samedi 3 novembre 2018

Aimer Dieu, aimer son frère, s'aimer soi-même

L'évangile proclamé ce dimanche relate la réponse faite par Jésus à un scribe qui lui demande quel est "le premier de tous les commandements" (Mc 12, 28b-29). A quoi Jésus répond, évidemment, par le "Shema Israël", la grande injonction du judaïsme que rapporte le Deutéronome et que les Juifs pieux portent sur leur front : "Ecoute, Israël, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence…"  Mais il ajoute : "Et voici le second : Tu aimeras ton prochain, comme toi-même."
L'injonction d'aimer Dieu "de tout son cœur" - et, notons-le aussi, en passant, "de toute son intelligence", c'est-à-dire, en y mettant toutes les ressources de son esprit, de sa recherche intellectuelle -, cette injonction est vraiment au cœur de la foi juive et, à sa suite, de la foi chrétienne comme de la foi musulmane. C'est une invitation, sans doute moins facilement audible dans notre Occident contemporain, à honorer la transcendance de Dieu : rien n'est Dieu que Dieu seul. Et à ceux - personnes, systèmes, idéologies, partis, tout ce qu'on veut - qui voudraient se prendre ou être pris pour Dieu, on dira : "Il n'y a que Dieu qui soit Dieu!" Tout ce qui se prétendra transcendant sera, en quelque sorte, désamorcé par la capacité subversive du monothéisme. Car tout est relatif et tout est contestable, sauf Dieu… Cette affirmation, pour libératrice qu'elle soit, peut aussi devenir dangereuse : c'est que beaucoup de personnes, de systèmes, de politiques, de religieux, ont le toupet de parler au nom de Dieu, et de prendre sa place pour éliminer ceux qui ne pensent pas, ne croient pas, ne prient pas comme eux, ou tout simplement, ne veulent pas entendre parler de Dieu.
Alors Jésus - et telle est sans doute une marque distinctive du christianisme - dit qu'un autre commandement est semblable à ce premier : il faut aimer son prochain, comme soi-même. Cette seconde injonction est la vérification de la première.
Dans ce qui est annoncé par Jésus, Dieu sera disqualifié, et toute action menée en son nom, si l'autre, le prochain, tout être humain dans sa différence, n'est pas entièrement respecté, honoré. Si tu prétends éliminer ton prochain au nom de Dieu, ce n'est pas Dieu que tu sers, c'est une idole grossière et qu'il faut très vite démolir. Déblaie, dégage…
Mais il y a plus : ton prochain, tu l'aimeras "comme toi-même" : s'il y a deux commandements, il y a donc trois amours. Et qui se vérifient l'un par l'autre, pour marcher en équilibre. Impossible de se mépriser soi-même si l'on prétend aimer les autres ou aimer Dieu : on ne ferait que se fuir. Impossible d'aimer Dieu sans aimer l'autre et sans s'aimer soi-même, ce ne serait que mensonge. Impossible de s'aimer soi-même sans aimer Dieu et les autres, ce ne serait que narcissisme.
Cette page d'Evangile parle d'elle-même : elle invite certes chacun à faire le point sur sa vie, mais aussi à évaluer les événements du monde à l'aune de ces deux commandements et de ces trois amours. Pensons au Pakistan : le Dieu invoqué par certains islamistes radicaux pour condamner à mort, malgré la relaxe promulguée par la justice de leur pays, la pauvre Asia Bibi, n'est pas Dieu, il n'est qu'une idole fabriquée à la ressemblance de leur grossière inhumanité, de leur malveillance et de leur bêtise. Il faut vomir ce Dieu-là…
Le Dieu quelquefois invoqué dans l'Eglise catholique pour couvrir les mensonges et les hypocrisies de l'Institution prompte à se protéger en protégeant des prédateurs, ce Dieu-là est une insulte à la morale. Il faut le vomir…
Le Dieu évoqué souvent pour "sauvegarder les valeurs de la civilisation occidentale"  en refoulant les réfugiés, chez nous ou aux Etats-Unis, ce Dieu-là n'a rien à voir avec le Dieu chrétien. Il est une idole, à vomir…
Le Dieu brandi à bout de Bible ou de Coran pour agrandir des territoires et refouler des populations, en Palestine ou au Yemen, et cela avec des armes fabriquées chez nous pour alimenter nos caisses (autre et vaste débat!), ce Dieu qui justifierait des massacres et des famines, des guerres et des exterminations : à vomir, lui encore, cassons-le comme il faut casser toutes les idoles.
Mais aussi le Dieu évoqué dans le secret des confessionnaux pour raboter les aspirations humaines, pour castrer les désirs, pour humilier sous prétexte d'entretenir l'humilité, ce Dieu-là n'est qu'un polichinelle : aux oubliettes, vidons-le!
Car, depuis Jésus, l'homme et son respect, sa dignité et ses droits, oui, l'homme, l'être humain : voilà la mesure de Dieu.

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