Une chance, mercredi prochain, mercredi-saint, dans notre église Saint-Nicolas d'Enghien : l'interprétation et, si j'ose ainsi dire, la célébration des "Trois leçons des ténèbres" de François Couperin, musicien à la cour de Louis XIV, qui composa et publia ces pièces en 1714 précisément pour le mercredi-saint.
Il s'agit d'une méditation sur le Livre biblique des Lamentations, longtemps attribué au prophète Jérémie, et plus précisément sur son chapître premier, chaque strophe de chaque leçon étant précédée par le chant de la lettre hébraïque qui l'ouvre.
Dans la Bible, ces textes sont une plainte immense du peuple face à l'exil dont il est victime : dispersé à l'étranger, il a tout perdu et n'a plus de repère, "ni prince, ni chef, ni prophète", comme dit par ailleurs un psaume, et on pourrait ajouter : plus de Temple, plus de fête religieuse où nourrir son identité, plus rien à l'horizon comme espérance...
Cette grande expérience du manque de tout est, paradoxalement, le vrai lieu de la foi - la foi du Peuple, la foi juive, la foi chrétienne, la foi de l'Eglise, et notre foi à chacune et chacun de nous. Quand il n'y a plus rien, que reste-t-il? Lorsque tous les repères institutionnels de notre Eglise (pour faire un raccourci), d'ici peu de temps, auront disparu, par désuétude, ou parce qu'on aura voulu qu'ils disparaissent, que restera-t-il comme signes de la foi, comme lieux où appuyer son espérance?
Il n'y aura - il n'y a déjà - que le coeur de l'homme, sa capacité foncière à renoncer à toute velléité de puissance, de prise de pouvoir, sa capacité à céder, à renoncer à l'orgueil, à la vanité de la domination. Enfin "rendu", comme une proie épuisée, il ne lui restera qu'à s'en remettre à l'Amour.
Longtemps, dans la liturgie catholique, on a célébré comme un office à part entière de la semaine-sainte ces "lecons des ténèbres", car ce sont bien des leçons, c'est bien une école, et sans doute la plus fondamentale de la foi. Et on demandait aux meilleurs musiciens de faire chanter ces paroles de désespoir et d'abandon, ces paroles qui viennent du tréfonds du coeur humain.
Couperin y a réussi mieux que quiconque. Il a sans doute composé neuf leçons, et nous n'en possédons que trois, pour clavier (orgue ou clavecin) et sopranes, les trois plus belles pièces de musique que j'aie jamais entendues au monde : toute la détresse de l'homme s'y raconte, en même temps que toute son espérance.
C'est très peu souvent interprété, et encore moins souvent dans une église.
C'est pourquoi je suis si heureux que notre organiste titualire, Michel Vandenbosche, ait accompli le prodigieux effort, dans le cadre du Festival musical d'Enghien, de rassembler deux sopranes magnifiques, Marie de Roy et Elise Gabele, pour interpréter, mercredi soir, mercredi-saint, à 20h30, ces "Trois leçons des ténèbres".
Ce sera, évidemment, un grand moment, dans notre itinéraire spirituel vers Pâques, dans notre itinéraire intérieur vers les sources de notre humanité et vers celles de notre foi, qui se rejoignent en un même cri.
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