samedi 24 décembre 2022

In medio noctis

In medio noctis..., "au milieu de la nuit de Noël", alors que je me prépare à concélébrer dans la Cathédrale la solennité de Noël, à minuit, avec notre Cardinal-Archevêque Mgr De Kesel, je pense à tant et tant de personnes qui me sont chères, ou qui ont voulu se confier à moi, ou qui traversent des moments particulièrement douloureux. Jean-Marc s'en est allé la semaine dernière, brusquement, dans son sommeil, laissant Michèle son épouse et ses proches  dans un complet désarroi... Lise, la petite Lise, est née ,voici quelques semaines, comblant de joie ses parents; j'ai beaucoup revu l'ami Jacques cette année, et l'autre ami, René, a comme d'habitude été pour moi une aide précieuse - il m'a aussi confié de sérieux soucis de famille, que je garde dans mon coeur et ma prière. Et tant et tant d'autres se pressent, là, aux portes de ma mémoire et de mon action de grâce, pour l'amitié partagée, pour le chemin parcouru. Il faut tout porter devant l'Enfant, ce soir, cette nuit, pour le prier de nous restituer l'Enfance perdue, l'esprit d'Enfance qui nous fera voir le monde et, espérons-le, le servir autrement, comme il doit l'être. La générosité de Noël n'est pas, ne peut pas être, une simple philanthropie d'un moment - on est ému un soir par la détresse du monde, on se mouche et dans son mouchoir on laisse tomber quelques euros, puis c'est fini! Non. La générosité de Noël vient, et ne saurait venir, que de notre conversion à l'Enfance.

A toutes et tous qui de temps à autre lisez ce blog, heureux et saint Noël!

samedi 17 décembre 2022

Bon anniversaire, Saint Père!

 Le Pape François fête aujourd'hui 17 décembre ses 86 ans. Occasion de lui dire, à travers ce blog, la très haute estime qu'une grande majorité de catholiques a pour lui, et la reconnaissance que tous lui doivent. Pape d'une réforme nécessaire -de la curie, de la doctrine, de la discipline,... - il est bien sûr attaqué de toutes parts, et les attaques les plus pernicieuses, les plus vicieuses, viennent du coeur même de l'institution catholique. Mais il engage l'Eglise à lui confiée dans un renouveau évangélique qui était plus que nécessaire. 

Un souhait : qu'il poursuive longtemps encore son oeuvre. Il mal au genou - à son âge, c'est excusable. Mais il ne gouverne pas l'Eglise avec ce genou!

Bon anniversaire, Saint Père!

dimanche 11 décembre 2022

"C'est moi, François"

 Edith Bruck est une artiste et écrivaine juive, italienne d'origine hongroise. Née en 1931, elle a subi la déportation dans les camps nazis pendant son adolescence. En février 2021, elle a la surprise de recevoir chez elle, au centre de Rome, la visite du pape, qui s'était annoncé le plus simplement du monde au téléphone :"C'est moi, François". La Saint Père voulait une nouvelle fois demander pardon à cette femme admirable, pour les atrocités de la dernière guerre mondiale dont tant de catholiques ont été complices. De là est née une amitié que ce petit livre - un petit bijou - nous raconte avec beaucoup d'émotion. A lire, absolument, et même, faisons de la pub, à offrir pour les fêtes!


E. BRUCK, C'est moi, François, traduit de l'italien par René de Ceccatty, Paris, éditions du Sous-Sol, 2022, 126pp., 13 euros.

lundi 5 décembre 2022

Pasolini à la Cathédrale de Bruxelles

 Hier dimanche 4 décembre à 15h00, la Chapelle de la Sainte-Vierge de la Cathédrale de Bruxelles accueillait un colloque consacré à "la figure christique chez Pasolini". A l'occasion du centenaire de sa naissance, quatre spécialistes étaient conviés à évoquer chacun cet écrivain (poète, romancier) et cinéaste majeur de l'Italie contemporaine. Pierre Mertens, souffrant, avait envoyé un texte qui fut lu, dans lequel avec beaucoup de talent et d'émotion, cet écrivain belge majeur racontait ses rencontres avec Pasolini et la nécessité aujourd'hui plus pressante que jamais de tenter de comprendre l'homme et l'oeuvre. Claude Castiau, ancien doyen de la Cathédrale et passionné de culture italienne, présentait de son côté avec érudition une lecture spirituelle suggestive de l'oeuvre littéraire et cinématographique. Jacques Sojcher, professeur émérite de philosophie à l'UBL, développait pour sa part le thème du "retour à l'enfance" qui lui semble coïncider chez Pasolini avec son admiration pour le Christ. Et René de Ceccatty, traducteur et biographe français de l'auteur, proposait en finale une remarquable étude sur l'attachement que Pasolini, loin de toute emprise institutionnelle, afficha toujours pour la personne de Jésus. Des moments musicaux  (Fantaisies de Telemann, Mouvements de la Partita de Bach), interprétés par Gaëlle Claeys, devaient joliment ponctuer ces communications.

Riche après-midi, d'ouverture des coeurs et des esprits... La Cathédrale est aussi faite pour cela!

vendredi 25 novembre 2022

Textes pour le temps de l'Avent

 Ce dimanche, avec l'Eglise entière, nous entrons en Avent (concrétion du mot "avènement"), l'un des plus beaux temps de l'année liturgique - une nouvelle année liturgique, qui s'ouvre précisément avec ce temps. L'Avent, espace où s'élargit notre désir, notre capacité d'accueillir celui qui vient, qui est déjà venu, qui reviendra, qui ne cesse de venir.

Je propose ici deux textes qui pourront, chacun à sa façon, non seulement illustrer mais encore nourrir ce temps béni.

Le premier est de saint Bernard (1090-1153), dans une Homélie pour le temps de l'Avent destinée à ses frères moines :

     "Nous savons qu'il y a une triple venue du Seigneur. (...) La troisième se situe entre les deux autres. (...) Celles-ci, en effet, sont manifestes, celle-là, non. Dans sa première venue, il a paru sur la terre et il a vécu avec les hommes, lorsque - comme lui-même en témoigne - ils l'ont vu et l'ont pris en haine. Mais lors de sa dernière venue, toute chair verra le salut de notre Dieu et ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. La venue intermédiaire, elle, est cachée : les élus seuls la voient au fond d'eux-mêmes et leur âme est sauvée. Ainsi, il est venu d'abord dans la chair et la faiblesse, puis, dans l'entre-deux, il vient en esprit et en puissance; enfin, il viendra dans la gloire et la majesté. (...) Cette venue intermédiaire est vraiment comme la voie par laquelle on passe de la première à la dernière : dans la première, le Christ fut notre rédemption, dans la dernière il apparaîtra comme notre vie, et entretemps (...) il est notre repos et notre consolation. (...)"  (BERNARD de CLAIRVAUX, Hom. pour l'Avent 5, 1, éd. cistercienne, 4, 1966, p. 188.)

Le second est du Cardinal Pierre de Bérulle (1575-1629),dans un Sermon pour l'Avent :

     "Le temps de l'Avent du Seigneur (...) nous invite à rendre honneur à l'anéantissement si profond du Fils de Dieu sur la terre, en nous anéantissant nous-mêmes devant lui. Pour nous, c'est seulement en cette vie que l'anéantissement a un sens. Au contraire, le Fils de Dieu se trouve pour jamais dans un continuel état d'anéantissement. En effet son état de gloire n'est pas en lui incompatible avec cet état d'anéantissement qui lui appartient. Car aussi longtemps que Dieu existera, il en sera de même pour l'anéantissement de sa divinité unie à la nature humaine par un noeud indissociable.  C'est pourquoi nous devons demeurer dans un continuel état d'anéantissement en cette vie pour rendre honneur à l'anéantissement si profond du Fils de Dieu : qu'il veuille bien l'accomplir lui-même en nous en vertu de sa bonté." (P. de BERULLE, Oeuvres complètes. 1. Conférences et fragments, introduction et notes par M. Dupuy, Oratoire/Cerf, 1995, p. 285.)

(Où l'on voit, par la récurrence du mot "anéantissement", que l'incarnation de Dieu connote durablement sa divinité, une divinité elle aussi "anéantie" dit Bérulle. Bel écho à la théologie de la "kénose" - du vide de Dieu en Jésus, qui a tant de mal à être intégrée dans la théologie contemporaine et dont on a tant de difficultés à percevoir les conséquences...)

     Bonne méditation et joyeux temps de l'Avent!

samedi 19 novembre 2022

L'étrange royauté du Christ

 Ce dimanche liturgique proclame "le Christ Roi de l'Univers" - une solennité décrétée par le pape Pie XI, en 1925, qui voulait affirmer par là que toutes les nations devaient obéir à la royauté du Christ!

