samedi 5 octobre 2013

Des "serviteurs quelconques"?

Le dernier verset de la page d'évangile proclamée et méditée ce dimanche a de quoi nous choquer : "Vous aussi, dit Jésus, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir." (Lc 17, 10) Dans un monde où chacun a tellement soif de reconnaissance personnelle, voire de "starisation", dans un monde où les cabinets de psys sont remplis de celles et ceux qui souffrent précisément d'avoir été traités, ou de l'être encore, comme des "quelconques", sinon comme des "serviteurs"... On dira : où est l'épanouissement humain, là-dedans, quelle dégradante considération!

Enfonçons-le clou, pourtant : le texte grec ne parle pas de "serviteur" seulement, mais utilise un terme plus fort, doulos, "esclave". Encore pire, dira-t-on : Jésus demanderait-il aux siens d'être des esclaves, des gens privés de liberté?

Il me semble qu'on ne peut entrer dans la demande de Jésus qu'en se souvenant de ceci : le même terme est utilisé pour lui, et à plusieurs reprises, dans le Nouveau Testament, notamment dans l'hymne célèbre de la Lettre de Paul aux Philippiens (Ph 2, 6-11), où il est question du Christ "subsistant en forme de Dieu et ayant pris forme d'esclave (doulos)".

Pour nous, chrétiens, on ne le dira jamais assez, Jésus n'est pas seulement un personnage intéressant du passé, un maître de doctrine ou de morale dont quelques idées seraient encore bonnes à retenir. Il est Celui qui nous raconte Dieu. Dire qu'il est "esclave", ou plutôt qu'il s'est volontairement "fait esclave", que volontairement il en a pris la "forme", c'est dire ce qu'est Dieu : le Tout-Puissant dont la Toute-Puissance n'est que dans l'accueil volontaire et aimant de la Toute-Faiblesse, et si vous comprenez la Puissance, ou la Gloire, ou la Force de Dieu en-dehors de cela, en-dehors de cette incarnation en Jésus qui nous en fait voire la vraie portée, vous êtes idolâtres.

Comment pourriez-vous, chrétiens, vivre en une autre "forme" que celle de l'esclavage volontaire, de l'agenouillement devant l'autre, de la capture consentie même, alors que  Celui dont vous vous réclamez, le Christ, en a fait le cœur de l'épanouissement véritable de l'homme?  Attention : c'est dans la liberté que tout cela se passe, paradoxalement, c'est librement que le Fils a consenti a devenir esclave de tous, pour que, librement, tous deviennent des fils. Saint Paul encore, aux Romains, aux Galates, a abondamment traité ce thème : le consentement volontaire à cette condition de serviteur est, en Jésus, et en tous, profondément libérante. Et même : il n'y a pas de vraie liberté hors cette radicale mise au service, hors cet agenouillement devant l'autre, devant tous.

Le chrétien est au fond quelqu'un qui est, comme on dit, revenu de tout : les glorioles et les honneurs du monde, les promotions et les enrichissements, les belles places et compagnie, il sait, et d'une science définitive, que cela n'épanouit pas (nécessairement, en tous les cas) son humanité, que ce sont là des "vanités" (le terme est un classique de la littérature spirituelle), et il sait même qu'il y a là beaucoup plus de risques d'emprisonnements que de liberté.  L'homme vraiment libre n'a rien, n'est rien, est radicalement pauvre : leçon de saint François d'Assise, célébré hier 4 octobre. La liberté est pauvre. La vérité, aussi. Elles savent que la mise au service, toujours, est la garantie de leur grandeur. Il n'y a, dans la vie, aucun autre secret.
Tout le reste, comme disait Claudel, "Pfuit! On se mouche, et c'est fini!"

2 commentaires:

  1. Bien sûr, "serviteur" ! Il y a tant et tant de services à rendre.... Esclave, non.... ce terme est vraiment trop connoté comme porteur de violence, de domination, d'écrasement... Alor, être serviteur, oui, esclave... jamais !

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  2. Cher Michel, je te reconnais bien là... Il y a dans les évangiles une force de provocation, et heureusement que parfois ils suscitent la réprobation, et que leurs mots nous choquent. Moi, je suis un philologue : je rappelle les mots, j'essaie de dire en quoi ils peuvent être encore percutants. Et puis, chacun est libre de les accueillir... Mais le texte est le texte, et il ne sert à rien de l'adoucir! Amitiés...

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