L'évangile de ce dimanche (Lc 18, 1-8) lie la persévérance dans la prière à la foi. Et se termine par une question redoutable, la seule qui m'ait jamais tourmenté vraiment quand je l'applique à moi-même (et je ne peux que l'appliquer à moi-même) : "Mais le Fils de l'Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?" Il ne s'agit évidemment pas de se demander si les autres "ont la foi", ou l'auront, ou la garderont, encore moins de savoir si les Etats sont ou seront chrétiens, institutionnellement convertis (on a vu dans le passé ce que ça pouvait donner...). C'est à sa terre personnelle que chacun est d'abord renvoyé.
Suis-je un homme de foi?
Et qu'est-ce que "ça" veut dire?
Non pas sans doute de souscrire les yeux bandés et l'intelligence en berne à une liste de "vérités à croire".
Non pas non plus cette espèce d'exaltation superficielle qui ferait chanter des alléluias en toutes les circonstances, même tragiques ou incompréhensibles, de l'existence.
Ni ce report naïf de notre espérance dans un au-delà qui nous dispenserait de travailler à changer les conditions de l'ici-bas, pour plus de justice, d'égalité, de fraternité - ce serait alors vraiment une drogue, l'opium dénoncé par Marx dans la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel : la formule, à juste titre, est restée célèbre.
Mais alors, qu'est-ce que c'est, croire, être un homme - ou une femme évidemment - de foi?
Je ne suis pas sûr qu'il y ait une définition simple de la foi. Mais il me semble que cela touche au cœur de l'homme, à son intériorité la plus intime en même temps qu'à son engagement le plus visible, à son positionnement et à ses choix existentiels. On parlera peut-être de "regard intérieur", d'ouverture possible à la surprise, à l'inattendu. Ou d'accueil en soi d'une Altérité radicale, d'un Tout-Autre qui, de très haut et de tout près en même temps, appelle, suscite, ressuscite, relève, donne vie, donne la Vie. Fait traverser toutes choses quelquefois dans les larmes et les déchirements, dans les douleurs du réel accepté, dans les luttes et les coups, contre soi-même, contre le Mal et son mystère. En même temps, c'est l'accueil d'une Douceur indicible, de la Douceur, de la tendresse, de ce que les Ecritures grecques appellent agapè, pur don d'amour, pur don de soi à l'autre.
Une Présence plus présente à soi que soi-même, qui bouleverse une vie entière, qui la retourne, tous les jours et une fois pour toutes, mais en vous laissant libres de lui claquer quand vous voulez la porte au nez.
Ce que le Fils de l'Homme a été sur la terre : l'incarnation même de la foi, lui, "l'homme de foi" par excellence. Ce qu'il voudrait susciter et trouver en chacun. En moi, d'abord.
La prière s'origine là : c'est pourquoi elle est perpétuelle, "jour et nuit" comme dit Jésus. Elle peut bien, de temps en temps, se couler en formules ou en rituels - et même c'est nécessaire -, mais elle est, plus profondément, la source intarissable.
Ceux qui crient vers Dieu parce que quelque chose enfin les a touchés, a brisé la pierre de leur cœur, ceux qui en eux laissent couler la source, ceux qui acceptent de pleurer à l'intérieur, sur leur misère et leur péché, ceux qui demandent le don de compassion : sans tarder, oui, ils reçoivent justice et même la distribuent autour d'eux.
Il me semble que la foi a affaire à "ça", en moi, en nous, en tous.
Et la question de Jésus n'en est pas moins redoutable, décisive, déterminante pour ma vie tout entière - et pour la nôtre : "Le Fils de l'Homme, quand il viendra, trouvera-t-il "ça" sur la terre?"
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