samedi 9 février 2013

Pourquoi j'aime Bernanos...

Dans mon homélie de ce soir, commentant le début du chapitre cinquième de l'évangile de Luc (la vocation de Simon-Pierre) et les versets du chapitre sixième du Prophète Isaïe (la vocation d'Isaïe), j'ai cité Bernanos et deux phrases du Journal d'un curé de campagne. J'aime Bernanos, ce qui peut sembler étrange, c'est un écrivain catalogué "à droite", etc. Je lui ai consacré autrefois, pour le cinquantième anniversaire de sa mort (en 1998, donc) un essai dans la collection "Prier quinze jours", chez Nouvelle Cité.
J'aime Bernanos pour sa liberté de pensée, sa volonté de n'être inféodé à rien ni à personne. Ce monarchiste (français... :  en Belgique, ce n'est rien d'être monarchiste, en France, c'est évidemment autre chose!) a par exemple pris parti pour les Républicains espagnols dès 1936, parce qu'il ne supportait pas de voir des évêques bénir des massacres. Quand on lui rétorquait que les Républicains massacraient aussi, il répliquait qu'eux au moins ne le faisaient pas "au nom du Christ" (voir l'admirable essai intitulé Les Grands Cimetières sous la Lune, où il s'explique de cela). A ses funérailles, un seul drapeau sur son cercueil : celui des Républicains espagnols, la seule "décoration" qu'il ait acceptée (il a refusé trois fois la Légion d'honneur, la troisième fois offerte par De Gaulle, excusez du peu, dès 1945, il pensait que ces genres de reconnaissance  ligotaient leur homme et vraiment il voulait rester libre de dire à chacun ce qu'il pensait). Je crois en outre qu'il  a "vu" avec une intuition remarquable ce qu'était, ce qu'est, en son cœur, le christianisme et que, même si certains de ses textes, de ses romans en particulier, portent la trace de leur date, cette intuition reste pertinente. C'est ce que pensait Hans Urs von Balthasar, le théologien suisse (cardinal créé par Jean-Paul II), traducteur de Bernanos en allemand,  dans son essai Le Chrétien Bernanos.
Pour revenir aux mots que j'ai cités ce soir, on les trouve donc  dans le fameux Journal d'un Curé de Campagne : le pauvre prêtre (figure non pas du prêtre seulement, mais de tout chrétien) ne sait plus s'il croit, ne sait plus prier, n'a plus la paix et, lors d'une conversation, rend la sérénité à une femme qui l'avait perdue depuis longtemps - et qui meurt dans la nuit. Revenu chez lui, il écrit dans son Journal ce commentaire qui résume à mon sens le cœur de la foi chrétienne : "Merveille, que l'on puisse ainsi faire présent de ce qu'on ne possède pas soi-même, ô doux miracle de nos mains vides!"
C'est l'économie chrétienne du salut et de la grâce : dans la foi chrétienne, lorsqu'on pense donner ce qu'on a, on se trompe soi-même et on trompe les autres. Dans la foi chrétienne, on donne, si j'ose dire, ce qu'on n'a pas, et qui transite par nos manques et nos failles. Voilà ce que comprennent Pierre et Isaïe dans l'appel que Dieu leur adresse : ils sont pécheurs, il y a entre eux et Dieu une incommensurable distance, mais c'est sur ce creux en eux que Dieu fonde leur mission, non sur leurs compétences supposées.
Pour le dire autrement : Jésus n'a pas fondé la "Catholic Inc. Company" en recrutant des managers grâce à des "chasseurs de tête". Il a voulu l'Eglise, fondée sur la reconnaissance épouvantée et humble que de pauvres hommes et de pauvres femmes auraient de leurs manques, seules portes d'entrée de l'Amour en eux.
Je crois qu'il y a là une clé de la foi, de l'évangélisation : tant que les catholiques prétendent donner leurs richesses aux autres, ils sont insupportables de vanité. S'ils reconnaissent qu'ils sont non pas "pleins" mais "vides", et que c'est de ce creux en eux que Dieu parle, alors leur parole devient pertinente. Sinon, c'est du vent... On pardonnera beaucoup de choses aux chrétiens, beaucoup, même les plus horribles (les massacres commis au nom du Christ, les copinages dégueulasses avec les pouvoirs politiques, les inquisitions et les tortures au nom de la vérité, et toute la saloperie dont ils ont pu se rendre coupables pendant deux mille ans d'histoire, en pervertissant - pauvre nature humaine! - le trésor à eux confié), oui, on leur pardonnera beaucoup. Mais jamais, je l'espère, on ne leur pardonnera leur arrogance, et la singulière débilité - le péché monstrueux - qui les pousse à donner des leçons à la société comme si eux-mêmes n'en avaient pas besoin ou comme s'ils étaient supérieurs au reste du monde.
"Ô doux miracle de nos mains vides!"

2 commentaires:

  1. Merci pour ce partage. Bonjour je suis en train de lire journal d in cure de campagne et j'ai déjà repéré des vérités..

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  2. Merci pour ce partage. Bonjour je suis en train de lire journal d in cure de campagne et j'ai déjà repéré des vérités..

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