dimanche 3 janvier 2016

La mort de Michel Delpech

Tous ceux de ma génération le connaissent et ont fredonné ses tubes : Pour un flirt, Chez Laurette, Quand j'étais chanteur, etc. Michel Delpech est mort hier à l'âge de 69 ans, après avoir lutté pendant plusieurs années contre un cancer invasif de la langue et de la gorge. Il y a quelques années, à l'occasion de la parution d'une autobiographie (J'ai osé Dieu, Presses de la Renaissance), il s'était confié au journaliste Bertrand Révillion, pour le Magazine "Prier". Voici quelques extraits de cet entretien :

" B.R. C'est la première fois que vous évoquez aussi profondément votre vie spirituelle...
 
  M.D. Oui, et maintenant que ce livre est paru, je me demande si tout cela n'est pas un peu impudique! J'ai été gravement malade : un cancer de la langue qui m'a contraint à des traitements lourds et m'a immobilisé pendant plus d'un an... Ce sont des moments rudes où l'on se retrouve face à sa vie, à sa vérité. Je suis croyant. Dieu, Jésus sont mes compagnons de route depuis des années. j'ai voulu le dire. J'assume ce risque : un chanteur de variété qui avoue son amour pour le Christ, ce n'est pas très tendance! Mais je crois que j'aurais un vrai regret à ne pas avoir dit ce que je crois; et en qui je crois...

  B.R. "J'ai probablement toujours été chrétien" dites-vous...

  M.D. Oui, avec quelques éclipses! De mes parents, j'ai reçu un catholicisme de convention, sans que je me sente vraiment concerné. Puis j'ai été happé par la vague de la célébrité. C'était l'époque "yé-yé", mes chansons tournaient en boucle sur les radios. J'étais une "vedette" et n'avais ni le temps ni le goût de me poser des questions métaphysiques! Puis j'ai connu une traversée du désert, un burn out comme on dit pudiquement, un véritable chaos dans mon existence... Je me suis tourné vers les sagesses et les spiritualités orientales. J'ai lu pas mal de choses sur le bouddhisme, l'hindouisme, le zen, la méditation transcendantale...

  B.R. Rien sur le christianisme?

  M.D. Non. J'avais une image assez négative de l'Eglise. Je trouvais qu'on y respirait trop le mauvais air de la culpabilité, du péché... Tous les crucifix exaltant la mort du Christ me glaçaient. J'étais aussi assez anticlérical. j'avais le souvenir de m'être prodigieusement ennuyé à la messe. Je n'avais, par exemple, aucun souvenir d'avoir entendu une seule fois réciter le Notre Père de manière joyeuse!

  B.R. Un jour, pourtant, vous allez revenir vers la source chrétienne. Pourquoi?

  M.D. Je me suis progressivement rendu compte que les philosophies et spiritualités orientales - si belles soient-elles - n'étaient pas un chemin fécond pour moi. J'étais en train de me perdre. J'ai éprouvé le désir d'entrer à nouveau dans les églises. Pas au moment des célébrations, mais lorsque je savais pouvoir y être seul... J'aimais ces instants de solitude et de silence. J'ai été aussi discuter avec des chrétiens fervents, des hommes et des femmes que je sentais habités par la foi. J'ai fait quelques retraites dans des monastères. Peu à peu, j'ai eu le sentiment d'être rentré "à la maison", de ne plus être séparé d'une part essentielle de moi-même.

  B.R. Vous écrivez que, depuis cette période, "la spiritualité, la foi, Dieu sont l'objet incessant de ma quête..." C'est fort!

  M.D. N'allez pas croire que je sois devenu une sorte de mystique continuellement plongé dans la contemplation! Si vous saviez combien je me sens un faible chrétien... Mais il ne se passe pas un jour sans que je me pose la question de Dieu. Je songe souvent aux moines, à cette vie qu'ils se sont choisie pour vivre avec cette question. J'aime aller pendant quelques jours, partager leurs vies...

  B.R. Comment nourrissez-vous cette interrogation spirituelle?

  M.D. Je lis beaucoup. Je traîne souvent à La Procure, au rayon des livres religieux. Je lis des auteurs anciens : saint Augustin, Isaac le Syrien, François de Sales, Maître Eckhart... Quelques contemporains aussi parmi lesquels Gustave Thibon, que j'ai eu la chance de rencontrer, qui a l'art de ciseler de courtes pensées fulgurantes... J'ai bien conscience que cela ne cadre pas tout à fait avec l'image qu'on peut se faire d'un chanteur populaire!

  B.R. Il y a comme un paradoxe chez vous. Vous dites que la foi, c'est la joie. Et vous écrivez aussi que, souvent, votre propre foi "est dans la torture..."

  M.D. Je n'ai pas la foi tranquille et sereine. Je suis, selon l'expression populaire, un homme de peu de foi! La foi ne se réduit pas à un ensemble de croyances auxquelles il suffit d'adhérer. La foi, c'est d'abord cet instant mystérieux où l'on se sent soudain habité par une force fantastique. Un instant de joie pure! Avoir la foi, c'est soudain ne plus avoir peur. Un croyant connaît quelques instants de grâce de ce type dans sa vie. Mais la plupart du temps, il faut bien avouer que l'on reste dans le brouillard. Ce n'est pas si facile de discerner quelle est la volonté de Dieu. Souvent, cela est effectivement "torturant".

  B.R. Dans votre itinéraire, il y a un jour, une "rencontre" inattendue... Voulez-vous en parler?

  M.D. C'était en 1980. Je faisais un voyage en Terre Sainte avec Geneviève, ma femme. Nous venions de nous marier. Nous avons visité la vieille ville et sommes arrivés au Saint Sépulcre. Un lieu paradoxal : ce qui devrait être un espace de recueillement ressemble à une foire d'empoigne où chaque confession chrétienne tente d'attirer l'attention. J'attendais mon tour dans le brouhaha incessant. Soudain, je me suis retrouvé devant la pierre du tombeau, avec derrière moi des Portugais qui poussaient pour prendre des photos. Je me suis agenouillé une fraction de seconde, j'ai embrassé la pierre et, immédiatement, j'ai été enveloppé d'une présence. J'ai su que Jésus était là...

  B.R. Que voulez-vous dire?

  M.D. C'est difficile de mettre des mots sur ce qu'il ma été donné de vivre ce jour-là. J'ai eu soudain la certitude que Jésus entrait dans ma vie, qu'il était là, vraiment là, en moi. Avec une infinie douceur, il venait de me manifester son amour.

  B.R. Faut-il parler de "conversion"?

  M.D. Oui, je crois que c'est le bon mot. Je n'en vois pas d'autre.

  B.R. Avec le recul, vous auriez pu mettre en doute cet "événement", y décrypter l'action de votre imagination, de votre affectivité...

  M.D. Je n'ai pas un instant douté que Jésus m'avait fait signe. Cette "rencontre" est-elle pour une part le fruit de mon désir, de mon inconscient? Peut-être. Je n'en sais rien et peu importe. La vie spirituelle s'enracine dans ce que nous sommes. Cela n'enlève rien à la vérité de cet instant unique et bouleversant qui m'a transformé pour toute mon existence. C'est comme si je célébrais mes "retrouvailles" avec le Christ, comme si un ami me revenait de manière définitive.

(...)
  B.R. Un jour, dans le parc d'un monastère, vous faites une autre rencontre...

  M.D. En marchant, j'ai discuté avec un ecclésiastique dont j'ai découvert qu'il était évêque. Je me suis confié longuement, j'ai évoqué mes erreurs, mes doutes... Cet homme m'a écouté et notre échange s'est peu à peu transformé en "confession". J'ai reçu ce jour-là de cet homme le sacrement de réconciliation. Et j'ai découvert que cet acte qui, dans l'enfance, me semblait lourd et triste, pouvait être joyeux et source d'une grande paix.

  B.R. Vous évoquez votre initiation à la prière... C'est quoi, la prière?

  M.D. Je pense que c'est avant tout le silence. Faire taire en soi le bruit. Nous n'avons pas besoin de demander quoi que ce soit à Dieu : il sait ce dont nous avons besoin. Se mettre en présence de la Présence. La prière se résume à dire au Seigneur : "Que ta volonté soit faite!"  Prier, c'est aider le ciel à nous aider. La prière est un don que Dieu nous fait, n'importe où et n'importe quand. Parfois, nous sommes capables de recevoir ce cadeau...

(...)"

Bravo, l'artiste! Et merci pour ce magnifique témoignage de vie et de foi!



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