Je poursuis ma (re)lecture systématique du grand Mauriac, et suis pour le moment plongé dans les "Mémoires intérieurs", édités en 1959. L'écrivain, qui a alors environ 75 ans, souhaite rédiger des "mémoires", mais il le fait sur un mode original, non pas en racontant des souvenirs (qui eussent, dit-il lors d'interviews de l'époque, impliqué malgré eux des membres de sa famille ou d'autres proches), mais en rapportant ses lectures. Il est convaincu qu'un homme aussi se raconte en rappelant les livres et les auteurs qu'il a aimés ou du moins fréquentés. "Dis-moi ce que tu as lu, je te dirai qui tu es", voilà quelle pourrait être la clé de ce recueil.
Au ch. VIII, il rappelle avoir lu la traduction, par Julien Green, de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, une méditation à la fois sombre et lumineuse, par le biais de la fiction, sur l'espérance chrétienne. L'obscurantisme pharisien y est dénoncé, et avec lui, les tentations récurrentes de réduire le christianisme à un conformisme moral et bêta, ligotant les consciences (on y revient!), et trop souvent hypocrite, ennemi du bonheur et de la liberté. Et le grand écrivain retient ceci de sa lecture, qui tout ensemble m'émeut et me stimule :
"Quel mystère! les hommes rejettent de l'Evangile ce qui, précisément, constitue la bonne nouvelle et qui devrait être le coeur du coeur de l'espérance humaine : ce pardon indéfiniment renouvelé, cette rémission des péchés attestée chaque fois que le Christ voit une créature à ses pieds: 'Tes péchés te sont remis.' D'où vient cette haine du bonheur? La Lettre écarlate nous permet de l'entrevoir : à la dure loi de Moïse, la théologie chrétienne, lorsqu'elle devient folle, substitue la sienne, non moins dure, non moins impitoyable, car c'est la même au fond."
(F. MAURIAC, Mémoires intérieurs, in Oeuvres autobiographiques, Pléiade, 1990, pp. 458-9).
Une fois de plus, tout est dit, et depuis plus de cinquante ans, rien n'a changé! On espère seulement que "la théologie chrétienne" ne devienne pas trop souvent "folle"...
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