vendredi 17 février 2017

Silence

Je ne vais guère au cinéma. Je pourrais en prendre le temps, mais c'est l'un des beaux-arts avec lequel j'entretiens des liens complexes, quelquefois conflictuels : autant l'avouer, je ne comprends pas tout, surtout, je ne comprends pas les "ficelles du métier", et cela m'agace!
Pourtant, hier soir, je me suis laissé tenter par le dernier Scorsese : "Silence". Presque trois heures de toile...
Le sujet? La répression des chrétiens dans le Japon du XVIIème siècle, cent ans  à peu près après sa première évangélisation, sous l'impulsion de Saint François-Xavier. Les chrétiens, pour des motifs évidemment politiques, sont torturés et mis à mort. Certains prêtres - surtout des jésuites - ont renié la foi, non par lâcheté, mais parce qu'ainsi ils évitaient à leurs ouailles d'horribles persécutions.
Deux jésuites portugais veulent retrouver un père qui fut leur professeur et leur confesseur, car ils ne croient pas à la version officielle qui fait de lui un renégat. Ils s'embarquent, malgré les réticences de leurs supérieurs, et rejoignent cette terre d'îles, tant désirée, tant redoutée, aussi. Des communautés sont là, privées de prêtres depuis longtemps, et qui les accueillent, communautés de paysans, de villageois, qui n'ont sans doute pas tout compris du message du Christ, mais entendent lui rester fidèles. La venue des deux missionnaires réveille la foi de ces gens, et bien sûr les persécutions, les tortures, les assassinats : le pouvoir impérial ne saurait accepter une religion dissidente. L'un des deux prêtres est tué, sous les yeux de son confrère - à ce dernier, on finit par faire renier sa foi, pour que n'agonisent plus des chrétiens lentement torturés sous ses yeux.
Le tout, faut-il le dire, dans des paysages magnifiques, éclatants de sauvage beauté - la mer en furie et ses gris bleutés, les champs sous la pluie ou le soleil écrasant - la "photo", comme on dit, je crois, est à tomber!
Je ne pensais pas "tenir" - je l'ai dit, je n'ai pas la coutume des salles obscures. Mais le temps ne m'a pas semblé long. Je n'ai pas vibré à la terreur de la folie humaine, et de sa violence - non, je la connais et  rien ne m'effraie plus d'elle, qu'elle soit physique ou psychologique.
Non, j'ai vibré aux questions essentielles que pose le film de Scorsese à notre époque : la vraie liberté, et bien sûr, le silence de Dieu.
Car ce qui ressort de cette histoire - authentique - c'est la question de la liberté religieuse, d'abord, comme parangon de toute liberté. Je comprends mieux, au sortir de ce spectacle, que le Concile Vatican II en ait fait, surtout dans la Déclaration Dignitatis Humanae de 1965, une condition de toute liberté humaine véritable. La liberté de la presse, oui; la liberté d'association, d'accord; la liberté de mouvement, en effet. Mais la liberté de croire ce qu'on veut, comme on veut, si on veut - quel défi pour les Etats qui veulent rassembler - on les comprend! - et toujours utiliser le sentiment religieux (ou laïque, en ce sens, c'est le même!) pour le rassemblement en question. Quelle difficulté pour l'Etat, pour les Etats, de "tolérer" la pluralité religieuse - la tolérance n'est pas d'abord une vertu qu'il faut réclamer des religions, mais des Etats!
Et puis, bien sûr, le silence de Dieu. Car tout au long du film, devant les souffrances engendrées par la foi, par la situation de la foi, et puis par le reniement presque forcé des missionnaires, Dieu se tait. Est-ce un silence d'indifférence? De réprobation? Ou simplement la marque d'une pure et simple inexistence? (Mais le héros lui-même, à la fin, rejette cette interprétation trop vulgaire, au fond, et en tout cas trop rapide : "Dieu n'a jamais été absent, dit-il. Mais il s'est tu.") On est là au cœur de la foi chrétienne : le Dieu-Parole, le Verbe, est aussi et peut-être d'abord un Dieu qui se tait. Ou plutôt : sa Parole - son Verbe, son Fils incarné - n'a de pertinence qu'à partir de son silence. Entendre jusqu'au bout ce silence, et l'entendre comme une Parole qui permet la Parole, c'est vraiment le cœur de la foi, de la théologie et de la spiritualité des chrétiens.
Les "spirituels" dans l'Eglise sont ceux et celles qui ont compris cela - qu'ils aient été torturés pour leur foi ou non, au fond ils l'ont tous été, et de diverses façons, quelquefois dans l'agonie silencieuse des cloîtres et des monastères. Je songeais, hier soir, aux Dialogues des Carmélites, de Bernanos - la même histoire, évidemment.
Que Scorsese, un ancien séminariste sicilien, devenu l'un des plus grands réalisateurs de son temps, ait voulu "filmer" le silence de Dieu - et y soit parvenu, cela prouve combien il maîtrise son art.
Allez voir ce film.
Montrez-le à des jeunes, et parlez-en avec eux - ça vaudra mieux que d'aller voir des concerts où l'on chante à tue-tête que "l'on aime Jésus", mais sans savoir vraiment ce que ça veut dire (je n'ai rien contre, notez, mais tant qu'à faire de me déplacer pour du cinéma, j'aime autant celui de Silence.)

1 commentaire:

  1. Liberté religieuse comme parangon de toutes libertés.... entendre le silence de Dieu jusqu'au bout, l'entendre comme une Parole qui permet la Parole...
    Merci Benoit pour ces formulations inspirantes qui m'aident à approfondir humblement ma foi

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