Sauf que... l'évangile entendu aujourd'hui, un passage de la Passion selon saint Luc (Lc 23, 35-43) qui raconte les derniers moments du Christ en Croix, et l'adoption par lui de celui que la Tradition va appeler "le bon larron", sauf que tout cela donne en effet une étrange image de la royauté du Christ.

Roi sans couronne - sinon la couronne d'épine.

Roi sans trône - sinon l'instrument de supplice le plus dégradant à son époque.

Oui, étrange royauté. Et pourtant royauté! Oh non pas l'une qui ferait nombre avec nos terrestres royaumes (ou républiques, comme on veut... ). Ni, encore moins, qui leur ferait de l'ombre! La royauté du Christ, comme il l'a - cette fois d'après l'évangile de Jean - déclaré devant Pilate, "n'est pas d'ici".

Pilate... C'est pourtant lui, le païen, le non Juif, le Romain de service, qui a tenu à faire proclamer devant tous et pour toutes les générations la royauté de Jésus crucifié : "Roi des Juifs", a-t-il fait écrire, et en plusieurs langues, au sommet de la Croix, comme motif de la mise à mort. La vérité, une fois encore, est venue du dehors!

Mais, tout de même, étrange roi! Il n'y a pas plus exclu, pas plus paria, qu'un condamné à la Croix. Nous sommes ici dans les marges de la société bien-pensante, bien-croyante, bien-disante. Le crucifié est un rebut. Et donc, allons jusqu'au bout de cette fête liturgique : malgré les ambitions de reconquête qui sans doute animaient Pie XI, il aura fait savoir à tous, et pour toujours, que le Royaume attendu est une société - visible seulement à la fin du temps, mais dont il nous incombe de hâter la survenue  - où c'est le paria, le rejeté, l'exclu, qui est Roi.

Voilà comment, et pourquoi, le Christ est Roi.

jeudi 17 novembre 2022

La mort de Proust

 Il y a cent ans, le 18 novembre 1922, mourait à Paris Marcel Proust, âgé seulement de cinquante et un ans. Il aura été l'un des plus grands écrivains du XXème siècle, et probablement le plus grand.

Lire Proust, s'enfoncer avec lui dans "La Recherche du Temps Perdu" (titre générique de son Oeuvre), c'est vivre une aventure exceptionnelle. En tournant autour de ses souvenirs, l'écrivain ne souhaite pas tellement  brosser une fresque de la vie mondaine du début du Grand Siècle parisien;  il invite plutôt son lecteur à se plonger avec lui dans l'investigation de sa mémoire, à récupérer avec lui la vie qui s'enfuit si vite de chacun de nous. Le style - des phrases interminables qui tournent et tournent autour de leur sujet - font comme une longue liane que l'on agrippe, pour descendre, grâce à ce travail littéraire, dans les profondeurs du soi.

Heureusement qu'il y a Proust... heureusement qu'il y a l'écriture de Proust, et l'infatigable expérience qu'il nous invite à partager.

dimanche 13 novembre 2022

Deux visages de la religion...

 Cette semaine, les médias nous donnent à voir deux visages bien contrastés de la religion. L'une tient à l'institution - longue litanie des évêques et des prêtres coupables de faits de moeurs répréhensibles, et/ou de non dénonciation de ces faits. C'est en France, c'était en Belgique il y a dix ans : à l'arrivée, même sentiment de nausée devant une institution qui, comme toutes les institutions du reste, a d'abord cherché, cherche peut-être encore trop, à se protéger, sans penser aux victimes ainsi délaissées. Honte, honte nécessaire...

De l'autre, l'annonce de la sortie du film "Reste un peu", de l'humoriste Gad Elmaleh, qui raconte là son coup de foudre pour la religion chrétienne (il est juif d'origine), avec humour, avec tendresse, avec respect pour tout le monde. Ses prestations télévisuelles pour la promotion de son film sont comme un souffle bienfaisant, une fraîcheur délicate.

La religion peut produire le pire et le meilleur. Si l'on se mettait enfin à éviter le pire, pour promouvoir le meilleur! 

dimanche 6 novembre 2022

Ressusciter

 L'évangile de ce jour, en saint Luc, nous montre Jésus en dialogue et en opposition avec les Sadducéens - rétifs, eux, à la foi en la résurrection. Notre époque aussi, et nos contrées, sont pareillement réticentes à envisager cette perspective - l'ici-bas serait notre seul horizon de vie, après la mort il n'y aurait plus rien. Beaucoup de nos contemporains partagent cette conviction matérialiste.

Pourtant, il y a en chaque être humain une aspiration à l'éternité - Pascal, dans ses Pensées, notait : "L'homme passe infiniment l'homme"... Les chrétiens s'appuient sur l'enseignement du Christ, tel qu'il nous est rapporté aujourd'hui : leur vie, croient-ils, sera à la fois continuée et transfigurée dans un au-delà qui n'est pas simple survie, mais épanouissement complet de leur être. Et ils s'appuient aussi, et surtout, sur le coeur de leur foi : Jésus qui est mort réellement est aussi réellement ressuscité, vivant d'une vie inédite qui n'est pas la reprise de son existence terrestre, mais une vie nouvelle, la Vie avec un "V" majuscule.

Lorsque le Symbole de Nicée-Constantinople, le plus long de nos Symboles de foi, évoque cette réalité, il change de verbe. On ne dit plus "Credo", on dit "Et exspecto" : notre manière de croire à la vie éternelle consiste à l'attendre avec persévérance, avec enthousiasme. Nous vivons tendus vers elle, c'est elle qui motive nos choix et nos engagements présents dans l'ici-bas. Cette manière d'y croire porte un nom : c'est l'espérance!

samedi 22 octobre 2022

Laurent Voulzy à la Cathédrale

 Jeudi soir et hier soir, Laurent Voulzy se produisait dans la Cathédrale de Bruxelles - c'était une étape dans sa "tournée des cathédrales", lieux qu'il affectionne particulièrement. Ah! Il attire du monde : comble les deux soirs! Et je dois dire que cela vaut la peine, en effet. Il y a de l'initiation, dans ce qu'il raconte, ce qu'il joue et ce qu'il chante (premier titre : "Derrière tout ça, il y a quelque chose..."), une initiation respectueuse du mystère et du lieu. Il y a de la tendresse, aussi, beaucoup - et comme nous en avons besoin. Je voyais de jeunes couples qui jubilaient, se ressourçaient littéralement en buvant ses paroles, en  fredonnant ses textes. Il y au talent, beaucoup, dans ce jeune homme de septante-trois ans qui nous partage ses rêves et ses espoirs.

De très, très beaux moments... dignes de la Cathédrale!

mardi 11 octobre 2022

Vatican II

Aujourd'hui 11 octobre 2022, nous célébrons le soixantième anniversaire de l'ouverture, par le saint pape Jean XXIII, du deuxième Concile du Vatican (Vatican II). C'est également la date retenue pour fêter le même saint Jean XXIII.

Anniversaire important : loin de favoriser le "déclin" de l'Eglise catholique, comme le pensent et le prônent un certain nombre de grincheux, Vatican II a été un Concile pastoral (il n'y a pas de condamnation doctrinale dans ses textes) d'ouverture : ouverture au monde (Gaudium et spes), ouverture des ministères et des charismes de l'Eglise les uns aux autres (Lumen Gentium), ouverture au primat de la conscience morale personnelle (Gaudium et spes, encore), ouverture oecuménique et interreligieuse, reconnaissance de la liberté religieuse (Dignitatis humanae), etc. 

Il faut, dit-on, des décennies pour que les enseignements d'un Concile soient reçus et appliqués - le travail est toujours en cours, et il connaît bien des résistances. Mais nous croyons que c'est l'Esprit Saint qui a guidé les travaux des Pères, et au final... rien ne résiste à l'Esprit!

dimanche 9 octobre 2022

Tous guéris, un seul sauvé...

 L'évangile proclamé aujourd'hui, l'épisode lucanien de la guérison des dix lépreux (Lc 17, 11-19), nous rapporte comment Jésus exauce la demande de ces malades en faisant, si j'ose dire, confiance à leur foi : qu'ils aillent se montrer aux prêtres, comme si déjà ils étaient guéris! Ce qu'ils font, et la guérison leur advient tandis qu'ils sont en chemin. Cette histoire est celle de notre salut : celui-ci suppose que nous nous sachions et reconnaissions malades, que nous offrions les lèpres de nos coeurs au doux toucher et à la guérison que peut apporter le "vrai médecin des âmes et des corps". 

Mais seul un des dix lépreux - un samaritain, autant dire un étranger - revient pour rendre grâce à Dieu et se prosterner aux pieds de Jésus. Celui-ci s'en étonne, on le dirait même attristé : "Tous les dix n'ont-ils pas été guéris?  Les neuf autres, où sont-ils?" La guérison n'est pas encore le salut, tant qu'elle ne s'accompagne pas de ce retour dans l'action de grâce - dans l'eucharistie qui est au coeur de la vie chrétienne.

Les dix ont été guéris. Mais un seul a été sauvé...

dimanche 2 octobre 2022

Le Mystère de la Cathédrale

 Je rentre de la Cathédrale où, comme souvent le dimanche, j'ai passé deux bonnes heures à accueillir les touristes qui se pressent par centaines dans l'édifice. Bien sûr, on repère vite les intérêts archéologiques ou historiques des uns et des autres, mais il y a autre chose.

Il y a un mystère de la Cathédrale, comme sans doute des églises anciennes de nos pays. Pourquoi les gens y viennent-ils rôder en si grand nombre? Ils tournent et retournent, prennent des photos, font brûler des cierges, certains s'arrêtent et s'assoient, restent de longs moments silencieux... On les dirait tous attirés par quelque chose qui est là, qu'il est bien difficile de nommer, et qui est fascinant. Quelque chose dont chaque être humain a besoin, que tout le monde recherche, même confusément.

Je crois que ce quelque chose, c'est l'amour de Dieu. Un amour infini, infiniment miséricordieux, compatissant, bouleversant, toujours offert, plus grand que tout. Un amour qui attire et qui touche, qui atteint le coeur.

La Cathédrale, comme d'autres églises vénérables et magnifiques, offre à tout le monde un inestimable trésor, plus nécessaire que les objets ou les tableaux exposés, plus subtil que la musique entendue. C'est le trésor de l'amour.

mercredi 21 septembre 2022

Miserando atque eligendo

 Miserando atque eligendo, telle est la devise épiscopale du pape François. Elle est tirée d'une homélie de saint Bède le vénérable, moine anglo-saxon des VIIe et VIIIe siècles, homélie qui commente l'évangile de Matthieu et, en particulier, l'épisode de l'appel du publicain Matthieu (Mt 9, 9-13), épisode proclamé aujourd'hui dans la liturgie de la fête de l'évangéliste. Le texte de Bède commente ainsi l'épisode : Vidit publicanum et, quia miserando atque eligendo vidit, ait illi : Sequere me (Hom. 21, CCL, 122, 149). On peut traduire comme ceci : "Il (Jésus) vit le publicain et, parce qu'il le vit en faisant miséricorde et même en le choisissant, il lui dit :Suis-moi."

Le Caravage a merveilleusement peint cette scène dans un tableau célèbre qui se trouve en l'église Saint-Louis-des-Français, à Rome : par le jeu subtil du clair-obscur, il montre comment Jésus atteint le coeur de Matthieu, jusque là tout affairé à son trafic de publicain (collecteur d'impôts au service de l'occupant, et donc grave pécheur public!) Matthieu pose, tout surpris, son index sur sa poitrine, éberlué de ce qu'un pécheur comme lui puisse être appelé à devenir disciple et même apôtre. Pourtant, c'est en même temps la dynamique de l'appel et le contenu de la prédication qui sont ainsi désignés et soulignés par Bède : c'est en lui manifestant sa miséricorde que Jésus le choisit et l'invite à témoigner de ce que nous sommes tous choisis par miséricorde, qui suppose la reconnaissance de notre péché, certes, mais surtout son dépassement. Matthieu comme disciple et apôtre n'aura rien d'autre à annoncer que ce qu'il vient d'expérimenter dans l'appel qu'il a reçu : tous les êtres humains sont appelés à partir non pas de leurs qualités ou de leurs vertus, mais à partir de leurs manques, de leur petitesse, du gouffre de leur péché.




dimanche 11 septembre 2022

Hector et la triple parabole de Luc

 Aujourd'hui nous lisions en saint Luc l'intégralité du chapitre quinze, un chapitre qui n'a pas de parallèle dans les autres évangiles et qui a certainement contribué à l'appellation d' "évangéliste de la miséricorde" que l'on octroie volontiers à Luc. Triple parabole : de la brebis perdue et retrouvée; de la pièce de monnaie perdue et retrouvée; du fils perdu et retrouvé.

J'ai relu dans la Correspondance croisée que nous avons publiée il y a longtemps, ce commentaire que le regretté Hector Bianciotti fait à ces versets, dans une lettre qu'il m'adresse datée du 6 septembre 1992 - il y a déjà trente ans! Voici :

"J'ai relu Luc - dont je me méfiais parce que trop 'artiste'..., la triple parabole. Si celle de la drachme ne me paraît pas claire - mise là pour satisfaire au rythme du récit -, celle du fils prodigue est merveilleuse : c'est bien là la charité paradoxale du Christ! Celle de la brebis... Au moins une fois par jour, je crois, tout homme se sent une brebis perdue; et j'aime à croire que, ne serait-ce qu'une fois dans sa vie, chacun est, aussi, celui qui en retrouve une et qui, réjoui, la prend sur ses épaules." (H. BIANCIOTTI de l'Académie française - B. LOBET, Lettres à un ami prêtre 1989-1994, Paris, Gallimard, 2006, pp. 100-101.)

dimanche 4 septembre 2022

Maud et Anatole

 Ce week-end, cap sur la Picardie où j'étais convié à bénir le mariage de Maud et Anatole. Maud! Momo! Quel bonheur, toi que j'ai connue gamine, de te voir épanouie dans la voie conjugale. Il aura fallu traverser des épreuves - dont la mort, devenue si féconde, de ton grand frère Simon. Mais avec quel sérieux les surfeurs que vous êtes ont préparé cet événement! On aurait pu croire que, surfeurs justement, vous vous contentiez de glisser sur les préparatifs spirituels du mariage. Mais non : vous avez plongé dans les profondeurs!

Je ne laisserai jamais dire que la jeunesse est indifférente. Elle peut l'être, bien sûr, mais elle est aussi tellement avide d'engagement. Ce matin, après une courte (!) nuit, dans la prairie, messe du dimanche, et réponse à l'invitation de Jésus de "prendre sa croix pour le suivre." Oh nous n'avons pas déchanté : la fête d'hier ne nous enthousiasmait pas au point de nous faire oublier la route quotidienne, qu'il faut emprunter en effet en embrassant sa croix - ce n'est jamais une croix glorieuse, c'est la fatigue un peu honteuse des jours, c'est la contradiction de la vie. Qu'il ne faut jamais nier, mais, précisément, embrasser.

Alors, on repart!

jeudi 25 août 2022

La vie humaine est-elle sacrée?

 Etrangement, fortuitement, de plusieurs côtés me revient la question de la "moralité" de l'euthanasie demandée par des patients en fin de vie. Je ne voudrais pas trop vite juger de cette "moralité", à coup de principes par exemple.

Mais la question fait réfléchir à un état de notre société, que l'on pourrait qualifier de "post-chrétien", et qui la reconduit à du "pré-chrétien". A la question de l'euthanasie s'ajoute celle, connexe, de la possibilité revendiquée par certains aujourd'hui de solliciter un "suicide assisté", lorsque la vie humaine, devenue trop longue ou trop ennuyeuse, sans même qu'il y ait de maladie invalidante, n'a plus guère de sens. On pourrait aussi ajouter l'émergence d'un "droit à l'avortement" que nos sociétés jusque là ignoraient, mais qui semble s'imposer - alors que dans les législations, on parle "seulement" d'une dépénalisation de l'avortement, selon certaines conditions. L'acte serait tout entier un droit des femmes, comme serait un droit celui de "mourir dans la dignité", étant entendu que cette dignité consiste à jouir de toutes ses facultés physiques, psychiques et intellectuelles.

Retour, donc, à du "pré-chrétien" car, lorsqu'on retire la couverture culturelle chrétienne de nos civilisations, ce n'est pas de l'athéisme que l'on trouve, mais du paganisme, avec sa multiplicité de dieux, de cultes, de religions, et de courants philosophiques - parmi lesquels le stoïcisme, qui a donné de grands exemples de suicides personnels ou en couple, exactement pour les motifs invoqués aujourd'hui.

Fascination de la mort? Non, rendons au stoïcisme et à l'épicurisme cette justice : goût de la vie pleinement vécue en tous ses instants, et abandonnée quand on juge qu'elle ne vaut plus la peine, ou qu'elle ne vaut pas, ou qu'elle n'a jamais voulu, la peine. C'est subordonner l'acte de vivre à un jugement personnel et parfaitement subjectif, mais tout à fait honorable.

Le christianisme, évidemment, avait tranché là-dedans par d'autres points de vue, hérités d'autres raisons et d'une Révélation qui lui faisaient dire que la vie est sacrée, toujours, de ses plus petits balbutiements à ses derniers moments, que tout a du prix, même quand plus rien ne semble en avoir, que tout est précieux, même les instants méconnus et fourbus de l'agonie ou de l'ennui. C'était là - cela reste? - une vision bien noble de l'être humain, de sa grandeur en tous les instants de sa vie, même lorsque cette vie est handicapée par la souffrance ou la solitude, expériences qui peuvent aussi, dans la perspective de la foi chrétienne, trouver du sens et en donner.

Je ne veux pas ici juger. J'essaie de comprendre les mutations que nous vivons, sous nos yeux, et je me demande comment nous ferons pour rester chrétiens dans une société qui traverse pareils bouleversements. Il y faudra beaucoup d'écoute, d'empathie, de sympathie. Et beaucoup d'amour...

lundi 15 août 2022

Marie, ou la gloire des humbles

 Au coeur du mois d'août, la liturgie nous offre l'une de ses plus belles solennités : celle de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie. En elle, la mort s'est transfigurée en sommeil (nos frères d'Orient parlent de la "Dormition" de la Vierge), en elle la mort n'a été qu'un doux passage vers la gloire de Dieu. En elle, Dieu restaurait la destinée première promise à l'humanité, sa destinée d'avant la chute d'Adam  ( entendons cet "avant" non du point de vue chronologique, mais ontologique.) En elle, point de péché - elle ne sait pas ce que c'est que le péché!

Si Dieu a restauré ainsi en Marie la gloire promise à l'humanité, c'est qu'il a regardé l'humilité de sa servante. Ce qu'il a vu en Marie, c'est le coeur et les mains vides, disponibles à l'accueil de la grâce. En elle, pas de volonté de puissance, pas de confiance mise dans les richesses éphémères, mais seulement la faim de Dieu. Marie elle-même le chante dans son Cantique, lu aujourd'hui : "Il renverse les puissants de leurs trônes, il élèves les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides..."

Pour partager la gloire de Dieu avec Marie, il faut donc demander l'humilité, la pauvreté du coeur, le consentement à la faiblesse. Il faut être désencombré de tout, et d'abord de soi. Travail d'une vie entière!

dimanche 17 juillet 2022

"Apprends-nous à prier..."

 Heureuse rencontre, cet après-midi, tandis que j'étais "de permanence" à la Cathédrale, pour accueillir les personnes, nombreuses, qui lui rendent visite en ce dimanche après-midi. Un jeune homme, canadien (et, d'après son accent, de la "belle province") vient vers moi et me dit : "Je visite les églises et j'aimerais prier. Mais je ne sais pas comment on fait. Quand j'étais petit, ma grand-mère m'a parfois emmené dans des églises et là, peut-être j'ai prié. Mais j'ai oublié. Comment fait-on pour prier?" J'ai d'abord été, je dois le dire, ému par la demande, par la simplicité de la demande - j'y entendais un écho de la requête des disciples à Jésus : "Apprends-nous à prier..."

Sauf que... je ne suis pas Jésus. Comment répondre d'un mot à une question qui fait si souvent et depuis si longtemps mon propre tourment, moi qui me redis tous les jours, en me mettant en prière, que je ne sais pas prier, ou du moins, pour reprendre les mots de saint Paul, "pas prier comme il faut"! Que devais-je dire à ce jeune homme?

Je lui ai conseillé ceci : "Va plus loin, dans la chapelle où tu seras bien tranquille. Assieds-toi et fais la paix en toi, autant que tu le peux. Et demande à Dieu de venir te visiter. Il répond toujours oui à pareille demande. Et tu verras bien ce qui se passe..."

J'ai recroisé ce jeune homme qui sortait et qui est revenu vers moi : "Une grande paix, beaucoup de joie", m'a-t-il dit. Grâce insigne des (re)commencements! Il est pour une semaine en visite à Bruxelles, je lui ai conseillé de venir ici ou dans une autre église se recueillir chaque jour pendant un quart d'heure. Il m'a dit que rien désormais ne pourrait l'en empêcher, "pour poursuivre l'expérience"!

On transmet vraiment, comme dit Bernanos, ce qu'on ne possède pas soi-même!

lundi 11 juillet 2022

Saint Benoît

 On fête aujourd'hui dans l'Eglise saint Benoît de Nursie (480 env. - 547), patriarche des moines d'Occident et "patron de l'Europe". Je lui dédie ce petit article non parce qu'il est ... mon saint patron, mais surtout par égard pour les milliers de moines que sa Règle a formés à la vie chrétienne. Règle admirable, d'un grand équilibre humain et spirituel, capable de conduire hommes et femmes à vivre en communauté (en "cénobites").

J'ai une dette énorme envers les moines, bénédictins ou cisterciens, qui vivent au quotidien la Règle de saint Benoît. Pendant ces trente-huit années de prêtrise, et même avant, j'ai souvent eu l'occasion de me retrouver chez eux pour y suivre des retraites, pour m'y reposer ou pour y prêcher moi-même des retraites et y assurer des enseignements. Toujours j'ai été fasciné par la simplicité de la voie monastique, par la fraternité qu'elle permet, par la qualité de vie qu'elle propose. Entre la prière, le travail et le repos, moines et moniales peuvent trouver un épanouissement personnel remarquable. 

Nous avons besoin d'eux dans l'Eglise! Ils nous rappellent que la vie évangélique conduit à la pacification intérieure. Aujourd'hui, je leur souhaite une belle fête!

samedi 2 juillet 2022

L'Ommegang...


 Pour la première fois, j'ai participé hier comme curé du Sablon à l'Ommegang, cette reconstitution historique qui rappelle, avec force costumes et folklore, l'entrée de Charles Quint et de son fils le futur Philippe II dans la bonne ville de Bruxelles. Je dois dire tout de suite combien je suis "client" de ce genre de manifestation : les nombreux figurants qui se prêtent au jeu le font dans un esprit de convivialité et de liesse, avec la conviction d'accomplir une tâche nécessaire.

C'est là que j'essaie de comprendre : un peu partout dans notre pays, on voit s'organiser de semblables fêtes, songeons au Doudou à Mons, à la Saint-Vincent de Soignies, aux marches de l'Entre-Sambre-et-Meuse et, bien sûr, à la Procession de la Saint-Jean si chère au coeur des Enghiennois. Toujours, il y a une dimension religieuse : hier, par exemple, j'ai accueilli... Charles Quint et son fils dans l'église du Sablon, première étape de leur joyeuse entrée bruxelloise, et  nous avons prié ensemble. Pourquoi nos contemporains ont-ils besoin de ces reconstitutions, de ces processions? Sans aucun doute, pour retrouver des racines, une histoire, dont ils se savent pétris et dont ils ne veulent pas perdre trace. Nous ne venons pas de nulle part, notre passé nous constitue et tout ce qui peut contribuer à nous le rappeler est le bienvenu.

Et, de ce passé, la religion chrétienne est chez nous un élément essentiel. Nous sommes aussi faits de la foi de nos ancêtres, même si elle n'est plus partagée ou confessée comme eux le firent. Je respecte infiniment cette manière de le rappeler, et même de le faire vivre. Hier, dans le choeur de l'église du Sablon, Charles Quint, son fils et ses gardes étaient certes des figurants, mais le curé était vrai (espérons-le!) et la prière, authentique. C'est immense...

dimanche 19 juin 2022

Un peu de pain...

 La solennité du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, autrefois appelée "Fête-Dieu", qui est célébrée aujourd'hui, nous reconduit à admirer l'oeuvre de la grâce. Ce qui porte le Corps du Christ, c'est "un peu" de pain, "un peu" de vin - jamais assez pour que l'on soit repus. C'est de la même façon que Jésus avait nourri les foules avec seulement cinq pains et deux poissons, comme le rapporte l'évangile proclamé aujourd'hui. La pauvreté des moyens indique, paradoxalement, la grandeur du don, qui n'est pas proportionnée aux mérites ou aux vertus préalablement accumulées - elle est, pour continuer dans les mêmes termes, toujours imméritée.

Au coeur de la vie chrétienne, il y a ce sacrement du "devenir" chrétien -  l'eucharistie ne fait pas de nous des gens repus, qui auraient enfin tout mangé de Dieu. Elle relance au contraire notre désir, ce seul vrai grand désir niché au coeur de l'humain : le désir de Dieu. Elle le relance par le manque récurrent... Car la grâce qui comble creuse, aussi, pour que nous restions toujours des vivants, des désirants!

lundi 30 mai 2022

La vie culturelle à la Cathédrale de Bruxelles

 La Cathédrale des Saints Michel-et-Gudule, dont j'ai reçu la charge voici bientôt deux ans, est un édifice évidemment d'abord voué au culte catholique. Elle est le lieu où se trouve la "cathèdre", c'est-à-dire, le siège de l'évêque - en l'occurrence, de notre archevêque le Cardinal Jozef De Kezel. C'est là que les grandes célébrations liturgiques sont organisées, comme les grandes solennités de Noël et de Pâques, les confirmations et les ordinations des diacres, des prêtres ou des évêques. Et puis, bien entendu, les célébrations dominicales et quotidiennes de l'Eucharistie et de la réconciliation sacramentelle (confession), avec l'accueil d'une assemblée très diversifiée dans ses provenances et ses aspirations. Oui, nous sommes d'abord une église, qui accueille les assemblées d'Eglise et les personnes qui, touristes d'un moment ou curieux plus fidèles, viennent voir à quoi ressemble l'Eglise aujourd'hui. Et à tous, nous essayons, pasteurs, confesseurs, personnel, d'offrir un visage souriant. Tout le monde est le bienvenu, c'est "la maison du Bon Dieu!"

Evidemment, cette Cathédrale millénaire a aussi une vocation culturelle. Touristique, d'abord : qui la visite remonte les siècles et se plonge dans l'histoire de Bruxelles depuis environ l'an mille. Qu'il s'agisse d'étudier les divers styles architecturaux  - soubassements romans ou élévations plus tardives, d'admirer les vitraux, dont les plus anciens du XVIème siècle, de contempler le récit biblique raconté par la chaire de vérité de la fin du XVIIème siècle, nous voici plongés dans notre culture. Et dans de la musique : ce que nous rappellent les orgues récentes, et les magnifiques concerts si souvent donnés par les musiciens de multiples origines que nous recommandent nos organistes titulaires Xavier Deprez et Bart Jacob, qui sont, laissez-les rougir, parmi les meilleurs organistes contemporains dans le monde. Comme toujours, c'est à Bruxelles qu'on ne le sait pas, ou du moins pas assez!

Mais il y a davantage, un davantage que je voudrais mettre en relief : la Cathédrale, sise au milieu de la Ville, précisément entre la basse et haute Ville, au mitan de routes qui s'entrecroisent du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, est un carrefour. Un carrefour, c'est un lieu de rencontres, géographiques certes, mais aussi convictionnelles, comme on dit aujourd'hui, non pas que l'on veuille s'y convaincre d'épouser des idées que l'on n'a pas, mais au contraire, parce qu'on veut confronter ces idées dans un débat où personne n'aura jamais raison de personne - le dialogue est infini, et quand il semble fini, il faut alors le reprendre à l'envers. La Cathédrale est un lieu de dialogue infini!

C'est pourquoi j'ai voulu ajouter aux concerts et aux expositions de peinture (comme la remarquable "Dieu Miséricorde" qui vient de s'achever, avec les oeuvres de Michel Pochet), des conférences sur des sujets de société (sur l'état pitoyable de la vie carcérale en Belgique, qui fut le sujet de nos conférences de Carême). C'est pourquoi, avec un petit groupe de complices, nous méditons un moment de réflexion sur l'oeuvre tourmentée et tourmentante du grand cinéaste et écrivain italien Pasolini, dont on fête en 2022 le centenaire de la naissance. Son attachement au Christ, à la figure du Christ, a en effet de quoi interroger croyants et incroyants, lui qui était si méfiant des institutions de toutes sortes.  On verra ce qu'on en dira. Et puis, c'est pourquoi un nouveau projet voit sans doute le jour : mon ami Jacques Sojcher, professeur émérite de philosophie à l'ULB, vient d'écrire une petite pièce de théâtre qu'il intitule jusqu'à présent "Tsim Tsoum", et qui me en scène un double de lui-même et... Dieu. Jacques est athée, mais un athée qui s'adresse à Dieu et qui le fait parler, cela me semble avoir sa place dans une Cathédrale comme la nôtre dont je répète qu'elle est par vocation un carrefour d'idées, d'échanges, de paroles.

On verra! Soutenez-nous aussi par vos commentaires et vos propositions!

dimanche 22 mai 2022

Du précepte à la présence

 Les lectures de ce sixième dimanche de Pâques (année C) nous racontent d'abord, dans le Livre des Actes des Apôtres, les difficultés rencontrées par la première Eglise lors de sa diffusion dans le bassin méditerranéen - en particulier, à Antioche. Question : les païens qui devenaient chrétiens devaient-ils "passer par la Torah", par l'observance des préceptes du judaïsme, pour être de vrais chrétiens? La réponse fut nette : non. Dès ses origines, le christianisme se détournait ainsi d'une religion du précepte, de l'observance - et il est vrai que jamais l'observance ne mérite l'amour.

Mais alors, de quoi est-elle faite, cette religion chrétienne? L'évangile de Jean, également lu aujourd'hui, nous le dit : de présence. "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, mon  Père l'aimera, nous ferons chez lui notre demeure. Et il recevra le Défenseur, l'Esprit de vérité, qui le fera grandir encore dans la foi." Tout est donc affaire de présence et d'intériorité. Etre chrétien, c'est être présent à la Présence de celui qui ne veut rien d'autre qu'habiter au plus intime du coeur humain - Dieu lui-même. 

Nous voilà en effet loin d'un catalogue de prescriptions à observer l'une après l'autre, pour être en règle, mais une règle qui risque toujours de rester extérieure et incapable de conduire à la conversion. Nous voilà invités à accueillir une Présence amicale, aimante, attirante, qui veut élever en elle notre humanité. C'est décidément un autre programme...

vendredi 13 mai 2022

"On n'va né à messe pou' l'curé"

 De mon père, paysan hennuyer qui avait dans sa vie vu passer bien des drames - dont cinq années de captivité en Allemagne entre 1940 et 1945 - me reviennent souvent des formules de sagesse, qui me semblent intemporelles et tellement justes que je peux les appliquer à ce que je vis, ici, à Bruxelles. Ainsi, ce précepte : "On n'va né à messe pou' l'curé", entendez, traduit du wallon : "On ne va pas à la messe pour le curé!" Si on allait à la messe "pour le curé", on irait à la messe comme on va au théâtre, préférant tel acteur à tel autre, telle mise en scène à telle autre, etc. Mais la messe n'est pas un spectacle, elle est une liturgie et tous les participants - à commencer par le premier d'entre eux, le peuple de Dieu assemblé - sont en quelque sorte pris et enveloppés dans une action qui les dépasse. 

Je dis ceci d'autant plus volontiers qu'il m'arrive souvent d'être "félicité" pour "mes" messes, comme si j'avais bien rempli mon rôle. Chacun fait ce qu'il peut, certes, mais je trouve qu'il ne faut pas ainsi applaudir les intervenants d'une liturgie. Les prêtres sont interchangeables, leur personnalité compte finalement peu, c'est leur ordination qui est un sacrement de la présence du Christ Pasteur. Et ici, à Bruxelles-Centre, nous bénéficions du concours amical et actif de prêtres de toutes sortes d'origine - comme est multiple, aussi, dans sa diversité culturelle, l'origine des fidèles. Je remercie mes confrères, du Congo, du Liban, de la Pologne, d'Amérique du Sud, d'ailleurs encore, d'apporter leur participation à l'évangélisation de cette Capitale ouverte à tous les vents. Chacun apporte avec lui son héritage et  sa sensibilité - et de là vient la richesse de notre foi!

samedi 7 mai 2022

Des larmes, encore, à la Cathédrale...

 Quelques ennuis de santé m'ayant tenu éloigné de ce blog, je le reprends au quatrième dimanche de Pâques! L'exposition  "Les larmes de Dieu" a été clôturée de jolie façon dimanche dernier, en présence de  l'artiste Michel Pochet, par une rencontre amicale dans la Chapelle de la Vierge. Et, hier, l'exposition était démontée...

Pourtant... Hier après-midi, j'ai été appelé - comme c'est régulièrement le cas - à bénir des objets de piété achetés au magasin de la Cathédrale. M'attendaient là un papa et une maman accompagnés de leur grand fils polyhandicapé, en fauteuil. On lui avait acheté un bracelet orné d'images pieuses "pour le protéger". La maman a raconté l'histoire de ce grand fils qu'une série d'erreurs médicales a, semble-t-il, mis dans cet état difficile. Elle s'est, comme elle le disait elle-même, "autorisée à montrer ses émotions", et les larmes ont coulé avec abondance - il y avait un trop-plein, et depuis trop longtemps. 

J'étais là, j'écoutais, la main posée sur l'épaule de ce grand jeune homme perdu. Il m'a semblé que c'était un moment de prière et qu'en entendant ce récit, Dieu n'avait pas fini de pleurer - mais avec des larmes de guérison - dans notre Cathédrale.

samedi 9 avril 2022

La passion de Dieu

 Ce dimanche, Dimanche "des rameaux et de la Passion", et vendredi prochain, Vendredi Saint, nous lirons le récit de la Passion de Jésus, en saint Luc et en saint Jean. 

Passion... Terme qui, en français, revêt plusieurs significations : un intérêt exclusif et presqu'obsessionnel pour un art, un métier, un hobby, un sport - on dira ainsi de quelqu'un qu'il ou elle a "la passion du cinéma", "la passion des vieux livres", etc. Mais c'est aussi un mot du vocabulaire amoureux : les amoureux vivent leur passion jusqu'à une certaine folie, jusqu'à ne plus voir le monde et la vie que par et pour l'être aimé "passionnément".

Enfin, il y a la connotation religieuse liée au terme de "Passion" appliqué au Christ : la Passion du Christ, c'est sa souffrance, le procès bâclé et le jugement inique, les moqueries et les tortures, la sentence et son exécution sordide un jour d'avril, à Jérusalem, il y a environ deux mille ans - ce qui  resterait un fait hélas banal de l'histoire humaine, si d'aucuns n'avaient cru et témoigné que cette Passion fut suivie par la Résurrection du même Jésus, devenu pour eux Christ et Seigneur.

Ces significations se cumulent dans ce que les chrétiens sont appelés, cette semaine, à contempler : à travers l'histoire dramatique de Jésus, ils pensent que c'est Dieu qui est présent. C'est Dieu qui subit un procès inique et bâclé, injuste et injustifié. C'est Dieu qui est mis en croix. C'est Dieu, le Dieu immortel qui - ô paradoxe - est atteint par la mort humaine. Et volontairement : il aurait pu rencontrer autrement l'humanité, d'une façon plus magique ou plus éclatante, mais il a voulu être atteint par les barbaries humaines, par la condition humaine en ce qu'elle a de plus misérable. C'est parce qu'il aime l'humanité, qu'il est en "passionné", qu'il a voulu librement cette crucifixion de tout lui-même. C'est parce qu'il n'a rien d'autre en tête que l'humanité même des êtres humains...

Et voilà qui en dit long sur l'identité du Dieu des chrétiens : ni super-puissance genre Goldorak ou assimilé, ni Juge extérieur et impitoyable. Mais puissant, oui, par l'amour qui le fait ainsi embrasser l'humanité et en devenir le seul Juge désormais possible.

La Semaine Sainte et la méditation de la Passion qu'elle propose constituent probablement le moment le plus dramatique et le plus véritable de la rencontre avec celui que nous osons appeler "Dieu". Car toutes les images spontanées que nous formons de lui - autant d'idoles - se brisent, ne peuvent que se briser, au pied de la Croix!

jeudi 31 mars 2022

Le pape et les pauvres

 On vient de m'envoyer un magnifique petit livre, un bijou : le dialogue tout simple entre le pape François et un certain nombre de pauvres qui galèrent dans les rues du monde et que l'association "Lazare" a regroupés. C'est un échange franc,  direct, d'égal à égal, aussi bien sur la vie quotidienne du pape que sur celle de ses interlocuteurs. C'est un témoignage sur la révolte de ces jeunes gens devant les inégalités et les injustices, une révolte partagée par François. C'est aussi une présentation simple de la foi chrétienne dans ses racines spirituelles.

Courez vous procurer ce texte dont voici les références : Pape François, Des pauvres au pape. Du pape au monde. Dialogue.  Entretiens coordonnés par Sibylle de Malet, Pierre Durieux et Loïc Luisetto, traduction de l'espagnol par Pierre Antoine Fabre,  Paris, Seuil, 2022, 115pp.

mercredi 30 mars 2022

"J'étais en prison et vous m'avez visité..."

 Eric Venot-Eiffel, prêtre du diocèse de Paris, a été pendant huit ans aumônier au Centre Pénitentiaire de Caen (Calvados). Il a consigné cette expérience pastorale dans un beau livre de témoignage intitulé  Derrière les Hauts Murs (Mediaspaul, 2021) et, hier mardi 29 mars, il est venu conclure notre cycle de conférences de Carême à la Cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule, cycle consacré à la situation carcérale dans nos pays, en nous présentant cette expérience.

Beau moment, rempli d'émotion. Avec des mots simples et justes, Eric nous a dit comment le silence et l'écoute, le respect aussi et surtout, lui ont permis de laisser la Vie reprendre au moins un petit peu là où la prison, sanctionnant des fautes parfois gravissimes, l'avait presque complètement éteinte. Long chemin que celui du pardon - d'abord et surtout du pardon que le puni doit apprendre à s'accorder à lui-même! Car l'enfermement dans les "hauts murs" risque toujours d'être un mal destructeur de toute humanité, en enfermant à jamais des êtres humains en eux-mêmes.

Long travail, qui peu à peu permet au Christ et à nul autre de désentraver ainsi des hommes liés, lent et patient travail de libération, que la présence pastorale rend possible dans ces lieux terribles, ces lieux désespérants...

Il me semble que notre regard sur la prison et les prisonniers, après ces trois conférences, a radicalement changé!

mercredi 23 mars 2022

Pourquoi la prison?

C'est le titre que Me Bruno Dayez avait choisi pour la deuxième conférence du Carême, à la Cathédrale: à quoi sert la prison? Au départ, rappelle-t-il, pour les rédacteurs du Code pénal au XIXème siècle, elle est une entreprise humaniste (eh oui!) visant à adoucir les peines infligées aux prévenus reconnus coupables - un substitut à la peine capitale, par exemple, que l'on réserve alors aux crimes jugés gravissimes. La prison est censée punir les coupables, mais aussi les amener à "résipiscence"; elle est censée, aussi, protéger la société, dissuader les malfrats en puissance de passer à l'acte, et réparer - autant que faire se peut! - les préjudices subis par les victimes.

Or, que constatons-nous? A peu près aucune de ces fonctions ne marche... La prison n'empêche pas les récidives, ne dissuade personne (la société occidentale la plus criminogène, les USA, est ainsi par exemple celle qui incarcère le plus) et ne satisfait jamais les victimes. Surtout, loin de concourir à la réinsertion des détenus, elle plonge ceux-ci dans une situation déshumanisante et scandaleuse. Elle est chère (un détenu coûte environ 4.000 euros par mois dans notre pays). Enfin, elle est une peine aléatoire, largement soumise à l'arbitraire du juge, et à laquelle certains échappent toujours (les criminels en col blanc) tandis que d'autres y sont comme voués en raison de leur origine sociale ou de leur parcours perturbé.

Faut-il de la prison? Oui, bien sûr, il reste nécessaire de sanctionner crimes et délits. Mais il faudrait peut-être prendre exemple sur la loi de protection des mineurs, qui permet l'incarcération de ceux -ci (jusqu'à dix-huit ans) à la condition d'un suivi personnalisé et multidisciplinaire. Pourquoi ne pas étendre ces mesures aux autres détenus, généralement pas beaucoup plus âgés que les mineurs? Cela aiderait à la réinsertion, et probablement aurait pour effet de vider en partie ces centres de détention.

Réflexion percutante, donc, que celle de Bruno Dayez, sans concession mais non pas sans espoir ou sans proposition. Tiens... hasard du calendrier, dans "La Libre" de ce mercredi 23 mars, une page consacrée à la question de "l'enfer carcéral"  (LLB, 23/03/2022, p. 10)

"J'étais en prison, et vous m'avez visité". Grâce à la lucidité de cet avocat, nous avons hier soir visité le monde des prisons. Nous voilà prêts à entendre et à partager le témoignage de quelqu'un qui a rencontré, lui aussi, les prisonniers - un "aumônier", le Père Eric Venot Eiffel, qui sera notre prochain conférencier, le mardi 29 mars  à 20h00 à la Cathédrale. Venez nombreux écouter le beau récit d'une vie largement consacrée à ces personnes rejetées, cachées aux marges, et pour cela même centrales dans nos priorités de chrétiens!

mercredi 16 mars 2022

Sur l'état de la Justice dans notre pays...

 Première des trois conférences de Carême, hier soir, à la Cathédrale, trois conférences qui ont pour ambition commune de nous ouvrir les yeux et le coeur sur "la situation carcérale en Belgique". Il fallait, pour commencer, parler de la situation plus générale de la Justice dans notre pays, et plus particulièrement de son indépendance.

C'est Francis Delpérée, professeur émérite de Droit Constitutionnel à l'UCL, qui nous a proposé un point de vue très clair à ce sujet - en pédagogue remarquable qu'il est. Après avoir fait allusion au "Livre des Juges" dans la Bible - pour dire, avec une pointe d'ironie, qu'on n'attend pas dans nos démocraties les mêmes Juges que ceux du livre biblique! -, il a distingué l'indépendance personnelle des juges et l'indépendance institutionnelle de la Justice, illustrant la nécessité de l'une et de l'autre par des exemples historiques.

Rappel nécessaire que celui-là : avant de parler de la prison, de son éventuelle nécessité, de ses fonctions, de son état chez nous, il fallait nous souvenir du ressort par lequel des citoyens sont condamnés à y entrer et rendus libres d'en sortir. L'indépendance et des juges et de la Justice, par rapport aux autres pouvoirs constitutifs d'une démocratie (l'exécutif, le législatif) mais aussi par rapport aux pressions de l'opinion publique, peut seule garantir une certaine éthique dans ces décisions redoutables.

Après ce tour d'horizon un peu large mais indispensable, nous entrerons mardi prochain dans le vif du sujet - le vif, en effet, on l'attend en nous préparant à entendre Maître Bruno Dayez, avocat critique s'il en est sur l'état de la Justice chez nous, avocat des causes difficiles, aussi, voire impossibles. Le point de vue qu'il nous partagera risque d'être décapant...

On vous attend nombreux!

dimanche 6 mars 2022

La joie des catéchumènes

 Je sors de la Cathédrale où Mgr Kockerols, évêque auxiliaire pour le Vicariat de Bruxelles, a présidé en ce premier dimanche de Carême " l'appel décisif " des catéchumènes - une petite soixantaine d'adultes, tous jeunes - trente ans en moyenne - qui seront baptisés lors de la prochaine Vigile de Pâques. 

 Moment émouvant de voir ces jeunes qui, souvent après un long processus, ont décidé de devenir chrétiens, de suivre résolument le Christ. Quelquefois, ils viennent d'autres religions, mais la plupart du temps, ils étaient "sans religion". Ce sont les circonstances de la vie qui les ont bouleversés, qui leur ont fait sentir "la présence de Dieu" ou "la présence du Christ" à leurs côtés, une présence qu'ils veulent approfondir en s'engageant dans la Voie chrétienne.

 Beaucoup de pleurs, déjà, des pleurs de joie, des pleurs de libération, dans ces visages rayonnants. Une réponse vivante à la morosité ambiante...

samedi 5 mars 2022

A la Cathédrale de Bruxelles, les larmes de Dieu...

 Le Carême vient de s'ouvrir. A la Cathédrale de Bruxelles, nous serons soutenus par l'exposition de l'oeuvre "Dieu Miséricorde" du peintre français Michel Pochet. Un ensemble de toiles sur de fragiles supports (c'est de l' arte povera), présentant la plupart du temps de grands visages en forme de coeur : le visage de Dieu. Et, dans  ce visage, les yeux du Christ à travers lesquels Dieu regarde l'humanité souffrante. Des yeux en forme de... poissons ( ichthys, en grec, chaque lettre du moi "poisson" étant dans cette langue la première d'une titulature du Christ : Ièsous Christos Theou Hyos Sôter, "Jésus Christ fils de Dieu Sauveur"). 

Le regard divin est baigné de larmes, des larmes qui coulent sur les êtres humains et leurs souffrances : la Shoah, les attentats terroristes, la détresse des migrants et jusqu'aux guerres d'aujourd'hui. Des larmes, surtout, qui soignent et qui relèvent, le vrai remède, le seul sans doute qui permettra un jour à l'humanité de renoncer à ses folies.

Le pape François a été ému de ces toiles que l'artiste lui a présentées et il lui a demandé de poursuivre et d'exposer son oeuvre - ce que nous faisons avec joie et reconnaissance.

Bon Carême à tous!



A la Cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule, du 6 mars au 1er mai 2022.

dimanche 27 février 2022

L'hybris de Poutine

 Dans un texte intitulé Qu'appelle-t-on penser?, du début des années '50, le philosophe allemand Heidegger estime,  non sans une certaine provocation, que la désastreuse deuxième guerre mondiale "n'a rien résolu." Certes, elle a permis de mettre en place une paix provisoire - et nous devons bien reconnaître aujourd'hui ce côté "provisoire"! Mais elle n'a pas résolu la source des conflits qui, pour le philosophe, on le sait, réside dans ce qu'il appelle "l'oubli de l'être", l'oubli de la Source de Vie fondatrice de l'être humain. Tous les régimes idéologiques, de gauche, de droite ou d'ailleurs encore, ne sauraient longtemps préserver la paix et "résoudre" la condition belliqueuse de l'être humain, s'ils s'en tiennent à cet oubli de l'être.

Ce que les événements présents nous invitent à constater avec Heidegger : pour des raisons qui lui sont propres, idéologiques surtout, Monsieur Poutine a développé ce que les Grecs appelaient non pas "péché" (une notion peu présente dans l'Antiquité grecque), mais "hybris" : orgueil, démesure, arrogance, violence, volonté destructrice de domination. L'hybris tôt dénoncé dans la pensée hellène est aussi toujours sévèrement punie, un jour ou l'autre.

Mais bon sang, quand les humains comprendront-ils?

mardi 15 février 2022

Enseigner

 Entré dans l'année de mes soixante-cinq ans, j'ai aussi entamé mes derniers mois d'enseignement (sauf si j'accepte ce que l'Université me propose, une année supplémentaire...) J'ai commencé à faire cours en 1979, à l'âge de 22 ans, l'année où je préparais aussi mon agrégation de lettres classiques. Et pratiquement, je n'ai jamais arrêté!

Et l'enseignement a toujours été pour moi un vrai bonheur. La relation pédagogique, qui suppose en amont un grand travail de préparation (sélectionner les grands points de la matière, veiller à une présentation parlante et compréhensible, etc.), mais aussi une attention constante à l'étudiant pendant les leçons orales et enfin un suivi et une évaluation sans concession (y compris pour l'enseignant!), oui, cette relation pédagogique m'a toujours semblé une formidable source d'enrichissement humain, d'épanouissement.

Il y a un vrai bonheur à partager des savoirs, ou à tâtonner dans des apprentissages. Il y a une vraie joie lorsqu'on constate que des étudiants sont entrés dans une certaine intelligence d'une matière nouvelle. J'espère qu'on gardera toujours à ce noble métier son côté "artisanal" et que les machines et les ordinateurs ne remplaceront jamais tout à fait cette si précieuse relation enseignant/enseigné!

dimanche 30 janvier 2022

Jésus, le prophète que les siens rejettent...

Tout avait pourtant bien commencé... Revenu à Nazareth, son village d'enfance, alors qu'il commence sa prédication publique, Jésus est un jeune rabbi précédé par sa réputation. Dans la synagogue, le jour du sabbat, on l'invite à lire et à commenter l'Ecriture, ce qu'il fait en s'appliquant l'accomplissement de quelques versets du prophète Isaïe qui annoncent libération, guérison et année de bienfait : "Aujourd'hui, a-t-il l'audace de dire, cette prophétie est accomplie!"  On s'étonne d'abord, rapporte l'évangéliste Luc (Lc 4),  de "ce message de grâce qui sort de sa bouche" mais assez vite, semble-t-il, cet étonnement se mue en hostilité : "Pour qui se prend-il, ce fils de Joseph?" Et lorsque Jésus en rajoute une couche, affirmant qu'aucun prophète n'est reçu dans son pays, mais doit se tourner vers les étrangers pour y accomplir l'oeuvre de Dieu - voyez Elie, voyez Elisée, l'hostilité devient désir de meurtre : on veut le jeter en bas  d'un escarpement de la ville. Déjà, on veut l'éliminer, et ceux qui auraient dû en premier accueillir sa Parole deviennent ses primo-assassins!

Cela ne devrait pas nous surprendre : il y a là un réflexe de protection devant la nouveauté sans cesse récurrente de la Parole prophétique, cette nouveauté qui, précisément, dérange. On discrédite le prophète : pour qui se prend-il, cet énergumène que l'on connaît, dont on connaît la famille, les attaches, les antécédents? Manière facile de ne pas entendre, de se boucher les oreilles devant la perpétuelle jeunesse de Dieu!

Et, dans nos communautés, cela va quelquefois jusqu'à la mise à mort symbolique : voyez l'outrance et la violence avec lesquelles, sur les réseaux sociaux, certains catho-tradis veulent discréditer la parole de notre pape, parce qu'elle les trouble par sa nouveauté, parce qu'elle les dérange! On n'est pas loin de l'assassinat!

Ah! Se laisser déranger par la Parole, par ses prophètes! 

lundi 24 janvier 2022

Vie et mort de Michel

 Aujourd'hui était inhumé à Loppiano, en Italie, un grand ami, Michel Vandeleene, qui était décédé subitement mercredi dernier à Rocca di Papa, à côté de Rome. Michel était un focolarino consacré, et nous avions vécu plusieurs années en communauté pendant nos études louvanistes - lui en psychologie, moi en philosophie et lettres - dans une maison de Heverlee, près de Leuven. Il a ensuite consacré sa vie à l'étude de la théologie spirituelle, en approfondissant le charisme de Chiara Lubich, la fondatrice des Focolari, et il a enseigné dans divers lieux de formation de ce Mouvement spirituel (notamment à Loppiano). 

Il était une figure rayonnante, magnifique, enthousiaste, d'une exemplaire droiture. Et, à cause de maladresses de l'Institution à laquelle il s'était pourtant voué corps et âme, il a beaucoup souffert dans les dernières années de sa vie.

Il préparait avec Michel Pochet, artiste peintre qui réside et vit également à Rocca di Papa, une sélection d'oeuvres qui seront exposées, pendant le Carême, dans le déambulatoire de la Cathédrale de Bruxelles. C'est dans l'atelier de Michel Pochet qu'il est "tombé mort", comme on dit, victime d'une crise cardiaque. Nous avions le même âge ("Vous ne savez ni le jour, ni l'heure...")

Au revoir, Michel, et même "A Dieu". En Dieu, continue à nous aider!

dimanche 16 janvier 2022

600 litres!

 Le récit des Noces de Cana, en saint Jean, a quelque chose d'extraordinairement théologique, au sens étymologique de ce terme : il raconte quelque chose de Dieu. Il parle d'un Dieu dont l'amour est effusif et même excessif, cet amour qui va être manifesté en Jésus et décrit tout au long du quatrième évangile. Ainsi, la quantité incroyable de vin nouveau et délicieux : six cents litres! Six jarres d'eau remplies à ras bord, chacune contenant cent litres - alors que l'on a déjà éclusé le vieux vin! Quel excès, quelle générosité! Vraiment Dieu ne mégote pas lorsqu'il s'agit pour lui de répandre sa joie sur l'humanité, cette joie du vin, cette joie des noces qu'il scelle en son Fils avec tous les êtres humains.

Un amour qui éclatera encore à la Croix, à cette "heure" qui commence à Cana avec l'injonction de sa Mère aux servants ("Faites tout ce qu'il vous dira"), une Mère que l'on retrouvera au pied de la Croix, enfantant là encore l'humanité nouvelle et régénérée ("Voici ton Fils", lui dira Jésus en lui donnant pour fils désormais le disciple aimé, tout disciple donc, pour toujours.) Le vin de Cana, vin de joie et de liesse, préfigurait aussi le vin eucharistique, sang versé pour le salut du monde.

Enivrons-nous de ce vin-là, accueillons l'excès du don!






samedi 15 janvier 2022

400ème anniversaire...

 Aujourd'hui, 15 janvier 2022, nous célébrons le 400ème anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, autrement dit... de Molière! Ce génie du théâtre, de la comédie de moeurs et, tout simplement, de la langue française (ne parle-t-on pas de "la langue de Molière" pour évoquer le français?) continuera longtemps encore à nous divertir et à nous instruire!

Allons au théâtre!

jeudi 13 janvier 2022

Quelques lectures...

 Des lectures qui se recoupent : de notre Cardinal De Kesel Foi et religion dans une société moderne, paru l'an dernier chez Salvator; de la philosophe française Chantal Delsol La fin de la chrétienté, paru l'an dernier également, mais au Cerf. Dans ces deux textes lumineux, un constat identique : la place de la religion dans notre société a changé, en quelques décennies, du tout au tout. Elle n'est plus un référent culturel ou politique - en ce sens, Chantal Delsol parle de "chrétienté". Elle reste un mouvement spirituel fort mais modeste du point de vue sociologique : la fin de la chrétienté, ce n'est pas du tout la fin du christianisme.

Cette double lecture me donne, je pense, une clé pour déchiffrer des comportements et des discours contemporains. Certains rêvent d'une restauration de la chrétienté, mais sans être nécessairement chrétiens : Zemmour, par exemple, qui est plutôt juif, revendique une identité chrétienne forte (une "chrétienté") pour la France et s'est fendu d'un message en ce sens  à la gloire des manifestations traditionnelles de Noël. Onfray, qui est un athée sans cesse auto-proclamé, reproche régulièrement au pape François de n'être pas assez restaurateur de cette chrétienté dont il a lui aussi la nostalgie. La chrétienté, donc : un mélange de nationalisme, d'ordre, de règles morales qui s'imposent à tous, de refoulement des migrants et des étrangers, etc., etc. On pourrait ainsi revendiquer pareille appartenance en oubliant... l'Evangile (et par exemple, ce critère du Jugement Dernier en Mt 25, "J'étais un étranger et vous m'avez accueilli"!) - étrange contradiction interne, que la France a déjà connue avec Maurras au début du XXème siècle.

L'Eglise catholique doit apprendre à ne plus être une force institutionnelle dominante. Elle doit apprendre les vertus de la petitesse, mais aussi de l'authenticité évangélique que, sans doute, la petitesse honore mieux que le grandeur sociale. C'est, et ce sera, un apprentissage difficile. Mais c'est très certainement la conversion aujourd'hui exigée d'elle!

dimanche 9 janvier 2022

Un dimanche après-midi à la Cathédrale de Bruxelles

Comme souvent le dimanche, j'ai aujourd'hui passé plusieurs heures cet après-midi, en aube et étole (pour être reconnaissable...) dans la Cathédrale, ce qui me permet d'accueillir et quelquefois de guider les touristes et les visiteurs. Ce sont toujours des rencontres riches, même si elles sont brèves, de belles occasions de croiser des personnes fort diverses par leurs âges, leurs goûts, leurs origines.

Surprise, donc, tout à l'heure, de voir venir vers moi une dame qui s'apprêtait à sortir et qui me dit : "C'est certainement le plus bel endroit de Bruxelles. Tout est beau ici : l'architecture, la musique, le silence, on peut se recueillir, admirer des oeuvres d'art, s'arrêter enfin... Heureusement que vous existez!" Et elle croit bon d'ajouter : "Et c'est une athée qui vous le dit! Je ne suis pas croyante, mais j'aime de tout coeur ce lieu de Bruxelles, pour moi le plus précieux!"

J'ai chaleureusement remercié la dame, et me suis dit que sa remarque était une belle reconnaissance. On ne perd vraiment pas son temps quand on se mêle ainsi aux personnes qui entrent et sortent...


(La musique en question, c'est de la polyphonie flamande du XVème siècle, des oeuvres de Guillaume Dufay, Gilles Binchois, Arnold de Lantins, Johannes Brassart, Josquin Desprez, Pierre de La Rue, etc..., une musique très en phase avec l'architecture de la Cathédrale!) 

samedi 1 janvier 2022

Voeux et fête de Marie "Theotokos"

 A tous les lecteurs de ce blog, je présente mes voeux de belle et sainte année 2022! Aujourd'hui 1er janvier, la liturgie nous place sous la protection de "Marie, Mère de Dieu" (en grec : Theotokos). Cette titulature mariale ne va pas de soi : comment ose-t-on dire, en effet, qu'une créature est mère du Créateur? Ce fut l'occasion de vifs débats lors du Concile d'Ephèse en 431 et - passons les détails - la titulature fut maintenue, comme on le voit dans la seconde partie de la prière populaire "Je vous salue, Marie" ("Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous...")

A quoi bon, direz-vous, revenir sur ces subtilités théologiques d'un autre âge? Eh bien, c'est que la vérité même de notre salut est en jeu. Dieu a voulu naître homme, et désormais on ne saurait le chercher et le trouver en-dehors de l'Incarnation, en-dehors de l'humanité même de l'homme. C'est à travers la qualité sans cesse réclamée de nos relations humaines, à travers nos efforts vers la paix, à travers nos volontés de fraternité et d'égalité, que Dieu se donne à voir. Pour le chercher, il ne convient donc pas de s'échapper de notre condition, il faut au contraire s'y enfoncer, comme lui-même l'a véritablement fait en devenant un fils humain d'une de ses créatures.

Alors, pour cette année nouvelle, "au charbon", si j'ose ainsi dire, au charbon et au boulot, retroussons nos manches!