lundi 23 mai 2016

Pourquoi je suis chrétien

La question mériterait, évidemment, bien des réponses.
Je souhaite aujourd'hui en évoquer une, qui me semble décisive.
L'humanité se caractérise en ceci, qu'elle veut des histoires signifiantes pour se donner un salut - les anthropologues diront des "mythes", ce qui n'a rien de péjoratif, le mythe est une histoire qui dit quelque chose de vrai sur le mode de l'invention, de la fiction. Toutes les civilisations vivent par ces récits, à travers eux, car ils permettent à chacun de trouver sa place dans l'histoire : voyez les Amérindiens, les Scandinaves, les Germains, les Polythéistes grecs puis romains, etc. Ces mythes sont fondateurs d'humanité : on y trouve de quoi non seulement vivre (cela, c'est le boire et le manger, comme tous les animaux) mais de quoi "être", "être en regard", "être aux yeux des autres", "être aux yeux de l'Autre". Ils disent, en racontant des histoires magnifiques et terribles, quelque chose de la Vérité de l'être humain, de sa destinée, qui fait de lui un animal "à part des autres". Les souris n'ont pas de mythe, ni les vaches, ni les grands singes, ni les chiens et les chats, aussi affectueux soient-ils.
Dans ces mythes, les religions trouvent leur origine. Elles racontent, pour dire quelque chose de la vérité de l'homme. Et, si l'on y croit, de Dieu. Elles constituent, en quelque sorte, le mode d'accès le plus évident aux récits fondateurs par lesquels l'humanité de l'homme trouve sa justification. Par leurs rites, leurs textes, leurs manières de se positionner dans le monde, elles permettent à l'être humain non seulement de vivre, mais d' "être".  Chacune à sa façon, elles lui promettent le salut : une espèce de dépassement,  de conviction réalisée dans l'espérance que "l'homme passe infiniment l'homme" (Pascal), que l'être humain s'accomplit dans un devenir inattendu qui le réalise absolument.
Les religions sont multiples : à côté des polythéismes et monothéismes connus, le communisme a pu servir - et sert encore, voyez la Corée du Nord - de substitut religieux efficace. Le libéralisme, autre substitut, qui promeut le bonheur par l'extension indéfinie de la liberté individuelle, aussi. L'écologie, qui propose un salut lié à celui de la planète, peut aussi devenir une forme de religion (avec ou sans dieu, du reste, panthéiste ou non). On pourrait allonger la liste : l'offre est vaste. Elle est souvent décevante, quand elle ne tient pas ses promesses pour tout le monde, ou qu'elle se borne  à un horizon seulement matériel du salut (faire de l'argent, réussir dans la vie, etc.) que l'on sait nécessairement barré par la mort corporelle, un jour ou l'autre.
Il me semble que le succès momentané de Daesh trouve là une de ses clés : si cette organisation terroriste réussit à recruter dans plus de cent pays des jeunes très différents entre eux (origine, culture, etc.), c'est parce qu'elle propose un substitut religieux (fallacieusement greffé sur le Coran, mais qui n'a rien à voir avec lui) à des "religions" qui ont failli, qui n'ont pas tenu leurs promesses de bonheur : celles que j'ai citées, celle des "Droits de l'Homme" aussi telle que proposée en Occident dans des démocraties qui peinent à les mettre vraiment en œuvre. Alors les récits magnifiques et meurtriers de Daesh fonctionnent : ils sont un mythe porteur, on peut y trouver des raisons d'être quelqu'un(e), quitte à tuer tout le monde et à se faire exploser - le salut viendra, par ce martyre, par ce sacrifice, un jour ou l'autre.
Et la raison, direz-vous? Cette belle raison occidentale dont on a parfois fait aussi un substitut religieux? Mais la raison naît toujours après, de l'intérieur des mythes, pour les justifier, pour leur donner une puissance universelle de pensée. Sinon, elle n'est qu'un mythe de plus - celui de la science triomphante, par exemple, comme explication de tout, ce qui donne le (finalement) pauvre scientisme du XIXème siècle.
Eh bien, figurez-vous, je préfère le christianisme. Mythe (au sens le plus noble du mot, donc), et fondé sur des événements historiques, il annonce par ses récits et par ses rites un accomplissement humain dans un salut universel où - malgré les contre-témoignages de l'histoire - la violence est abolie. Il annonce un Dieu faible et relevant l'homme, non pas terrassant celui-ci, mais agenouillé devant lui pour en faire le véritable auteur de sa destinée. Il offre un horizon de sens en cette vie terrestre et par delà cette vie terrestre, tel que je n'en connais pas dans les autres récits, aussi prodigieux soient-ils, de la narration humaine. Ce qui se raconte dans la figure du Christ, de son parcours terrestre, de ses paroles, de ses actes, de sa mort, de sa résurrection, tout cela reste pour moi ce que l'on peut dire de plus exaltant à l'être humain - je dis bien son "être", pas seulement sa vie - pour qu'il se réalise pleinement, en solidarité avec tous, en respect de chacun, en respect de son monde.
Voilà pourquoi je suis chrétien.

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