mercredi 3 juin 2015

La sécularisation de la société

En cette période d'études (bravo aux étudiants, donc, qui "bloquent"...) j'aimerais partager avec les lecteurs de ce blog quelques impressions sur ce que l'on appelle parfois la "sécularisation" de la société, ou aussi sa "laïcisation".
- De quoi s'agit-il? D'une volonté de la société civile et du monde religieux (des religions) d'être autonomes les uns par rapport aux autres. La sécularisation remonte à loin : dès l'empereur Constantin (IVème siècle), les Eglises chrétiennes, toutes reconnues qu'elles fussent, demandèrent à ce que le pouvoir civil n'interférât point dans les dispositions de leur discipline, de leur liturgie ou de leur doctrine : se souvient-on qu'en 325, c'est l'Empereur (Constantin, donc) qui avait convoqué le Concile de Nicée pour trancher la question de la divinité de Jésus, aux fins de stabiliser  un Empire qu'il voulait uni d'abord religieusement (le religieux, en l'occurrence, servant le politique)?  Durant tout le Moyen-Âge occidental, la question des rapports entre le religieux et le civil fut posée, juridiquement, canoniquement, politiquement (voir la fameuse "querelle des investitures"). Au XVIIème siècle, c'est l'Eglise de Rome qui demandait au pouvoir politique (français, par exemple celui de Louis XIV) de ne pas interférer dans la nominations des évêques... ceci, pour rappel. La Révolution Française coupa brusquement tout lien entre Eglise(s) et Etat, avec confiscation et nationalisation des biens du clergé - mais volonté de garder une mainmise sur la nomination des évêques, ce que Rome contesta. Napoléon s'en tira par la signature du Concordat signé avec Pie VII, et qui dessine encore la trame des rapports, chez nous, entre religion(s) et Etat de droit. La France de 1905 voulut rompre ce  Concordat et proclamer une République "laïque", "qui ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte", espérant par là se débarrasser du problème religieux - mais on voit bien que ce n'est pas le cas aujourd'hui et que cela ne risque pas de le devenir demain.
- En soi, cette volonté d'autonomie réciproque est bonne. Elle suppose que le pouvoir civil ne va pas chercher ses ordres dans la sphère du religieux. Cela signifie-t-il pour autant que le religieux doive disparaître de la sphère publique et devenir du "privé"? Je l'ai déjà maintes fois répété ici : quelle que soit la velléité qu'on en ait, ce n'est pas sociologiquement possible : le religieux, c'est du "public" autant que du "privé" et l'Etat et les religions devront toujours s'accorder. Les Etats qui ont tenté de faire disparaître complètement le religieux de la sphère publique (pensons à l'URSS stalinienne) ont aujourd'hui des héritiers qui renouent fastueusement avec lui (Monsieur Poutine ne s'en prive pas) et tous les sociologues estiment que la relégation du religieux dans le privé occasionne des résurgences violentes  (comme des tsunami) dans les décennies qui suivent. Certains pensent  ainsi que la privatisation voulue et forcée du luthéranisme allemand à la fin du XIXème siècle est l'un des facteurs qui conduisirent à l'idéologie nazie : la doctrine de la prédestination des élus et de la damnation des réprouvés, quittant sa sphère religieuse et inconsciemment transposée dans la sphère publique, donnant le champ à l'idéologie de l'élection d'une race supérieure et à l'élimination d'une race inférieure prédestinée à l'enfer des camps. On pourrait multiplier les exemples : toute laïcisation "forcée" provoque des réactions sociales terrifiantes. "Derrière toute politique, disait déjà Proudhon - le grand socialiste peu enclin à des révérences cléricales  - il y a une théologie."
- Devant cet état de fait, qui est scientifique (pour autant que la sociologie, et, en particulier, la sociologie des religions, soit une science) ne devrait-on pas, à chaque époque, évaluer les rapports Eglises(s) ou religion(s) - Etat en se gardant volontairement de toute velléité prosélyte (de la part des religions) comme de toute velléité idéologique (de la part des Etats)? Un débat philosophique ample, ouvert, respectueux, alliant l'évocation des aspects historiques et des enjeux actuels, ne devrait-il pas se substituer aux coups de force et aux coups de gueule déplorables si souvent constatés aujourd'hui çà et là dans notre propre démocratie? Qu'il s'agisse du financement des cultes, des fabriques d'église, des cours de religion, de la visibilité des signes religieux, et ainsi de suite, tout le monde ne gagnerait-il pas à l'instauration d'un débat permanent et serein, dans une espèce de "Grand Conseil National des Religions et de la Laïcité", un peu comme il y a un "Comité National Consultatif de Bioéthique"?
- J'aimerais entendre là-dessus les politiques. Il est temps...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire