Nous venons de quitter le temps liturgique de la Nativité. Je garde au cœur, comme chaque année mais de plus en plus profond, le sentiment de l'incroyable nouveauté de la foi chrétienne, d'une espèce de rupture qu'elle instaure avec la routine, et peut-être même avec la grisaille, de la condition humaine. Car enfin, ce qu'on nous annonce est probablement inconcevable pour des oreilles et des intelligences rompues à la modernité cartésienne : Dieu né d'une Vierge, le Créateur enfanté par une créature, l'origine de toute chose ré-enfantée dans la condition humaine, la mort - destinée pourtant commune à toute espèce vivante en notre monde - vaincue déjà dans la naissance de celui qui est venu pour cela, etc., etc.
En retraite la semaine dernière chez les Bénédictines de Saint-Thierry, près de Reims, je les entendais chanter, à Complies, l'antienne de Noël Alma Redemptoris Mater : Tu quae genuisti, natura mirante, tuum sanctum genitorem, virgo prius ac posterius, peccatorum miserere, dit-on à Marie ("Toi qui as enfanté, au grand étonnement de la nature, ton géniteur, vierge avant et après, prends pitié des pécheurs"). Je disais aux sœurs : pensons-nous vraiment à ce que nous chantons là? A la folie que c'est pour des raisonnements simplement rationnels? Et pensons-que le Moyen Âge, dans lequel ces vers furent composés, était plus sot ou plus naïf que nous? Bien sûr que non : mais le Moyen Âge exprimait ainsi le bouleversement complet de l'ordre "naturel" des choses, que la foi chrétienne introduit dans la banalité des jours. La vie n'est plus simplement la vie, la mort n'est plus simplement la mort, la souffrance n'est plus simplement la souffrance, la joie n'est plus simplement la joie, et ainsi de suite : tout est devenu signe d'un indescriptible Amour, à la fois proche et déroutant.
"Il est descendu ici. Lui notre vie. Il a porté notre mort et l'a tuée par l'excès de sa vie. Comme un tonnerre, il a crié de revenir vers lui, à ce secret d'où premièrement il est sorti vers nous, de l'utérus d'une vierge, où la créature humaine, la chair mortelle, l'épousa, pour ne pas rester mortelle. Et de là, comme l'époux du lit de ses noces, il est sorti en courant à pas de géant sur la route. Il ne s'est pas attardé. Il a couru en criant avec ses mots, ses actes, sa mort, sa vie, sa descente, son ascension, en criant de revenir vers lui. Il a quitté nos yeux. Nous reviendrions au cœur pour le retrouver. Il a disparu, oui. Mais le voici. Il n'a pas voulu rester avec nous plus longtemps mais ne nous a pas abandonnés." (St AUGUSTIN, Confessions, IV, 19). Ah! Le génie d'Augustin, qui a tout compris! Comme je suis heureux que le Collège d'Enghien porte son nom, tiens! Et ces mots, qui indiquent la voie de toute vie spirituelle - de toute vie heureuse, je crois : "Nous reviendrions au cœur pour le retrouver." Ah! Le mec...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire