samedi 23 août 2014

Scandale et mystère de l'Eglise

S'il y a un grand contentieux entre nos contemporains et la foi chrétienne (plus spécifiquement même catholique), il me semble surtout porter sur l'Eglise, dont les lectures bibliques de ce dimanche nous instruisent.
Alors que dans d'autres parties du monde, l'Eglise (catholique) apparaît comme un recours devant des Etats peu respectueux des personnes, chez nous, c'est souvent l'inverse. Cela tient à notre histoire occidentale, durant laquelle on peut dire que, de façon récurrente,  l'institution ecclésiale s'est comportée en puissance politique, soucieuse de s'imposer sur le plan temporel. La "séparation" des pouvoirs, largement inaugurée à la Révolution française, remise en cause (pour des motifs politiques d'unification de son Empire tout neuf, où il voyait que l'Eglise devait jouer un rôle majeur) par Napoléon Ier, réactivée par les lois Combes de 1905 en France (mais pas chez nous, ni en Alsace-Lorraine...), cette séparation donc a sa grandeur : elle trace "à peu près" des sphères d'influence et d'action. Elle a ses limites : il est évident (sauf pour quelques idéologues, y compris chez nous) que le religieux ne relève pas seulement de la sphère privée. Il constitue un élément sociologiquement repérable dans toute organisation politique, qui doit en tenir compte (si elle ne le fait pas, le religieux se rappelle à elle avec brutalité : voir la situation actuelle de quelques guerres dans le Proche ou Moyen-Orient.)
Par certains côtés, l'Eglise - je parle toujours de l'Eglise catholique - relève de cette "institution" religieuse, qui indispose tant de monde, à l'extérieur ou l'intérieur d'elle-même. Faut-il pour autant vouloir sa fin ou sa perte (comme d'aucuns "maçons" ou anticléricaux rabiques le souhaitent et le proclament chez nous par leurs propos ou leurs attitudes - j'ai vu récemment lors de funérailles dans une église de mes paroisses s'exprimer des rejets avec une vulgarité et un manque de dignité publique qui laissent pantois!)?
Sur un plan stratégique, ou idéologique, on peut encore comprendre. Même si le respect des "convictions", comme on dit , passe par le respect du religieux et de ses manifestations,  pour autant qu'elles ne contreviennent pas à l'ordre public. (Il y aurait beaucoup à dire, là-dessus, sur le concept si souvent agité de "neutralité", qui me semble, même étymologiquement, relever de la nouillerie : personne n'est "neutre" à moins d'être une nouille et de n'avoir pas de conviction, de colonne vertébrale, de pensée. Mais bon, passons.)
Du point de vue de la foi chrétienne, qui en définitive nous intéresse le plus, l'Eglise est le Corps actuel du Christ, sa présence agissante dans le monde. Les lectures de ce dimanche nous rappellent cela : quelles que soient les remarques philologiques qui doivent être faites sur le passage entendu (la profession de foi de Pierre et la "remise des clés" que Jésus lui confie), notamment quant au moment de sa rédaction (bien après la mort de Jésus, sans aucun doute, et dans le contexte d'une Eglise naissante), on ne saurait nier que Jésus lui-même ait voulu confier à une assemblée, à une communauté, le soin de sa présence permanente dans l'espace et le temps des hommes. Et que les Apôtres - les Douze, au départ - et Pierre en particulier, jouent là-dedans un rôle premier, un rôle de convocation, d'appel, d'authenticité de cette présence.
L'Eglise historique a-t-elle toujours été digne du rôle que Jésus lui a confié et continue de lui confier? Evidemment, non.  En même temps, pour être honnête, elle a aussi souvent permis d'exalter la grandeur humaine dans de nombreux domaines (de générosité - voyez les saints hospitaliers et consolateurs -, d'intelligence - voyez les Pères de l'Eglise -, de pacification - voyez le rôle récurrent et actuel de la diplomatie vaticane dans le monde - d'esthétique et de beaux-arts, voyez les chefs-d'oeuvre en peinture, en sculpture, en architecture, en musique, que l'Eglise a contribué à susciter, etc.) Humainement l'Eglise a été et reste ce qu'elle a pu et ce qu'elle peut - mélange de putasserie et de sainteté. Mais ce mélange est porteur du Christ, et je reste convaincu que quiconque veut bien accueillir ce mélange et se pencher sur lui y trouve la présence inattendue de Celui qui s'est remis à des hommes, de pauvres hommes, pour porter sa Parole et son Feu.
Bernanos, le grand écrivain français, a dit là-dessus des choses remarquables  lorsqu'en 1936, lors de la Guerre d'Espagne, il a rédigé contre les franquistes et les compromissions des évêques espagnols avec eux, dans Les Grands Cimetières sous la Lune, des propos incisifs, parlant de l'Eglise : "Je ne la souhaite pas parfaite, elle est vivante. Pareille au plus humble, au plus dénué de ses fils, elle va clopin-clopant de ce monde à l'autre monde; elle commet des fautes, elle les expie, et qui veut bien un moment détourner les yeux de ses pompes, l'entend prier et sangloter avec nous dans les ténèbres. Dès lors, pourquoi la mettre en cause, dira-t-on? Mais parce qu'elle est toujours en cause. C'est d'elle que je tiens tout, rien ne peut m'atteindre que par elle. Le scandale qui me vient d'elle m'a blessé au vif de l'âme, à la racine même de l'espérance. Ou plutôt, il n'est d'autre scandale que celui qu'elle donne au monde." (Les Grands Cimetières sous la Lune, in G. BERNANOS, Essais et écrits de combat, Gallimard, Pléiade, 1971, p.426.)
Toute la page est à lire, comme une méditation parfaite qu'un chrétien peut - et doit - poursuivre  à propos de l'Eglise, à laquelle on ne lui demande pas de s'en remettre comme un partisan à son Parti, mais en laquelle on lui demande de croire, précisément parce qu'elle est un objet de foi - et d'espérance!

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