samedi 18 avril 2015

La Résurrection, une affirmation raisonnable

Les lectures de ce troisième Dimanche de Pâques (année B) nous invitent à réfléchir de façon systématique à la Résurrection : dans le passage de l'évangile de Luc  (24, 35-48), Jésus ressuscité apparaît en effet avec un vrai corps, et l'insistance est mise sur la réalité de ce corps désireux de montrer ses plaies et de manger en présence des siens.
La Résurrection du Christ - et la nôtre à sa suite - est le cœur de la foi chrétienne, qui n'existe pas sans elle (où l'on voit, du reste, que le christianisme n'est pas une morale ou un code de bonne conduite : la Résurrection est d'abord une affirmation, une "monstration", pas une éthique.)
Chaque être humain, un jour au moins, se pose la question de son avenir, et de l'avenir de son espèce. La philosophie répond, grosso modo, de deux façons à cette question :

- le matérialisme prétend qu'il n'y a rien d'autre que la vie présente, terrestre, et que même les mouvements les plus pointus de nos sentiments (qui viendraient du "cœur" ou de l' "âme" ou de l' "esprit" - les émotions amoureuses, les extases spirituelles, les emportements esthétiques, que sais-je...) viennent en réalité toujours et uniquement de la matière, des neurones par exemple ou des phéromones pour les états amoureux. C'est, dans l'Antiquité, l'opinion probable d'un "pré-socratique", Démocrite d'Abdère, reprise par Epicure, puis par Lucrèce chez les Latins, puis... (passons les siècles) par Marx, Engels, Nietzsche et, aujourd'hui, par quelques bons philosophes dont certains très médiatisés (comme Michel Onfray). Dans cette hypothèse : nous n'avons qu'une vie, celle-ci, présente et terrestre, et  le reste est rêverie et illusion. Cela a comme conséquence positive que, si nous n'améliorons pas l'ici et le maintenant, en nous disant que la "réparation" viendra plus tard, nous ne faisons rien de nos vies. Car il n'y aura pas de réparation "plus tard". Plus tard, il n'y aura rien... L'hypothèse est séduisante, et l'a toujours été, notamment par cette urgence qu'elle confère à l'éthique dans l'ici et le maintenant. En même temps, elle souffre, à mon sens, de quelques lacunes : ok, en effet, pour celles et ceux qui ont le moyen de faire de leur vie une "vie bonne" et "belle". Mais les autres, l'immense majorité des autres êtres humains trop vite nés, trop vite morts, qu'auront signifié leurs "trois petits tours et puis s'en vont"' sur cette terre absurde? Aucun matérialiste jusqu'à présent ne m'a donné à cela de réponse cohérente. On constate, on déplore; c'est tout. C'est court... Une autre objection montre son nez, dont je veux bien qu'elle est moins péremptoire, mais quand même : l'être humain porte en lui une nostalgie d'éternité (Pascal : "L'homme passe infiniment l'homme!") Du plus profond de son être, il désire aller au-delà de la mort qu'il sait pourtant inévitable (et même nécessaire à la survie de son espèce). Quel diable - ou quel dieu - effrayant aurait donc mis en son cœur cette nostalgie, si elle ne correspondait pas à quelque chose de réel?

- d'où les philosophies spiritualistes, qui existent depuis l'Antiquité, et bien en deçà du christianisme : par exemple Platon, sa théorie dualiste d'une âme "tombée" dans un corps et prisonnière de lui, dont tout l'effort (philosophique, spirituel, moral) consiste à se délivrer, pour retomber dans un autre corps (métempsychose, réincarnation) jusqu'à la délivrance finale et le retour dans le monde éthéré d'un ciel débarrassé des corps. Certes magnifique - et quelle littérature! Mais on fait alors peu de cas de notre corporéité, celle qui nous constitue comme êtres humains : je suis un corps, je n'ai pas un corps, et si quelque chose doit survivre, c'est moi tout entier, et mon corps aussi, malgré l'évidence de la disparition matérielle des corps présents, de leur destruction par la mort.

- comme une petite fille impertinente, l'anthropologie biblique (qui n'ignore pas les deux précédentes) pointe son nez : pour certains Juifs (ce n'est pas le cas de tous, loin de là, et surtout au temps de Jésus), si quelque chose survit de l'être humain, ce n'est pas une part de lui (corps, âme, esprit, cœur, ce qu'on veut), c'est lui tout entier. Avec une rupture, certes, celle de la mort, et une continuité de la personne qui concerne aussi le corps. Nous revoici dans nos récits de Résurrection : ils frappent tous par le réalisme de la présence du Ressuscité. Certes, on ne reconnaît pas tout de suite le Ressuscité (c'est lui et un autre, et pourtant c'est le même), mais il n'est pas un fantôme, il n'est pas une idée, il n'est pas un souvenir. Il mange et boit avec les siens, il montre son corps, les plaies de son martyre. Et pourtant, désormais, ce corps, cette vie suppliciés, les voici investis de la Vie qu'attend au fond de lui tout être humain.

     J'ai beau tourner et retourner tout cela dans ma pauvre tête : depuis longtemps, depuis toujours, je crois que l'annonce énigmatique, magnifique, extraordinaire, inattendue, la "Bonne Nouvelle" de la Résurrection du Christ - et de la nôtre à sa suite - est ce qui comble le mieux la quête de l'homme. Et ce qui, des points de vue philosophique et anthropologique, s'annonce, finalement, comme le plus "raisonnable". Mais oui!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire