lundi 16 avril 2012

De l'importance de la théologie

Cours, cet après-midi, à Louvain (UCL) sur la pensée et les écrits du Cardinal de Bérulle, le plus important représentant de l' "Ecole Française de Spiritualité" au début du XVIIème siècle, et que l'abbé Henri Brémond a ainsi nommée dans sa monumentale Histoire Littéraire du Sentiment Religieux en France au début du XXème siècle. J'ai essayé de faire pressentir aux étudiants combien Bérulle a été sensible, dès son époque, à ce que la théologie nomme "la kénose" du Christ, dont j'ai déjà parlé dans ce blog, une expression empruntée à la Lettre de Paul aux Philippiens (2, 6-11), où, dans une hymne célèbre, Paul, parlant du Christ, dit qu' "il s'est vidé lui-même" (ekenosen heauton, en grec). La question théologique est de savoir qui est le sujet de l'hymne : le Christ, certes, mais en lui, seulement l'homme Jésus (et alors, certes, on peut dire qu'il fut humble, doux, pacifique, etc., et donc "vide de lui-même")ou Dieu réellement et tout entier présent en Jésus (et alors, les problèmes abondent : comment dire du Dieu impassible, immuable, immortel, etc., qu'il "s'est vidé"?)

Question décisive, mine de rien, de la théologie : certes, Dieu lui-même est engagé dans la "kénose" du Christ. Et dès lors, toutes nos représentations de lui en sont retournées comme un gant : la toute-puissance, il a voulu la montrer seulement à travers sa toute-faiblesse. Son impassibilité, à travers la passion. Et ainsi de suite...

Et cela ne dit pas seulement quelque chose du Dieu tel qu'il se manifeste dans l'histoire de Jésus, mais de Dieu tel qu'il est en lui-même depuis toujours et pour toujours, de toute éternité. Dieu est en lui-même dépossession de lui-même, non pas présentation péremptoire de soi, mais dessaisissement de soi pour l'autre, pour que l'autre soit, et soit autre que lui. C'est ainsi que nous croyons à la Trinité : le Père veut disparaître pour que soit le Fils en face de lui; et semblablement le Fils veut disparaître pour que soit seule, la volonté du Père, et cela dans la parfaite liberté d'amour de l'Esprit.

Au nom d'un tel Dieu, certains comportements - voici la pointe "pratique" de la théologie - sont rigoureusement impensables : tuer l'autre pour imposer son Dieu (et il y a trente-six manières de tuer, toutes plus ou moins cruelles, par la parole, d'abord); s'affirmer soi sans prendre d'abord soin de l'autre; se prétendre l'unique détenteur de la "Vérité", sans aucune considération pour la recherche de l'autre; bref, ce que communément on appelle "intolérance" trouve ici sa radicale et théologique impossibilité.

Bérulle, donc, dans ce "Sermon pour le temps de l'Avent" que j'ai eu le bonheur de travailler cet après-midi avec mes étudiants : "Aussi longtemps que Dieu existera, il en sera de même pour l'anéantissement de sa divinité unie à la nature humaine par un noeud indissociable." (Oeuvres complètes. 1. Conférences et fragments, Cerf, 1995, p. 285). "Aussi longtemps que Dieu existera" : ça fait un bail! Et apprendre de ce Cardinal que notre Dieu a pour caractéristique une "divinité anéantie", cela donne un relief inattendu à ce que l'on pense d'habitude de la divinité de Dieu!

Joies de la théologie, de la lecture de ses textes, qui nous conduisent non seulement à de la spéculation, mais à des comportements espérons-le plus en phase avec notre condition chrétienne, avec la Révélation chrétienne de notre Dieu, celle-là même que nous venons de célébrer à Pâques!

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