mardi 17 janvier 2012

Hannah Arendt et nos questions

Hannah Arendt est une philosophe juive-allemande, morte en 1975 (si je ne me trompe), que le nazisme avait exilée aux USA et qui y a mené, dans la ligne de Husserl et de Heidegger, une carrière d'enseignement philosophique remarquable - c'est l'une des grandes philosophes du XXème siècle, un peu oubliée aujourd'hui, mais sur laquelle le monde culturel ne pourra pas ne pas revenir.
J'en suis de plus en plus convaincu tandis que je relis Condition de l'homme moderne, paru en 1958 déjà et dont je possède une traduction française préfacée par Paul Ricoeur, un ouvrage étudié il y a cent ans mais dont je retrouve avec un bonheur étonné la pertinence (H. ARENDT, Condition de l'homme moderne, trad. G. Fradier, Préface P. Ricoeur, Calman-Lévy, 1961).
J'ai l'impression que la plupart de nos perplexités contemporaines, rencontrées dans la gestion (problématique, non?) de nos Etats ou dans la vie de nos communautés ecclésiales, y sont déjà abordées : la question du travail, évidemment, la différence oubliée entre l'action et l'oeuvre, le renversement du rapport entre la contemplation et l'action, etc.
L'homme moderne serait-il condamné à n'être que ce qu'il fait, produit, "agit"? L'action, dit-elle, a pris le pas sur tout, est devenue la mesure de la pensée elle-même et de la réalisation de l'homme, au point que, pour beaucoup de nos contemporains, "on ne peut connaître que ce que l'on fait "(p.330), et que cette conviction "ne conduit pas à la résignation, mais soit à un redoublement d'activité, soit au désespoir"(ibid.)
Non seulement, cinquante-cinq ans plus tard, l'économie chahutée de nos démocraties donne raison à la philosophe d'alors, mais elle donne à voir le développement démentiel de ce qu'elle annonçait : tout, dans la réalisation de soi ou "du" soi, est dans "ce que l'on fait" (et quand on n'a rien à faire parce qu'il y a le chômage, qu'est-ce qu'on fait, et comment se "réalise"-t-on?), et les personnes qui veulent légitimement distraire de leur temps à autre chose, à la contemplation, à la beauté, à la culture, à l'intériorité, voire à la spiritualité, sont presque considérées comme des nuisibles. En tous les cas, des inutiles : ne faisant pas tourner le commerce, elles n'ont pas voix aux chapître!
On le paiera cher.
On le paie, du reste, de plus en plus cher - les exclus, pas seulement économiques, se ramassent comme les victimes de ce système du "tout à l'action", et par grappes : deux suicides, cette semaine, à Enghien.
Des gens qui se pensaient inutiles!
Que faire, mon Dieu, que faire, pour aider le monde à tourner, enfin, un peu autrement?

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