dimanche 7 juin 2020

Le Dieu des chrétiens...

Dans la liturgie catholique, la solennité de la Sainte Trinité - aujourd'hui - est la seule fête qui nous demande de parler directement de l'objet premier de la théologie : Dieu. On parle peu de Dieu, et je me demande bien ce que les gens (paroissiens ou non, croyants ou non) ont dans la tête quand on l'évoque. Un super-chef, genre PDG, qui régirait tout? Un justicier qui nous attendrait de l'autre côté avec son bâton? Un comptable qui note dans un grand livre nos bonnes et mauvaises actions? Une nounou consolatrice qui nous berce sur sa poitrine généreuse quand nous avons chagrin? En réalité, toutes ces images de Dieu sont autant d'idoles - celles-là même que le Premier Testament refuse énergiquement que l'on se fabrique ("De Dieu, tu n'auras pas d'image", dit le Premier des Dix Commandements!) Dieu est et reste irreprésentable, "inconnaissable" (Grégoire de Nysse), parfaitement Autre, le Tout Autre de ses créatures, lui qui en est le Créateur.
Mais la Tradition chrétienne, solidement appuyée sur le Nouveau Testament et développée lors des grands conciles christologiques des IVème et Vème siècles (Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine) nous engage à envisager Dieu non comme un objet faisant nombre avec nous, mais comme une relation. Les noms des "personnes" divines (Père, Fils, Esprit) sont ainsi, particulièrement pour les deux premiers, non pas des noms propres (Jules, Antoine ou Marinette si vous voulez une version féminine de Dieu), mais des noms de relation. Le Père n'est Père que parce qu'il engendre, c'est-à-dire qu'il se dépossède de lui-même pour avoir devant lui un Autre que lui; le Fils n'est Fils que parce qu'il se reçoit du Père ("Ma nourriture, dira Jésus, le Fils incarné, c'est de faire la volonté du Père"), tout cela par détachement de soi dans la grande liberté de l'Esprit, la liberté spirituelle de l'amour,  que l'on nomme en grec agapè.
Nous avons reçu la puissance de cet amour, et la solennité de la Trinité nous invite non pas tant à connaître Dieu, ni même à le contempler, qu'à vivre en Dieu, initiant et restaurant entre nous ces mêmes relations paternelles (ou maternelles) et filiales, dans la liberté de l'Esprit. Nos communautés chrétiennes n'ont d'autre but que de nous apprendre à vivre ensemble, dans la dépossession de soi et le don fait à l'Autre, respectant celui-ci précisément parce qu'il est Autre. Ce but porte un nom en français : la fraternité. Etre frères et sœurs les uns des autres, c'est tour à tour, en effet, être père et mère, fils et filles, les uns des autres, dans une réversibilité de fonction qui tient à l'âge, aux compétences, aux missions ecclésiales.
La Trinité, c'est Dieu à vivre entre nous, dans ce que le regretté Guy Lafon, qui vient de mourir de la Covid19 et qui fut à Paris l'un de mes plus inoubliables professeurs, appelait "l'entretien" infini. Il aimait à répéter : "Dieu, c'est l'entre, dans l'entretien"... Quel programme!
Bonne fête à tous, spécialement aux Montois privés du Doudou. Ils se rattraperont bien...

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