mardi 24 janvier 2012

Pas là pour faire du chiffre...

Le propos d'un prêtre, d'un animateur en pastorale, d'une Equipe d'Animation Pastorale, d'un Conseil Local de Pastoral, etc., ce n'est pas de "faire du chiffre", à savoir de ramener à l'église le plus de monde possible - même si, évidemment, nous nous réjouissons tous lorsque nos églises sont remplies.
Le propos, c'est d'amener ou de ramener les personnes au Christ, de leur indiquer le Christ, de leur proposer le Christ, de les aider à s'attarder avec lui, à faire de lui le compagnon indispensable de leur vie, de les aider à se nourrir de lui, de sa Parole, de ses sacrements...
C'est autre chose!
Quelquefois, certains s'étonnent de ce que l'on fasse des propositions catéchétiques pour les personnes qui souhaitent le baptême de leur enfant, ou la première communion, ou la profession de foi, ou la confirmation, ou le mariage, ou...
Ils aimeraient, je crois, le principe du libre service sacramentel (quitte à payer pour) : mon baptême, ma communion, etc., comme et quand je veux, avec le minimum possible de préparation, pour que le rite soit assuré et que l'on fasse la fête. Toute proposition ultérieure leur semble encombrante dans une vie (je le crois volontiers) déjà surchargée de prestations.
Mais ce que nous proposons, c'est de suivre le Christ. Personne n'est obligé de le suivre, mais, si on le suit, on le suit sérieusement.
La gestion - oh combien délicate! - de ce décalage entre, mettons, l'offre et la demande (pour reprendre des termes commerciaux!) porte un nom : elle s'appelle, précisément, la pastorale.
Et c'est fatigant!

samedi 21 janvier 2012

Sommes-nous chrétiens?

La lecture, ce soir et demain, du début magnifique de l'évangile de Marc (Mc 1, 14-20) ne nous rapporte pas seulement l'empressement des premiers disciples à suivre Jésus. Il nous résume aussi, de façon ramassée et exemplaire, ce qui dut être l'enseignement de ce Maître qui bouleversa ses auditeurs et, à leur suite, le monde entier : "Les temps sont accomplis, le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle." Paroles énigmatiques, pour nous, aujourd'hui. Quels "temps", en effet, sinon ceux de la promesse? Toute l'espérance d'Israël, et à travers elle, toute l'espérance du monde, de tous les êtres humains à travers tous les temps, précisément, la voici accomplie : le Règne est là, tout proche. Il n'est pas une idéologie, un système de pensée, il n'est même pas un système religieux. Il est une personne : c'est Jésus. C'est donc vers lui qu'il faut désormais se tourner - au sens étymologique, "se convertir" : cela n'a rien d'une démarche morale! Et c'est une "bonne nouvelle", une sacrée bonne nouvelle : se tourner vers Jésus, c'est trouver en lui l'accomplissement de toutes nos espérances, c'est trouver notre bonheur, c'est réaliser l'humanité de l'homme, c'est apprendre Dieu pour de bon et pour de vrai!

D'où la question : Jésus nous intéresse-t-il? Est-il celui que nous cherchons comme si rien n'était plus important que lui? Avons-nous faim et soif de lui, qui pour nous s'est fait "nourriture et breuvage"? Désirons-nous sa Parole, lui qui est la Parole, et non pas un discours, une parole rapportée?

Je n'en suis pas sûr - je parle ici des chrétiens. Nous ne pensons guère à Jésus, encore moins le désirons-nous vraiment et le voulons-nous vraiment comme l'indispensable compagnon de nos existences. Nous pensons à mille autres choses, sans doute intéressantes (famille, enfants, emploi, argent, épanouissement, maladie, etc.) mais que nous ne voulons pas subordonner à notre relation à lui.

Alors qu'être chrétien, c'est tout miser sur le Christ, proclamer que ce Jésus - personnage indubitablement historique - non seulement est mort, mais Vivant, présent parmi nous, et qu'il ne cesse de vouloir nous prendre par la main pour nous mener au Père. J'ai l'impression que beaucoup de chrétiens ne croient pas vraiment au Christ - ils le manifestent peu, en tous les cas. Pour eux, le christianisme est une espèce de bonne habitude, voire d'hygiène de vie, un peu comme le sport, quand on en fait. Il permet une "bonne morale" (mais des tas de non chrétiens ont une excellente morale, quelquefois meilleure que celles des chrétiens!), il permet de s'inquiéter des autres (mais beaucoup d'association philanthropiques non chrétiennes le font aussi, et quelquefois mieux!), des jeunes (idem), il ouvre à une certaine émotion, à un certain recueillement (voir les beaux-arts chrétiens, mais des tas de religions le font aussi bien!), etc.

