mercredi 14 novembre 2018

L'Eglise et l'Institution

Quelque chose de l'Eglise Catholique est en train de s'écrouler devant nos yeux. Pas l'Eglise elle-même, qui est un mystère de foi, un mystère théologique - l'effectuation progressive du Royaume de l'Amour trinitaire, prêché par Jésus, initié en sa personne vivante et situé bien au-delà de ses réalisations humaines dans l'histoire du christianisme. Mais ce qui s'écroule, c'est précisément une manière de cette réalisation humaine : la conception d'une Institution hiérarchique, centralisée, préoccupée de sa survie au moins autant, et souvent plus, que de ce qu'elle doit annoncer. La dénonciation partout dans le monde des hypocrisies épiscopales, de ces évêques qui ont sciemment couvert des faits honteux de pédophilie, est probablement le coup de pied final porté à cette Institution. Qui s'en plaindra?
Sous couvert d'évangélisation, on a moralisé et voulu normaliser, canoniser, des formes certes louables mais pas exclusives de vie familiale ou sexuelle : lire là-dessus l'excellente interview donnée ces jours-ci dans "Panorama" par la non moins excellente Danièle Hervieu-Léger, probablement l'une des plus grandes sociologues contemporaines de la religion catholique, Directrice d'Etudes émérite à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris). En quelques mots clairs, elle montre comment cette Institution, dépouillée de son pouvoir temporel à la suite de la Révolution Française, a voulu régenter les âmes et les corps - et en particulier, les sexes. Certains évêques (surtout nord-américains, du reste), qui n'ont rien compris à rien ou ne veulent rien comprendre à rien, face à cette crise de la pédophilie de prêtres, en rajoutent une couche : tant qu'on aura pas éradiqué l'homosexualité en la stigmatisant comme le péché abominable qu'elle doit rester, disent-ils, on n'aura rien fait. Et ils en profitent, évidemment, pour critiquer de plus en plus ouvertement le pape François qui, lui, veut ouvrir largement ses bras et les portes de l'Eglise aux personnes homosexuelles, et mettre fin au tabou, au dénigrement et au rejet dont elles furent si longtemps les victimes. Lui qui veut, aussi, faire cesser le cléricalisme, cette forme sournoise de pouvoir et de manipulation des cœurs, qui n'est pas le seul fait des prêtres, mais de tous ceux qui, dans l'Eglise, laïcs, prêtres et évêques, prétendent régenter les consciences. Ces dangereux crétins - je parle des évêques nord-américains susmentionnés -  sont soutenus dans leurs propos par l'ancien Nonce (ambassadeur du Saint-Siège) aux USA Vigano, qui ne cesse d'attaquer ouvertement le pape sur ces questions, lui-même sans doute "aidé" en cela par des lobbys républicains américains et.. leur argent.
Les évêques français, qui viennent de se réunir à Lourdes en Assemblée plénière, sont eux aussi fort divisés sur la manière d'assainir franchement l'Institution dont ils sont les gardiens : le Cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et Primat des Gaules, mis en cause pour ses protections dans des histoires de pédophilie, a cru bon de ne pas reconduire dans ses fonctions le Juge ecclésiastique qui, précisément, le met en cause. Repentance dans les propos, arrogance dans les actes… Je ne prétends pas dire ici, car je n'en sais rien, qui a raison et qui a tort, mais je constate la confusion des réactions, et leur précipitation, qui probablement indiquent  un mouvement de panique!
Ce sont les évêques belges, tiens, qui se sont le mieux tenus, grâce à Mgr Bonny, d'Anvers, et à Mgr Harpigny, de Tournai, qui furent sans concession devant les mesures à prendre, qui les prirent et les firent prendre à leurs collègues - on imagine les résistances qu'ils durent affronter.
Oui, une Institution dissimulatrice, une hiérarchie pourrie par ses secrets lamentables et son idéologie conquérante, sont en train de s'écrouler. C'est un peu comme l'URSS sous Gorbatchev : le machin va s'effondrer, d'un coup. Deux papes, aux tempéraments bien différents voire opposés, mais tous deux profondément honnêtes, s'y cassèrent et s'y cassent les dents : le brave Benoît, le magnifique François. Le premier a eu le courage de partir, quand il a compris qu'il ne viendrait pas à bout des coups fourrés dont certains sont capables, au plus haut niveau, pour préserver l'Institution contre l'Evangile lui-même. Le second tient bon, demande qu'on prie pour lui, résiste aux mêmes coups fourrés : continuera-t-il  ou dira-t-il un jour, lassé de ce panier de crabes, qu'il rentre finir tranquillement sa vie en Argentine? Ce serait la victoire des crapules…
Oui, l'hypocrite machin s'écroule ou va s'écrouler, et c'est tant mieux, c'est un assainissement nécessaire. Ce n'était jamais qu'une manière d'incarner l'Eglise, une manière qui a fait son temps et causé bien des tourments à beaucoup de personnes.
Laissons-le s'écrouler. L'Eglise en son mystère, de foi et de communion, a tout à y gagner!

3 commentaires:

  1. Plusieurs personnes, qui ont lu ce message, me demandent de l'expliciter. Voici donc : l'homosexualité étant refoulée dans la société et dans l'Eglise (et quelquefois considérée comme criminelle), plusieurs candidats au sacerdoce, qui étaient homo-ou éphébophiles (aimant les jeunes garçons), ont pu trouver dans le célibat ecclésiastique une manière de vivre de façon cachée et socialement acceptable leur tendance. Dans ces conditions, l'homosexualité pratiquée entre adultes consentants était certes contraire aux promesses du célibat, mais ne posait guère de problème juridique; l'éphébophilie ou la pédophilie, avec ses modes de prédation facile dans les collèges ou les mouvements catholiques, oui. Lorsque l'Eglise catholique contemporaine plaide (même timidement), pape en tête, pour une reconnaissance et un accueil des personnes homosexuelles, elle souhaite ainsi mettre fin à la ghettoïsation de ces personnes, en leur permettant de vivre normalement leur sexualité, ce qui devrait empêcher que le célibat ecclésiastique ne reste pour certains une dissimulation commode. Lorsque des évêques (nord-américains, donc) stigmatisent l'homosexualité comme "le péché" à combattre dans la société, ils risquent au contraire d'augmenter le rejet de ces personnes et de favoriser leur dissimulation. En voulant moraliser une nouvelle fois sur cette question, ils redoublent le problème…

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  2. Je ne peux qu'approuver cet article remarquable, ouvert et résolument franc. Merci pour cette vue très positive des problèmes vécus par certains. Peut-être un regret: fustiger trop certains "évêques", Jésus n'a-t-il pas dit: "Ne jugez pas, vous ne serez pas jugé" ... à tout péché(encore faut-il bien comprendre ce mot) miséricorde. Très amicalement.

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  3. Ce ne sont pas ici des personnes - que, du reste, je ne connais pas - que je fustige, mais un fonctionnement...

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