Le Père Abbé du Mont-des-Cats, dom Jacques, qui est un vieil ami, me demande de préparer pour ses moines une double intervention, pour septembre prochain, à l'occasion d'une récollection que j'animerai à l'Abbaye pour des journalistes catholiques français. Il me demande plus précisément de dire mon point de vue sur les "événements" (en ce compris dans les rues) qui animent la catholicité française ces derniers mois...
Et donc, j'essaie de me préparer.
Mon premier constat est celui d'une grande diversité culturelle entre la France et la Belgique, du point de vue de l'insertion sociale de la foi chrétienne. Je crois que nous ne sommes pas marqués de la même façon que la France par les ruptures de la Révolution de 1789 (ruptures qui sont arrivées chez nous "amorties", en quelque sorte par ricochet) et donc, ce qui sans doute est une conséquence appréciable, le catholicisme chez nous n'a-t-il aucune velléité anti-démocratique (comme il en a eu en France durant presque tout le XIXème siècle), sans doute est-il spontanément allié de la démocratie qui a porté sur les "fonts baptismaux" (avec les Francs-Maçons libéraux, du reste, et en connivence avec eux) la Belgique moderne de 1831. C'est une différence fondatrice extrêmement importante : en France, un certain catholicisme s'est toujours assimilé à la "droite" anti-révolutionnaire, réactionnaire, antisémite (à de certaines époques : voir l'affaire Dreyfus, voir même Bernanos avant la guerre), monarchiste (re-voir Bernanos), maurassienne, etc., etc. Anti-parlementariste, donc, réussissant avec de Gaulle à faire accepter le principe d'une "monarchie républicaine" (la Vème République) où le Président est finalement un monarque élu - habits de droite faits pour des hommes de droite (Mitterrand compris, qui était foncièrement un homme "de droite", même si socialiste).
Chez nous, la droite et la gauche gouvernent ensemble dans un régime parlementaire où le Chef de l'Etat n'est pas élu. On mesure le fossé... Chez nous, il y a bien un Roi, mais qui ne gouverne pas. En France, le Roi n'est pas un vrai Roi, mais il gouverne... C'est du reste l'un des seuls cas dans les pays européens : presque partout ailleurs, le Chef de l'Etat a peu de pouvoirs.
Je crois que ceci est la toile de fond sur laquelle on peut apprécier les manifestations "catholiques" des "anti-mariage-gay" en France, beaucoup plus que les questions de "fondements éthiques" revendiquées.
Les Belges ne sont pas plus immoraux que les Français, mais ils sont plus parlementaristes : la majorité ayant voté, il y a plus de dix ans, une loi analogue, c'est la loi et basta. Même si les catholiques, évidemment, gardent leur conscience pour eux, en pensent ce qu'ils veulent, ne pratiquent pas éventuellement cette loi s'ils sont eux -mêmes homos et qu'elle leur déplaît, etc., - et il en va de même pour d'autres lois, comme l'euthanasie active, ou l'avortement, qui font partie de la panoplie législative possible : les catholiques peuvent n'être pas d'accord avec la majorité qui les a votées, penser que cela n'est pas un "progrès" de la société, mais respecter néanmoins, tant qu'on ne les oblige pas à agir en ces domaines contre leur conscience, les décisions parlementaires.
Nous n'avons pas encore parlé du "fond" de la question, qui est une autre chose.
Ici aussi, deux conceptions s'affrontent, deux conceptions de la loi civile : pour la première, aujourd'hui hautement revendiquée chez les catholiques français, la loi civile est la traduction dans les textes de la "loi naturelle", de cet horizon universel de l'éthique et de ses valeurs immuables (il ne faut jamais tuer, jamais mentir, etc. : la vie vaut mieux que la mort, la vérité vaut mieux que le mensonge, etc.) Dans cette conception l'avortement n'est pas acceptable (c'est un meurtre), l'euthanasie non plus, ni le mariage homo (le mariage, c'est depuis toujours la mise en œuvre sociétale de la différence sexuelle, qui est, quoi qu'en disent les partisans de la théorie des genres, une différence d'abord physiologique : les hommes et les femmes, physiologiquement, ne sont pas fabriqués pareils, et la négation de cette différence pourrait conduire à des dysfonctionnements importants de la société). C'est une conception thomiste de la loi civile (lex ordinatio rationis, "la loi, mise en œuvre de la raison, c'est-à-dire de la loi naturelle", dit saint Thomas). C'est une conception que les législateurs doivent tenir en perspective : s'ils s'en éloignent trop, en effet, quid de la société? Quid d'une société, par exemple, où l'interdit du meurtre n'existerait plus? Elle serait évidemment livrée à la violence...
En face, si j'ose dire, une conception plus utilitariste de la loi, plus anglo-saxonne, et donc plus proche de nous, plus fréquemment acceptée chez nous qu'en France : des situations existent et il faut les accompagner, tel est le rôle du législateur civil. Il y a des couples homos, avec des enfants : il faut leur assurer des droits. Et dira-t-on aux enfants (pardon ici de fustiger certains discours épiscopaux français) qu'ils ont vécu dans une "aberration anthropologique"? Ce serait sérieux, et évangélique, d'aller proférer de telles âneries? Pour l'avortement, c'est pareil : des détresses existent, des pratiques clandestines, il faut les accompagner. Pareil aussi pour l'euthanasie active. Cette conception de la loi civile n'est pas fausse, elle est même nécessaire.
La question, la tension, reste : comment s'écarter de la "loi naturelle" sans léser le bien social, le bien commun? Comment tenir ensemble les deux conceptions, qui ont toutes deux leur légitimité, mais expriment deux traditions morales différentes?
Dans des manifestations que les Belges, majoritairement, ne comprennent pas car, comme dit plus haut, ce n'est pas leur "culture", voilà peut-être bien ce que des catholique français essaient de poser comme question. Sur le fond, ils n'ont pas tort. Sur la forme, ils sont à mes yeux incompréhensibles, des espèces d'ovnis profitant d'une faiblesse bien réelle du pouvoir présentiel français - peut-être même d'une crise de régime. Ce n'est pas dans les rues que ces questions-là se posent, mais dans des confrontations d'idées, loin des récupérations droitières et des Frigide Barjot (!), dans des enceintes parlementaires et des débats argumentés.
Les catholiques français en sont-ils (encore) capables? Ne sont-ils pas déjà trop récupérés par les enjeux politiciens?
Les Belges sont balourds, certes, un peu rustauds, peu rompus aux conflits d'idées. Mais ils ont compris que les incidences politiques de leur foi - incidences bien réelles - devaient, dans une société séculière, laïque et plurielle, être risquées dans le seul débat social et démocratique. En ce sens, ils ont peut-être quelque chose à dire à leurs chers voisins français... qu'ils aiment, et qu'ils estiment toujours comme de "grands frères", avec la part de révérence et de sourire que cela comporte.
Bonjour,
RépondreSupprimerVotre approche dans ce sujet m'a quand même étonnée. Je vous trouve assez sévère avec les personnes qui ont manifesté dans la rue en France contre le mariage et l'adoption par des personnes de même sexe. Je ne discuterai pas loi naturelle ni l'historique des relations en l'Eglise en France et l'Etat français (je n'ai pas de considération spéciale sur cela).Mais les critiquer car il seraient de droite et c'est manquer le fond de l'affaire. Je pense que l'on est bien plus dans une tenssion entre une approche libertaire et individualiste et une approche plus globalisante et collective de la société. C'est d'ailleurs pour cela que des personnes à droite soutenait, ou à gauche s'opposait. Le fait que cela s'exprime dans la rue (pacifiquement globalement) est plutôt mettre à l'actif des Français car au moins le débat est visible.
