La journée a été rude. Des problèmes de toutes sortes, surtout matériels (financiers) à aborder et à régler, des sommes à faire jouer dans ma tête, des enjeux, et derrière les enjeux, surtout, oui, surtout, des personnes, des personnes en chair et en os, à aider, à protéger, quelquefois.
Et demain, encore, des funérailles, comme après-demain : et donc, aussi, aujourd'hui, des deuils rencontrés, des histoires de famille, toujours inédites, qui (re)surgissent dans ces moments-là avec une force incompressible. Accompagner cela, se faire aussi proche que possible, écoutant, parlant peu, devenir ami de ces situations et de ces manques, de ces pleurs versés sur un père, une mère, un parrain, une histoire dont il est si douloureux, tout-à-coup, de tourner la page. Et, du reste, faut-il la tourner?
Et au soir, la solitude. Et je démentirai ici tous ceux qui prétendent que le prêtre devrait, par hygiène de vie ou je ne sais quoi, être en famille toujours et comme tout le monde (comme tout le monde, vraiment?) En tous les cas, ce soir, la solitude m'est bienfaisante : beata solitudo, sola beatitudo, disait saint Bernard dans un jeu de mot sans doute contestable, mais compréhensible ("Bienheureuse solitude, seule béatitude"). Je n'ai jamais été triste d'être seul. J'ai été... seul, pour faire une tautologie, certes, mais ça, je le savais depuis plus de trente ans, et je l'ai choisi, contrairement à beaucoup d'autres qui n'ont pas choisi leur solitude.
Et donc, avant d'aller dormir, j'essaie de prier. Et la prière la plus simple vient, c'est celle des chrétiens depuis longtemps à la Vierge : "Je vous salue, Marie." Une prière biblique, qui reprend les mots de la salutation de l'Ange et ceux d'Elisabeth, la cousine émerveillée : "Le fruit de ton sein est béni!" Et les mots du dogme, aussi, les mots du Concile d'Ephèse au Vème siècle : "Sainte Marie, Mère de Dieu" : étonnant, non, d'appeler "Mère de Dieu" ("Mère du Créateur"! Quel renversement) une créature humaine, simple femme de l'histoire des hommes.
Elle a été, elle reste pour moi comme pour toutes les générations chrétiennes, le modèle de la liberté, et surtout de la liberté de pensée (de la "libre pensée", eh oui!). La foi chrétienne affirme que le relèvement de l'homme, son "salut", a été suspendu à l'accord d'une liberté humaine, la sienne : Dieu n'aurait rien fait pour tirer l'homme de sa boue, si l'homme, par cette femme, n'y avait pas consenti. Elle savait tout cela, au moins intuitivement. Et, quand on lui demande de "prier pour nous, pauvres pécheurs", on lui demande d'agrandir notre liberté aux dimensions de la sienne.
Ce n'est pas rien...
C'est une vraie demande "avant d'aller dormir".
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