samedi 13 septembre 2014

L'éternité n'est pas la mémoire

Célébré dans la douleur et dans la joie (les deux ne sont pas incompatibles, évidemment) ce matin à Beaumont, ou plutôt concélébré avec mon ami Francis, le doyen du lieu, les funérailles de Christian, ami médecin depuis si longtemps. Une église pleine, pleine de monde  certes - il y en avait dehors - mais surtout de reconnaissance pour tout ce que cet homme a fait dans sa vie, dans sa pratique, en faveur de tant et tant de personnes, et si souvent dans l'ombre. Une ombre qui ce matin venait à la lumière...
"Pourtant, me dit quelqu'un à qui je racontais cet hommage, vous verrez que bientôt on ne se souviendra plus de lui. La foule est oublieuse..."
Evidemment, ce quelqu'un a raison. La foule est oublieuse et bientôt on ne se souviendra plus de lui - sauf ses proches, évidemment. Et très vite - plus vite encore, car moi je n'ai pas d'enfants - quand je serai mort, on ne se souviendra plus de moi. Et tant mieux : la vie va, on ne peut pas demander à tout le monde de se souvenir de tout le monde, voyons! Nous sommes éphémères, passagers...
Du coup, si cette mémoire éphémère est l'éternité à laquelle nous aspirons, pardon, ça ne vaut pas besef, comme on dit en France! Quelle stupidité! Et je m'étonne quelquefois de voir repris au frontispice des faire-part de décès ce mot attribué à Jean d'Ormesson (j'espère qu'il n'est pas de lui, ça ne le grandirait pas, et je l'aime bien), ce mot probablement recensé dans des livrets tout prêts pour familles en détresse qui veulent trouver une belle formule (du coup, respect pour ceux qui le choisissent) : "Ce qui est plus fort que la mort, c'est le souvenir des morts dans la mémoire des vivants."
Tu parles!
Encore une fois, pour ceux qui ont une descendance, admettons que ce "plus fort que la mort" dure deux générations -  ce serait  déjà beau. Sinon...  pour qui se prend-on?
Vraiment, si l'éternité est la trace mnésique que nous laissons, c'est de la couillonnade... Et, si j'ose ainsi m'exprimer, en disant cela, je pèse mes mots!
L'éternité, c'est l'autre du temps et de l'espace.
C'est ce à quoi aspirent notre temps et notre espace.
C'est l'envers du décor, puisque nous savons bien que nous vivons dans le décor provisoire de l'espace et du temps.
Du reste - si l'on voulait une attestation autre que théologique à ce propos - voyez les astrophysiciens : ils ne contredisent pas cette opinion, que par ailleurs la foi au Ressuscité recommande comme une espérance pour le présent de la vie terrestre.
L'éternité n'est pas seulement l'au-delà de l'ici-bas, elle est déjà l'intensité de l'ici-bas lorsqu'il est vécu dans l'amour.
Elle n'est pas l'immortalité - nous ne sommes évidemment pas immortels, et heureusement!
L'éternité se donne, se propose, se laisse méditer avec fulgurance dans la Résurrection du Christ, qui manifeste la présence concomitante et du Jésus de l'Histoire et du Christ de la foi, à jamais indissociables, l'un parce que c'est l'autre - on ne saurait croire en l'un sans espérer l'autre.
De toutes les fibres de mon cœur, de mon corps, de ma raison, de mon esprit, je crois évidemment à la Résurrection de la chair, de l'être humain tout entier à la suite du Christ qui est le "premier-né des morts" comme dit saint Paul de façon admirable dans sa Lettre aux Romains.
Je peux être terriblement abattu par la mort d'un ami, d'un frère en humanité - comme celle de Christian - ou par les traumatismes épouvantables dont souffre notre "pauvre espèce" (Bernanos), je pense que je ne serai jamais désespéré.
Est-ce l'entretien méthodique en moi d'une illusion?
Honnêtement, je ne le crois pas. J'ai fait la critique, depuis des années, et la critique de la critique, et la critique encore de tout l'ensemble, plus que beaucoup de mes paroissiens - en ce compris de ceux qui, par principe ou par anticléricalisme sont hostiles à toute idée religieuse -  (je dis cela non pour me vanter,  mais parce que cela a été longtemps mon métier de théologien), j'ai lu et relu, et je lis encore, Freud et La Critique d'une Illusion, ou Totem et Tabou ou Malaise dans la Civilisation, ou Nietzsche et Ainsi parlait Zarathoustra et L'Antéchrist, ou Marx et La Critique de la Philosophie du Droit de Hegel et L'Idéologie allemande, et je pourrais allonger la liste, et je pense tous ces braves gens infiniment moins crédibles que le premier verset venu des Evangiles. Et je pourrais dire la même chose des récritures contemporaines, souvent plus bouffonnes que sérieuses, d'Epicure ou des Stoïciens - l'espèce de matérialisme bêtasse qui fait la philosophie de bazar de beaucoup de nos contemporains, genre : "Du moment qu'on a bien vécu et bien profité, hein Monsieur le Doyen, on peut partir, c'est déjà pas mal."  (Pour ne faire qu'une objection à cette absence de pensée : et tous ceux, dans le monde, qui, à peine nés, sont déjà mourants et meurent bientôt, sont-ce là des vies inutiles sous le prétexte qu'elles n'ont pas "joui" de l'existence? Et le moteur du bonheur est-il la "jouissance"? Il me semble qu'on ne se grandit guère en s'avançant dans cette voie...)
Plus je vais, plus je vieillis, plus j'essaie d'écouter les gens et le monde, plus le christianisme - cette alliance détonante entre , donc, le Jésus de l'Histoire et le Christ de la Foi, le Christ ressuscité - me semble constituer  pour l'être humain "le chemin, la vérité, la vie."
Comme persiflait  déjà  Claudel, le reste, "pfuit, on souffle dessus, il n'y a plus rien..."
Mais, comme on le dit et  l'écrit au stylet sur le Cierge de Pâques, au début de la Grande Vigile de la Résurrection : "Le Christ, hier et aujourd'hui. Commencement et fin de toutes choses.  Alpha et Omega. A lui le temps et l'éternité. A lui la gloire et la puissance pour les siècles sans fin."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire