en regard", "être aux yeux des autres", "être aux yeux de l'Autre". Ils disent, en racontant des histoires magnifiques et terribles, quelque chose de la Vérité de l'être humain, de sa destinée, qui fait de lui un animal "à part des autres". Les souris n'ont pas de mythe, ni les vaches, ni les grands singes, ni les chiens et les chats, aussi affectueux soient-ils.
Dans ces mythes, les religions trouvent leur origine. Elles racontent, pour dire quelque chose de la vérité de l'homme. Et, si l'on y croit, de Dieu. Elles constituent, en quelque sorte, le mode d'accès le plus évident aux récits fondateurs par lesquels l'humanité de l'homme trouve sa justification. Par leurs rites, leurs textes, leurs manières de se positionner dans le monde, elles permettent à l'être humain non seulement de vivre, mais d' "être".  Chacune à sa façon, elles lui promettent le salut : une espèce de dépassement,  de conviction réalisée dans l'espérance que "l'homme passe infiniment l'homme" (Pascal), que l'être humain s'accomplit dans un devenir inattendu qui le réalise absolument.
Les religions sont multiples : à côté des polythéismes et monothéismes connus, le communisme a pu servir - et sert encore, voyez la Corée du Nord - de substitut religieux efficace. Le libéralisme, autre substitut, qui promeut le bonheur par l'extension indéfinie de la liberté individuelle, aussi. L'écologie, qui propose un salut lié à celui de la planète, peut aussi devenir une forme de religion (avec ou sans dieu, du reste, panthéiste ou non). On pourrait allonger la liste : l'offre est vaste. Elle est souvent décevante, quand elle ne tient pas ses promesses pour tout le monde, ou qu'elle se borne  à un horizon seulement matériel du salut (faire de l'argent, réussir dans la vie, etc.) que l'on sait nécessairement barré par la mort corporelle, un jour ou l'autre.
Il me semble que le succès momentané de Daesh trouve là une de ses clés : si cette organisation terroriste réussit à recruter dans plus de cent pays des jeunes très différents entre eux (origine, culture, etc.), c'est parce qu'elle propose un substitut religieux (fallacieusement greffé sur le Coran, mais qui n'a rien à voir avec lui) à des "religions" qui ont failli, qui n'ont pas tenu leurs promesses de bonheur : celles que j'ai citées, celle des "Droits de l'Homme" aussi telle que proposée en Occident dans des démocraties qui peinent à les mettre vraiment en œuvre. Alors les récits magnifiques et meurtriers de Daesh fonctionnent : ils sont un mythe porteur, on peut y trouver des raisons d'être quelqu'un(e), quitte à tuer tout le monde et à se faire exploser - le salut viendra, par ce martyre, par ce sacrifice, un jour ou l'autre.
Et la raison, direz-vous? Cette belle raison occidentale dont on a parfois fait aussi un substitut religieux? Mais la raison naît toujours après, de l'intérieur des mythes, pour les justifier, pour leur donner une puissance universelle de pensée. Sinon, elle n'est qu'un mythe de plus - celui de la science triomphante, par exemple, comme explication de tout, ce qui donne le (finalement) pauvre scientisme du XIXème siècle.
Eh bien, figurez-vous, je préfère le christianisme. Mythe (au sens le plus noble du mot, donc), et fondé sur des événements historiques, il annonce par ses récits et par ses rites un accomplissement humain dans un salut universel où - malgré les contre-témoignages de l'histoire - la violence est abolie. Il annonce un Dieu faible et relevant l'homme, non pas terrassant celui-ci, mais agenouillé devant lui pour en faire le véritable auteur de sa destinée. Il offre un horizon de sens en cette vie terrestre et par delà cette vie terrestre, tel que je n'en connais pas dans les autres récits, aussi prodigieux soient-ils, de la narration humaine. Ce qui se raconte dans la figure du Christ, de son parcours terrestre, de ses paroles, de ses actes, de sa mort, de sa résurrection, tout cela reste pour moi ce que l'on peut dire de plus exaltant à l'être humain - je dis bien son "être", pas seulement sa vie - pour qu'il se réalise pleinement, en solidarité avec tous, en respect de chacun, en respect de son monde.
Voilà pourquoi je suis chrétien.

