lundi 30 mai 2022

La vie culturelle à la Cathédrale de Bruxelles

 La Cathédrale des Saints Michel-et-Gudule, dont j'ai reçu la charge voici bientôt deux ans, est un édifice évidemment d'abord voué au culte catholique. Elle est le lieu où se trouve la "cathèdre", c'est-à-dire, le siège de l'évêque - en l'occurrence, de notre archevêque le Cardinal Jozef De Kezel. C'est là que les grandes célébrations liturgiques sont organisées, comme les grandes solennités de Noël et de Pâques, les confirmations et les ordinations des diacres, des prêtres ou des évêques. Et puis, bien entendu, les célébrations dominicales et quotidiennes de l'Eucharistie et de la réconciliation sacramentelle (confession), avec l'accueil d'une assemblée très diversifiée dans ses provenances et ses aspirations. Oui, nous sommes d'abord une église, qui accueille les assemblées d'Eglise et les personnes qui, touristes d'un moment ou curieux plus fidèles, viennent voir à quoi ressemble l'Eglise aujourd'hui. Et à tous, nous essayons, pasteurs, confesseurs, personnel, d'offrir un visage souriant. Tout le monde est le bienvenu, c'est "la maison du Bon Dieu!"

Evidemment, cette Cathédrale millénaire a aussi une vocation culturelle. Touristique, d'abord : qui la visite remonte les siècles et se plonge dans l'histoire de Bruxelles depuis environ l'an mille. Qu'il s'agisse d'étudier les divers styles architecturaux  - soubassements romans ou élévations plus tardives, d'admirer les vitraux, dont les plus anciens du XVIème siècle, de contempler le récit biblique raconté par la chaire de vérité de la fin du XVIIème siècle, nous voici plongés dans notre culture. Et dans de la musique : ce que nous rappellent les orgues récentes, et les magnifiques concerts si souvent donnés par les musiciens de multiples origines que nous recommandent nos organistes titulaires Xavier Deprez et Bart Jacob, qui sont, laissez-les rougir, parmi les meilleurs organistes contemporains dans le monde. Comme toujours, c'est à Bruxelles qu'on ne le sait pas, ou du moins pas assez!

Mais il y a davantage, un davantage que je voudrais mettre en relief : la Cathédrale, sise au milieu de la Ville, précisément entre la basse et haute Ville, au mitan de routes qui s'entrecroisent du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, est un carrefour. Un carrefour, c'est un lieu de rencontres, géographiques certes, mais aussi convictionnelles, comme on dit aujourd'hui, non pas que l'on veuille s'y convaincre d'épouser des idées que l'on n'a pas, mais au contraire, parce qu'on veut confronter ces idées dans un débat où personne n'aura jamais raison de personne - le dialogue est infini, et quand il semble fini, il faut alors le reprendre à l'envers. La Cathédrale est un lieu de dialogue infini!

C'est pourquoi j'ai voulu ajouter aux concerts et aux expositions de peinture (comme la remarquable "Dieu Miséricorde" qui vient de s'achever, avec les oeuvres de Michel Pochet), des conférences sur des sujets de société (sur l'état pitoyable de la vie carcérale en Belgique, qui fut le sujet de nos conférences de Carême). C'est pourquoi, avec un petit groupe de complices, nous méditons un moment de réflexion sur l'oeuvre tourmentée et tourmentante du grand cinéaste et écrivain italien Pasolini, dont on fête en 2022 le centenaire de la naissance. Son attachement au Christ, à la figure du Christ, a en effet de quoi interroger croyants et incroyants, lui qui était si méfiant des institutions de toutes sortes.  On verra ce qu'on en dira. Et puis, c'est pourquoi un nouveau projet voit sans doute le jour : mon ami Jacques Sojcher, professeur émérite de philosophie à l'ULB, vient d'écrire une petite pièce de théâtre qu'il intitule jusqu'à présent "Tsim Tsoum", et qui me en scène un double de lui-même et... Dieu. Jacques est athée, mais un athée qui s'adresse à Dieu et qui le fait parler, cela me semble avoir sa place dans une Cathédrale comme la nôtre dont je répète qu'elle est par vocation un carrefour d'idées, d'échanges, de paroles.

