Joël Rochette, un prêtre ami, recteur du Séminaire de Namur, me demande d'intervenir dans les mois qui viennent sur "la spiritualité sacerdotale". Je commence donc à réfléchir à la chose... Les premiers éléments sont les suivants :
1° ce que les gens attendent du prêtre, ce qu'ils projettent sur lui, font que la tâche est impossible. Il doit être, et le tout ensemble : jeune encore mais expérimenté; intelligent mais accessible; capable de s'adapter à toutes les classes sociales, chômeurs, ouvriers, paysans,bourgeois, classes moyennes, aristocrates, à l'aise avec tous comme s'il était chez eux et connaissait tout de leur modus vivendi; bon prédicateur, capable de parler en même temps à des enfants et des personnes âgées, bon connaisseur des Ecritures Saintes, théologien mais pas trop compliqué; versé tout de même dans la "culture" (comme on dit) d'aujourd'hui; priant, spirituel, pieux, assidu aux offices que les autres désertent; bon célibataire, sans attache affective, continent et vertueux, irréprochable sur le plan de ses désirs sexuels; bon cuisinier, capable de se nourrir sainement, faisant ses courses et sa popotte, tenant sa (grande, toujours) maison en bon ordre; gestionnaire, capable de garder les comptes qui lui sont confiés et de gérer les biens dont il passera l'exercice exemplaire à ses successeurs; ferme mais pas rigide devant les désirs des uns et des autres; attaché à l'Eglise, y compris magistérielle, mais pas "fermé" (comme on dit, aussi), capable de s'émouvoir vingt fois par mois devant la mort mais aussi de s'émerveiller, dans le quart d'heure qui suit, devant la joie des mariages ou des baptêmes qu'il prépare, bon coordinateur, capable de préparer et guider une réunion, de faire aboutir des projets malgré les bâtons qu'on lui met inévitablement dans les roues, avec une armure intérieure faite d'airain pour résister aux critiques des mal-contents, voire des calomniateurs. Le tout pour un salaire dérisoire. Qui peut être comme cela aujourd'hui? Nemo, Domine : "Personne, Seigneur!"
Vu ainsi, on comprend qu'il y ait peu de vocations.
2° vu ainsi, mais autrement : là est, pourtant, le fond d'une spiritualité du prêtre, dans ce décalage entre l'offre et la demande (fantasmée). Le prêtre est tous les jours renvoyé à ses pauvretés, à ses misères, à son péché, à son manque, à son creux, par des espèces de coups de poing dans l'estomac, par les déceptions (sans doute légitimes) des personnes à lui confiées, et, au lieu de le replier sur lui-même, ce décalage lui donne de s'en remettre à Celui qu'il a choisi d'annoncer par sa vie, ses engagements et sa parole. Un Autre qui le précède et le dépasse, et auquel sa médiocrité même lui donne, peut-être, d'être transparent. On n'a rien écrit de mieux là-dessus que Le Journal d'un curé de campagne (Bernanos).
A suivre...
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