Un après-midi d'orage, à Enghien. Un homme âgé fait devant moi le bilan de sa vie.
Je veille ici à ne rien trahir, je voudrais seulement dire la richesse de ce moment, ce long moment de confidences.
Mon sentiment d'abord, quand la conversation s'engage, un sentiment qui me vient si souvent : qui suis-je, Seigneur, pour recueillir cela? Un sentiment qui tourne en prière : Seigneur, rends-moi capable d'écouter. Non seulement d'écouter, d'entendre. D'entendre le désir qui se raconte, les frustrations d'une vie parvenue à son dénouement. D'une vie dont on tente de faire le bilan.
Et si je dois parler - mais seulement si je dois - donne-moi la Parole.
Une action de grâce devant cet homme âgé, confiant en l'Amour, qui sait qu'il va partir bientôt ("La porte va se fermer. Ici. Et s'ouvrir ailleurs").
Je suis ému aux larmes par ces confidences auxquelles je n'ai pas droit. Dieu seul... Dieu seul a le droit d'entendre tout cela!
Ma main se lève pour donner l'absolution. Cet homme pleure. De joie, je crois. De la joie de se savoir aimé, infiniment aimé, attendu, estimé, regardé - toute sa vie, une pierre précieuse qui va briller et briller encore pour ses enfants, ses petits-enfants.
"Je les aime tant", me dit-il. "Que sauront-ils de Dieu? De son mystère? De mon mystère?"
"Vous leur avez tout donné. Soyez sans crainte. Ils vous aiment, et l'amour est la meilleure connaissance de Dieu."
Puis vient le temps de l'onction. La prière, lente. La réminiscence du texte de saint Jacques : "Qu'un prêtre de l'Eglise vienne oindre le malade qui le demande..." L'imposition des mains, dans le silence. L'onction sur le front, sur les paumes. Je prends dans les miennes les mains de cet homme, ces vieilles mains usées par l'âge, qui ont tant travaillé, caressé, réconforté. Longtemps, nous nous tenons ainsi, nos mains les unes dans les autres, d'un bord à l'autre de la vie.
"Je prie pour vous", dit-il.
Comme cette prière m'est précieuse.
Si je devais choisir dans ma vie le moment pour lequel j'ai été heureux d'être prêtre, j'en choisirais mille, bien entendu. Mais ce soir, entre tous, j'ai sélectionné celui-là.
Un moment rare où l'humanité révèle sa grandeur.
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