On verra! Soutenez-nous aussi par vos commentaires et vos propositions!

dimanche 22 mai 2022

Du précepte à la présence

 Les lectures de ce sixième dimanche de Pâques (année C) nous racontent d'abord, dans le Livre des Actes des Apôtres, les difficultés rencontrées par la première Eglise lors de sa diffusion dans le bassin méditerranéen - en particulier, à Antioche. Question : les païens qui devenaient chrétiens devaient-ils "passer par la Torah", par l'observance des préceptes du judaïsme, pour être de vrais chrétiens? La réponse fut nette : non. Dès ses origines, le christianisme se détournait ainsi d'une religion du précepte, de l'observance - et il est vrai que jamais l'observance ne mérite l'amour.

Mais alors, de quoi est-elle faite, cette religion chrétienne? L'évangile de Jean, également lu aujourd'hui, nous le dit : de présence. "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, mon  Père l'aimera, nous ferons chez lui notre demeure. Et il recevra le Défenseur, l'Esprit de vérité, qui le fera grandir encore dans la foi." Tout est donc affaire de présence et d'intériorité. Etre chrétien, c'est être présent à la Présence de celui qui ne veut rien d'autre qu'habiter au plus intime du coeur humain - Dieu lui-même. 

Nous voilà en effet loin d'un catalogue de prescriptions à observer l'une après l'autre, pour être en règle, mais une règle qui risque toujours de rester extérieure et incapable de conduire à la conversion. Nous voilà invités à accueillir une Présence amicale, aimante, attirante, qui veut élever en elle notre humanité. C'est décidément un autre programme...

vendredi 13 mai 2022

"On n'va né à messe pou' l'curé"

 De mon père, paysan hennuyer qui avait dans sa vie vu passer bien des drames - dont cinq années de captivité en Allemagne entre 1940 et 1945 - me reviennent souvent des formules de sagesse, qui me semblent intemporelles et tellement justes que je peux les appliquer à ce que je vis, ici, à Bruxelles. Ainsi, ce précepte : "On n'va né à messe pou' l'curé", entendez, traduit du wallon : "On ne va pas à la messe pour le curé!" Si on allait à la messe "pour le curé", on irait à la messe comme on va au théâtre, préférant tel acteur à tel autre, telle mise en scène à telle autre, etc. Mais la messe n'est pas un spectacle, elle est une liturgie et tous les participants - à commencer par le premier d'entre eux, le peuple de Dieu assemblé - sont en quelque sorte pris et enveloppés dans une action qui les dépasse. 

Je dis ceci d'autant plus volontiers qu'il m'arrive souvent d'être "félicité" pour "mes" messes, comme si j'avais bien rempli mon rôle. Chacun fait ce qu'il peut, certes, mais je trouve qu'il ne faut pas ainsi applaudir les intervenants d'une liturgie. Les prêtres sont interchangeables, leur personnalité compte finalement peu, c'est leur ordination qui est un sacrement de la présence du Christ Pasteur. Et ici, à Bruxelles-Centre, nous bénéficions du concours amical et actif de prêtres de toutes sortes d'origine - comme est multiple, aussi, dans sa diversité culturelle, l'origine des fidèles. Je remercie mes confrères, du Congo, du Liban, de la Pologne, d'Amérique du Sud, d'ailleurs encore, d'apporter leur participation à l'évangélisation de cette Capitale ouverte à tous les vents. Chacun apporte avec lui son héritage et  sa sensibilité - et de là vient la richesse de notre foi!

samedi 7 mai 2022

Des larmes, encore, à la Cathédrale...

 Quelques ennuis de santé m'ayant tenu éloigné de ce blog, je le reprends au quatrième dimanche de Pâques! L'exposition  "Les larmes de Dieu" a été clôturée de jolie façon dimanche dernier, en présence de  l'artiste Michel Pochet, par une rencontre amicale dans la Chapelle de la Vierge. Et, hier, l'exposition était démontée...

Pourtant... Hier après-midi, j'ai été appelé - comme c'est régulièrement le cas - à bénir des objets de piété achetés au magasin de la Cathédrale. M'attendaient là un papa et une maman accompagnés de leur grand fils polyhandicapé, en fauteuil. On lui avait acheté un bracelet orné d'images pieuses "pour le protéger". La maman a raconté l'histoire de ce grand fils qu'une série d'erreurs médicales a, semble-t-il, mis dans cet état difficile. Elle s'est, comme elle le disait elle-même, "autorisée à montrer ses émotions", et les larmes ont coulé avec abondance - il y avait un trop-plein, et depuis trop longtemps. 

J'étais là, j'écoutais, la main posée sur l'épaule de ce grand jeune homme perdu. Il m'a semblé que c'était un moment de prière et qu'en entendant ce récit, Dieu n'avait pas fini de pleurer - mais avec des larmes de guérison - dans notre Cathédrale.