mardi 10 mai 2016

La honte dans les prisons de notre pays

Ce que révèle la grève importante du personnel pénitentiaire, chez nous, en dit long sur un malaise plus général qui gangrène notre pays et ses institutions. Les prisons constituent un domaine "régalien" - c'est-à-dire l'un des secteurs où l'autorité de l'Etat doit s'exercer absolument (comme les finances, ou les affaires étrangères, par exemple.) Or nous voyons un Etat faible, incapable d'assurer les droits humains fondamentaux des prisonniers, leur entretien quotidien, leur confort minimal, leur propreté et leur hygiène, etc. Cette incapacité n'est pas que temporaire : elle renvoie à un manque récurrent de bonne gestion, depuis des années voire des décennies : surpopulation, trafic de drogues sur lequel on ferme les yeux, radicalisation islamiste favorisée par le regroupement mal discerné de certains détenus, j'en passe. La prison manque à ses devoirs - car elle a des devoirs, régulièrement rappelés et par exemple dans l'ouvrage magistral et déjà ancien du philosophe Michel Foucault, Surveiller et punir (Gallimard, 1975) : certes punir, en effet; protéger la société mais surtout réinsérer le délinquant et le rendre à la vie sociale, puisque le tribunal a jugé que c'était là chose possible après quelques années d'éloignement.
Nous n'y sommes pas  : j'entendais et voyais ce soir, à la télé, des reportages dans lesquels l'état des prisons et des prisonniers était décrit par des visiteurs impartiaux. Quelle honte! Des rats, des cafards, de la merde partout, et le reste.
Je n'oublie pas, dans cette année jubilaire de la miséricorde, que l'une des œuvres extérieures de la miséricorde consiste à "visiter les prisonniers". Non seulement pour leur dire bonjour, évidemment, mais pour leur témoigner la présence et la compassion de Dieu, et sa volonté de pardon, de don par-delà les fautes commises et reconnues. "J'étais en prison, et vous m'avez visité" dit Jésus (Mt 25) comme l'un des critères de vie éternelle pour ceux qui croient en lui, s'assimilant lui-même aux personnes emprisonnées.
A ce double titre de chrétien et d'être humain, je plaide pour que les prisonniers de notre pays soient simplement traités dans la dignité.

lundi 9 mai 2016

Mort de Philippe Beaussant

Ce nom ne dira peut-être pas grand chose : Philippe Beaussant était un spécialiste de la musique et de l'histoire du XVIIème siècle français, et plus généralement de la culture "baroque". Je l'avais connu à Chimay, il y une vingtaine d'années, lorsqu'il y présidait le Jury du Concours de Musique Baroque que les Princes organisaient à l'époque, et qu'il y prenait ses quartiers  avec son épouse. Nous fréquentions ensemble, entre les concerts, l'Abbaye de Scourmont... dont il appréciait fort la remarquable bière! Je l'avais revu récemment, il y a un an environ, lors de la  réception à l'Académie Française -  il en était membre- de Dany Laferrière. Toujours aussi exquis : il m'avait dit préparer un (second) ouvrage sur la gastronomie du Grand Siècle, ce qui me réjouissait.
Sa gentillesse, son érudition, son humilité vont manquer...
S'il fallait, parmi tant d'autres, recommander un livre de lui : voyez Le Roi-Soleil se lève aussi, chez Gallimard en 2000. Un récit reconstitué et enlevé d'une journée "type" de Louis XIV, vers 1700 (au moment de l'affaire de la Succession d'Espagne).  Passionnant!