L'annonce de licenciements probablement très massifs dans notre pays, la semaine dernière, nous rappelle une fois encore la précarité de notre société soi-disant nantie, qui ne l'est en vérité que pour un nombre toujours décroissant de citoyens. Nous n'avons pas fini de payer le prix d'un libéralisme anarchique des années quatre-vingt et nonante, durant lesquelles les Etats se sont désengagés du social sous prétexte de favoriser le caractère concurrentiel des entreprises. Devenues internationales, celles-ci ont en réalité profité de cette dérégulation pour délocaliser et produire au moindre coût, en sacrifiant une main-d'oeuvre trop protégée, et donc trop chère. Elles n'ont pas oublié, au passage, d'empocher les aides financières que les divers gouvernements leur ont octroyées, en espérant ainsi les maintenir chez nous, au terme d'une espèce de chantage cynique et perdu d'avance. Qui plus est, le redéploiement industriel de nos régions n'a pas suivi (il y a vingt ans, par exemple, que la fin de la métallurgie est prévisible chez nous, et presque programmée, sans que les dirigeants aient véritablement anticipé en développant d'autres formes d'emploi dans d'autres secteurs).
L'Eglise, c'est-à-dire, les chrétiens, ont-ils là-dessus quelque chose à dire?
Oh oui!
Dans son enseignement social, et depuis plus de cent ans d'une vigoureuse façon, l'Eglise catholique a toujours mis en garde contre le libéralisme outrancier tel que nous le voyons faire des dégâts chez nous aujourd'hui. Elle a été aussi ferme dans la dénonciation de ses dérives que dans celle des régimes collectivistes ou étatiques : ce fut, en particulier, le cas de Jean-Paul II, qui était pourtant un pape venu de l'Est et peu enclin à des compromis avec le communisme. Elle entend, par exemple, relativiser, et pour des motifs théologiques, l'idée même de propriété privée, et la soumettre au principe de la destination universelle des biens et des services. Elle souhaite promouvoir l'actionnariat ouvrier et intéresser ainsi tous les travailleurs aux profits de l'entreprise - et non seulement les cadres, les dirigeants ou les actionnaires anonymes propriétaires par leurs placements. Elle estime que le travail effectivement presté donne un droit de propriété sur l'outil de travail (le capital) : c'est une affirmation forte longuement défendue par Jean-Paul II dès 1981 dans son Encyclique Laborem exercens. Etc.
Connaît-on cet enseignement? Non. Les chrétiens eux-mêmes l'ignorent, la plupart du temps, et les autres s'en moquent : soit ils sont du côté du "système" et estiment dès lors que celui-ci, par une sorte de fatalisme économique, n'a de comptes à rendre à personne (les lois économiques seraient mécaniques, implacables, et dès lors aucune régulation éthique ne serait possible); soit ils sont exclus du "système" et estiment que la seule solution consiste à flanquer par terre ledit système, en recommençant une révolution.
L'Eglise propose un examen et une évolution éthique vigoureuse des pratiques, évolution qui lui semble toujours possible et négociable entre tous les partenaires de l'économie (actionnaires, travailleurs, cadres, syndicats, gouvernants).
Il est grand temps que les chrétiens apprennent à dire là-dessus leur parole, qu'ils se l'approprient ou se la ré-approprient, et qu'ils ne se contentent pas (ce qui est déjà beaucoup) de consoler ceux qui sont laissés dans le fossé, au bord de la route, comme l'aveugle Bartimée dans l'évangile de ce matin. La parole dont ils sont porteurs n'est pas un appendice à la proclamation évangélique, c'est son coeur même, et c'est une parole à la fois de raison et d'espérance.
Je rappelle dès maintenant que, en mars prochain, nos conférences de carême porteront là-dessus.
Qu'on se le dise déjà!
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