Le christianisme n'est pas une morale ou une philanthropie.
Il est un salut - la résolution de l'énigme qu'est toute existence humaine -, un salut découvert avec émerveillement en Jésus, le personnage historique, en sa chair humaine, en son enseignement, en sa vie donnée, en sa mort injuste, en sa Vie aujourd'hui dans sa condition inédite de premier vainqueur de la mort ("premier-né des morts"), qu'il nous invite à rejoindre.
La morale a de l'importance? Certes! Le secours des pauvres? Sans nul doute! Les changements apportés à la société des hommes? Evidemment! Et lorsque nous y concourons, c'est en chrétiens. Mais le christianisme ne se résume pas à cela, et ne trouve même pas là d'abord sa spécificité. Il la trouve - il est banal de l'écrire - dans le Christ.

Sommes-nous chrétiens?

mardi 17 janvier 2012

Hannah Arendt et nos questions

Hannah Arendt est une philosophe juive-allemande, morte en 1975 (si je ne me trompe), que le nazisme avait exilée aux USA et qui y a mené, dans la ligne de Husserl et de Heidegger, une carrière d'enseignement philosophique remarquable - c'est l'une des grandes philosophes du XXème siècle, un peu oubliée aujourd'hui, mais sur laquelle le monde culturel ne pourra pas ne pas revenir.
J'en suis de plus en plus convaincu tandis que je relis Condition de l'homme moderne, paru en 1958 déjà et dont je possède une traduction française préfacée par Paul Ricoeur, un ouvrage étudié il y a cent ans mais dont je retrouve avec un bonheur étonné la pertinence (H. ARENDT, Condition de l'homme moderne, trad. G. Fradier, Préface P. Ricoeur, Calman-Lévy, 1961).
J'ai l'impression que la plupart de nos perplexités contemporaines, rencontrées dans la gestion (problématique, non?) de nos Etats ou dans la vie de nos communautés ecclésiales, y sont déjà abordées : la question du travail, évidemment, la différence oubliée entre l'action et l'oeuvre, le renversement du rapport entre la contemplation et l'action, etc.
L'homme moderne serait-il condamné à n'être que ce qu'il fait, produit, "agit"? L'action, dit-elle, a pris le pas sur tout, est devenue la mesure de la pensée elle-même et de la réalisation de l'homme, au point que, pour beaucoup de nos contemporains, "on ne peut connaître que ce que l'on fait "(p.330), et que cette conviction "ne conduit pas à la résignation, mais soit à un redoublement d'activité, soit au désespoir"(ibid.)
Non seulement, cinquante-cinq ans plus tard, l'économie chahutée de nos démocraties donne raison à la philosophe d'alors, mais elle donne à voir le développement démentiel de ce qu'elle annonçait : tout, dans la réalisation de soi ou "du" soi, est dans "ce que l'on fait" (et quand on n'a rien à faire parce qu'il y a le chômage, qu'est-ce qu'on fait, et comment se "réalise"-t-on?), et les personnes qui veulent légitimement distraire de leur temps à autre chose, à la contemplation, à la beauté, à la culture, à l'intériorité, voire à la spiritualité, sont presque considérées comme des nuisibles. En tous les cas, des inutiles : ne faisant pas tourner le commerce, elles n'ont pas voix aux chapître!
On le paiera cher.
On le paie, du reste, de plus en plus cher - les exclus, pas seulement économiques, se ramassent comme les victimes de ce système du "tout à l'action", et par grappes : deux suicides, cette semaine, à Enghien.
Des gens qui se pensaient inutiles!
Que faire, mon Dieu, que faire, pour aider le monde à tourner, enfin, un peu autrement?

lundi 9 janvier 2012

"Comme tous ses chrétiens, je suis Christ"

Je relis ce soir ce mot de Marie Noël, qu'à vrai dire je viens d'aller rechercher pour en fixer la lettre : "A moi venu de père en père, depuis, comme tous ses chrétiens, je suis Christ, le Christ est moi de sang et d'âme et je ne l'ai pas trahi malgré les doutes et les angoisses de ma pensée. Il n'a cessé d'être pour moi, avec toutes ses exigences, la voie, la vérité, la vie. Dans l'incertitude sans issue de la destinée humaine, je n'ai pas eu d'autre lumière, je n'ai pas su d'autre chemin."
(Cité dans : Auxerre et Marie Noël, éd. Zodiaque, 1992, p. 58)
Je voudrais pouvoir écrire aussi finement, au soir de mes jours, combien le Christ, Jésus, aura été pour moi Celui qui, au fond, aura seul compté, plus que n'importe qui ou que n'importe quoi, Celui à partir duquel toutes les autres relations auront trouvé leur saveur, Celui grâce auquel tous les noeuds se seront dénoués, Celui par lequel je serai passé de la vie à la Vie.

