"A 8h00 ce matin je procédais à l'audition d'un élève, de ses parents et de son avocat dans le cadre d'une exclusion définitive. C'est une expérience récurrente en cours d'année, et le bien collectif réclame parfois de l'institution que je représente de prendre ce genre de décision. Je le fais en conscience, mais jamais sans état d'âme. (...) Ce matin, la situation était assez tragique. En vrac : élève majeur, rupture avec ses parents, décrochage scolaire, nombreuses mises en garde et recadrage fréquent de notre part depuis un an, vente massive de cannabis au sein de l'école, plainte de notre part à la Police sur le témoignage d'élèves anonymes, perquisition, découverte de H en grande quantité dans son casier à l'école, arrestation, cinq jours de préventive à la prison, effondrement du père qui tombe des nues, prise en charge de la maman qui renoue avec son fils en prison... Libéré vendredi, il était présent ce matin à l'audition avec sa maman et son avocat. (...) Je découvre un autre élève : de l'arrogance et du déni antérieurs, il ne reste rien. Il dit le cauchemar de la prison, la honte, l'électrochoc et la découverte de son amour vrai pour ses parents à qui il a tant fait de mal. Il me remet une lettre dans laquelle il présente ses excuses, acceptant la sanction sans broncher et toutes les conditions du juge. Il se montre déterminé à aller de l'avant, à toucher enfin le coeur de son vrai désir : son futur métier, et aussi renouer avec sa famille, avoir des relations plus saines avec les autres, ne plus mentir, ne plus se mentir.
(...) A sa demande, avant de le quitter, je le rassure : "Tu as mon pardon, tu auras besoin de celui de tes proches et surtout du tien." Il me répond que celui-là sera le plus difficile à obtenir. J'avais vraiment envie de lui dire qu'il avait encore besoin de celui de Quelqu'un d'autre, qui lui pardonnera même s'il ne le demande pas, qui lui a déjà pardonné. Il m'a dit merci. Quand ils sont sortis, j'ai insisté : "N'oublie pas, tu es pardonné." Il pleurait en souriant. Je ne l'avais en trois ans jamais vu sourire comme cela.
J'ai entendu chez ce grand garçon un appel vital, auquel ni moi ni personne ne pouvons répondre. J'espère qu'il trouvera Celui qui peut l'entendre. Il a commencé un chemin difficile, mais vrai. Cela crève les yeux et les oreilles. Je voulais vous dire que, ce matin, le pardon reçu m'apparaît dans toute sa lumière comme aussi nécessaire à notre vie que le sang de nos veines. Imprévisible prière au coeur de la boue de nos misères. Imprévisible louange à la vie, ce cri d'adolescent.
Là, j'ai envie de croire en Dieu."
Et moi, je vous remercie pour ce don, ce pardon et ce témoignage.
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