En sortant de l'église, ce matin-là, j'avais décidé de rédiger quelques papier en retard et de les expédier par courriel. Me voilà donc, tout radieux, devant l'écran du PC...qui "se plante", comme on dit aujourd'hui. Rien à faire pour réactiver mes connexions adsl! Immédiatement, panique à bord : téléphoner, vite, au réparateur, imaginer, vite, tout ce qu'on avait prévu comme échanges et qu'il faudra reporter...
Et pourquoi, "vite"? Voilà que, dans l'église, j'avais goûté au repos de Dieu et un rien, déjà - une contrariété informatique - m'en détournait. J'étais reparti dans l'inquiétude, dans le souci, dans la frénésie, parce que mon petit projet était perturbé. Qu'il est difficile d'être en repos! J'avais pourtant bien vu, dans l'aube de cette journée, que le vrai, le seul repos est en Dieu, comme l'écrit saint Augustin au début de ses Confessions : "Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu'il ne repose pas en toi!" Inquietum, dit le latin : privé, de quies, de repos, in-quiet. Tout nous convoque à l'inquiétude. Dieu seul nous reconduit au repos.
Je me suis donc mis à évaluer mon inquiétude, à en rire, et même à en avoir honte : qu'est-ce qu'un retard dans le courriel, par rapport à d'autres empêchements, chez tant de personnes, autrement plus graves : il fallait tourner mon coeur vers ceux qui commençaient eux aussi cette journée dans l'angoisse de la maladie, du handicap, d'un enfant souffrant, d'un déchirement conjugal, d'une agonie et d'un décès pour aujourd'hui, d'une dépression... La liste est longue, des malheurs humains que tant et tant traversent en même temps qu'une inquiétude légitime!
Dans les vacances qui commençaient, cette bienheureuse panne m'avait remis devant le vide que Dieu seul peut combler en l'homme, devant ce désir de repos qu'il met lui-même au creux d'Adam pour la traversée qu'Adam doit faire sur cette terre, et qui le fait marcher, exclu du Jardin trop clos et trop confortable, du Jardin sans souci, vers une espérance. Le repos est l'invers de l'inquiétude, c'est une inquiétude traversée. De ce repos-là, les moyens ne sont pas d'abord ceux que vantent la publicité et le "holiday marketing" : le gagnant d'euro-millions, sur les affiches, peut bien nous être présenté comme un pacha débonnaire voguant dans une piscine de luxe devant un château plus grand que celui de la Belle au Bois dormant - un pâle succédané d'Eden -, on se dit que le pauvre homme, une fois rhabillé, gardera ses angoisses. L'idée même de "vacances perpétuelles" n'est à l'évidence qu'une illusion de bonheur, un erstaz, comme l'idée d'un monde où tout fonctionnerait sans, jamais, aucune anicroche.
Je me suis rendu chez ma voisine, une femme âgée et impotente, qui garde en toutes circonstances aux lèvres un sourire et au coeur une bonté capables de rassurer toutes les tristesses. Elle m'a offert du café, et pour une fois je me suis longuement assis auprès de ce monument de sagesse qui a traversé la vie et ses misères (la guerre, la mort d'un enfant, les soûleries d'un autre) avec la provision de courage des gens simples de chez nous. Je n'ai pas osé lui raconter ma contrariété informatique à laquelle, du reste, elle n'aurait rien compris. Mais je suis sorti de chez elle avec ce surcroît d'âme que seule permet la fraternité.
Je me suis rassis devant le PC, pour voir ce qui fonctionnait encore. La panne, par je ne sais quel miracle, s'était résorbée toute seule. Bien entendu!
Je suis touché par ces deux textes, qui disent si bien la double angoisse, du vide et de la défection. Venu « le temps béni » des vacances, la peur du vide, du temps à remplir. Et, bientôt la parade, ou la réaction : Dieu à chercher, Dieu à trouver là où il est, dans la béance qu’est la prière. Ensuite, l’âme régénérée et le goût d’agir retrouvé, constater la trahison des choses : un PC qui fait des caprices, un outil rétif, on y pare comment ? A nouveau le refuge en Dieu, cette fois sous son autre forme, quand le second commandement est semblable au premier, quand Sa bouche est celle d’une voisine âgée et impotente… Là-dessus je songe à votre billet antépénultième, où vous annonciez la charge pastorale à Enghien que vous avez accepté de porter… Puissiez-vous alors garder avec Dieu, avec Dieu absent et silencieux, dont se perçoit, quand il le faut, « le bruissement d’un souffle ténu », garder cette paradoxale prière qui est aujourd’hui vôtre. Ce sera pourtant difficile. Les paroisses sont des lieux de lutte. Je me souviens d’avoir, à votre âge, dans un tout autre genre de lieu, eu soudain tant de choses à faire, coûte que coûte, parce qu’elles m’avaient été demandées, parce que, si je ne les faisais pas, il y aurait plus de souffrances ou d’injustices là où j’étais. J’avais spontanément d’autres goûts… Mais là aussi, on trouve Dieu. Un Dieu Esprit qui caresse doucement, quand on c’est fini, qu’on devient très vieux, et qu’Il s’annonce…
RépondreSupprimerEphrem