En Belgique, par une disposition constitutionnelle, les enseignements primaire et secondaire sont obligés de dispenser à raison de deux heures/semaine des cours dits philosophiques, soit :
- dans l'enseignement officiel (de la Communauté ou des Provinces et Communes), selon le choix des parents et/ou des élèves : religion catholique, protestante, orthodoxe, anglicane, juive, musulmane ou morale non-confessionnelle;
- dans l'enseignement catholique, des cours de religion catholique.
Régulièrement, des tentatives parlementaires et para-parlementaires visent à remplacer ces dispositions par un cours de philosophie (et non pas : un cours philosophique, nuance!) à tout le monde, indépendamment du choix des parents ou des élèves. On argue pour cela, pêle-mêle : que les cours de religion sont désuets dans une société comme la nôtre; que nous sommes les seuls à ne pas dispenser de cours de philosophie; qu'il s'agit d'un lieu d'endoctrinement incompatible avec ce qu'on souhaite comme enseignement aujourd'hui; que les décisions du Pacte Scolaire à cet égard ne sont pas scellées dans le "marbre constitutionnel" (argument récemment mis en avant par des représentants du MR et du PS, dont on soupçonne bien les accointances maçonniques, et qui ne supportent plus l'existence même d'un "cours de religion"), etc.
J'ai longtemps travaillé à la formation des professeurs de religion catholique dans le secondaire; j'ai été pendant sept ans inspecteur de cet enseignement dans le réseau Provincial et Communal du Hainaut; j'ai collaboré ou été à l'initiative de programmations. C'est à ce titre que je souhaite donner ici un petit point de vue.
S'il s'agit d'ajouter des cours de philosophie (histoire de la philosophie, métaphysique, épistémologie, philosophie des sciences, logique philosophique, etc.) dans les deux dernières années du secondaire, je trouve que c'est un plus, évidemment, un plus et un mieux.
S'il s'agit de remplacer, sur les douze années (six de primaire, six de secondaire), les cours philosophiques par des cours "de philosophie", là, je suis plus que réservé, je suis franchement contre! Voici quelques motifs :
. je ne vois pas pourquoi, d'un coup de baguette magique, la religion perdrait son statut de matière enseignée, alors qu'elle est un enjeu essentiel à la vie sociétale, nationale et internationale;
. il me semble difficile d'enseigner la philosophie sérieusement à des enfants et des adolescents - on ne le fait d'ailleurs pratiquement nulle part en Europe, en général, on réserve cette matière importante aux deux dernières années du secondaire;
. la crainte de voir dans les cours de religion des cours d'endoctrinement n'est pas fondée, en tous les cas en ce qui concerne la religion catholique, qui a depuis près de cinquante ans proposé des programmes et des programmations ouverts, existentiels, permettant à des élèves de se situer librement par rapport à un point de vue donné et de grandir ainsi dans leur vie quelles qu'en soient les orientations de foi;
. le financement public d'un cours de religion permet aussi son contrôle par l'autorité de tutelle, qui peut vérifier que rien n'est enseigné qui soit contraire à la Constitution et aux valeurs fondant notre être-ensemble;
. l'idée d'un "cours de philosophie" présentant toutes les religions de façon neutre, surtout, est un leurre et, si j'ose dire.... un leurre philosophique et une injure à la pensée. Aucune présentation de rien n'est "neutre", on le sait au moins depuis Kant, et sinon depuis Husserl, le père de la "phénoménologie" qui expliquait que toute perception du réel est le fait d'un individu situé, avec ses a priori, son éducation, etc. La grande illusion, et la grande bêtise philosophique, c'est vraiment l'idée de "neutralité" : elle consiste à faire croire que l'on peut, objectivement, tout étaler devant soi dans une présentation équivalente de tous les objets (par exemple, religieux), comme si on pouvait a priori être situé "hors-jeu", en un lieu dominant d'où l'on peut apercevoir la totalité de tout. Ce lieu chimérique, qu'est-il d'autre, précisément, qu'un lieu "totalitaire"? Je m'étonne que les pontes qui font ces propositions soient eux-mêmes si peu au fait de la philosophie...
. je passe sur les difficultés pratiques (mise au rencart des profs actuels, formation des nouveaux, etc., etc.);
. je passe sur le gâchis : des années et des années de formation - dont je témoigne, pour la religion catholique, qu'elle fut et reste ouverte à la théologie, certes, mais aussi aux sciences humaines en général, des années et des années d'expériences professionnelles dans tous les milieux et tous les types d'enseignements, soudain considérés comme bonnes à jeter;
. le cours de religion (catholique du moins pour ce que j'en sais) a aidé des milliers d'enfants et de jeunes à vivre et à traverser de nombreuses difficultés existentielles, sans pour autant vouloir en faire des croyants ou moins encore des fanatiques. Veut-on renoncer à ce genre de service rendu à la société?
. je soupçonne enfin que les véritables motifs de ces propositions ne sont pas ceux qui sont avancés, mais un agacement de certains devant la fréquentation importante des cours de religion et l'impact supposé sur la foi chrétienne que ceux-ci peuvent encore avoir dans une société que l'on veut laïciser, c'est-à-dire priver de l'apport des religions. Or, la laïcité (et je suis pour), c'est certes la séparation des Eglises et de l'Etat - au point de vue politique, mais non pas la privatisation de la religion, tout simplement parce que ce n'est pas possible : la religion, c'est une affaire visible, repérable socialement, et qui vit au cœur de la cité.
On pourrait allonger la liste des objections.
Sur ce point comme sur d'autres, j'espère un vrai débat parlementaire, et la fin de votes "blocs contre blocs" où l'intelligence des députés et leur capacité à la réflexion personnelle sont décidément par trop mises à mal... Et j'espère surtout, sur ce point comme sur d'autres, que si les "grands" médias belges s'emparent de cette question, ils le feront en évoquant au moins certains des enjeux dont j'ai essayé de dresser ci-dessus une liste non exhaustive.
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