Par contre je vous trouve un peu complaisant avec la Belgique. Nous sommes dans un pays fondamentalement libéral ou la liberté individuelle prime sur les considérations plus collectives. Si la loi sur l'euthanasie, ou le mariage et l'adoption pour les personnes de même sexe sont si "loins", c'est que nous sommes dans une double tendance en Belgique: libérale (et donc le droit maximum pour tous, sans tenir compte de l'impact de ces différents droits sur l'ensemble et surtout sur les plus faibles, un droit privatisé) et; où la puissance publique se préoccupe surtout de s'adapter aux dernières tendances plutôt que de réfléchir à l'idéal qu'elle veut favoriser à travers la loi. Dans cette perspective, en encadrant toujours les phénomènes nouveaux, elle les favorise. C'est vrai pour la fiscalité, le divorce (où l'on est à la quasi répudiation), l'enthanasie ou l'avortement. Vous dites: "Il y a des couples homo avec enfants: il faut leur assurer des droits?" A qui aux homos ou aux enfants? On est au coeur du débat, où le droits des homos de se considérer comme parents s'oppose aux droits des e enfants d'avoir un père et une mère. Que l'on explique ou pas à ces enfants, ils vivrons et ressentirons cette "aberration anthropologique" Il sera très difficile pour eux de n'avoir pas les outils, le droit et/ou la possibilité de le dire. (de la même manière qu’il n’est pas accepté qu’une femme exprime sa douleur d’un avortement). On est dans une logique de droit à l'enfant que le législateur devrait aider à combattre mais que les nouvelles lois veulent encadrer (et qui seront favorisés). Cette tendance à la chosification des êtres humains n'est pas nouvelle. Elle se confirme et s'accélère tous les jours. Elle est une tendance libérale/libertaire dans laquelle beaucoup à gauche s'engouffrent. (suite dans une deuxième partie)
Mon vécu de femme (d'avoir été enceinte, d'avoir perdu un enfant, d'être mère, d'avoir adopté,...)
Supprimeret mon âge (45 ans) et même mes expériences professionnelles me font mieux comprendre ces enjeux. Dans la foulée, j'apprécie de plus en plus la doctrine de l'Eglise sur ces sujets. Cette doctrine va à l'encontre de cette déshumanisation. C'est vrai elle n'est pas pragmatique, elle combat ces phénomènes plutôt que de les encadrer. Elle pèche par son manque d'argumentation "sécularisée", vulgarisée et par le manque de communication. Je trouve que beaucoup de catholiques français ont essayé de faire cela (dans l'épiscopat aussi). Une des personnes qui dans le débat en France le fait le mieux est Tugdual Deville (alliance Vita). Il arrive à vulgariser la doctrine sociale et morale sans jamais la citer dans les médias. Il arrive à expliquer plutôt qu'à polémiquer malgré les tentatives grossières de beaucoup de journalistes radio et tv. Je trouve donc que le fond éthique a été dominant dans les motivations des participants. S'il voulait par principe s'opposer à un gouvernement présidentiel de gauche, il avait largement d'autres sujets. Votre analyse plus globale sur les systèmes différents politiques est très juste. Cependant, Vous appliquer sur le phénomène une grille d'analyse politique alors qu'elle n'est peut-être pas la plus pertinente. La preuve: le gros embarras par rapport à ces évènements des partis politiques et des journalistes politiques qui n'arrivent pas à comprendre qui sont ces gens et pourquoi ils manifestent (et donc les caricaturisent). C'est la même raison pour laquelle les journalistes politiques de la presse généralistes ont complètement raté leur pronostique pour l'élection du pape. Ils raisonnent en grille politique, économique, sociologique, géographique,... Ils ne sont pas capables d'appliquer une grille religieuse (de la foi) qu'ils ne comprennent que très peu.
Pour revenir à mon étonnement du départ, il est du au fait qu'étant prêtre je m'attendais à ce que vous l'abordiez, surtout pour des journalistes, à travers une grille plus éthique et anthropologique. Je pense qu'ils bénéficieraient plus d'une grille analytique de cette sorte que d'une politique/historique (où ils sont déjà bien armé). En tout cas c'est l'expérience que je peux avoir du journalisme.
BC
Je comprends bien votre point de vue. Mais il me semble que l'étrange mobilisation française - quand on la compare au peu de mobilisation belge il y a dix ans sur le même sujet - s'explique plus par des raisons politiques qu'éthiques. C'est pourquoi je pense qu'il s'agit plus d'une "crise de régime" qu'autre chose en France. Mais bien sûr, oui : nous vivons dans des pays libertaires, et le libertarisme n'est certainement pas la même chose que la liberté véritable, là je vous rejoins tout à fait!
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