vendredi 6 janvier 2012

Une remarquable biographie de Jésus

Quelquefois, le théologien que je suis (encore) en a assez des à peu près repérés dans la Presse. Ainsi : quelques jours avant Noël, un papier de Mme Morelli (ULB) dans La Libre, sur le caractère aléatoire de l'historicité de Jésus, et sur le fait qu'en tous les cas, les documents principaux nous donnant accès à sa vie étant connotés par la foi chrétienne, on ne pouvait rien dire du "Jésus de l'histoire". D'après elle, pas de biographie possible, au sens moderne du mot!
Il est, au jour d'aujourd'hui, honteux de lire de pareils propos sous la plume d'une Universitaire, qui méconnaît (à dessein? par ignorance? dans les deux cas, c'est gravissime, vu le statut que lui donne sa profession et même son professorat) plus de soixante années de travaux qui doivent remplir plusieurs salles de bibliothèque... Il est vrai que Rudolf Bultman, un exégète protestant allemand publiant dans l'entre-deux-guerres, a longtemps tenu cette position; mais il a été démenti par tout le monde, y compris par ses élèves et disciples! Des savants ont passé leur vie (de "rats de bibliothèques", comme on dit), a scruter tous les textes, chrétiens ou non, et, dans les chrétiens, apocryphes ou non (c'est-à-dire, non reconnus comme canoniques ou canoniques), pour finalement arriver à un consensus global (il y a des différences, évidemment, dans des appréciations secondaires) sur la vie de Jésus telle qu'on peut la reconstituer de façon historiquement fiable aujourd'hui.
En ce début d'année, je vous fais le cadeau d'un titre, si vous aimez l'histoire : l'ouvrage que consacre à ce sujet, sous le simple tite Jésus, l'historien français Jean-Christan PETITFILS (Fayard, 2011). L'auteur est un biographe reconnu, surtout dix-septiémiste : il a, entre autres, publié une "Vie" de Louis XVI qui fait autorité. Il explique qu'il utilise avec Jésus la méthode historique qui est la sienne pour ses autres sujets : diversité des sources, non seulement littéraires mais archéologiques, recoupements, esprit critique toujours en éveil. Les notes et la bibliographie sont abondantes, mais rejetées en fin de volume, pour ne pas contrarier la lecture d'un livre bien écrit, passionnant comme un roman. Et, foi de (encore) théologien, fiable!
De quoi river leur clou aux personnes qui confondent l'entreprise idéologique et l'entreprise scientifique.

jeudi 5 janvier 2012

Les tâches ingrates

La tempête a soufflé fort aujourd'hui sur la Belgique... et sur Enghien. La toiture de l'église décanale en a souffert : ardoises envolées, large brèche ouverte. C'est l'occasion pour moi de rendre hommage à ces "veilleurs de l'ombre" que sont les Fabriciens, c'est-à-dire les membres du "Conseil de Fabrique". Cette institution publique, créée par le Concordat de Napoléon, et qui se maintient chez nous où Eglise et Etat vivent encore sous ce régime concordataire (ce n'est plus le cas en France), gère pour l'essentiel les biens ecclésiaux que sont les églises et les presbytères, quand elle est en propriétaire. Les villes et communes ont l'obligation d'apporter leur concours à cette gestion (le bourgmestre est membre de droit), même quand elles ne sont pas propriétaires des bâtiments en question. Elles participent ainsi à l'entretien et à la sauvegarde d'un patrimoine religieux souvent remarquable du point de vue culturel.
Pour voir la différence : il suffit de constater l'état de déshérence dans lequel, faute de moyens, de nombreuses églises rurales de France sont laissées... Chez nous, le maintien du Concordat oblige les autorités publiques à s'inquiéter des biens de notre histoire, offerts à l'admiration de tous, croyants ou non. Dans ce doyenné d'Enghien et Silly, beaucoup d'églises sont de vrais bijoux qu'il serait scandaleux de laisser se dégrader...
Les Fabriciens ont une tâche ingrate : méconnus, ils veillent à l'intendance, ils calculent au plus juste des budgets qui permettent à ces biens patrimoniaux de rester debout et, si j'ose ainsi dire, "en bonne santé". De pareils bâtiments réclament une vigilance constante : entretien, protection, embellissement et... réparations, lorsque des événements surviennent comme les bourrasques de cette journée. Ces personnes étaient "sur le pont", aujourd'hui, fidèles au poste, attentives.
J'admire leur dévouement et je trouve ici l'opportune occasion de le leur dire!