Je rentre de l'excellente conférence donnée ici à Enghien, ce soir, par le Professeur Decharneux. Excellente, parce qu'il a tenté de reprendre les choses à leur racine, sans entrer dans les stériles querelles d'opposition entre "laïques" et "cathos" qui empoisonnent si souvent la recherche intellectuelle sur ces questions, du moins chez nous. Baudouin Decharneux a recouru à l'étymologie, rappelant que pour Cicéron dans le De natura deorum, la religion vient de relegere, verbe qui signifie "relire", tandis que quelques siècles plus tard, le chrétien Lactance fera dépendre le mot de religare, "relier". Je pense - comme il m'a semblé qu'il le pense lui-même - que Cicéron a raison, et que cette origine assigne au religieux dans nos sociétés une fonction non seulement de "reliance", donc, mais de relecture, de "mise en rapport du visible et de l'invisible", comme il l'a également dit, et que cette fonction transcende évidemment les convictions croyants/athées/agnostiques. Je lui ai signalé, après la conférence, que Michel Serres, le philosophe français, s'était livré à l'un de ces jeux de langage qu'il affectionne, précisément à propos de l'étymologie cicéronienne du mot "religion" (je crois, mais il faudrait vérifier, que c'est dans son Discours de réception à l'Académie Française) : si relegere veut dire "relire", disait-il, son contraire, formé du pré-verbe négateur "neg-" donne : neglegere, qui signifie : "négliger". Le contraire de la religion, en ce sens premier, ce n'est donc pas l'athéisme, c'est la négligence... L'être humain peut être considéré, sans doute, comme un homo religiosus en ce sens qu'il entend assumer sa vie, la relire, précisément, et non la subir ou y être livré simplement comme un "plouc". Qu'ensuite "les" religions viennent avec leurs corpus doctrinaux et leurs assemblages rituels et mythologiques variables selon les cultures, ça c'est encore autre chose. Mais je suis entièrement d'accord avec Decharneux pour dire qu'en ce sens premier, étymologique, la religion caractérise l'humain, et donc "existe"... puisque telle était la question posée par le titre de sa conférence.
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