Un peu accablé, tous ces premiers jours de janvier, par l'abondance de demandes et de prestations en tous sens. Et il faut toujours être fringant, et au "top", et ne jamais paraître fatigué, sinon on vous le reprocherait encore... A certains soirs, je pense que j'ai mon âge après tout, et que d'autres au même âge préparent tranquillement leur retraite (ou au moins leur pré-retraite). A certains soirs, j'ai envie de poser mes fesses dans un fauteuil et mes pieds sur une chaise devant les conneries de la télé. Et surtout, j'ai envie de ne plus voir personne, de ne plus répondre au téléphone ni aller ouvrir la porte quand on y sonne, chez moi.
C'est une situation psychologique qui ne dure pas (là, je rassure), mais qui - peut-être la seule - ravive de l'angoisse en moi, non pour moi, mais pour l'Eglise, et quand je dis l'Eglise, je ne dis pas "l'Eglise" comme ça, comme institution, mais les personnes qui me sont pour l'instant confiées, des personnes concrètes en chair et en os, et leurs enfants plus tard : dans cinq ans, il y aura moitié moins de prêtres encore. C'est statistique, inévitable. Et la plupart des paroissiens ne se rendent pas compte de cela, ne le voient pas ou ne veulent pas le voir. Il y a toujours, chez la plupart, et même inconsciemment, et sans que ça soit volontaire évidemment ou encore moins méchant, ce réflexe spontané : "Vous allez quand même bien faire ça pour nous, pour moi, vous n'allez pas me dire que vous ne pourrez plus assumer le baptême de mon enfant à telle date, le mariage de ma fille à telle autre, mes funérailles... quand le moment sera venu, ma procession ce jour-là, à cette heure-là, la messe à Saint-Machin cet autre jour, parce que vous comprenez on toujours célébré Saint-Machin ce jour-là et on ne voit pas pourquoi on changerait, etc. etc." Et je vous laisse imaginer le reste. Mais ce n'est pas le plus fatigant. Le plus fatigant, ce sont les paroissiens qui, semblant conscients du problème, possèdent, semble-t-il, les solutions "clé sur porte" : "il n'y a qu'à", dans le désordre, ordonner des hommes mariés (comme s'ils se bousculaient au portillon, tiens!), des femmes (je serais femme, je ne serais pas contente d'être envisagée comme une solution de remplacement), laisser faire les laïcs (mais je ne demande pas mieux, moi, mais alors pourquoi veulent-ils tous d'un prêtre?), décharger les prêtres de toute responsabilité matérielle (il serait joli, tiens, le bordel, si chacun dans son coin gérait les biens paroissiaux selon des intérêts particuliers, aussi légitimes soient-ils, sans le souci pastoral de l'ensemble, un ensemble souvent très vaste), etc., etc.
Bref, à certains soirs, on se sent coinçé, on se dit : "Seigneur, y en a marre!"
Alors il faut, je crois, revenir à nos Ecritures fondatrices : c'est, de façon récurrente, le sentiment de Moïse et de tous les pasteurs que la Bible nous présente, et on ne voit donc pas pourquoi les "pasteurs" d'aujourd'hui y échapperaient. Dans cette fatigue m'est revenu, peut-être à contretemps, le propos d'André, frère de Simon-Pierre, accablé comme les autres disciples par l'incapacité de nourrir "la grande foule" venue écouter Jésus, et qui, très dépité, dit au Rabbi : "Il y a bien là un jeune homme(paidarion, dit le grec, "un petit jeune homme") qui a cinq pains d'orge et deux petits poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de monde?" (Jn 6, 9) En effet ce n'est pas grand chose, et les "pasteurs" d'aujourd'hui, comme probablement ceux d'hier et ceux de demain, n'ont guère plus entre leurs pauvres mains, ils ne sont eux aussi que "ces jeunes hommes" (!), eux-même peu nombreux, avec très peu pour donner beaucoup à manger. On sait ce que Jésus - lui seul en est capable - fit de ce peu, ce qu'il continue à en faire.
Et au fond, heureusement qu'il en aille ainsi : ce n'est pas la logique de l'entreprise, la logique entreprenariale de "l'homme adéquat à la place adéquate". Jésus n'a pas eu la stratégie des "chasseurs de têtes" contemporains, qui sont payés pour recruter les meilleurs communicants, les plus diplômés, les plus efficaces, et pour y investir beaucoup de moyens - quitte à les renvoyer si ça ne marche pas. Il a choisi de pauvres bougres, pas très malins, peu lettrés, pêcheurs du bord du Lac - mais remplis d'incroyable espérance. Là est la logique évangélique, celle du manque assumé, de la fatigue offerte.
(Et je précise pour tel ou tel de mes lecteurs qui serait choqué par tel ou tel des termes que j'ai choisis dans cette page, que ce choix est, d'une part, absolument délibéré car propre à traduire stylistiquement la fatigue décrite par ailleurs, et, d'autre part, absolument conforme au meilleur usage de la langue française. Que les offusqués du vocabulaire veuillent bien vérifier dans les dictionnaires en usage!)
Merci !
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