Revenons aux conférences du carême 2013 à Enghien, qui se sont terminées hier par les deux témoignages de Thierry Noesen et Bruno Gilain, le premier directeur d'une entreprise dans le zoning de Ghislenghien (Belvas), le second responsable d'une grande ASBL (Convivial) qui s'occupe de l'insertion socio-professionnelle des immigrés. Les conférences avaient pour thème général "Chrétiens dans la crise économique". Il s'agissait de s'interroger sur le mode de présence que les chrétiens peuvent avoir pour signifier leur foi dans les réalités socio-économiques de "crise" que nous traversons. Ils ont pour cela avec eux la sagesse d'une parole aussi ancienne que l'Evangile, qui leur prescrit de mettre au centre ceux et celles que les systèmes d'enrichissement rejettent aux marges : l'enseignement "social" de l'Eglise catholique, en particulier depuis Léon XIII, rappelle avec des précisions surprenantes ce qui leur vient de Jésus lui-même, de son enseignement et de sa résurrection, dont c'est aujourd'hui encore l'une des formes majeures d'attestation. Etre relevé de la mort avec le Christ, c'est en effet aussi être restitué dans sa dignité humaine à part entière, ce qui suppose un travail honorable, un salaire suffisant, la vie dans un monde où les biens et les richesses sont mieux répartis, etc. J'ai eu l'occasion de rappeler cela lors de la première conférence, avec l'impression que cet enseignement n'était guère explicite (ou même connu) chez nous.
La crise, cela dit, est profonde. Profondes, les injustices et les inégalités. Durables, les cassures qui nous séparent des "golden sixties" pour lesquelles la croissance semblait sans fin, l'enrichissement permanent, et l'Europe en construction, un Eldorado. Jean-Jacques Viseur, avec lucidité, a brossé les traits de notre planète à l'économie mondialisée, des traits qui ne sont pas roses : il va falloir se retrousser les manches pour restaurer partout la dignité humaine bafouée, et les chrétiens, disait-il, ont évidemment leur rôle à jouer, dans leurs communautés, un rôle de signe, de signal, de rappel, de sensibilisation, d'aiguillon... Finie, une vie chrétienne qui se résumerait à des messes où l'on consomme du ron-ron!
Hier soir, donc, deux témoignages nous encourageaient ; le premier, venu du secteur marchand et le second, du non-marchand. L'un et l'autre, avec au fond beaucoup d'accointances entre les deux, montraient qu'il est possible, chez nous, dans cette région, de relever ces défis sociaux à partir de convictions communautaires et chrétiennes. Qu'il est possible de développer l'activité économique en respectant l'environnement, la santé des consommateurs et des producteurs, le commerce équitable, le niveau de salaire des employés et ouvriers, l'ambiance de l'entreprise. Qu'il est possible d'accueillir des réfugiés en nombre relativement élevé, du moment qu'ils sont légaux, en les rendant participants de leur propre insertion, pourvu qu'on y mette l'écoute, l'accueil, la persévérance, le suivi suffisants. Dans les deux cas, qu'il est possible de briser des tabous (genre : le patron n'est qu'un profiteur, en oubliant son rôle social, ou : les réfugiés sont d'autres profiteurs, en oubliant la détresse internationale qui les jette dans nos bras). Oui, il est possible, en ce temps de crise, de donner au monde des signes d'espoir et de fraternité. C'est-à-dire, de faire son métier d'homme à la suite du Christ.
J'étais particulièrement heureux de ce que, le temps d'un cycle de conférences au moins, l'église d'Enghien redevienne ce qu'elle est aussi : un espace de débats, d'échanges, de formations et de convivialité où chacun, dans le respect de son cheminement, a sa place. Et où l'Eglise, avec un "E" cette fois, se construit comme une espérance concrète.
Comme me le faisait remarquer hier soir l'un des participants, la survenue, il y a une semaine, du pape François, les signaux par lui donnés jusqu'à présent du genre d'Eglise qu'il souhaite pour le monde, tout cela pouvait nous apparaître comme une confirmation romaine de ce que la direction prise chez nous est peut-être bien la bonne...
Merci à tous ceux, organisateurs, conférenciers, personnes assurant la technique et le service, qui ont contribué à ce moment intense dans notre itinéraire du carême.
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